QUAND LES FACTEURS AVAIENT LE TEMPS…

La Petite Gazette du 24 octobre 2012

ET SI ON PARLAIT DE LA POSTE ET DES POSTIERS ?

Monsieur Didier Kreczman travaille à la poste à Clavier, aussi aimerait-il que vous évoquiez vos souvenirs de la poste d’hier à Clavier bien sûr, mais également ailleurs :

« Serait-il possible que les lecteurs de La Petite Gazette évoquent les anciens bureaux de poste et les facteurs d’hier ? Peut-être pourraient-ils nous proposer des photographies des anciens bureaux de poste d’Ocquier, de Bois, de Les Avins et  de Clavier voire même des anciens bureaux de poste de toute la zone de distribution de l’hebdomadaire les Annonces. Peut-être même disposent-ils de photographies d’anciens facteurs en uniformes. Ce serait peut être l’occasion de rappeler le rôle social (encore bien réel dans nos régions essentiellement rurales) de nos courageux facteurs (je le dis d’autant volontiers que j’ai le privilège de rester bien au chaud quand ils affrontent pluie, neige ou verglas). »

A vous de jouer, si vous le souhaitez bien sûr… Je suis intimement persuadé qu’il y en aurait des choses à raconter si les anciens facteurs voulaient bien nous conter les anecdotes qu’ils ont vécues…

La Petite Gazette du 7 novembre 2012

ET SI ON PARLAIT DE LA POSTE ET DES POSTIERS ?

Monsieur Didier Kreczman travaille à la poste à Clavier, aussi vous a-t-il proposé d’évoquer vos souvenirs de la poste d’hier à Clavier bien sûr, mais également ailleurs : Monsieur Jean Bolland, d’Amonines, est le premier à répondre à son souhait. Il se souvient d’un temps qu’il regrette manifestement, celui où les facteurs avaient le temps !

« Je n’évoque pas la région de Clavier et ne possède pas de photos sur les bureaux de poste d’autrefois. Néanmoins, j’ai quelques souvenirs à relater.

C’était au temps où les plans géoroutes  planifiant des obligations de rapidité, de rentabilité et d’efficacité économiques ne pourrissaient pas le travail de nos dévoués facteurs. C’était au temps où cette fonction permettait encore de laisser une bonne part aux contacts humains et à la propagation verbale de ces mille et une nouvelles qui font le charme de la vie dans nos campagnes. C’était au temps où l’employé du bureau de poste -qui bien souvent était le facteur rentrant de sa tournée- ne devait pas  tenter de vendre les produits financiers imposés par la politique de l’entreprise. D’ailleurs, la poste n’était pas une entreprise mais un vrai service public.
A Dochamps, village aux rues escarpées, le facteur, comme partout en zones rurales, effectuait sa tournée à pied. La besace pansue en bandoulière, il entrait dans chaque habitation, distribuant journaux, lettres, bons mots à chacun, bonne humeur et chaleur d’une présence humaine éphémère mais ô combien importante pour les personnes isolées à qui il n’hésitait pas à rendre de petits services comme rentrer la provision journalière de bûches pour le chauffage!

Lors des fortes chaleurs, quelque peu débraillé et coiffé d’un képi qu’il portait de travers, il suait à grosses gouttes, au long des routes et sentiers pentus du village. En hiver, protégé par une cape, il avait parfois bien de la peine pour se faufiler entre les amas de neige rejetés par le traîneau communal ou par les villageois qui avaient dégagé un passage entre leur demeure et le chemin.

Les premiers jours de janvier, rares étaient les gens qui ne lui glissaient pas une dringuelle dans la poche ou qui ne lui versaient pas une petite goutte. Parfois les deux. Dès lors, il continuait sa tournée, le couvre-chef de travers. Mais plus pour les mêmes raisons qu’en été.
Le bureau de poste était une pièce d’habitation que l’administration louait chez un particulier ; le guichet simplement aménagé dans la porte de la dite pièce. Une table imposante portant le matériel nécessaire au travail administratif, une chaise ou deux, une armoire, un poêle et une balance, de précision, à plateaux posée sur la tablette de la cheminée ainsi qu’un imposant coffre-fort constituaient l’essentiel du mobilier. »

Et vous quels souvenirs avez-vous conservés des facteurs et des bureaux de poste d’antan ?

La Petite Gazette du 20 novembre 2012

LES FACTEURS DU TEMPS OU ILS AVAIENT LE TEMPS…

C’est Monsieur Jean Ninane, lecteur passionné et collaborateur régulier et passionnant de La Petite Gazette qui m’adresse ce petit texte qu’il complète de ses réflexions personnelles sur le sujet.

 » Voici un extrait de ce qu’écrivit une élève de 14 ans  au concours cantonal de rédaction, il y a pas mal d’années.

« Notre cher facteur,

Izier a le privilège d’être desservi par un facteur comme il en existe peu tant il est aimable et sympathique.

Chaque jour, les mains crispées au guidon du vélo, le sac rebondi,  il gravit 5 km de côte  et cela par tous les temps, bise cinglante, neige glacée, pluie battante, sol brûlant. Il nous arrive le sourire aux lèvres, en sifflant ou chantonnant. Arrivé au village, il va de porte en porte, déboucle son sac duquel il tire journaux et lettres qui réjouissent ou attristent parfois. Les gens l’accueillent comme un parent : « Christophe, une tasse de café, une petite goutte, un cigare ? »

Au village d’Izier, Christophe est l’homme de confiance. On lui raconte ses petites misères, on lui narre ses peines, on lui demande avis. Les services qu’il rend en dehors de ses obligations sont appréciables. Pressé ou pas, contraint ou non, il vous dépannera… »

Ce petit texte est tiré du livre merveilleux écrit par le facteur en question sous le titre « Christophe Théate, Facteur ardennais« (Edition Legrain 1977)

Il faut trouver et lire ce livre pour comprendre ce qu’était le facteur d’autrefois, un bienfait social. Il apportait des médicaments, de la viande et des bas à ravauder. Il apportait les dernières nouvelles. Il connaissait toutes les naissances, mariages et décès du coin. Les gens ne mettaient pas leur courrier dans les boites aux lettres mais à leur fenêtre pour que le facteur entre les saluer… et leur parler. »

Vive le géo-route !!!

Pour illustrer ces propos, Monsieur Francis Sante, d’Aywaille, un tout jeune retraité de la Poste qui aurait, sans doute, bien des souvenirs à partager, s’est assuré la complicité de Monsieur Freddy Lemaire pour vous donner l’occasion de découvrir cette magnifique photographie d’un facteur d’Aywaille en 1926.

facteur-des-postes-daywaille-en-1926

La Petite Gazette du 5 décembre 2012

QUAND LES FACTEURS AVAIENT LE TEMPS…

C’est au tour de Monsieur André  Feuillen, d’Awan-Aywaille,  de se souvenir… Vous comprendrez qu’il ne pouvait oublier ce facteur…

facteur-rural

« Un facteur rural armé vers 1930, Monsieur Francis Sante, d’Aywaille,  jeune retraité de la Poste, s’est assuré la complicité de Monsieur Freddy Lemaire pour vous donner l’occasion de découvrir cette magnifique photographie »

« Je  me  rappelle  des  facteurs  depuis mon  plus  jeune  âge. A  la  sortie  de  la  guerre  chez  mon  Bon-Papa  à  Noville-les-Bois :

« one  got’  Eugène ? » …  et  le  brave s’asseyait  à  la  table  attendant  la  bouteille  que  Maman  ou  mon  oncle  ramenait  de  l’entrée  de  la  cave, Bon-Papa  restant  dans  son  fauteuil (è  culot  d’lé  stouf)  tirant  sur  sa  pipe. Après  avoir  échangé quelques  phrases  le  facteur  basculait  son  verre  d’un  geste   rapide,  se  levait. « Merci  a   dmoin ! »
Plus  tard,  je  me  souviens  aussi  qu’il  était  parfois  accompagné  d’un  contrôleur  qui  tenait  sa  montre de gousset en  main et  notait  sur  une  feuille !  (déjà en  1948!)

Je  me  souviens  très  bien  aussi  que  le  facteur  passait  2  fois  par  jour,  tournée  du  matin  et  tournée  de  l’après-midi ; il  passait  aussi  le  samedi.  Je  pense  aussi,  mais  là  je  me  trompe  peut-être ,  qu’il  passait aussi  le  dimanche  matin.

En  1945, nous  avons  aménagé  rue  des  Golettes  à  Tihange et  la  aussi  le  facteur  passait  deux  fois  par  jour. Peu  avant  Pâques  1946,  Maman  qui  nous  conduisait  à  l’école  d’Application à  Huy  venait  nous  rechercher  l’après-midi,  en  profitait  pour  faire  quelques  courses  puis  remontait  à  pied  vers  le  Long-Thiers. En passant  rue  Vankeerberghen,  venant  du  centre  ville,  il  y  avait  à  la  première  ou à la deuxième  maison à  droite  un  chocolatier  dont  la  vitrine  se  limitait  à  la  fenêtre  ordinaire  de l’immeuble. Du  haut  de  mes  six  ans, je  m’étirais  sur  la  pointe  des  pieds  pour  rêver  de  chocolat.  J’aperçus au  centre  de  la  vitrine  une  poule en  chocolat  quasi  grandeur  nature  couvant  ses  œufs.

« Oh  …Maman  je  veux  cette  poule-là  aux  cloches !!! » Maman  me  répondit  gentiment  que  pour  avoir  cette  poule  il  fallait  écrire  aux  Cloches  et  que,  si  j’étais  gentil,  elles me  l’apporterait. Rentré  à  la  maison  trois quarts d’heure  plus  tard,  je  n’avais  pas  oublié  ma  poule.  Aussi  me  mis-je  en  devoir  de  préparer une  feuille  de  cahier  et  un  crayon  pour  écrire  aux  Cloches.  N’étant  appris  que  depuis  quelques  mois  Maman
se  prêta  de  bonne  grâce  pour  m’aider  à  écrire  ma  lettre, celle-ci  terminée, Maman  me dit  qu’on  la  posterait  demain. Je  la  pliai  en  quatre  et  la  glissai  dans  la  poche  de  mon  manteau. Le  lendemain,  nous  partions  pour l’école  comme  tous  les  jours  accompagnés  d’autres  mamans  et  de leurs  enfants.  Passant  devant  la borne  postale  située  à  100  m.  de  la  maison,  je  me  précipite  pour  y  glisser  ma  missive  Maman  essaie  de  me  retenir… « Attends….attends ! »

Trop tard, c’est  « but ». « Mais  il  ne  fallait  pas, il  fallait  une  enveloppe  et  un  timbre !… »
Quelques  jours  plus  tard,  vacances  pascales, soleil  radieux  je  suis  à  la  fenêtre  devant,  à  regarder  dans  la  rue. Passe  le  facteur  qui  me  dit  bonjour  puis  disparait  aussi  vite  derrière  le  mur  de  la  propriété  voisine,  réapparait aussi  vite  à  reculons en  me  regardant.

Dis  m’fi…c’est  toi  qui  as  écrit  aux  Cloches ?

 Oui !

Ha !  Ta  lettre  est  arrivée   s’tu 

– Merci facteur !  

Je  cours  vers  Maman  lui  annoncer  la  bonne  nouvelle.   Quelques  jours   plus  tard, alors  que  je  suis  en   sieste,  coup  de  sonnette… tournée  de  l’après-midi   Le  facteur   tend  à  papa,  qui  ouvre  la  porte, un  gros  emballage  cadeau… « De  la  part  des  cloches ! »  et  sans  ajouter  un  mot   le  messager   repart. J’ai  déballé  non  pas  une  poule  mais  un  tout  gros  oeuf  en  chocolat. N’était-il  pas  merveilleux  notre  facteur ?  Je  n’ai  jamais  oublié  son  geste   et  il  m’est  déjà  arrivé  quand  mes  moyens  me  le  permettent  de  perpétuer  son  geste. »

La Petite Gazette du 12 décembre 2012

QUAND LES FACTEURS AVAIENT LE TEMPS…

C’est de Grandmenil, que Madame Sevrin intervient pour rendre hommage à celui qu’elle appelle « le brave facteur » de son enfance :

« Qui reconnaît ce brave facteur ?

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« Mon bon facteur et mes deux grandes sœurs devant la croix du village »

 

 

 

Il s’appelait Louis, il était une âme de nos foyers, y apportant les bonnes et les mauvaises nouvelles, partageant les joies et les peines de chacun.

Nous habitions la dernière maison du village. Chaque jour, il était attendu. Il buvait sa tasse de café, mangeait ses tartines puis recevait un petit stimulant. Il était très jovial.

Il en a parcouru des kilomètres, à vélo durant la bonne saison, à pied en hiver, bravant le gel, la neige et les congères.

Une nuit d’hiver, une tempête de neige s’était abattue sur toute la région, isolant notre hameau de tout. Très tôt le matin, les hommes munis d’une pelle se mirent à dégager la route. A la fin du village, ils découvrirent notre messager enseveli sous la neige, éreinté, transi de froid, mais décidé à continuer sa tournée.

Durant les périodes de Noël et de Nouvel An, je l’attendais avec impatience, espérant recevoir quelques jolies cartes illustrées.

Des années plus tard, j’ai eu le bonheur d’accueillir ses arrière-petits-enfants dans ma classe. En Guillaume, j’ai reconnu sa « bouille » si sympathique et, en Marine, son humour et sa joie de vivre. »

Un grand merci pour ce beau témoignage. Et vous me parlerez-vous de votre facteur ?

La Petite Gazette du 19 décembre 2012

QUAND LES FACTEURS AVAIENT LE TEMPS…

Madame Renée Daper, de Palenge-Durbuy, évoque les tournées de son mari facteur :

« Mon mari, René Antoine était facteur, il est malheureusement décédé il y a 22 ans déjà. Il était bûcheron avant notre mariage, mais nous étions à peine mariés, en avril 1949, qu’il fut mis au chômage. Mon frère était percepteur et lui signala qu’une place était vacante à Ocquier. Mon marie l’a occupée dès août 1949. Il y avait là quatre facteurs, c’était une sous-perception. Comme il était le dernier entré, sa tournée n’était pas des plus belles. Il la commençait par la grand-rue d’Ocquier, qu’il desservait, puis il s’en allait vers Bonsin, distribution, avant la route du Bois Lapson, une ferme à 3 ou 4 kilomètres de Bonsin où gentiment il recevait une tasse de café et où il pouvait prendre 3 ou 4 minutes de repos. Après il n’y avait plus de route sinon en terre pour aboutir à une grande prairie, pleine de bétail. Il devait porter son vélo en plus de son sac et descendre la prairie jusque dans la cour de la ferme de Boffeux. Il s’engageait ensuite dans la distribution le long de la grand-route de Somme-Leuze, puis il s’engageait dans une route à droite où il distribuait également le courrier. Ensuite, il devait franchir un ruisseau. Tous les jours, il portait en plus des boîtes de lait pour les jumeaux de M. et Mme Rasquin. Il allait les chercher avant sa tournée chez le Dr Rase. Au retour, ce n’étaient que des côtes…

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Il a ensuite été envoyé à Clavier, à Seny, puis nommé à Bomal. Après deux ans, il est revenu à Ocquier – Clavier, car c’était plus près de Palenge. La sous-perception a changé d’adresse quand la sous-perceptrice a été pensionnée et là c’est un jeune homme de 17 ans qui est venu comme sous-percepteur, José Nicolas, de Bonsin. Mon mari et lui s’entendaient vraiment très bien et sont devenus amis. Durant sa carrière, mon mari a appris une vingtaine de tournées.

A la ferme du Bois Lapson, il y avait un grand bouc qui attendait toujours mon mari et qui le suivait dans le reste de sa tournée. Mon mari était très embêté car il arrivait que le bouc se « lâche » sur ses sacs… Un jour, il entre dans une maison, eh oui – il n’y avait pas de boîte aux lettes alors, il crie… pas de réponse, il n’y a personne. Le bouc était entré avec lui et mon époux l’enferma dans la maison avant de poursuivre sa tournée. Le lendemain, la propriétaire de la maison attendait évidemment mon mari, il y eut quelques cris mais comme c’était une dame très gentille, elle n’y eut aucune autre conséquence… »

Un grand merci pour ces souvenirs et cette étonnante anecdote

La Petite Gazette du 26 décembre 2012

QUAND LES FACTEURS AVAIENT LE TEMPS…

Vos souvenirs sont à la fois plaisants et intéressants à propos de ce personnage sympathique dans le passage quotidien est attendu et, parfois, espéré. Vous êtes nombreux à regretter le temps passé, pas si lointain pourtant mais qui semble à jamais révolu, où le facteur avait le temps de s’arrêter et de commenter avec vous les nouvelles qu’il apportait. Aujourd’hui Madame Maggy Frisée nous gratifie d’un texte magnifique dans lequel elle évoque l’évolution du métier, ainsi qu’elle a pu la constater depuis son enfance… Un immense merci

Nosse facteur. Dji m’ sovin dè vî facteûr qui passéve qwand dj’èsteû èfant. Esteût-i seûl’mint si vî ? Avou s’grosse vwès èt s’ blanke mustatche, c’èst l’îdèye qui dj’ènn’aveu.

C’è-st-à pî come tos l’s-ôtes di ç’ timps-là qu’il arivéve : on baston él min èt s’ pèzante sacoche so s’ vinte, i rotéve timpèsse. Si toûr èsteût long : à quéle heûre aveût-i qwité l’ burô d’ posse di Trooz          po-z-èsse ås Fôdjes vès  dîh eûres, après aveûr  rimonté lès Rys d Mosbeûx ? I lî faléve intrer d’vins lès coûrs ou lès djårdins, passer l’ ri vochal ou là pus lon, sûre ine alêye qui minéve å tchèstê, po r’mète à chaskeune sès lètes ou sès gazètes, ca i-n-aveût nole bwète ås lètes. Ennè profitéve po djåzer d’ traze à catwaze avou onk ou l’ôte ou bin beûre ine jate di cafè tot magnant s’ tåte.

Après Lès Fôdjes, nos l’ vèyîz ‘nn’ aller vès ‘n Andoûmont èt d’là, vès l’ Creûs Hinrå èt lès Brouwîres, pwis rad’hinde po «so Neûrfalîhe » èt l’ Couquerote po r’djonde li Vèsse å Trooz, Çoula lî féve po l’mons ine bone dîhin.ne di kilomètes Mins, mutwèt aveut-i d’vou, d’vant çoula, monter so l’ Thiér èt passer po Gomzé, dji n’ m’ènnè sovin nin mins ça lî åreût co ralongui s’ vôye

Vos v’ mådjinez bin qu’i-n-aveût qu’ine tournêye,  C’èsteût à lu qu’on confiyîve lès lètes à-z-èvoyî èt à lu ossi qu’on atch’téve les timbes. I v’néve li sèm’di èt l’dîmègne èt min.me li prumî d’ l’an avou totes les cartes qu’on rawårdéve, dès cisses qu’èstît mutwèt gåliotêyes di diamantine. Ç’ djoû là, ci n’èsteût nin à dîh eûres å matin qu’il arivéve, mins pus vite à dîh eûres al nut’ ca tot l’ monde aveût volou lî d’ner s’ dringuèle èt lî sinker ‘ne gote.

Poqwè nosse vî tchin hawéve-t-i come on pièrdou qwand ‘l vèyéve ? L’uniforme, li kepi mutwèt?  Ca c’ èsteût parèy po l’ tchampète.

Dès ôtes facteûrs ont v’nou pus tård, dès cis à vélo, adon pwis avou dès mobylètes, asteûre c’èst dès camionètes, mins nouk di zèls ni m’a lèyî d’ sov’ni. I-n-a qu’l’îmådje da Moncheû Debras qui dj’a co d’vant lès-oûy.

I fåt qu’ dji v’ dèye, qui po l’ djoû d’oûy nosse facteûr lêt s’ camionète å coron dèl rowe èt passe à pî, çou qu nos done l’ocåsion dè copiner on pô

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 « Le départ en tournée des 6 facteurs d’Aywaille en 1946 et le bureau était situé rue Alphonse Gilles. Monsieur Francis Sante, d’Aywaille,  jeune retraité de la Poste, s’est assuré la complicité de Monsieur Freddy Lemaire pour vous donner l’occasion de découvrir cette magnifique photographie »

C’est avec beaucoup d’amertume que Madame Isabelle Lecomte, de Clavier, évoque le métier qu’a exercé son papa.

« Oui, mon père Robert Lecomte  était facteur. A ce temps-là, il avait le temps. Il entrait buvait un café, après une gaufre. Pour les personnes plus âgées il allait à la pharmacie et, quand les volets étaient fermés, il prévenait la famille.

Maintenant, ils n’ont plus le temps de rien, ils roulent  sur les pavées pour ne  pas descendre de leur camionnette et mettre dans la boite aux lettres. Il n’y a plus rien d’humanité maintenant, c’est fini le bon vieux temps de vivre ! »

La Petite Gazette du 2 janvier 2013

QUAND LES FACTEURS AVAIENT LE TEMPS…

Monsieur Remi Delaite, de Marche, a également eu la bonne idée de partager avec nous tous des souvenirs des facteurs connus avant ou après la Seconde Guerre Mondiale…

«  Durant les années d’avant-guerre, ma mère habitait une ferme isolée à 3 ou 4km du village à Ochamp, avec comme seul moyen d’accès, un chemin agricole. Lorsque le facteur était accompagné d’un contrôleur, ce dernier était invité à prendre une tasse de café pendant que le facteur allait faire une fausse livraison dans un bâtiment situé à quelques centaines de mètres, ce bâtiment n’était autre qu’un hangar… Une façon de justifier son temps ! Quand on songe qu’il faisait le trajet à pied ou en vélo !

Début des années 50, dans mon village à Redu, le facteur avait souvent maille à partir avec un chien qui l’avait déjà mordu plusieurs fois. Rien ne changeait malgré plusieurs avertissements donnés à son propriétaire. Un jour, il prit son arme de service et transperça le chien d’une balle. Le chien en réchappa, laissa le facteur tranquille, qui en fut pour un procès verbal justifiant la douille tirée. Autres temps… »

La Petite Gazette du 16 janvier 2013

QUAND LES FACTEURS AVAIENT LE TEMPS…

Madame Courtoy-Fabri, d’Ozo , avec la gentille complicité de sa fille, nous dit le plaisir qu’elle a éprouvé en lisant quelques souvenirs de son facteur, Christophe Théate, le « Facteur ardennais » :

« Pendant la guerre, Christophe desservait Ozo avant Izier. J’allais, chaque semaine, à Grand-Trixhe pour y chercher de la viande abattue clandestinement par Gaston Vanval. Pour m’assurer de la compagnie sur la route, je quittais Ozo une demi-heure après lui et je l’attendais à la sortie d’Izier. J’avais entre 15 et 17 ans et les routes n’étaient pas sures !

Christophe m’a souvent rendu service pour réparer un pneu crevé, une chaîne sautée ou un dérailleur coincé.

J’appréciais beaucoup sa gentillesse et j’en ai gardé un excellent souvenir. Plus tard, j’ai eu  beaucoup de plaisir à lire son livre, qu’il m’a d’ailleurs dédicacé. Cela m’a fait plaisir d’entendre parler de lui… C’est ma jeunesse ! »

La Petite Gazette du 23 janvier 2013

NOUS AVONS DES FACTEURS QUI PRENNENT ENCORE LE TEMPS…

Madame Hélène Dumont, de Moulin du Ruy, apporte à son tour son témoignage sur les facteurs d’hier, mais elle tient également à évoquer ceux d’aujourd’hui !

« J’ai connu ce temps où les facteurs prenaient le temps de s’arrêter, d’entrer poliment dans les maisons en criant « Facteur » pour annoncer leur passage. Ils savaient rendre service et prenaient le temps aussi de commenter les nouvelles. Je me souviens de Fernand, Gaston, Julien et d’autres encore.

Je ne suis cependant pas d’accord avec un témoignage qui se concluait par « il n’y a plus d’humanité maintenant, c’est fini le bon vieux temps ! » Nous avons la chance, dans notre région, de profiter d’un service postal très humain. La Poste a compris que, dans certaines situations, les facteurs peuvent rester proches des personnes âgées ou ayant des difficultés pour aller relever la boîte postale, le long de la route.

Moi, je dis merci de tout cœur à la Poste et aux facteurs de la région Stavelot-Trois-Ponts qui savent rendre service avec beaucoup de sympathie.

L’esprit du bon vieux temps n’est pas tout à fait mort ! »

Merci pour ce beau témoignage qui, indubitablement, fera plaisir aux collaborateurs de B-post.

A LA POSTE CHEZ PARRAIN GEORGES…

Madame Luce Bigot aimerait, aujourd’hui, vous raconter ce qu’elle définit elle-même comme « un bon souvenir ».

« Dans les années 50, mon grand-père était percepteur des Postes à Gedinne; habitant la Hesbaye, nous n’y allions pas très souvent, pas d’autoroute à l’époque, nous y logions 1 ou 2 jours. La poste était un beau bâtiment en pierres bleues qui desservait beaucoup de villages des environs. Du haut de mes 5 ou 6 ans, j’ai le souvenir des facteurs à vélo bien emmitouflés en hiver, du bruit des tampons qui oblitéraient les timbres, de l’énorme balance au milieu de la salle, du poêle à charbon à alimenter très régulièrement et surtout de tous les fils que l’on branchait pour obtenir une communication téléphonique…quelqu’un venait même téléphoner au   Congo.

Ma curiosité de petite fille s’amusait de tout, la grosse horloge, les employés en tablier noir, le petit grillage au plafond qui donnait dans la chambre de mes grands-parents. Je pourrais en parler longtemps pourtant, mon grand-père est décédé assez tôt et, terminées les petites vacances à Gedinne, les balades dans les bois, la messe, terminés le bon lait et le beurre de la ferme etc. mais ceci est une autre histoire. Je rends de cette façon un hommage à mon grand-père et parrain Georges. »

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Je possédais une carte postale représentant le bâtiment où ma correspondante passait ses agréables petites vacances et j’ai pu lui en envoyer une copie qui, manifestement, lui a fait plaisir : « C’est bien la poste de mon enfance, la petite tourelle au premier étage était le cabinet de toilette de ma grand-mère Céline. J’aperçois aussi les fenêtres des greniers dans lesquels nous jouions mon frère et moi parmi les rouets, les poupées de chiffon, les jouets d’un autre âge qui avaient appartenu à mon père et ma tante. »

La Petite Gazette du 30 janvier 2013

QUAND LES FACTEURS AVAIENT LE TEMPS

Madame Torette-Schmitz, de Tinlot, témoigne à son tour sur ce sujet qu’elle connaît bien :

« Voici papa, Joseph Schmitz, né le 7 mai 1885 et entré à la poste à Engis, vers 1902 je crois.

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Il a fait, pendant des années, la tournée à Clermont-sous-Huy, Aux Houx et Aux Fontaines avant midi. Il venait dîner puis retournait, à 2 heures, pour faire la tournée des Avins. Il travaillait le samedi et avait congé un dimanche sur cinq.

Il devait être à la gare d’Engis à 5 heures du matin pour prendre la première dépêche. Vers 9 heures, il mangeait une tartine et buvait une tasse de café chez Flagotier, aux Houx. Il a pris sa pension en 1941 et est décédé le 11 juin 1960. »

 

La Petite Gazette du 6 février 2013

QUAND LES FACTEURS PRENAIENT LE TEMPS…

Madame Bernadette Lejeune, de Basse-Bodeux, nous apporte quelques précieuses informations sur cette photo parue il y a quelques semaines.

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 « Le départ en tournée des 6 facteurs d’Aywaille en 1946 et le bureau était situé rue Alphonse Gilles. Monsieur Francis Sante, d’Aywaille,  jeune retraité de la Poste, s’est assuré la complicité de Monsieur Freddy Lemaire pour vous donner l’occasion de découvrir cette magnifique photographie »

 « Le deuxième facteur, à compter de la gauche, est mon papa, Fernand Lejeune, né le 7 mars 1921 et décédé accidentellement le 7 mars 1963. Je suis née en 1952 et, si je me souviens bien, papa avait été appelé à l’armée mais il manquait de facteurs alors il avait été rappelé à son poste. Durant la guerre, je sais qu’il détournait les lettres qui étaient destinées aux Allemands et qu’il les faisait parvenir à l’armée blanche… »

Les facteurs, d’autres professions également dont les téléphonistes, ont pris beaucoup de risques durant la dernière guerre et ils ont ainsi rendu d’éminents services à la lutte contre l’occupant.

Monsieur Jean Marie Chartry d’Heur, professeur émérite de l’Université de Liège, nous lit à Saint-Germain-en-Laye (France) grâce à la gentille complicité d’une lectrice de La Neuville qui lui envoie régulièrement cette page. Il tient à insister sur le « rôle social de celui qui n’était pas seulement le simple porteur de missives, le propagateur de nouvelles orales sur le chemin de sa tournée, la rythmant par sa régularité quotidienne ou biquotidienne d’un certain temps de la vie quand la vie, en effet, prenait le temps de vivre. On le trouvait aussi consolateur des femmes à la maison, qui voulaient recourir à son service. Ce ne sont à cet égard ni légende ni ragots, mais faits et observations dispersés sur la population de nos villes et de nos villages, dont il va de soi qu’aucune enquête sociologique ne rendra jamais rétrospectivement compte, puisque nous entrons dans le domaine de l’intime et du celé. En des temps où il n’était question que d’insémination naturelle, il arrivait que le facteur jouât le rôle du donneur pour la fécondité de femmes en mal d’enfant, pratique que relève l’expression wallonne, « l’èfant dè facteûr » ; pratique occasionnelle, certes, et néanmoins réelle, quoique destinée à échapper tout naturellement aussi à l’enregistrement de la statistique. »

La Petite Gazette du 13 février 2013

QUAND LES FACTEURS AVAIENT LE TEMPS… CHRISTOPHE THEATE

Monsieur Ivan Rasquin, de Ouffet, m’écrit pour me dire son intérêt face aux témoignages sur les facteurs d’hier et, spécialement, Christophe Théate qu’il a connu dans ses derniers moments de vie :

« Mon histoire est toute différente de celles publiées jusqu’à ce jour : J’ai vécu au côté du facteur Christophe Théate dans ses derniers moments de vie.

Christophe était hospitalisé à la clinique de Huy, j’y suis aussi hospitalisé et … dans la même chambre. Je n’ai fait que de l’entrevoir quand on a entré mon lit dans sa chambre et m’a placé côté fenêtre. Une tenture nous sépare mais ne nous empêche de communiquer par la parole, en wallon, j’étais heureux de parler avec cet homme érudit. Son vœu  était de faire intégrer notre patois dans les écoles, si non il serait perdu à jamais. Il avait raison mais savait que c’était peine perdue, le patois est trop varié d’une région à l’autre. et c’est très tard que nous nous sommes souhaité « in bonne nute« .

Ce qui va suivre va vous sembler invraisemblable, mais pourtant réel : Je dormais depuis … lorsqu’une lueur indéfinie vint de l’extérieur illuminer la chambre, une forme (de femme) difficile à définir longeait le mur, pour disparaître derrière la tenture qui me séparait de Chistophe. Au passage de cette ??  mon corps était glacé, de peur je n’osais bouger, je croyais que c’était l’heure de ma mort ! Moi qui suis athée, je me pose encore la question de savoir ce que représentait cette « chose »…

Quand, environ une à deux heures plus tard, j’entendis des personnes chuchoter, je me suis bien réveillé, c’était la famille de mon voisin de chambre. Christophe était décédé ! Le 25 janvier 1983 à 6 h 40. J’ai cet acte.

Je fis le rapprochement entre la lueur de la nuit et son décès ! Quand j’en ai fait part à son fils Norbert, il me signifia que son père était extrêmement croyant et que ce ne serait que la venue de la Sainte Vierge pour le bénir ! Moi le mécréant, j’étais perplexe, mais que penser ?

Après ma revalidation, je me suis rendu à Tohogne, avec Norbert, sur la tombe de l’homme que j’avais peu vu mais qui, par sa voix, son parler, son wallon avait laissé une trace en moi. Son fils Nestor, lui, m’a offert ses deux livres: « Christophe Théate, facteur ardennais » et le « Recueil de poésies wallonnes« .

Quand, dans son livre, on parle de Malboutée, je ne peux m’empêcher de penser à mon arrière-grand-mère paternelle, Marie-Thérèse Laboule y est née, dans son acte de naissance, il y est indiqué « maison isolée » mais c’était en 1843. J’ai écris sa biographie portant simplement son nom. »

Merci pour cet émouvant témoignage.

La Petite Gazette du 20 février 2013

QUAND LES FACTEURS AVAIENT LE TEMPS…

Madame Maria Lambotte, de Werbomont, se souvient elle aussi de cette époque…

« Je vous livre quelques faits de vie de l’époque où les facteurs avaient le temps, où 100 francs en un an rapportaient 3 francs et je vous parlerai, lié à tout ceci, du fameux poêle crapaud de la tante Alphonsine. Mes parents, à leur mariage, ont partagé sa vie pour l’accompagner et reprendre la ferme laissée libre par le décès de son mari.

C’est ainsi que nous avons pu profiter l’hiver, dans la salle à manger, la chambre comme on disait alors, de la douce chaleur que diffusait ce merveilleux poêle, ce support pour se chauffer les pieds comme dit si bien M. Houlmont.

A la bonne saison, on emménageait à la cuisine, mobilier : chaises de ferme, cuisinière à pavés, des faïences à fleurs vertes qui avaient tout leur charme et le grand canapé savamment travaillé par Prosper Dodrimont, menuisier, le grand-père de Philippe. Que du bonheur, oui ! mais, car il y a un mais… Maman avait la foutue manie de visiter nos petites tirelires de la C.G.E.R. pour rendre la monnaie au facteur. Bien sûr, elle nous remettait la somme, qu’on dit ? Ces petites tirelires cylindriques étaient offertes par la C.G.E.R. aux écoliers et M. Giltay, l’instituteur, nous proposait d’apporter nos petites économies et, au bout d’un temps, nous apportions nos livrets qu’il portait à la Poste avec notre pactole.

Ma petite sœur Lucienne commençait à trouver cette habitude de maman un peu sûre… Il fallait absolument trouver une cachette … et de glisser son petit trésor dans le pot du poêle crapaud sous les papiers que maman avait déposé pour brûler aux premiers froids. C’est fait, on n’y verra … que du feu. Et voici la fête, le grand rassemblement, oncles, tantes, cousins, cousines sont invités à partager un repas tout simple mais combien convivial. Et l’après-midi, le petit monde se dirigeait à pied vers Werbomont, via les carrousels, par après, en Jeep pour les plus petits avec l’oncle Antoine d’Ernonheid. Quelle aubaine ! oui, mais de nouveau un mais ! C’est le mois d’août, la canicule que nenni ! Un petit air humide et frois a fait qu’il fallait absolument réchauffer les invités.

Maman ouvre le poêle, dépose les petits bois sur les papiers, craque l’allumette et, soudain, Lucienne se rappelle, vole au secours de sa petite tirelire, s’explique sur la cachette, les cris, les larmes… « mes sous ! Mes sous ! » Pôve pitite…  

On a retiré de  l’étui en métal, de couleur rouge avant l’incendie, dès pèces tot si neures qu’on vî clâ, come li bouquète… E lès bilèts, qu’en n’esteut – î ? « Le billet de cinquante francs, je crois que je l’avais repris ! »

Awè vos maman, vâ co mi dè dire ainsi, on n’y pou todis dja rins !

La Petite Gazette du 6 mars 2013

QUAND ARTHUR ÉTAIT FACTEUR

C’est Madame Georgette Hubert, d’Esneux, qui se souvient de lui :

« Ma vieille marraine était handicapée, à 80 ans, elle ne pouvait plus descendre à la cave. Or, elle se chauffait encore au charbon qui alimentait sa cuisinière et sur laquelle elle préparait ses petits repas. Chaque jour, le facteur, il s’appelait Arthur si j’ai bon souvenir, descendait à la cave et lui remontait deux ou trois seaux de charbon et tout cela bénévolement bien entendu. Cela lui a permis de rester chez elle jusqu’à la fin de sa vie. J’ajoute encore qu’il allait lui chercher sa viande à la boucherie voisine. Cela se passait dans les années 1970. Ces services spontanés étaient d’un humanisme indéniable. »

ENCORE UN FACTEUR… JOSEPH ORBAN, DE MARCOURAY

C’est Monsieur François Soyeur qui nous le présente :

« Voici l’histoire d’un brave facteur, Joseph Orban,  de Marcouray. Joseph est né en 1908. Il a été facteur au début à Marcour, il distribuait la correspondance à Beffe, Devantave et Marcouray. Pendant la guerre, il était fréquemment arrêter par les Allemands pendant sa tournée ; il était fouillé, sans succès, les Allemands qui recherchaient de l’argent : l’argent convoité était planqué dans la selle de son vélo…

Après Marcourt il est allé au bureau de Laroche et puis à celui de Barvaux et cela pour être nommé. Il logeait chez son frère Louis, à Ny (Hotton). Il fut nommé à la poste de Melreux et cela de façon définitive. Il venait de Marcouray (d’où son surnom Macray) à vélomoteur par tous les temps et était au bureau avant  les autres facteurs habitant pourtant plus près. Il distribuait Monville, Fronville, et la route de Ny à Melreux. Il aimait beaucoup mieux les gens des petits villages, il n’aurait pas voulu distribuer la rue Parfonry à Hotton ou, disait-il, « les gens vivaient à l’arrière et fermaient les portes à clef! »

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 Quelqu’un pourra-t-il identifier la personne présente à côté du facteur Joseph Orban ?

 

 

Pendant la distribution de Fronville, il y avait la halte café. Elle se faisait chez nous et nous discutions de choses et d’autres, il était souvent près de la fenêtre, il admirait les poules et les vaches (il en possédait lui-même trois). Je revois encore mon épouse et ma soeur lui dire que nos poules étaient plus belles que les siennes et, à chaque fois,  Joseph disait : « A vos garces ! » et le fou-rire  était de la partie…

Après sa distribution, il avait une longue coupure car son service ne reprenait que fin d’après midi : levée de boites aux lettres puis il devait porter les dépêches au train de 19 heures. Avant cela, il lui arrivait de retourner le jardin derrière  le bureau de poste de Melreux. En général, il restait au bureau, triant du courrier que les autres facteurs ramenaient. Il allait parfois boire une tasse de café chez Charles et Marcelle Saintviteux qui habitaient à côté de la poste. Il retournait enfin vers son domicile après une journée bien remplie.

Joseph était très gentil, très honnête, il avait une grande franchise dans le langage (souvent en wallon). Il disait : « Qui n’est-i nute è qu’on sopahe » … Mais il  savait aussi se mettre en colère, un employé intérimaire s’étant moqué de lui, ils en étaient venus aux mains, sa cannette en métal avait été pliée sur le crâne de l’employé!

Joseph était peut-être un peu rancunier. Quand le percepteur, Raymond Hainaux, qui avait été prisonnier de guerre, avait voulu organiser une excursion en Allemagne, Joseph avait dit haut et fort : « Vos n’allez nin pwèrter vos sous à ses djins-là ? »

Joseph était serviable, il s’occupait totalement des feux au charbon dans le bureau. Quand il était en congé si on le rappelait, il reprenait le service sans rouspéter. Il était peut-être un peu vieux jeu, il n’aimait pas le moderne. Mais il était apprécié en tournée comme au bureau. Nous en gardons un bon souvenir.

Merci à tous les facteurs de la tournée citée ci-dessus. Certains faisaient le café eux- mêmes, d’autres allaient réveiller les deux filles avec une canette d’eau… En ce temps-là, il n’y avait pas de « géo-route ». Et mon correspondant de remercier Mme Walhin et Robert, le fils de Joseph Orban, pour l’aide qu’ils ont apportée dans l’enquête menée…

La Petite Gazette du 20 mars 2013

QUAND  LE  FACTEUR  TROUVAIT  L’AME  SŒUR !

Monsieur Raymond Gillet, de Nandrin, évoque quelques épisodes de la vie de facteur de son cousin Louis :

« Ces faits se passent juste après la guerre, nous sommes en 1945, mon cousin Louis Billaux est jeune facteur, il a 18 ans environ. La poste de Noirefontaine est située sur une voie secondaire, le camion postal de Libramont ne peut utiliser cette route. L’oncle Joseph, papa de Louis, également facteur  commence son travail  à 06h30, par se rendre à 150-180 mètres de la poste avec une brouette type terrassier(en 1945), il se plaçait le long de la route nationale Bouillon – Paliseul et attendait le passage du camion postal. Courriers divers, journaux, petits colis, paquets sont déchargés prestement dans la dite brouette; les jours de pluie un caban de facteur servira de protection. Retour au bureau de poste ; les facteurs sont arrivés, le tri par village et tournée va pouvoir commencer.

Louis va partir vers 07h15 réaliser sa «  tournée », il rentrera au bureau après 09h30, après avoir parcouru à vélo ou à pied près de 10 km. (A pied lors du passage du contrôleur). Il effectuera une seconde tournée à 14h30, elle consistera à « relever » les différentes boites aux lettres des villages de Noirefontaine, Curfoz, Sensenruth, Ucimont, Botassart ; le courrier ainsi récolté sera conduit à Bouillon,  à vélo évidemment.

Nous sommes en 1948, cousin Louis doit encaisser une assignation dans une entreprise de Noirefontaine, au lieu-dit « la briqueterie », il présente l’assignation ; vu la somme Monsieur Gourmet lui demande s’il peut représenter l’assignation le lendemain. Le lendemain Louis se présente au bureau de M. Gourmet, il n’en croit pas ses yeux, sur le bureau il découvre une pile de billets de plus de 10cm d’épaisseur. Il s’assied, et commence à remplir son formulaire de réception. Toutes les différentes coupures sont présentes. Après rédaction, il calcule le montant reçu (en mimant l’addition il me semble voir sa main droite trembler). Le montant total est correct….ouf… 253.007 francs sa mémoire ne défaille pas. (N’oubliez pas nous sommes en 1948 !) Louis a terminé sa tournée au pas de course pour rapporter l’argent au bureau de poste.

Il en vient à me narrer une histoire cocasse. A  l’époque le dimanche matin il effectuait une «  tournée journaux » (Libre Belgique, La Meuse, Le Soir, La Nation, l’Avenir…) En ces temps-là, le dimanche matin, avant la messe, c’était la toilette. Oui, la toilette au milieu de la cuisine dans la bassine. Louis arrive à Curfoz chez la Maria et par habitude, tout en ouvrant la porte il crie « Facteur ! », il a refermé précipitamment la porte…. La Maria était debout dans la bassine en tenue d’Eve. Ils sont restés sans voix.  Cousin Louis riait encore en me racontant l’anecdote, des larmes de rires inondaient ses yeux près de 65 ans après.

Mais pourquoi donc Louis est resté employé à la Poste seulement  7 années et demie… ? Au village d’Ucimont, dans l’angle de la rue du Village et la route du Tombeau du Géant (Lorihan), il  y avait la ferme de Joséphine et Edmond Arnould. Il lui arrivait de temps à autre de s’arrêter et de prendre une « jatte de cafait », non pas préparée  par Joséphine mais par leur jeune et charmante fille Mélanie. Au fil des mois, les jattes étaient régulières, et le café refroidissait mais ce n’était pas là le problème, n’est-ce-pas ? Et plusieurs mois après Mélanie et Louis se sont dit « oui ».

Dans quelques semaines, avec leur grande famille, ils vont fêter leurs 62 années de mariage. Longue vie à cousine Mélanie et cousin Louis. »

Merveilleuse histoire de facteur.

La Petite Gazette du 27 mars 2013

QUAND LES FACTEURS AVAIENT LE TEMPS…

Ce sujet ne cesse de vous passionner, en témoignent les nombreux témoignages et souvenirs que vous m’adressez. Cette semaine, c’est Monsieur Michel Hiffe, de Waha, qui évoque la carrière de son papa :

« Permettez-moi de vous faire parvenir ce modeste témoignage mettant en valeur les facteurs et en particulier mon père qui a été facteur, entre autres, à Bomal (nous habitions à l’époque le village d’Aisne) et à Melreux. C’était aussi l’époque où il arrivait que papa porte à Liège par le train des fonds importants, travail dangereux car il était armé. À l’heure actuelle, ce sont les fourgons, transports de fonds, qui effectuent ce genre de déplacement.

facteur-hiffe

J’ai très bien connu Joseph Orban dont question récemment dans La Petite Gazette. Et pour cause, c’était un collègue et ami de papa au bureau de poste à Melreux.

Papa pris sa retraite dans les années ‘78/’79. Je me souviens qu’à une certaine époque, papa faisait la tournée tous les jours de la semaine, dimanche compris. D’ailleurs à ce sujet, je peux vous dire que la tournée à Melreux terminée certains dimanches  matin, c’était à vélo qu’en compagnie de mon frère (nous avions six ou sept ans), j’allais porter le courrier à la Reine Pédauque (sur la tournée de papa) pour le suppléer.

En hiver, quand nous fréquentions l’école primaire de Melreux, tous les enfants, avant l’entrée en classe de huit heures et demie, se liguaient contre le facteur (papa) dans de mémorables batailles de boules de neige. Mon père avait des mains comme des battoirs. Je vous laisse deviner le volume de ces boules que nous recevions. Serait-ce encore possible avec ce cher géo-route ?

Une dernière anecdote, alors que je pourrais être plus « loquace », nous donnions un coup de main à papa dans sa tournée à Hotton et Menil-Favay. Nous déplacions son   vélomoteur de maison en maison lui évitant des  retours en arrière. Nous prenions énormément de plaisir à conduire cette mobylette… nous n’avions pas l’âge.

Et comme le disait monsieur Soyeur à propos de Joseph Orban, papa faisait aussi une halte à Menil, sorte de rendez-vous avec les gendarmes de Marche.

Je peux en parler puisqu’ il y a prescription et que le géo-route n’existait pas encore. »

La Petite Gazette du 3 avril 2013

VOILA LE FACTEUR…

Monsieur Pascal Piérard, de Sprimont, m’a fait parvenir ce petit texte découvert par sa maman dans un vieux journal des années 60. Il est signé d’un grand nom de la littérature pour enfants, dont les heures de gloire s’étirent juste avant et juste après la seconde Guerre Mondiale . voici ce texte :

« En ville, qui donc le connaît ? Fonctionnaire anonyme, messager sans contacts humains, il dépose le courrier entre les mains du concierge, ou bien le glisse dans la fente de la boîte aux lettres. Et puis il continue sa marche le long du trottoir.

Mais quelle importance prend à la campagne cet éternel vagabond ! « Le facteur est-il déjà venu ? Y avait-il quelque chose pour moi ? » On guette de la fenêtre son alerte silhouette. On va à sa rencontre, on lui parle de la pluie et du beau temps, comme il se doit entre gens polis. On épie tous les mouvements de sa main habile à trier les paperasses et qui cherche s’il y en a portant votre nom.

Dit-il : « Rien aujourd’hui ! » On lui en veut comme si c’était sa faute. Donne-t-il une, plusieurs enveloppes ? On éprouve de la gratitude. Surtout si quelque lettre d’amitié ou d’amour apparaît, avec cette écriture désirée…

Facteur de campagne, porteur quotidien de nouvelles venues du monde entier, agent de liaison entre les humains, tu t’en vas tous les jours à la même heure et par les mêmes chemins. Mais il y a de  tout  dans ton sac, parmi les lettres charmantes, les cartes postales, l’annonce d’événements heureux,  se glissent les faire-part encadrés de noir, les feuilles de contributions, le rappel de dettes à payer…

L’immense amalgame des joies et des douleurs est là, dans ces enveloppes soigneusement pliées, calligraphiées, timbrées, d’apparence banale. De maison, en maison, de ferme en ferme, sans oublier le château, le presbytère, l’école, l’auberge, ton sac s’allège.

Tu continues ta route, sous le soleil ou la pluie. Les oiseaux chantent, les poules caquettent, les vaches te regardent de leurs grands yeux bêtes. Mais dans chaque demeure, quelque chose est entré, s’installe. Un regret ? Un rêve ? Un espoir ? Une rancune ? On pleure, peut-être. Facteur, on désire que tu t’arrêtes ; mais faut-il l’avouer ? On a un peu peur de toi. » Berthe Bernage.

ET LES PORTEURS DE TELEGRAMMES…

Monsieur Valère Pintiaux, d’Esneux, a raison d’associer les porteurs de télégrammes aux facteurs… d’autant qu’il sait de quoi il parle :

« Dans notre Petite Gazette, les sujets sont inépuisables. Nous y mettons les facteurs à l’honneur et c’est mérité. A côté d’eux, il y avait les porteurs de télégrammes et de courriers express.

Ce service des P.T.T. était délégué à la R.T.T. Ces agents n’avaient pas le rôle social des facteurs et ce n’était pas un métier qu’ils occupaient mais plutôt une occupait qui, plus tard, ouvrait bien des portes pour l’avenir.

On entrait à 14 – 15 ans et, à 18 ans, on avait accès aux différents services de la R.T.T. et des P.T.T. A Huy, pour assurer la distribution, il y avait 7 services 6 jours sur 7 car, le dimanche, c’était réduit à 5 services, mais toujours de 6h. à 22h. Pour assurer le service, il fallait 10 à 12 porteurs, les derniers entrés assurant les remplacements.

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 « Voici deux porteurs, à gauche Marcel Dechany, à droite, mon correspondant, Valère Pintiaux »

 

 

A Huy, la distribution se faisait à vélo et nous faisions 60 à 80 km. Par jour. En 1946 ou au début de 1947 a été créé le cadre des facteurs des Télégraphes, copié sur la Poste avec masse d’habillement, biennales et tout ce que comporte une nomination. L’arrivée du télex a marqué le déclin du télégraphe. En 1948, c’était la fin des nominations et le nombre de services a diminué. En 1953, nous avons pu être détachés à la Poste, c’est ainsi que j’ai été facteur de 1953 à 1956. Puis, des places étant libres, nous avons pu réintégrer la R.T.T. au sein de laquelle, dès sa création, beaucoup de porteurs autodidactes ont gravi les échelons pour accéder à tous les grades aussi bien techniques qu’administratifs puisque M. Bilen accéda même au grade de directeur général d’administration. Aujourd’hui, il faut un diplôme pour tout, mais je ne vois pas que cela va mieux… »

La Petite Gazette du 10 avril 2013

QUAND LES FACTEURS AVAIENT LE TEMPS…

Cette rubrique vous aura permis, et vous en avez encore le loisir, de rendre hommage à ces visiteurs quotidiens que sont les facteurs. Grâce à vous, nous avons recueilli bien des témoignages, émouvants et passionnants. Aujourd’hui, voici encore un souvenir de monsieur Valère Pintiaux, d’Esneux, celui-là même qui nous expliquait son travail de porteurs de dépêches à la RTT et qui exerça quelques temps sous le costume de facteur :

« A la campagne, la plupart des tournées étaient pédestres, à Nandrin du moins. Il fallait cependant un vélo, avec deux porte-paquets et deux sacoches pour pouvoir tout emporter… La charge, courriers, journaux, toutes-boîtes et colis, était souvent largement au-dessus de 100 Kg. En plus, il y avait la responsabilité de l’argent manipulé, somme journalière souvent dix fois supérieure à notre salaire mensuel !

Je garde tout de même un bon souvenir de mon passage à la Poste, malgré la charge, les intempéries, chaudes ou froides.

Je n’oublierai jamais le bol de lait chaud offert, tout l’hiver, par une personne âgée ! »

La Petite Gazette du 17 avril 2013

MOI AUSSI, J’AI PORTE LES TELEGRAMMES ET LES DEPECHES…

Monsieur André Nisen, de Beaufays, a lui aussi été porteur de télégrammes. Il nous confie quelques-uns de ses souvenirs :

« En complément aux commentaires de mon ancien collègue, Valère Pintiaux, d’Esneux sur les porteurs de télégrammes, je vous confirme que ce métier existait encore à la fin des années 60.  J’ai commencé ma carrière dans cette fonction en novembre 1967.  Il y avait, à cette époque, deux sortes de porteurs : les messagers qui se déplaçaient en voiture et les piétons qui, comme leur nom l’indique, allaient… à pied !  Je faisais partie de cette deuxième catégorie ; je peux donc dire que je gagnais ma vie à la sueur de… mes pieds ! Si les messagers disposaient d’habillement de service, comme le précise Valère, les piétons n’avaient droit qu’à un képi et à deux sacoches.  Une petite lorsqu’il n’y avait que des télégrammes et des lettres exprès et une grande pour les colis exprès.  Nous démarrions du bâtiment de la rue de l’Université au centre de Liège et nous desservions les quartiers du centre, du Laveu et de Cointe, des Guillemins, de Sclessin jusqu’au stade du Standard.  Tout cela à pied, entre six et vingt-deux heures.  Ah, les petits matins en hiver…   Les messagers circulaient dans la périphérie.  Je garde d’excellents souvenirs de cette époque.  Nous avions accès partout sans problème et étions toujours les bienvenus ; des différents services du palais de Justice, aux salons des dames de petite vertu derrière la grand-poste…  Un de mes meilleurs souvenirs est un commerçant d’origine vietnamienne, rue Saint-Gilles, qui pleurait de joie quand il recevait des nouvelles de sa famille restée au pays.

Nous avions également pour mission la distribution des télégrammes dits de luxe, à savoir de circonstances (mariage, décès, etc.).   C’est ainsi que j’ai porté ce type de télégrammes à l’occasion de mariages, entre autres dans des salons situés rue Vinâve d’île.  J’étais loin d’imaginer que, vingt ans après, je rencontrerais la plus jolie de ces mariées, alors divorcée, et que je l’épouserais à mon tour… et avec qui je vis le parfait bonheur depuis plus de20 ans.

Evidemment, à l’époque, j’ai vite compris qu’il ne s’agissait pas d’un métier d’avenir.  Je n’y suis resté qu’un an et demi pour, ensuite, effectuer d’autres prestations et progresser dans la hiérarchie au sein de la RTT, ensuite Belgacom.  J’en fais toujours partie, pour quelques mois encore. »

La Petite Gazette du 2 mai 2013

J’AI AUSSI PORTE DES COLIS ET DES DEPECHES, MAIS PAS POUR LA R.T.T.

C’est au tour de Monsieur Léon Dumont, de Werbomont, de nous faire part de ses souvenirs de porteur… « J’ai, moi aussi, porté les avis, dépêches et colis, non pas pour la R.T.T., mais pour la S.N.C.B., district de Charleroi – Florennes.

Dans ma région natale, Villers-le-Gambon aujourd’hui commune de Philippeville, j’ai été porteur pour deux gares, du 2 février 1955 au 30 avril 1956. Le matin, de 8h. à 13h., Merlemont Station où j’attendais le train de marchandises venant de Florennes allant jusqu’à Agimont (frontière française Givet), train à vapeur qui amenait des wagons vides pour les usines à chaux dites « dolomies » et les colis pour les villages environnants.

Le même train reprenait les wagons chargés de chaux ou de dolomie, gravier jaune qui a couvert toutes les allées de l’Expo 58 à Bruxelles ; cette même dolomie couvre les allées du parc des Topiaires à Durbuy. 

Pour les colis, je faisais cela à vélo, je parcourais en moyenne 30 Km par jour, qu’il pleuve, neige ou fasse 25° et cela 6 jours sur 7. Il m’est arrivé de porter un matelas de 2 personnes à 6 Km de la gare en posant le matelas sur une pédale du vélo et le porte-paquet, avec 30 ou 40 kg. D’autres colis, dont des caisses de poissons pour la Baronne Nothomb habitant le château de Merlemont. Le samedi après-midi, c’étaient surtout les télégrammes de mariage et là c’étatit parfois jusqu’à 18 ou 19h.

L’après-midi, de 13h. à 15h., c’était la gare de Villers-le-Gambon avec le même scénario qu’à Merlemont, lettres de voiture à remplir pour la destination des wagons de chaux ou de dolomie ; ensuite, distribution des différents colis ou avis au destinataire quand le colis était trop volumineux (vélomoteur ou bicyclette), le garagiste venait alors chercher l’engin lui-même. A l’époque, je faisais ce travail pour 7 francs l’heure (0,18 centimes d’euro), plus quelques pourboires qui, parfois atteignaient 50 francs (1,25€) lors de la remise des télégrammes de mariage. J’ai quitté cet emploi le 30 avril 1956 et, le 2 mai, j’entrais dans l’Entreprise de la Dolomie à 15 francs l’heure, soit le double de mon salaire d’alors à la S.N.C.B. »

UNE ANNEE DE SOUVENIRS, DE TRADITIONS, DE GESTES OUBLIES… NOSTALGIE ET RÊVERIE

Au gré des publications hebdomadaires de La Petite Gazette, de très nombreux lecteurs ont pris la peine de répondre aux nombreuses questions qui leur étaient posées, parfois même après avoir mené de longues recherches. Il est également arrivé, à plusieurs reprises, que certains d’entre eux retrouvent un vrai plaisir à reprendre la plume ou le stylo et se lancent dans la rédaction de textes inspirés par l’un ou l’autre des sujets abordés dans les colonnes de cette rubrique. C’est un fait tout à fait banal, la découverte d’un calendrier reçu pour marquer le début d’une année nouvelle, qui décida Monsieur Jean Bolland à coucher sur le papier, des évocations nostalgiques d’une époque révolue bien que peu lointaine… Souvenirs, traditions ancestrales, croyances populaires, faits et gestes d’hier se mêlent intimement dans ces douze textes rédigés avec une plume lerte, précise et très agréable.

La Petite Gazette du 6 février 2013

UN NOUVEAU CALENDRIER ET DES SOUVENIRS QUI RESSURGISSENT

Monsieur Jean Bolland s’est pris à rêver en découvrant les illustrations désuètes d’un calendrier qu’il a reçu, comme bien d’autres parmi vous, aux premiers jours de cette année 2013. Ces illustrations lui ont inspiré, mois après mois, quelques lignes que nous partagerons avec lui :

« Janvier

La classe est finie. Chaussés de sabots pour les uns, de bottines pour les autres, les bambins se sont échappés de l’école. Oubliés, les calculs et la grammaire!

Le chemin du retour est l’occasion de mille et une découvertes changeant au fil des saisons. Les températures polaires de ce mois de janvier ont figé l’eau des mares et des étangs. Une belle couche de glace exerce une attraction à laquelle les enfants ne résistent que difficilement. Chaque marmot se souvient, cependant, des recommandations parentales. Mais cette petite voix intérieure incitant à la prudence est bientôt mise sous l’éteignoir. La glace a l’air si épaisse !

Chacun s’avance prudemment, pose délicatement un pied sur le miroir glacé, appuie de plus en plus fort et, devant la solidité éprouvée, les bras en guise de balancier, progresse à petits pas glissés. C’est avec retenue et contrôle de soi que les patineurs sillonnent la glace, évitant les aspérités qui pourraient provoquer la chute.

Après quelques évolutions grisantes, la petite troupe prend le chemin du logis, contente d’avoir osé! Mais…chut! L es parents ne doivent rien savoir. Pas question de vendre la mèche! D’autant que l’hiver ne semble pas avoir dit son dernier mot. »

 

La Petite Gazette du 27 février 2013

ET VOICI FEVRIER

Retrouvons, maintenant le texte que le dessin de février sur le calendrier reçu a inspiré à Monsieur Jean Bolland :

« Janvier avait allongé ses jours sous une température clémente qui faisait ressembler cet hiver à un automne qui n’en finissait pas.

Vers la fin du mois, un vent du nord avait charrié de lourds nuages d’un gris jaunâtre qui laissèrent échapper des myriades de flocons. Il neigea un jour et une nuit, sans discontinuer, accumulant une couche épaisse qui amortissait les sons. Après cet épisode neigeux, une bise piquante balaya les nuages.

Pendant les journées lumineuses, le soleil dardait ses rayons glacés. Au cours des nuits, dans un ciel piqué d’étoiles, la lune accentuait le sentiment que tout était figé part le gel.

Ce froid avait ralenti l’activité des hommes. Seules, des obligations impératives poussaient les campagnards à affronter cet assaut de l’hiver. C’était le cas d’André, le garde-chasse du comte. Après s’être rassasié d’une onctueuse omelette agrémentée de deux tranches de lard maigre, il se mit en route dès le lever du jour. C’est que le temps était propice à la découverte des pas du braconnier qui prélevait du petit gibier du côté du Bois de Tave! Cependant, secrètement, le garde espérait ne jamais prendre l’homme sur le fait. Il avait bien des soupçons mais connaissait suffisamment la situation du chapardeur pour savoir que ces menus larcins servaient uniquement à améliorer l’ordinaire de cette famille dans le besoin. A son grand soulagement, à part ses propres pas de la veille, André n’en découvrit pas d’autres.
Le coeur léger, il se mit en quête de bois mort qu’il rassembla en un imposant fagot avant de dévaler le sentier enneigé qui conduisait au village. Ce soir, un bon feu crépiterait dans l’âtre.
Le garde fut bientôt en vue du hameau dont les fermettes flanquaient l’unique rue ou, plutôt, ce qui en tenait lieu : deux ornières sinueuses séparées par un terre-plein étroit. En été, les charrettes soulevaient des nuages de poussières. La boue s’accrochait aux roues à rayons aussitôt les pluies d’automne arrivées.

A travers les fenêtres de l’école, il devina les écoliers penchés sur leur ardoise. Le maître avait fort à faire au cours de l’hiver où le local était bien garni. Au contraire, à la bonne saison, nombre d’enfants désertaient la classe pour aider leurs parents dans les travaux des champs.
Des volutes de fumée s’échappant des cheminées, des filets de vapeur s’élevant des fumiers coincés entre les habitations et le chemin : seuls signes que gens et bêtes vivaient reclus pour échapper aux morsures du froid.

Au bout du village, se dressait l’église à la tour trapue, comme pour rappeler au rare étranger de passage, qu’ici, tout est retenue et simplicité.

Le cimetière dépassé, André prit une route en légère pente, longea le manoir et bifurqua vers la droite pour s’arrêter devant le bûcher de la demeure mise à sa disposition par le comte. Il ôta son couvre-chef, se pencha vers l’avant : le fagot roula et s’écrasa lourdement sur le sol de terre battue.

Arrivé sur le pas de sa porte, les narines de l’homme captèrent des effluves prometteurs : il sut, qu’en ce jour de la Chandeleur, Manon faisait sauter les crêpes pour le repas de midi. Les enfants n’allaient pas tarder à rentrer de l’école. »

 

La Petite Gazette du 13 mars 2013

NOUS AVONS VU LE PRINTEMPS…

Voici mars, aussi retrouvons-nous le texte que l’illustration du calendrier inspira à Monsieur Jean Bolland.

« – Fanchon! Javotte! Levez-vous!

Les fillettes émergèrent doucement de leur sommeil. Pendant quelques minutes, elles profitèrent encore de la douce chaleur du lit. Les oreilles aux aguets, elles devinaient les multiples tâches que leur maman accomplissait chaque matin.

Après un brin de toilette, les demoiselles s’attablèrent face à un bol de lait chaud accompagné de tartines beurrées qu’elles avalèrent en échangeant des propos ponctués de rires complices.
Rassasiées, le cartable au dos, elles prirent le chemin de l’école. Ces instants de liberté étaient l’occasion de mille et une découvertes. Le moment qu’elles appréciaient le plus était celui où elles côtoyaient ces vieux chênes tordus par les ans et les intempéries. Un long frisson de plaisir mêlé d’un zeste de crainte délicieuse s’emparait des petites lorsqu’elles frôlaient les branches difformes qu’elles imaginaient armées de fins doigts crochus prêts à les agripper au passage.
En fin d’après-midi, les deux soeurs franchirent le portail rouillé de la cour de récréation, obliquèrent à gauche pour longer le ruisseau dont le cours sinueux les ramènerait à la maison. Le trajet du retour était souvent différent de l’aller : il fallait bien varier les occasions de musarder!
En bonnes  campagnardes proches de la nature, elles se dirigèrent vers un fossé dans lequel des grenouilles avaient pondu. Les manches retroussées, elles plongèrent les mains dans les amas gélatineux. Elles s’évertuaient à les soulever mais, immanquablement, ceux-ci leur glissaient entre les doigts pour retomber dans un grand flotch!, éclaboussant les fillettes qui partaient alors d’un grand éclat de rire.

Plus loin, le chemin traversait une boulaie dont la blancheur des écorces était accentuée par les rayons du soleil. Déjà, les bourgeons des bouleaux laissaient poindre de minuscules feuilles fripées, avant-gardes de toutes celles qui, d’ici quelques jours, pareraient la forêt d’un vert tendre. Les petites s’amusaient des chatons du noisetier : d’une chiquenaude, elles libéraient le pollen qui se contorsionnait sous le souffle d’un filet d’air frais.
Alors que la maison était en vue, des cris d’oiseaux leur firent lever la tête. Presqu’imperceptibles d’abord, ils allèrent en s’amplifiant. Les gamines reconnurent les craquettements caractéristiques d’un vol de grues griffant le ciel d’un grand V qui, parfois se déformait quelque peu pour reprendre bientôt sa forme initiale.

Les grands échassiers s’éloignaient vers le nord quand Fanchon et Javotte aperçurent Vincent, leur papa, taillant son pied de vigne.

Papa! Papa! Nous avons vu le printemps! »

 

La Petite Gazette du 24 avril 2013

EN AVRIL

Monsieur Jean Bolland, inspiré par les illustrations de Georges Delaw ornant son calendrier, nous livre, mois après mois, un petit texte où se mêlent nostalgie et poésie…

« L’hiver, s’il faut en croire le calendrier, a tiré sa révérence. Malheureusement, le printemps idéal, comme notre imagination se plaît à l’évoquer, n’est pas encore là.

Pour pallier les températures encore bien basses, le poêle à charbon de l’école rurale ronfle au centre de la classe.

Et pourtant, un franc soleil sème de la gaieté dans le local quelque peu austère. Cet apport de lumière semble, mais n’est-ce peut-être qu’une impression, infléchir la discipline rigoureuse imposée par l’instituteur déambulant entre les pupitres.

Bientôt, de gros nuages, d’un noir presque bleu, accourent, poussés par un vent du nord-ouest. En quelques instants, le jour baisse. Une semi-obscurité s’insinue dans les moindres recoins. Des volées de grêlons s’écrasent contre les carreaux avant de rebondir sur les bacs en bois destinés à accueillir les futurs géraniums. Le crépitement assourdissant couvre la voix du maître, l’obligeant à suspendre sa leçon. Seize paires d’yeux se tournent vers le ciel  déchaîné. Quel spectacle! Quel sentiment de sécurité et de bien-être! Dans cette lumière tamisée, à l’abri des intempéries, même le plus rétif des potaches se complaît, bercé par une douce chaleur.
Les éléments finissent par se calmer. Les nuages aux flancs lourds s’éloignent. Des rais de lumières, timides d’abord, succèdent à la pénombre, rendant couleurs et vie aux objets classiques.  La fine couche granuleuse qui masque la cour disparaît. Jusqu’à la prochaine giboulée. »

 

La Petite Gazette du 15 mai 2013

LE JOLI MOIS DE MAI

Retrouvons maintenant le texte que Monsieur Jean Bolland a écrit, inspiré par un dessin de Georges Delaw (1871-1938) imprimé sur son calendrier 2013. Ce mois-ci, c’est à la lessive que nous convie mon correspondant ; plus particulièrement la façon dont la lessive était faite à l’époque où les poudres actuelles n’existaient pas encore.

« Chaque matin, Julie se levait de bonne heure : en été, aux premières lueurs de l’aube; en hiver, lorsque le soleil pâle glissait ses rayons froids dans la chaumière, la jeune femme travaillait déjà depuis quelques heures.

Entre la traite des quelques vaches, les râteliers à garnir de foin lors de la mauvaise saison, la préparation de la pâtée pour les cochons et le grain à distribuer à la volaille, la fermière ne chômait pas.

A ces activités quotidiennes, s’ajoutaient les travaux hebdomadaires comme le pétrissage de la pâte suivi de la cuisson des pains pour la semaine, la fabrication du beurre et la lessive.

C’est précisément cette dernière tâche qui occupait la ménagère chaque lundi matin. Au chant du coq, elle craquait une allumette qui enflammait les brindilles sèches. Le feu léchait et dévorait les menus bois avant de s’attaquer aux bûches disposées sous deux chaudrons noircis par les ans et les flammes.

Le premier récipient était rempli d’eau dans lequel baignait le linge que la buandière avait soigneusement brossé pour en détacher le maximum de saletés. Une fois l’eau chauffée, Julie y déposait un sac rempli de cendres de bois ou de paille. Au préalable, elle avait évité de recueillir les cendres de chêne qui auraient bruni draps et vêtements sous l’action du tan. L’eau bouillante du second chaudron était alors puisée à l’aide d’une louche profonde armée d’un long manche puis versée sur les cendres dont la potasse faisait office de savon. Cette opération se répétait plusieurs fois. Julie laissait ensuite reposer le linge toute la journée.

Le lendemain, la lavandière sortait la lessive du chaudron et la disposait dans une brouette qu’elle poussait jusqu’à la rivière. Agenouillée sur un sac rempli de paille ou dans un garde-genoux, elle trempait le linge dans l’eau claire pour le rincer et le frappait à l’aide d’un battoir avant de l’essorer en le tordant. Quand le temps le permettait, Julie étendait les draps sur l’herbe pour qu’ils sèchent et blanchissent au soleil.

Elle se souvenait de sa grand-mère lui racontant que, de son temps, les grosses lessives s’effectuaient seulement deux ou trois fois sur l’année. »

Quel voyage dans le temps… Merci Monsieur Bolland.

 

La Petite Gazette du 12 juin 2013

EN JUIN, ON FAUCHE…

Monsieur Jean Bolland, a tourné une nouvelle page de son calendrier et son imagination fait le reste…

« Dans un large bol au décor fleuri, Auguste dispose des morceaux de pain d’épeautre qu’il arrose généreusement d’une longue rasade de crème de lait. Ce déjeuner, simple mais roboratif, accompagné d’une jatte de café noir et sucré lui fournira l’énergie nécessaire pour accomplir son travail matinal : le fauchage d’une prairie sur Saint-Hasted.

Il quitte la ferme tassée le long du coteau puis traverse Bergister qui, peu à peu, sort de son sommeil. Il retrouve bientôt d’autres agriculteurs, la faux sur l’épaule, en route vers les prairies dont ils sont locataires ou propriétaires. Tous supputent les chances d’un maintien du beau temps pour les jours à venir. Chacun y va de ses observations : la rosée abondante, les hirondelles volant haut, la lune qui brille clairement et nettement dans le ciel nocturne …
Arrivé à la sortie du village, Auguste s’engage dans la Bounir où, çà et là, traînent encore des écharpes de brume qui s’effilochent sous l’action des rayons du soleil levant. Tout à leur aise, prés et champs s’étendent dans cette vaste cuvette avec, pour seules limites, les forêts montant à l’assaut des plateaux de La Lue et de Benasse.

Le sifflement charmeur des merles qui se répondent pour mieux marquer leur territoire, le parfum suave des reines-des-prés  dressant leurs épis sur les accotements humides du chemin, la senteur délicate du chèvrefeuille qui s’entortille malicieusement dans les haies, tout concourt à donner du coeur à l’ouvrage.

Hier, assis sur un sac en jute, Auguste avait enfoncé une enclumette devant le poulailler, y avait posé et maintenu la lame.  A l’aide d’un marteau,il avait battu l’acier afin de redresser et d’affiler le tranchant.

Arrivé à destination, le fermier affûte l’instrument au moyen d’une pierre à aiguiser qu’il retire du coffin accroché à sa ceinture. L’étui oblong en bois contient de l’eau allongée d’un filet de vinaigre. Cette opération sera répétée toutes les dix minutes afin de garantir un travail efficace et performant.

L’homme balance la faux en demi-cercle, le fer maintenu parallèlement au sol. Le chuintement de l’acier couchant l’herbe et la cadence du corps guidant l’outil rythment le labeur. Le soleil brille déjà haut dans le ciel quand Auguste peut contempler les andains jonchant la prairie.

Le séchage du foin qui exhalera une odeur à nulle autre pareille, sa disposition sur des chevalets-trépieds, l’entassement sur le chariot, le déchargement à la ferme et l’engrangement dans le fenil fourniront la provende au bétail pendant les longs mois d’hiver. »

 

La Petite Gazette du 1er juillet 2013

EN JUILLET, A LA RENCONTRE DES NUTONS

Comme chaque mois, insipiré par les illustrations de son calendrier, Monsieur Jean Bolland nous invite à le suivre dans son imagination, aujourd’hui, fantastique et merveilleuse :

« L’heure d’entre chien et loup ! Le soleil s’est perdu à l’ouest.  L’horizon éclaboussé de jaune-orange est passé au rouge incandescent puis au bordeaux.

C’est le moment choisi par Arduin pour emprunter la sente herbue dégringolant de Menuheyd. Arrivé au bas de l’escarpement, il traverse le chemin se hissant vers Betaumont, se coule entre les buissons et atteint le fond de la vallée où se faufile La Lue. Il s’immobilise tout en scrutant la crête du coteau boisé qu’il vient de descendre.

Plus d’une fois, il a cru déceler sa venue. Cette fois, il en est sûr : elle arrive !  Là-haut, au faîte de la butte rocheuse, il la devine entre la cime des bouleaux : quelques éclats d’or se mouvant et grandissant au fil des minutes. Les arbres aident à cette naissance. Leurs branches, agitées par la brise vespérale, finissent par expulser celle pour qui Arduin se languit : la lune s’est enfin extraite de sa gangue forestière.

Le regard du petit bonhomme passe et repasse de sa belle-de-nuit à la surface du ruisseau. Insensiblement, le reflet de l’astre gagne l’instabilité de la piste liquide. Arduin,  fasciné par la danse endiablée de la flaque lumineuse tordue au gré des mouvements de l’onde, imite la chorégraphie de la lune. Elle, dans l’eau ; lui, sur la berge. Couple improbable qui communie au rythme de la nature et des mêmes mouvements.

Un craquement de branche sèche ! Le charme se rompt ! Arduin devine une présence humaine qui s’enfuit vers l’aval. Connaissant le caractère moqueur de bon nombre d’hommes, il ne doute pas un instant que celui qui vient de le surprendre fera un mauvais usage du spectacle auquel il vient d’assister.

Le lendemain, le danseur monte prudemment au village. Il se faufile furtivement entre chaumières et granges pour surprendre les bribes de conversations qui lui laisseraient deviner que sa danse avec la lune est devenue objet de dérision. Il termine sa quête d’informations en descendant vers le moulin d’où vient un tombereau chargé de sacs de farine. Il a juste le temps de se jeter derrière une haie pour éviter la rencontre avec le charretier et son fils commentant  la nouvelle apprise de la bouche du meunier : la veille, en vérifiant le bon état du bief, l’indélicat a surpris un Nuton se trémoussant sur la rive de La Lue.

Triste, le cœur lourd, Arduin rejoint le massif escarpé.  Son secret est éventé.

Depuis longtemps, l’entraide avait toujours prévalu entre les hommes et les Nutons. Les villageois, chargés de galoches à ressemeler, de chaudrons à rétamer et de divers outils à réparer empruntaient la route défoncée et caillouteuse qui dévale, en oblique, vers Menuheyd. Le ponceau de pierres moussues traversé, la troupe gravissait la colline boisée pour s’arrêter à l’entrée de la grotte devant laquelle les objets à restaurer étaient déposés.

A la nuit tombante, de petits êtres barbus sortaient de l’antre et s’emparaient du dépôt avant de disparaître au plus profond de la cavité. Le jour suivant, les paysans retrouvaient leurs biens remis à neuf et, en remerciement, les remplaçaient par des victuailles. Les deux peuples vivaient ainsi en parfaite symbiose.

Mais, malheur au campagnard qui aurait osé railler ces créatures farouches et discrètes. La guigne  s’abattait alors sur lui : gens et bêtes malades, mauvaises récoltes et autres contrariétés.

C’est ainsi que les nuits du meunier devinrent agitées.  Coups redoublés contre la porte, cris lugubres dans les combles, bruits de pas sur le toit, roue à aubes qui se mettait à tourner intempestivement. Le malheureux ne trouvait plus le sommeil. Pour ajouter à son désarroi, sa femme lui reprochait d’avoir ri du Nuton. Les clients se firent rares, terrifiés par l’étrangeté du phénomène touchant les lieux.

Le moulin fut vendu. Dès que le nouveau propriétaire prit possession du bâtiment, les manifestations inquiétantes cessèrent.»

 

La Petite Gazette du 7 août 2013

MONSIEUR JEAN BOLLAND EVOQUE AOUT…

« Le modeste atelier de menuiserie, ou plutôt l’appentis qui en tenait lieu, assurait la transition entre la maison et l’enclos dans lequel poussaient, au cours de la belle saison, légumes et  fleurs vivaces.

C’était le royaume du grand-père. Penché sur l’antique établi marqué par les cicatrices des ans, maniant, avec une dextérité innée, des outils rudimentaires tels le vilebrequin, les ciseaux, le rabot, la scie égoïne… il façonnait et assemblait planches, clous et vis qui devenaient objets usuels ou jeux pour ses petits-enfants. De presque rien, naissaient des merveilles.

Il travaillait posément, avec application, le dos tourné vers un insignifiant poêle à bois qui, néanmoins, réchauffait prestement le local lorsque le temps était au froid. Le crépitement des bûches, la douce chaleur, l’odeur du bois, le cliquetis de l’outillage, le martèlement des sabots au contact du béton rugueux, toutes ces sensations, Baptiste les emmagasinait en lui. Longtemps après, il s’en souviendrait encore.

Une fois l’entrée franchie, dans le coin gauche, se dressait la canne à pêche. Composée de trois éléments en bambou brun vernissé, elle ne quittait que rarement l’endroit qui lui était dévolu. Son grand-père l’utilisait pour aller taquiner la truite dans les rares moments de loisir qu’il s’accordait. Il enfourchait alors son vélo pour gagner les rives du ruisseau bordant le village au nord.

Pêcher ! Baptiste en avait envie ! Ne suffisait-il pas d’une bonne paire de bottes, d’acheter un permis, de retourner quelques pierres plates à la recherche de vers ?

C’est ainsi,  qu’équipé de pied en cap, avec l’autorisation parentale et la canne de son aïeul, le garçonnet partit pour ce qu’il pensait être la première d’une longue série de fructueuses équipées aquatiques. Fier comme Artaban, spéculant sur la quantité de poissons pêchés, il courut plus qu’il ne marcha au long des sentiers et ruelles, emprunta le chemin caillouteux des Evals, à la rencontre du futur théâtre de ses exploits.

Au bord de l’eau, il déposa le sac de toile kaki contenant le petit matériel et monta la canne. L’enthousiasme ressenti retomba d’un cran lorsqu’il voulut enfiler un ver sur l’hameçon. Non que l’opération était complexe mais l’enfant, révulsé par le pauvre annélide empalé et gigotant, découvrait un aspect de ce sport auquel il n’avait pas pensé.

Le ru bordé d’aulnes aux branches retombantes constitua un deuxième frein à l’exaltation initiale : la ligne s’accrochait aux brindilles, obligeant Baptiste à poser sa gaule pour libérer le fil. Finalement, l’appât daigna toucher le courant, dériva en bondissant entre les galets et ralentit sa course folle dans un méandre plus calme et plus profond. Là, nouveau dépit : le crochet se planta dans les racines d’un buisson surmontant l’onde de sa masse imposante. Dégoûté, l’apprenti pêcheur dut accepter des rentrées liquides dans les bottes afin de récupérer le matériel.

Oui, vraiment, la pêche n’était pas ce qu’il avait imaginé. Il comprit que le clapotis de l’eau, le vol gracieux des libellules et les multiples formes de vie explosant dans ce milieu aux confins de deux mondes suffisaient amplement à son bonheur de petit campagnard.

La canne retrouva sa place dans l’atelier et perdit, définitivement, son pouvoir de fascination. »

 

La Petite Gazette du 11 septembre 2013

SEPTEMBRE…

Retrouvons, comme chaque mois de cette année, le texte consacré à ce mois de septembre par Monsieur Jean Bolland :

« Septembre ! Chaque jour plus nombreuses, les hirondelles se rassemblent.  Un beau matin, dans un grand froufroutement d’ailes, les gracieuses demoiselles s’envolent vers des cieux plus cléments.

Au fil du mois, le soleil s’extirpe de l’horizon avec plus de difficultés. Fatigué d’un si long été, il peine à dissiper les écheveaux de brouillard noyant, dans une mer immobile, les fonds de vallées desquels émergent, çà et là, un clocher ou une poignée d’arbres.

Le temps est venu pour récolter les pommes de terre. Harnaché, Gamin a été attelé aux brancards du tombereau dans lequel Joseph a jeté une fourche, deux paniers en osier et des sacs en jute. Aurore, sa femme, l’accompagne.

Arrivés dans le champ, tous deux se mettent aussitôt à l’ouvrage. Lui, dégageant les tubercules du sol. Elle, les ramassant et les déposant précautionneusement dans les paniers qui, une fois remplis, sont délestés de leur contenu à la limite du terrain où le doux soleil d’arrière-saison séchera la récolte.

En fin de journée, les sacs rebondis sont transportés à la ferme : les patates reposeront quelques jours dans la grange.

Un travail qu’il affectionne sera alors accompli par Joseph : rassembler et brûler les fanes dont la fumée âcre lui rappelle l’époque où, enfant, il aidait son père dans cette même tâche.

Lorsque le moment lui semblera opportun, le fermier disposera les pommes de terre dans la cave, sur une épaisse litière de fougères sèches.

Aurore débute ses journées par la traite des vaches qui, en cette saison, paissent encore dans les prés. L’agricultrice dépose les deux cruches dans les emplacements circulaires de la charrette à bras. L’une est coiffée d’un seau retourné. L’autre reçoit une étamine qui filtrera le lait afin de le débarrasser des impuretés qui auraient pu y tomber. Poussant la petite carriole devant elle, Aurore gagne  l’enclos où l’attendent les trois vaches. Assise sur un trépied, le seau coincé entre les genoux, la tête appuyée contre le flanc de l’animal, la fermière débute la traite.

Rentrée à la ferme, Aurore transvase le précieux liquide dans de grands plats en terre cuite. D’ici un jour ou deux, la crème, séparée du lait, sera battue et malaxée pour donner du beurre.

La traite de fin d’après-midi terminée, Aurore prépare le souper. Pendant ce temps,  Joseph s’assure que les animaux de son petit élevage ne manquent de rien. Les grains lancés aux poules provoquent un remue-ménage caquetant. Du fond de sa soue, le cochon se précipite vers la porte en bois vermoulu. Dans un concert de grognements, il se rue goulûment vers le seau cabossé débordant d’épluchures cuites.

La table dressée, Aurore perçoit enfin les pas fatigués de son mari. Le dos légèrement voûté sous le poids du labeur, vêtu d’un sarrau rapiécé, celui-ci ouvre la porte qui grince sur ses gonds, s’avance vers la table et prend place à côté du bahut contenant les pains pour la semaine. La cuisinière remplit les assiettes de pommes de terre rissolées accompagnées d’une scarole.

Le repas terminé et la table débarrassée, chacun prend place près du poêle. A la lumière d’un quinquet, Aurore tricote. La pipe vissée au coin de la bouche, Joseph laisse échapper de mouvantes volutes de fumée bleuâtre. Pensif, il parle peu. Quelques rares paroles. Chez les gens de la terre, on ne dit pas en vingt mots ce qui peut être exprimé en cinq. Chez eux, rien n’est gaspillé.

Le silence est haché par le cliquetis des aiguilles à tricoter. Par le chant plaintif et grave des bûches noueuses. Par le tic-tac de l’antique horloge qui égrène le temps. Par le mugissement des premiers vents d’automne dans la cheminée.

La sérénité de ces heures apaise et répare les corps qui ont oeuvré de l’aube au crépuscule. »

 

La Petite Gazette du 8 octobre 2013

OCTOBRE…

Retrouvons, comme chaque mois de cette année, le texte que les illustrations du calendrier de Monsieur Jean Bolland lui ont inspiré…

« Les sorcières ! Aujourd’hui, cette évocation fait délicieusement frissonner les enfants. Pour eux, ce vocable est synonyme de fête, de carnaval et d’amusement.

Autrefois, il en allait autrement. Ce nom provoquait la crainte et l’effroi. En témoigne le nombre de lieux-dits rappelant le souvenir de ces êtres qui, bien malgré eux, ont terrifié les générations des siècles passés.

La définition, qu’en donne le dictionnaire Larousse,  dit l’essentiel : « Personne qu’on croit en liaison avec le diable et qui peut opérer des maléfices. » Chaque mot a son importance.

Il est toujours dangereux de vivre et de penser autrement que le commun des mortels. De nos jours, de tels individus sont parfois regardés avec commisération ou, dans le pire des cas, mis au ban de la société.

Jadis, ces gens risquaient leur vie. A une époque où l’instruction était limitée, où la crédulité de nos ancêtres leur faisait entrevoir l’intervention de forces obscures, il ne faisait pas bon être versé dans la catégorie des originaux. Une maladie grave ou un décès inexpliqué dans la famille, une épidémie dévastatrice ou, plus simplement, une vache et son veau qui crevaient,  ne pouvaient être que le résultat  de l’action de puissances maléfiques avec lesquelles certaines personnes, pensait-on, pactisaient.

Lorsque la rumeur enflait et se concentrait sur un malheureux, celui-ci devenait le coupable, tout désigné,  à l’origine des misères affligeant la communauté. Un procès, ou plutôt un simulacre de procès, était organisé. En résultait, généralement, l’exécution de l’accusée.

Dans nos régions, les 16° et 17° siècles virent une grande chasse aux sorcières qui furent brûlées à cause du fanatisme,  de l’ignorance de la population et de ses représentants. Comble de l’abjection, les frais de l’exécution étaient réclamés à la famille du condamné : rétribution du bourreau, payement du bois utilisé et repas de ceux qui s’attribuaient le titre de juges. »

 

La Petite Gazette du 30 octobre 2013

AVEC NOVEMBRE QUI S’ANNONCE, C’EST LE RETOUR DES LONGUES SIZES

Nous retrouvons, avec grand plaisir, le texte que M. Bolland a imaginé en découvrant la nouvelle page de son calendrier…

« Fernand, Raymond et Gaston aimaient passer, ensemble, les soirées de la mauvaise saison. Réunis, tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, ils discutaient des menus événements survenus dans le village, jouaient aux cartes ou évoquaient des histoires d’autrefois. Le plus souvent, c’était Fernand qui hébergeait ses compagnons.

A côté de l’âtre, lové sur une chaise basse, ronronnait un des nombreux chats de la ferme, fatigué d’avoir chassé les souris ayant élu domicile dans les moindres recoins de l’exploitation. Cette chaise lui était dévolue. Il se confondait avec elle. Pour peu, il aurait fait partie des meubles.

Combien de fois les compères ne s’étaient-ils pas rappelé le tour pendable qu’ils avaient joué à Eustache, un jeune marié. Le soir de ses noces,  les trois complices s’étaient dirigés vers la fermette de leur victime. C’était une modeste demeure adossée à un talus et dont le pied de la toiture arrière touchait le sol. Un chariot était entreposé dans le hangar accolé à la grange. Ils eurent vite fait de démonter l’engin, d’en transporter les éléments sur le robuste toit de cherbains avant de le remonter au faîte de l’habitation.

Une autre fois, ils avaient décroché et étendu, sur les buis du presbytère, le linge qu’une vieille jeune fille acariâtre avait mis à sécher au fil reliant deux pommiers de son verger.

Ces évocations étaient accompagnées de rires sonores qui allaient en s’amplifiant au fur et à mesure que la bouteille de genièvre diminuait. Difficile de dire qui était le plus farceur, tant chacun sollicitait  son imagination.

Fin novembre, Raymond et Gaston s’étaient invités à souper chez leur ami. Clotilde, l’épouse de Fernand,  mettait la dernière main aux préparatifs du repas pendant que le trio devisait joyeusement, cherchant un prochain souffre-douleur à leurs espiègleries. Le délicieux fumet qui s’échappait du chaudron suspendu à la crémaillère faisait saliver les invités.

Au moment de prendre place autour de la table, on frappa à la porte. La maîtresse de maison alla ouvrir : c’était la jeune voisine. Elle venait quérir de l’aide pour préparer le mélange de base à la fabrication du boudin noir. Clotilde se dit qu’elle souperait plus tard.

Prétextant des douleurs à l’estomac, Fernand ne fit que goûter les aliments avant de repousser son assiette. L’appétit ouvert par quelques petites gouttes, ses deux copains parlèrent peu, occupés qu’ils étaient à faire honneur aux mets. Ils relevèrent la tête lorsqu’il ne resta, au fond du plat, qu’un discret  morceau de viande et deux bouts de pommes de terre baignant dans un reliquat de sauce. Ils s’excusèrent presque de n’avoir rien laissé pour Clotilde.

Les deux hommes, rassasiés, reculèrent leur chaise, s’appuyant confortablement contre le dossier qui gémit, les jambes étendues sous la table. Il y a longtemps qu’ils n’avaient plus participé à pareil festin !

Un large sourire de satisfaction illuminait leur visage quand, soudain, Gaston donna un coup de coude nerveux à Raymond. D’un mouvement rapide de la tête, il l’invita à regarder la chaise basse dressée à côté de la cheminée :  le chat ne s’y trouvait pas ! Leur mine s’allongea. Pris de violentes nausées, ils se précipitèrent vers l’étable. »

 

La Petite Gazette du 11 décembre 2013

FEERIE DE DECEMBRE

Comme chaque mois de cette année qui s’épuise, Monsieur Jean Bolland nous baigne dans une intimité désuète, mais tellement sincère, et qui, je le sais, vous invite à la rêverie…

« Décembre est bien entamé. La Saint-Nicolas passée, une autre fête occupe peu à peu les esprits : Noël et sa féerie. Son attente donne de la couleur aux jours gris et de plus en plus courts.

Le temps d’une soirée, et elles sont longues en ce début d’hiver, l’église millénaire résonne de coups de marteaux. Des bénévoles installent, du côté droit du choeur, la structure qui hébergera les statuettes reléguées, pendant le restant de l’année, dans un coin sombre de la tour. Quelques résineux, placés en arrière-fond, donnent une touche bucolique à l’ensemble.

Après l’école, à l’aide de plâtre, les enfants  façonnent des santons qu’ils peindront avec méticulosité. Dans les jours qui précèdent la Nativité, les boîtes contenant les différentes garnitures sont  descendues du grenier et ouvertes délicatement. Les réflexions des petits fusent lors de la redécouverte des trésors fragiles qu’elles contiennent. L’un avait oublié la présence de telle boule. Un autre a des étoiles plein les yeux en retrouvant le clinquant des oiseaux qui le fascinent. Chacun rivalise d’adresse et de prudence au moment d’accrocher ces objets aux branches du sapin.  La crèche est enfin posée sur une petite table au pied de l’arbre rutilant : elle accueillera les personnages créés par les enfants. Ainsi garni, ce coin de la salle à manger, vers lequel convergeront tous les regards, ajoutera une touche de merveilleux et de bien-être.

Matinée de la veille de Noël. Le pot du poêle plate-buse est incandescent. Les deux portes émaillées du coffre ont été, au préalable, fermées afin d’y accumuler un maximum de chaleur. Sous les doigts experts de la maman, la farine, la levure, le lait, le beurre fondu, les œufs et une pincée de sel deviennent pâte qui reposera avant d’être partagée en pâtons aplatis à l’aide d’un rouleau puis étalés dans des moules à l’intérieur enduit de matière grasse. Fruits en morceaux, compote, riz… couronneront le tout. Enfournées dans le coffre du poêle pour en être retirées trois quarts d’heure après, dorées et appétissantes à souhait, les tartes prendront la direction de la cave pour y être entreposées dans un garde-manger à claies

La soirée du 24 s’annonce longue. Après le repas, les marmots sont invités à se reposer – à dormir même- pour pouvoir assister à la messe de minuit. A 23 h 45, les cloches sonnent à toute volée, emplissant l’espace de résonances claires s’interpénétrant et roulant jusqu’au fond de la vallée. La famille est en vue de l’église vers laquelle se dirigent d’autres groupes. Tout ce petit monde s’engouffre dans l’édifice. La douce chaleur, l’odeur de résine, les notes de musique dégringolant du jubé, les sourires échangés, la crèche illuminée, tout concourt à rendre l’assemblée heureuse. La magie des chants traditionnels ajoute un supplément de félicité et de surnaturel à ces instants de grâce.

L’office terminé, alors que chacun rentre chez soi, des détonations éclatent soudain et font se lever les têtes. C’est Hector, le menuisier, qui tire quelques fusées griffant les ténèbres du ciel d’éphémères traces dorées et chuintantes.

La porte close, la maisonnée prend place autour de la table pour avaler un morceau de tarte ou un cougnou « maison », le tout accompagné d’un petit verre de vin de muscat. »

Un tout grand merci à monsieur Bolland pour ces très beaux textes qui ponctuèrent fort agréablement cette année 2013.

REQUISITION DES BATEAUX DE L’OURTHE (1814-1815)

La Petite Gazette du 18 janvier 2017

HIER 1814 -1815 : LES BATELIERS DE L’OURTHE EN CHÔMAGE

En lecteurs avisés de La Petite Gazette, vous savez que Monsieur   Gabriel Gabriel, de RoanneCoo est un inlassable chercheur. Depuis des années, il fouille méticuleusement les vieux documents relatifs à nos régions qui reposent au dépôt des Archives de l’Etat à Liège. Lorsqu’il fait une découverte susceptible d’intéresser les lecteurs de cette rubrique, il ne manque jamais de me la communiquer pour que j’en partage le contenu avec vous tous. Encore une fois, en votre nom à tous, je tiens à l’en remercier chaleureusement. Cette semaine, c’est un document déniché dans les archives du Fonds hollandais qu’il vous propose de découvrir ; comme il traite des bateliers de l’Ourthe, je sais qu’il vous passionnera. Il vous présente son contenu :

« Après  la  défaite  des  armées  françaises  à  Liepzig en  1813,  les  armées  des  coalisés, ou  des  Hautes  Puissances  Alliées, vont  occuper  notre  pays  dès  janvier  1814. Il  sera  alors  administré  par  des  représentants  hollandais  avant  que  le  sort  de  notre  nation  soit  définitivement  scellé  lors  du  Congrès  tenu  à  Vienne   en  1815.

La  période  charnière  entre  ces  deux  évènements  marquants  de  l’histoire  de  notre  pays  sera  particulièrement  difficile.

Retenons  une  plainte  des  Bateliers  de  l’Ourthe  adressée  au  Commissaire du  Gouvernement. Selon son excellente habitude, René Gabriel nous propose ce texte dans son orthographe d’origine :

A Monsieur  Koenen  Commissaire  du  Gouvernement  pour  le  département  de  l’Ourte.

Les  soussignés  bateliers  des  communes  d’Esneux, Hamoir, Comblin-Fairon, Sprimont, Tilff, Angleur  et Chesnée  ont  l’honneur  de  vous  exposer  que  depuis  longtemps  ils  sont  privés  de  leurs bateaux  emploiés  au  pont  qui  a  été  jetté  sur  la  Meuse  vis  à  vis  de  Visé, que  ces  bateaux  sont  la  seule  et  unique  ressource  de  la  plupart  d’eux  qui  n’ont  d’autre  moyen  d’existence  pour  eux  et  leur  nombreuse  famille, ils  se  permettent  d’observer  que  la  destination  de  ce  pont  est  bonne  à  cesser  depuis  la  reddition de  la  place  de  Mastricht et  qu’il  ne  peut  tout  au  plus  aujourd’hui  que  servir  aux  habitants  de  Visé  pour  communiquer  plus  aisément  d’une  rive  à  l’autre de  la  Meuse,  tandis  d’un  autre  côté que  l’intérêt de  la  navigation  et  par  suite  du  commerce  réclame  impérieusement la  prompte  remise  des  bateaux  aux  soussignés  pour  pouvoir  continuer  comme  ci-devant  à  transporter  toutes  sortes  de  marchandises  dans  les  villes  de  Maestricht, Venlo, Ruremonde et  même  plus  avant  dans  la  Hollande.

Pleins de  confiance  dans  votre  justice ordinaire, les  soussignés  osent  se  flatter, Monsieur le  Commissaire, que  vous  ne  balancerez  pas  d’après  toutes  ces  considérations, d’ordonner  sur  le  champ  la  remise  de  leurs  dits  bateaux.

Salut  et  profond  respect.

Signatures.

Et mon correspondant de conclure par une information et une remarque très judicieuses :

« La  fourchette  des  années 1814-1815  semble  bonne. En  effet, je  viens  de  trouver  que  le  siège  de  Maestricht avait  eu  lieu  de  décembre 1813  au 21  juillet 1814. En outre, il me semble bien intéressant de retenir  les  destinations  hollandaises  de  nos  bateliers  locaux: Venlo, Ruremonde  et  au  delà …! »

La Petite Gazette du 25 janvier 2017

REQUISITION DES BATEAUX D’OURTE (selon l’orthographe de l’époque)

C’est avec intérêt que nous retrouvons les documents exhumés des archives par René Gabriel. Il nous présente une autre trouvaille sur le sujet abordé dernièrement :

« Précédemment, nous  avons  suivi  une  plainte  des  bateliers réclamant  le  retour  de  leurs  embarcations. Revenons  début mars 1814  et  découvrons  un  premier  rapport  relatif  au  projet  de  pont :

Liège  le  10  mars  1814.

Mise  en  réquisition  dans  les  communes  de  Tilff  et  d’Esneux  de  vingt  bateaux  de  l’Ourte  propres  à   porter  des  canons, cordes  et  chaines et  dans  celle  de  Chokier de  1600  planches  de  2  à  3  pouces  d’épaisseur, nous  appréhendons  que  ces  réquisitions  ne  se  rempliront  au  moins  pas  entièrement  et  nous  vous  en  prévenons  pour  votre  gouverne  afin  de  pouvoir  de  votre  côté  prendre  les  précautions  que  vous  jugerez  nécessaires.

Nous  venons  également  de  requérir le  maire  de  Visé  de  procurer  demain  à  l’officier  du  Génie  les  ouvriers  et  outils  désignés  dans  la  liste  que  vous nous  avez  envoyée  hier.

Pour  cet  ouvrage  il  est  demandé 20  bateaux  pour  porter  canons, cordes  et  chaines, 230 poutres, 1000 planches, 3000 clous.

Les  ouvriers  proviendront  de  la  région  de  Visé  dont  presque  tous  exercent  la  profession  de  charpentier.

Les  bateaux  de  l’Ourte  conviendront  mieux que  ceux  que  l’on  trouve  en  Liège, aussi  Messieurs  vous  pourriez requérir  dans  les  communes  de  cette  rivière.

Cette  précision  va  être  très  préjudiciable  à  nos  bateliers  locaux  car  l’ordre  est  immédiatement  transmis  aux  maires  de  Tilff  et  d’Esneux :

 

Liège  le  10  mars  1814.

Aux  maires  d’Esneux  et  de  Tilff.

C’est  d’après  des  ordres  supérieurs  que  nous  vous  enjoignons  de  mettre  dans  vos  communes  en  réquisition  10  bateaux  d’eau  d’Ourte  et  les  envoyer  de  suite  devant  Visé  pour  la  construction  d’un  pont  que  l’armée  des  Alliés  va  y  établir. Il  faut  que  ces  bateaux  soient  de  profondeur  à  porter  des  canons, cordes  et  chaines.

Nous  vous  observons  que  cette  réquisition  est  aussi  pressée  que rigoureuse et  sous  peine  d’une  nombreuse  réquisition  militaire. Nous  vous  accuserons  la  réception  de  celle-ci  par  un  récipissé  au  porteur  auquel on  paye  un  franc pour  frais  de  voiage. »

 

Simplement passionnant, un immense merci à Monsieur Gabriel qui reviendra vers nous avec d’autres documents si ses recherches lui permettent de les mettre à jour. Evidemment si, de votre côté, vous êtes en possession de renseignements permettant de compléter le sujet, les colonnes de La Petite Gazette vous sont ouvertes.

 La Petite Gazette du 1er février 2017

LA NAVIGATION SUR L’OURTHE A L’EPOQUE FRANCAISE

Les documents transmis par M. René Gabriel évoquant « la réquisition des bateaux d’Ourte » décidée par les autorités françaises au début du XIXe siècle pour servir à l’installation d’un pont provisoire, réclamé par l’armée, devant Visé avaient conduit ce lecteur-chercheur à s’interroger sur les destinations qu’atteignaient alors les bateliers de l’Ourthe : « dans  les  villes  de  Maestricht, Venlo, Ruremonde… ». Je savais que cette information me rappelait quelque chose de connu et, à mon tour, j’ai fouillé mes notes relatives à cette période et… j’ai retrouvé ce que j’y cherchais.

Dans son extraordinaire « Mémoire statistique du département de l’Ourte », Thomassin, chef de division à l’administration du département, rapporte ceci : « Les pavés des carrières d’Esneux et de Comblain-au-Pont descendent par l’Ourthe dans la Meuse à Liège et se transportent de là, sur les différentes chaussées et par la Meuse, à Maestricht et Venlo »

L’auteur de ce précieux « Mémoire » nous précise qu’il y a alors 12 carrières à Esneux, employant 60 ouvriers et produisant annuellement 800 000 pavés ; 2 carrières à Gomzé-Andoumont, 13 ouvriers et 249 000 pavés/an ; 4 carrières à Comblain-au-Pont qui, avec 16 ouvriers fournissent 300 000 pavés/an.

PROLONGEONS LA PETITE GAZETTE…

Monsieur René Gabriel nous donne encore à découvrir de nouveaux documents :

Réquisition  des  bateaux  d’Ourte.

Le  9  mai  1814.

A Monsieur  Defloen  maire  de  Visé,

On  vous  prévient  que  Son Excellence  le  Gouverneur  Général  par  sa  dépêche  du  28  avril, a  défendu  formellement  la  démolition  du  pont  établi  à  Visé  pour  la  communication  des  troupes  aussi  que  la  vente  au  profit  de  l’armée  Suédoise  des  matières  provenant  de  ce  pont.

Ce  pont  ayant  été  construit  aux  frais  du  pays  ainsi  que  la  fourniture  de  tous  les  objets qui  ont  été  nécessaires, ils  doivent  être  considérés  comme  sa  propriété  sacrée et  rester  à  sa  disposition. Je  vous  invite  en  conséquence  à  me  rendre  compte  sur  le  champ  des  attentats  que  les  militaires  voudroient se  permettre  à l’égard de  ce  pont  et  prendre  les  mesures  les  plus  efficaces  pour  les  empêcher …

 

Le  16  mai  1814.

A  Monsieur  Koenen Gouverneur  du  département  de  l’Ourte.

Les  bateliers  soussignés  ont  l’honneur  de  vous  exposer  qu’étant  privés  de  leurs  bateaux  qu’ils  ont  fournis  pour  la  construction  du  pont  de  Visé  d’après  la  réquisition  leur  insinuée, ils  ont  encore  le  désagrément  d’être  contraints  au  payement  d’une  taxe  arbitraire  pour  le  passage  du  même  pont  lorsqu’ils  descendent  avec  quelques  bateaux  qui  leurs  restent, cette  taxe  étant  de  3, 4  ou  5 francs  par  partie  et même  prix  à  la  remonte  à  vuide.

Les  soussignés  épuisés  par  le  défaut  de  navigation  pendant  tout  le  temps  que  la  Meuse  a  été  fermée  et  privés  aujourd’hui de  leurs  bateaux  dont  ils  ne  sont  pas  encore  payés  ce  qui  les  empêche  de  se   relever  de  leurs  pertes, viennent  implorer  votre  justice  dans  la  ferme  croyance  que  vous  daignerez  Monsieur  le  Gouverneur  combien  il  leur  est  sensible de  payer  le  passage  d’un  pont  construit  de  leurs  propres  bateaux et  que  vous  ordonnerez  que  le  passage  leur  soit  libre, ils  ont  l’honneur  d’être  avec  le  plus  profond  respect.

Vos  très  humbles  et  très  obéissants  serviteurs. 

On  comprend  très  aisément, analyse René Gabriel,  l’exaspération  des  bateliers  d’Ourte  car, outre la  réquisition  de  leurs  bateaux, ils  doivent  en  plus  lorsqu’il  naviguent  avec  d’autres  embarcations payer  des  taxes  lors  de  leurs  passages  sur  ce (leur) pont.

Précisons  que  c’était  une  grande  difficulté  pour  le  franchissement  de  l’ouvrage. En  effet, cela  nécessitait  de  couper  provisoirement  la  continuité  de  celui-ci  afin  de  laisser  passer  les  embarcations  qui  de  dirigeaient  vers  Maastricht  et  au-delà, ou  à  la  remontée  vers  Liège, puis  d’opérer de  nouveau  le  raccord. Cela  nécessitait  donc  la  présence  de  nombreux  ouvriers  et  faisait  monter  le  coût  total  de  cette  entreprise.

René Gabriel nous permet de suivre, pas à pas ses recherches et de ses découvertes puisqu’il continue à alimenter ce sujet par de nouveaux documents et informations…

Le  18  mai  1814.

A  Son  Excellence  le  Gouverneur  Général,

Monsieur,

J’ai  l’honneur  de  rendre  compte  à  Votre  Excellence, ainsi  qu’elle  me  le  prescrit  par  sa  dépêche  du  7  de  ce  mois, que  le  pont  établi  à  Visé  pour  la  communication  des  cantonnemens  Suédois  subsiste  toujours  en  son  entier, et  que  l’autorité  militaire  suédoise  semble  s’être  désintéressée  de  ses  prétentions  à  l’égard  de  ce pont. Cependant  un  piquet  de  14  hommes  de  cette  troupe  stationne  toujours  à  Visé sous  prétexte  de garder  le  pont, et  sont  une  charge  permanente  pour  les  habitans  de  cette  commune ; quoique  depuis  le  25  avril  dernier, époque  de  la  levée  des  derniers  cantonnemens  Suédois, Monsieur  le  chef  de  brigade  Anckarsward  ait  ordonné  la  démolition  de  ce pont  comme  devenu  inutile  au  service  des  armées. En  effet,  depuis l’ouverture  de  la  place  de  Maastricht, le  pont  ne  fait  qu’entraver  la  navigation de  la  Meuse. Les  bateliers  et  autres  personnes  qui  ont  été  requises  de  fournir  des  pièces de  construction,  en  réclament  vivement  la  restitution. Je  prie  donc  Votre  Excellence  de  m’autoriser  à  faire  déconstruire  incessamment  ce  pont, pour  que  je  puisse  faire  restituer  à  chacun  les  objets  qui  leurs  appartiennent, et  du  produit  de  quelques  matériaux  acquis  par  le  département faire  payer  les  ouvriers et  autres  fournisseurs  à  qui  il reste  des  prétentions  pour  avoir  concouru  à  l’établissement de  ce  pont.

Je  suis  avec  respect …

Liège  le  26  mai  1814.

A  la  Commission  municipale  de  la  ville  de  Liège

Il  s’agit,  Messieurs,  de  préparer  sur  le  champ  au  corps  d’armée  Russe  qui  arrivera  le  28  courant par  Terwagne, des  moyens  de  franchir  la  Meuse  au  passage  de  Seraing. Comme  le  pont  de  Visé  subsiste  encore  en  son  entier, il  viendroit  très  à  propos  parer  à  ce  besoin. A  cet  effet, je  vous  invite  à  requérir  des  ouvriers  intelligens, aidés  de  quelques  bateliers  pour  opérer  de  suite  la  dislocation  du  pont  de  Visé, en  remonter  les  pièces  jusqu’à  Seraing et  l’y  recomposer  pour  servir  jusqu’après  le  passage dont  il  s’agit. Pour  que  cette  mission  puisse  être  exécutée  d’une  manière  certaine pour  le  28  de  ce  mois  vous  feriez  bien  de  nommer  un  commissaire  spécial  qui  ait  toute  votre  confiance  afin  de  surveiller et  diriger  cette  opération.

Vous  sentez  Messieurs  que  nous  avons  tous  le  plus  grand  intérêt  à  ce  que  cette  troupe  puisse  traverser  rapidement  le  département  et  surtout la  ville  de  Liège, il  faut  donc  lui  ôter  tout  prétexte de  s’y  arrêter.

Je  vous  prie  de  m’accuser  réception  de  cette  lettre.

Je  pense  que  le  moyen  le  plus  sûr  d’atteindre  le  but  seroit de  charger  de  cet  ouvrage  un  entrepreneur  qui  devroit  se  faire  fort  d’achever  cette  besogne  pour  le  jour  indiqué.

Le  27  mai  1814. Arrondissement  communal  de  Liège. Ville  de  Liège.

La  Commission  Municipale, à Monsieur  Koenen Commissaire  du  Gouvernement  pour  le  département  de  l’Ourte.

Monsieur  le  Commissaire

Nous  avons  reçu  ce  matin  vers  les  onze  heures  votre  lettre  relative  à  la  construction  d’un  pont  à  Seraing  en  employant  les  poutres  et  madriers  du  pont  de  Visé, mais  il  y  a  impossibilité  physique  d’effectuer  ce  transport  et  la  reconstruction  pour  le  28 de  ce  mois, cette  impossibilité  est  même  reconnue  par  les  officiers  Russes et  en  conséquence Monsieur  le  Directeur  du  Cercle  de  Liège  que  nous  venons  de  voir  à  cet  effet  et  qui  a  cet  objet  dans  ses  attributions  avait  déjà  fait  réunir  tous  les  bacs et  bateaux  de  Seraing  et  des  environs  afin  d’assurer  le  prompt  passage de  la  colonne  qui  vient  de  Terwagne, et  il  y  aura  d’autant  plus  de  facilité  que  les  eaux  sont  basses  ce  qui  ôte  toute  idée  d’inconvéniens  et  de  danger  dans  la  mesure  que  le  peu  de  tems  qui  reste  à  faire  adopter  par  Monsieur  De Harsez.

Nous  avons  l’honneur  d’être  avec  la  plus  haute  considération.

Vos  très  humbles  et  très  obéissants.

Le  président de  la  Commission.

Commentaire de notre inlassable chercheur : « Démolir  le  pont  de  bateaux  de  Visé  et  le  reconstruire  à  Seraing … ! En  deux  jours !! Remarquons  que  les  coalisés  ont  peu  envie  de  rencontrer  leurs  “alliés  Russes” ! »

Les  armées  des  Hautes  Puissances  Alliées  arrivent dans  nos  contrées.

Retenons  à  présent  un  autre  auteur : Paul Verhaegen, qui  dans  son  ouvrage La Belgique  sous  la  Domination  Française 1792-1814  évoque  cette année 1814  et  les  armées  des  Hautes  Puissances  Alliées. Nous  allons  y  rencontrer  les  troupes  en  présence :

« Rançonnés  par  leurs  maîtres  de  la  veille, menacés  de  désordres  intérieurs  par  la  disparition  des  autorités, les  Belges rencontraient  une  nouvelle  source de  malheurs  dans  l’occupation  étrangère. C’est  le  moment  de  décrire  les  calamités  que  l’invasion  de  1814  vint  apporter  à  nos  provinces  à  l’occasion  de  leur  libération.

L’armée du Nord, chargée d’affranchir les Pays-Bas était composée  d’éléments  extrêmement  variés. Sous  le  haut  commandement  de  Bernadotte, prince  royal  de  Suède, elle  groupait  des troupes suédoises, russes, prussiennes, hessoises, saxonnes, wurtembourgeoises, anglaises et  hollandaises.

Parmi  ces  contingents  si  divers, le  plus  nombreux  était  celui  qu’avait  fourni le  troisième  corps  prussien dirigé  par  le duc  de  Saxe-Weimar, assisté  par  les  généraux Wolzogen, prince  de  Wurtenberg, Borstell  et Thielmann. Précédant  le  troisième  corps, le  général  Bulow à  la  tête  d’une  première  armée  prussienne et  d’une  avant-garde  de  cosaques, avait  traversé  la  Belgique  presque  sans  s’arrêter et  s’était  porté  vers Maubeuge  et  Laon. Derrière  la  masse  des  Allemands  arrivèrent  les  autres  bataillons  dont  les  uns  stationnèrent  dans  le  pays et  les  autres  gagnèrent  la  France. Dans  la  vallée  de  la  Meuse, ce  furent  les  russes  du  général Wintzingerode  qui  défilèrent  les  premiers, suivis  de  près  par  les  Prussiens  et  les  Saxons. Plus  au  Sud, un  corps  commandé  par  le  général York  et  composé  principalement  de  Prussiens, traversa  le  Luxembourg, somma  la  ville  de  ce  nom, puis  fut  remplacé  pendant  les  opérations  du  blocus  par  des  troupes hessoises.

Tels  étaient  les  premiers  flots  du  torrent  qui  désola  les  villes  et  les  campagnes  voisines  des  grands’routes  à  partir  de  la  fin  de  janvier 1814.

L’invasion  parut  suspendue  quand  on  apprit  la  capitulation de  Paris  et  l’abdication de  Napoléon. Mais  ces  évènements  furent  le  signal  d’un  second  envahissement. Les  forces  qui  avaient  conquis  le  Nord  de  la  France  traversèrent  de  nouveau la  Belgique  pour  rentrer  dans  leurs  foyers. Cette  fois, le  mal  fut  accru  parce  qu’elles  croisèrent  en  de  nombreux  endroits  les  garnisons  françaises qui, ayant  évacué  les  forteresses  du  Nord, se  hâtaient  de  regagner  leur  patrie.

Au  milieu  de  tout  ce  mouvement  de  troupes, le  sort  de  la  population  belge  était  profondément  à  plaindre. Privée  de  ces  chefs, n’ayant  aucune  force  à  opposer  aux  exigences  arbitraires  des  occupants, la  nation  était  réduite  au  rôle  des  serfs de  jadis, taillables et  corvéables  à  merci. Sans  doutes, les  commandants  supérieurs  s’efforçaient  de modérer  les  prétentions  de  leurs  soldats, et  bientôt  une  administration  centrale  réorganisée  vint  seconder  leur  bonne  volonté. Mais  la  célérité  du  passage  des  régiments et  la  multiplicité  des  corps  auxquels  ils  appartenaient  relâchaient  la  discipline et  empêchaient  le  redressement  des  abus. Beaucoup  d’étrangers, d’ailleurs, joignant  à  des habitudes  de  pillage  la  conviction  que  les Belges  étaient  amis  de  la  France, traitaient  leurs  hôtes  d’un  jour  en  ennemis.

A  vrai  dire, ces  pensées  hostiles  étaient  principalement  partagées  par  les  soldats  prussiens. Quand  on  montait  dans  la  hiérarchie, on  rencontrait  chez  les  officiers  allemands  une  attitude  tout autre. La  plupart  possédaient  la  langue  française et  s’attachaient  à  acquérir  les  sympathies des  habitants  du  pays.

Chez leur  chef, le  duc Charles-Auguste de  Saxe-Weimar, l’urbanité  de  manières  se  joignait  à  la  distinction  de  l’esprit  et  à  un  jugement  éclairé, qui  valurent  à  cet  ami  de  Goethe et  de  Schiller  l’attachement  des  Belges. Malheureusement, les  rudes  cavaliers  accourus  des  bords  du  Don et  du  fond  de  la  Poméranie  pour  venger  sur  Paris  les  insultes de  1806 et  de  1812, ne  comprenaient  rien  aux  charmes  le  l’atticisme  ou  aux  prescriptions  du  droit  des  gens. Pendant  deux  années, et  principalement  pendant  les  premiers  mois  de  1814, la  Belgique  allait  constater que  la  cour  de  Weimar, l’Athènes  du  Nord, n’avait  guère  policé  les  mœurs  des  villageois allemands.

A côté  des  officiers  allemands qui  se  piquaient d’aménité et  s’efforçaient  de modérer  leurs  soldats, une  mention  particulière  était  due  aux  contingents  anglais  et  hanovriens. Fort bien  disciplinés, pourvus  largement  de  tout  ce  qui  était  nécessaire  à une  troupe  de  campagne, les  soldats  qui  les  composaient  laissèrent, en  général, les  meilleurs  souvenirs  de  leurs  cantonnements. Bon   nombre  avaient  fait  en  Belgique  les  campagnes  de  1793 et  de  1794, et  furent  reconnus  dans  les  localités  comme  Courtrai, Nieuport, Ypres  et  Menin, où  ils  avaient  guerroyé  autrefois. Non  seulement  leur  conduite  ne  donna  lieu  à  aucune  plainte, mais  quand  ils  s’éloignèrent, ils  reçurent de  leurs  hôtes  les  témoignages  les  plus  flatteurs  d’estime  et  de  regrets.

Tout  au  contraire, ce  furent  la  crainte  et  la  haine  que  provoquèrent  les  cosaques  et  les  Prussiens. L’aspect  seul des  premiers  suffisait  à  indisposer  la population. Ils  étaient, en  général, petits  de  taille, de  visage  difforme, présentant  le  type Kalmouk ou Mongol. Leurs  barbes  et  leurs  cheveux  incultes  donnaient  à  leur  personne  un  caractère  de  saleté  odieux. Ils  étaient  couverts  de  vermine  et  exhalaient  des  odeurs  repoussantes. Coiffés  de  bonnets  de  fourrures, montés  sur  de petits  chevaux  à  peine  harnachés  à  l’aide  d’une  mauvaise  selle  ou  d’une  couverture, ils  portaient  une  longue  lance et  étaient  armés  de  pistolets et  de  sabres. Certains  même, appelés Baskirs, n’avaient  d’autre  arme  qu’un  arc, des  flèches  et  un  fouet. Merveilleux  cavaliers, ils  ne  faisaient  qu’un  avec  leur  monture. C’était  un  jeu  pour  eux, en  galopant  à  fond  de  train, de  se  pencher  assez  pour  ramasser  sur  le  sol  une  arme  ou  une  pièce  de  monnaie. C’était  aussi  pour  eux  une  habitude  de  ne  pas  se  séparer  de  leurs  chevaux, à  côté  desquels  ils  passaient  la  nuit, couchés  dans  les  rues, même  au  milieu  de  l’hiver. Ajoutez  à  cet  extérieur  répugnant  les  habitudes de  gloutonnerie  qui  leur  faisaient  absorber  non  seulement  des  liqueurs  fortes  en  quantité  considérable, mais  l’huile  de  lampe, le  suif, les  chandelles, ou  mêler  de la  poudre  à  leur  boisson  pour  en  relever  le  goût. En  un  mot, ils  apparaissaient  comme  l’incarnation  de  la  sauvagerie  sortant  des  steppes de  l’Orient.

Enfant  du  désert comme  la  plupart  de  ses  hommes, le  colonel  commandant  le  premier  régiment  des  cosaques  du  Don  resta  légendaire  à  Gand. Il  personnifiait  les  qualités  et  les  défauts  de  ses  soldats. C’était l’hetman Bychalow, que  les  Gantois  baptisèrent  familièrement  du  nom  de  Pietje Kosak. Vieillard  de  plus  de  quatre-vingt  ans, aux  cheveux  blancs, doué  d’une  activité  prodigieuse, il  passait  ses journées  à  chevaucher  ou  à  boire. Ignorant  les  langues  de  l’Occident, il  était  accompagné  partout  par  un  juif  polonais  qui  lui  servait  à  la  fois  d’interprète, de  secrétaire  et  de  chef  d’état-major. Il  traînait  derrière  lui  trente  et  un  chevaux, et  chacun  de  ses  officiers  en  avait  sept. Quand  il  arriva  à  Gand, le  14  février, pour  remplacer  le  colonel de  cosaques Mentchikof, il  s’installa  dans  l’hôtel  d’une  des  premières  familles  de  la  ville. Quoique  fort  bien  reçu, il  ne  tarda  pas  à  se  plaindre et  à  s’installer  dans  une  autre  demeure  patricienne  qu’il  délaissa  bientôt  aussi. Il  fit  ainsi  le  tour  des  hôtels de  Gand, accablant  ses  hôtes  d’exigences et  les  surprenant  par  ses  excentricités. L’une  des  moindres  consistait  à  imposer  à  la  municipalité  d’organiser, aux  frais  de  la  caisse  communale, des  banquets  somptueux  où  elle  avait  ordre  d’inviter  les  officiers  étrangers, parfois  au  nombre  de  quatre-vingts. Exagérant  les  forces  dont  il  disposait, il  obtint  après  une  simple  démonstration  militaire, la  capitulation  du  Sas  de  Gand, et  s’empara  d’une  grande  quantité  d’eau-de-vie et  de  vin  qu’il  fit  distribuer  aux Gantois  quand  il  quitta  leur  ville. Recherchant  la  popularité, il  fit  fouetter  des  soldats  convaincus  d’avoir  détroussé des  habitants. Il  prenait  un  plaisir  particulier  à  jeter  des  pièces  de  monnaie  à  la  foule  afin  de  s’amuser  à  voir  les  luttes  occasionnées par  ses  libéralités. Pour  célébrer  dignement  le  jour  de  fête  de  son  souverain, il  fit  établir  une  estrade  sur  la Place  d’Armes, devant  l’hôtel  où  il  logeait, et  après  le  concert  donné  par  la  musique  du  régiment, il  s’avança  sur  la  scène  pour  exécuter  une  danse  cosaque. «Il  gambada  comme  un  fou, rapporte  un  chroniqueur, pendant  que  ses  soldats  buvaient  le  vin  dans  des  cuvelles, comme  des  bêtes ».Le  même  soir, comme  la Chambre  de  rhétorique  avait  organisé  une  solennité  en  son  honneur, Bychalow  se  rendit  à la  représentation, accepta  le  titre  de  membre  d’honneur de  la  confrérie et  fit  don  aux  rhétoriciens  de  son  portrait  peint sur  ivoire. Le  lendemain, après  un  banquet  imposé  à  la  municipalité, il  exécuta  de  nouveau  devant  l’assemblée  des  danses  cosaques  qui  achevèrent  de  scandaliser  la  gravité  flamande  et  qui  le  firent  traiter  de  pitre  de  foire. Tout  en  flattant  les  Gantois, le  colonel  ne  négligeait  guère  les  profits  que  pouvait  valoir  sa  situation  de  commandant  militaire. En  l’espace  d’un  mois, son  prédécesseur  et  lui  avaient  imposé  à  la  ville  des  réquisitions  atteignant  la  somme de  168.000 francs et  une  contribution  de guerre de  750.000 francs.

Sous  de  pareils  chefs  la  licence  des  soldats  ne  connaissait  guère  de  limites. Logement, alimentation, fourniture d’équipement, transport  de  bagages et  d’artillerie, tout  était  occasion  d’abus et  de  brutalités.

Presque  toutes  les  villes  belges  étaient, en  1814, des  places  ouvertes, occupées  par  des  garnisons  peu  nombreuses. L’insuffisance des  casernes  amenait  ainsi  forcément  les  corps  militaires  traversant  la  Belgique  à  se  loger  chez  les  habitants. On  vit  même  à  Gand  les  soldats  refuser  d’occuper  les  casernes  afin  de  continuer  à  être  hébergés dans  les  maisons  particulières. On  conçoit ce  que  ces  hôtes  incommodes, amenant  avec  eux  leurs  chevaux, dont  ils  prétendaient  ne  pas  se  séparer, apportaient  de  trouble  dans  les  demeures  où  ils  s’installaient. »

Et René Gabriel d’ajouter : « Ces  troupes  Russes, ou  une  partie  du  moins, sont  passées  dans  nos  régions. Nous  en  avons  retrouvé  des  traces; il  était  exigé  dans  certaines  de  nos  commune, de  Stavelot  et  de La Gleize  notamment, un … “impôt  de  guerre” en  leur  faveur  ainsi  que  fournitures  diverses  tant  pour  les  soldats  que  pour  leurs  montures. »

La  démolition  du  pont  de  bateaux d’Ourte construit  à  Visé.

Le  3  juin 1814.

Les  11 et 12  mars  la  réquisition  des  bateaux  a  été  faite  par  MM. Doblesteine  et  Doneux  préposés  à  la  construction  par  le  Capitaine Gilbert  officier  du  Génie Suédois. On  a  utilisé :

80 pieds  de  chaines  de  fosse  acquis  aux  maitres  des  houillères, 3.000 clous  de  5  pouces  de  long, 2.000 clous  de  6 pouces  de  long, 150 livres  de  clous de  3  pouces  de  long, 215  pièces  de  bois de  chêne  pour  prix  de  4.000 francs.

Quant  au  loyer  des  indemnités il  nous  parait  que  les  propriétaires  les  méritoient  mais  aucune  indemnité  n’a  été  fixée  ni  statuée  à  charge  de  qui  elle  soit.

Le 7  juin 1814.

Le  Commissaire  du  Gouvernement à M. le  Directeur  du  Cercle  de  Liège,

Il  résulte  des  correspondances  que  les  commandants  des  troupes  prussiennes  stationnées  à  Visé  et  à  Argenteau  s’opposent  à  la  déconstruction du  pont  de  Visé.

Comme  je  n’ai  prescrit  cette  déconstruction  que  d’après  la  décision  formelle de  Son Excellence  le Gouverneur  Général  et  après  avoir  obtenu  l’assentiment de Son Excellence en  chef d’Yorck, je  dois  croire  messieurs  que  les  commandants  n’ont  pas  de  raison  de  s’y  opposer …

Liège  le  8  juin  1814.

Les  soussignés  bateliers  navigant  sur  le  Meuse

A

Monsieur Koenen, commissaire  du  Gouvernement  pour  le  département  de  l’Ourte

Monsieur  le  Commissaire,

Le  pont  de  bateaux  construit  sur  la  Meuse  vis  à  vis  de  Visé, donne  de  très  grands  embarras  à  la  navigation, retarde  la  correspondance  entre  Liège  et  Maestricht, enfin  cause  une  foule  d’inconvénients  qu’il  est  inutile  de  détailler ; mais  ce  qui  mérite  bien  de  fixer  votre  attention, Monsieur  le  Commissaire, c’est  que  ce  pont  est  construit  de bateaux  qui  sont  les  seuls  convenables  pour  naviguer  de  temps-ci, moment  où  les  eaux  sont  les  plus  basses, le  commerce  de  la  Meuse  est  donc  privé  d’une  très  grande  ressource et  les  propriétaires  de  ces  bateaux  sont  tous  des  malheureux  trop  longtemps  privés de  leurs  moyens  d’existence.

Le  pont  de  Visé  est  inutile  aux  troupes  des  Hautes puissances  Alliées, il  cause  des  dommages  à  des  pauvres  particuliers et  gène  le  commerce. Nous  vous  supplions  donc, Monsieur  le  Commissaire, d’ordonner  qu’il  soit  levé, vous  êtes  trop  juste  et  trop  raisonnable  pour  ne  pas  faire  droit  à  notre  demande.

Nous  avons  l’honneur  d’être, Monsieur  le  Commissaire,

Vos  très  humbles  et  très  obéissants  serviteurs. Signatures.

Le  9  juin 1814.

La  direction  du  Cercle  à  la  Municipalité  de  Liège,

Quant  à  l’indemnité  à  payer  aux  propriétaires  des bateaux  requis  il  convient  que  vous  vous  en  fassiez  remettre  l’Etat  par  MM. Doneux  et  Doblesteine  et  que  vous  proposiez  l’indemnité  que  vous  jugerez  convenable  de  leur  faire  accorder.

Le  11  juin 1814.

Le  pont  de  bateaux  construit  sur  la  Meuse  vis  à  vis  de  Visé  donne  de  très  grands  embarras à la  navigation, il  retarde  la  correspondance  entre  Liège  et  Maastricht.

Le  19  juin  1814.

23 personnes  ont  démonté  le  pont de  Visé, pontainiers, bateliers, ouvriers, menuisiers, charretier  et  préposé. Le  montant  total  des  journées  s’élève  à  163 francs  36  centimes.  Il  faut  y  ajouter  le  montant  à  payer  lors  de  la  construction  qui  est  de  13,60 francs. Total : 176 francs 96.

Visé  le  23 juin 1814.

L’abonnataire  du  passage  d’eau du  10  février  au  20  mars, la  Meuse  étant  haute, a  dû  mettre  les  ouvriers  pour  faire  le  passage  d’eau  qu’exigeoient jour  et  nuit  les  ordonnances et  troupes  des  Hautes  Puissances Alliées  jusqu’au  20  mars  qu’un  pont  s’établit.

Le  30  juin 1814.

Discry Servais Joseph, fermier  du  passage  de  Hermalle  sous  Argenteau  à

Monsieur Koenen Commissaire  du  Gouvernement  pour  le  Département  de  l’Ourte,

Monsieur,

Me  confiant  dans  la  droiture  de  vos  intentions, à  l’égard  de  tous  vos  administrés, et  fort  de  la  justice  de  ma  réclamation, j’ose  espérer  que  vous  daignerez  l’accueillir  et  me  préserver  moi  et  ma  famille  de  la  misère  qui  pourrait  nous  accabler.

Le  simple  exposé  de  fait  suffira  pour  mettre  au  jour  l’équité  de  ma  demande.

D’après  une  convention  faite le  24 9bre (novembre) 1813  avec  Monsieur  le  préfet  de  ce  département, je  me  suis  rendu  adjudicataire  du  grand  bac  au  passage  d’eau de  Hermalle, devant  Visé, et  j’entrai  en  jouissance le  premier  janvier  1814.

Je  ne  parlerai  point  du  préjudice  qui  ne  fut  fait  la  nuit  du  18  au  19  janvier  par  des  individus  qui  s’avisèrent  de  fracturer  mon  bateau et  de  le  faire  couler  à  fond, ils  s’imaginèrent  sans  doute  se  soustraire  au  passage  des  trouppes  qui  allaient  être  fréquents, puisque  c’était  alors  que  les  français  effectuaient  leur  retraite  poursuivis  par  les  armées  Alliées, mais  le  10  février suivant, Mrs  les  maires de  Hermalle  et  de  Visé, après  m’avoir  ordonné  de  faire  relever  le  bac / car  il  avait  resté enfoncé  sous  l’eau  jusqu’à  cette époque / et  de  le  raccommoder, me  le  firent  conduire, ledit  jour,  devant  Visé, pour  y  passer  conjointement  avec  les  bateliers  de  Visé et  d’Argenteau, jour  et  nuit  toute  la  correspondance  des  armées, la  cavalerie, l’infanterie, etc. … L’âpreté  du  froid  couvrait  dans  ces  moments  la  rivière  de  glaçons, ce  qui  m’occasionna  beaucoup  de  frais, tant  par  le  nombre  plus  considérable  d’ouvriers  que  je  devais  employer que  par  la  grande  déterioration  faite  à  mon  bateau.

Cette  manœuvre  gratuite  ne  cessa  que  le  premier  avril 1814  jour  où  fut  achevé  le  pont  qu’on  avait  ordonné  de  jetter  sur  la  Meuse ; le  maire  m’enjoignit  alors  de  faire  remonter  le  bac et  une  autre  nacelle  que  j’avais  été  forcé  d’y  joindre  au  rivage  d’Hermal, mais  vu  la  construction  du  pont  par  lequel  tout  pouvait  passer  gratuitement, mon  passage  fut  totalement  paralysé  et  pour  ainsi  dire  nul, de  sorte  que  pendant  un  espace  de  quatre   mois et  d’avantage  je  n’ay  reçu  aucune  rétribution  de  ma  reprise.

Ce  simple  allégué  suffit  sans  doute  pour  vous  convaincre, Monsieur, que  pendant  les  deux  trimestres de  cette  année, dont  j’ai  dû  acquitter  le  1er  d’avance  au  gouvernement  français, je  n’ai  pu  gagner  de  quoi  subvenir  aux  besoins  de  ma  famille ; qu’au  contraire  j’ai  fait  beaucoup  de  frais  qui  ne  pourront  se  compenser  que  de  longtems  avec  le  petit  bénéfice  que  je  retire  du  passage  qui  m’est  confié.

J’espère, Monsieur, que  vous  vous  attendrirez  sur  mon triste  sort, que  vous  l’allègerez  en  me  gratifiant  pour  le  3eme  trimestre et  que  vous  calmerez  par  ce  bienfait  les  inquiétudes  de  celui  qui  vous  en  aura  une  reconnaissance  hors  bornes.

Quoy  faisant,

J’ai  l’honneur  d’être  avec  un  très  profond  respect, Monsieur  le  Commissaire.

Votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur. Servais  J  Discry.

Nous  arrivons  à  la  fin  de  ce  long  épisode  relatif  à  la  réquisition  de  ces  vingt  bateaux  d’Ourte qui  composèrent  le  pont  de  Visé. Je  n’ai  toutefois  pas, jusqu’à  présent,  retrouvé  l’indemnisation  proposée  aux  propriétaires. Comment  toujours, il  s’agissait  de  réquisition  militaire  très  urgente … , on  devine  que  les  pauvres  bateliers  qui  auront  récupéré  leurs  embarcations – dans  quel  état ?- attendront  pour  obtenir  satisfaction.

 

En marge de ce qui précède, René Gabriel nous donne à connaître le contenu d’un autre document très intéressant,  une  pétition – comportant  une  trentaine  de  signatures. Elle indique autant de  noms  de  bateliers  ou  propriétaires  qui  naviguaient  sur  l’Ourte  en  cette  fin  d’Ancien régime.

 

Des  bateliers  d’Ourte  en  1816.

Le  20  juillet  1816. Les  bateliers  de  la  rivière  d’Ourte se  plaignent  du  très  mauvais  état  du  chemin  de halage  depuis  Douflamme  jusqu’aux Vennes. Les  noms  des  signataires  sont, sauf  erreur :

Jean François  Fouat, F. Renard, J. Grégoire, G. Henry, Joseph Poncin, M. Honhon, J. le  baux, G. Poncin, JM Gavage, JJ. Collignon, G. Lisent, J. Ignace Halleux, François Brinbois, Hubert  Hanson, JP Gillard, Simon Grignet, Joseph petit Han, Philippe  Bomal, Poncin, Martin Boumal, JF Laguesse, F Artus, Raskin Gillard, de Amoury, L Grignet, Joseph Josset, Hubert  Leonard, W Montulet, François Minguet, Joseph Halleux et  quelques  autres …

 

Un immense merci pour tous ces documents et la masse d’informations qu’ils recèlent.

RABORIVE EST ANIMEE PAR LES ACTIVITES INDUSTRIELLES DEPUIS PRES D’UN DEMI-MILLENAIRE

Ainsi que je l’ai fait pour la balade le long des bornes de Stavelot, je vais tenter, ici, de permettre à celles et à ceux qui n’avaient pu participer à la découverte du site de Raborive que proposait Eneo-Aywaille le 21 octobre dernier, de se déplacer virtuellement sur les lieux que j’ai alors présentés et commentés. Je vous souhaite une agréable promenade.

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C’est tout d’abord l’industrie métallurgique qui vint d’abord troubler la quiétude des lieux au pied de l’impressionnante falaise sur laquelle se dressait encore fièrement Neufchâteau-sur-Amblève… Ainsi que vous le savez sans doute, il ne sera démoli qu’en 1587, sur ordre de Philippe II, le fils de Charles Quint.chateau

Mais commençons par planter le décor ! Pour ce faire, il convient d’emblée de contredire les auteurs qui, dès le XIXe siècle, installèrent à Raborive un terrible combat, dont le nombre de victimes rougit les eaux de l’Amblève. Selon eux, les toponymes Martinrive et Raborive perpétuent le souvenir du cruel affrontement qui opposa les troupes de Charles Martel, duc d’Austrasie, à celle du duc de Frise dénommé tantôt Robo, tantôt Radbod. Force est de constater que, bien que les documents placent ce combat le long de l’Amblève et près d’un domaine royal, seul un apparent cousinage entre les patronymes des belligérants et les toponymes locaux a conduit ces auteurs à croire qu’ils avaient localisé le site de cet épisode sanglant.

La toponymie est une science difficile et ceux qui la pratiquent savent pertinemment qu’il convient de se méfier des interprétations hâtives et de ce qui pourrait apparaître comme une évidence… Etienne Compère dans son excellente « Toponymie d’Aywaille » nous explique que Martinrive s’est développée au confluent de l’Amblève et d’un ruisseau descendant de Rouvreux qui, à l’approche de la rivière, s’était scindé en plusieurs bras et avait créé un ilôt marécageux. « Maretain » (qui deviendra « Martin ») signifie « marais ». Et voilà la légende balayée…

L’Ourthe-Amblève connait, dès l’époque gallo-romaine, une exploitation du minerai de fer abondant dans son sous-sol. L’existence de bas fourneaux de cette époque a été démontrée à Dolembreux par André Neelissen et la présence de scories très anciennes a été attestée notamment à Deigné et à Quarreux.

L’exploitation du minerai connaîtra, chez nous, un net développement dès la fin du XIVe siècle, des forges sont en activité à Ferot en 1380. La métallurgie moderne aux origines wallonnes, rappelons-le, impose que soient associés fourneau et four d’affinage ; nous verrons par la suite que les sites de Ferot et de Raborive connurent de longues périodes d’histoire commune.

Le minerai est exploité dans toute la région à Aywaille, à Xhoris, à Comblain-au-Pont, à Ferrières… Cette réalité entraîne un net développement de l’activité métallurgique régionale durant la première moitié du XVIe siècle et les usines se créent à Harzé, aux Pouhons, à Hamoir, à Chevron, à Louveigné… Il est intéressant de remarquer que toutes ces installations réclamant la force motrice de l’eau s’installent le long de ruisseaux dont le cours est relativement aisé à réguler sans avoir recours aux importantes infrastructures que réclamerait la maîtrise du débit d’une rivière.

L’essentiel des productions de cette industrie locale est destiné à l’exportation. Ici encore, il convient de rappeler que, durant tout l’ancien régime, l’Ourthe-Amblève se trouve bien aux confins d’états différents (duché de Luxembourg, duché de Limbourg, Principauté de Liège et Principauté de Stavelot-Malmedy). Le tonlieu qui est perçu alors au pont des Arches à Liège, il s’agit de l’impôt qui frappe tout produit entrant en ville pour y être vendu, nous apprend que le fer soumis à la taxe a été acheminé par voie d’eau au départ de Bomal, de Comblain, de Hamoir et d’Aywaille.

Les archives mentionnent l’existence d’une forge et d’un marteau à Raborive en 1532. Il est possible que leur création soit quelque peu antérieure à cette date mais sans doute de très peu car il est déjà remarquable à cette date de constater pareille infrastructure sur une rive de l’Amblève. L’existence d’un bras naturel de la rivière à cet endroit explique en partie le choix du site ; en effet, cette particularité géographique ralentit sensiblement le débit de la rivière. Néanmoins, il est impossible de ne pas faire remarquer les caractéristiques géopolitiques de l’endroit. A Raborive se rencontrent les limites des duchés de Limbourg et de Luxembourg, celles de la Principauté de Stavelot-Malmedy mais également celles de diverses seigneuries ; ainsi, l’usine métallurgique est installée à la frontière entre les seigneuries de Harzé et d’Aywaille.

Si le bassin inférieur de l’Amblève compte 14 usines en 1570, le déclin de cette industrie sera quasiment aussi brutal que son développement. De 1590 à 1663, Raborive connaît une très longue période de chômage qui laisse l’usine en ruine dès 1645. Le site connaît alors un premier pojet de réaffection puisqu’il est alors question d’y installer une papeterie mais le projet avorte et c’est à Martinrive qu’une « papinerie » s’installera mue par un impressionnant moulin à quatre roues.

En 1663, le comte de Suys, alors seigneur de Harzé, accense le coup d’eau (donne l’autorisation d’utiliser la force motrice de l’eau, moyennant redevance) de Raborive à Jean le Gohelier afin qu’il puisse y construire une forge. Ce personnage n’est pas un inconnu dans l’histoire de la métallurgie régionale puisqu’il est également le propriétaire de l’usine de Ferot. Son projet industriel associe d’ailleurs les deux sites, Ferot produira la fonte au fourneau et Raborive l’affinera.

Un demi-siècle plus tard, c’est Philippe Hauzeur qui reprend les usines et Raborive a déjà besoin d’une remise en état. Quand Ferot délaissera la production de la fonte destinée à l’affinage au profit de la fonte de moulage, l’usine de Raborive est à nouveau abandonnée. Alors qu’elle n’est plus en état de fonctionner en 1752, elle reprend du service 10 ans plus tard quand, à Ferot, la production de fonte d’affinage est relancée.p1240063

En 1765, cinq ouvriers y produisent annuellement 20 000 livres de fer en barre. L’activité d’affinage se poursuivra sur le site jusqu’en 1819, l’usine est alors la propriété de la famille Ancion de Ville depuis 1780. Une description des lieux datée de 1820 nous apprend qu’il reste sur place, à l’état de ruine, un bâtiment de pierre au toit de chaume abritant toujours deux fours « à chauffer les masses » et un martinet ainsi que les deux roues hydrauliques de 12 pieds chacune qui fournissaient l’énergie motrice de l’usine.

A cette époque, Aywaille connaît toujours un autre site de production métallurgique, les forges et fourneau de Dieupart qui résistèrent quelque temps au déplacement de l’activité métallurgique vers le bassin liégeois grâce à la spécialisation de sa production. A Dieupart, on produit alors de la fonte moulée pour répondre aux besoins de l’armée, à ceux réclamés, d’une part, par le développement de l’éclairage au gaz et, d’autre part, par la mécanisation de l’industrie textile.

Ce sont aussi les spécificités géopolitiques des lieux qui, au XVIIIe siècle, attirèrent des industriels désireux de profiter de la convergence des frontières pour tenter de se soustraire à l’impôt. C’est la raison qui explique pourquoi Aywaille fut choisie, en 1704, par un échevin verviétois pour y proposer l’établissement d’une manufacture de draps qui, selon ses dires, aurait permis à la localité de se redresser économiquement après le terrible incendie qui l’avait anéantie en 1691. Pour lui permettre de développer son projet, il reçut l’assurance que son entreprise sera exemptée de tout impôt. Cependant ce projet tourna court très rapidement car, derrière les propos généreux du promoteur, se cachait sa volonté d’introduire sur le marché, en toute illégalité et sans payer la moindre taxe, une grande quantité de draps étrangers, en provenance du duché de Limbourg. La supercherie fut rapidement identifiée car cet homme sans scrupules s’était montré beaucoup trop impatient de profiter de ses malversations.

L’entreprise qui, indubitablement, sut le plus habilement mettre à profit le foisonnement des frontières en ces lieux qui nous occupent est celle qui vit le développement d’une verrerie presque en face de l’usine métallurgique de Raborive, sur l’autre rive de l’Amblève.aye-4

Cette verrerie utilisait d’ailleurs pour sa production de bouteilles, destinées à assurer le transport des eaux de Spa et de la source de Bru à Chevron, le laitier résultant des opérations métallurgiques de l’usine voisine. Cette entreprise est née du rapprochement des deux producteurs qui, jusqu’alors se disputaient ce juteux marché en pleine expansion : la famille Grandchamps, par ailleurs seigneur de Deigné, et la famille Penay, apparentée au curé de Sprimont, Nicolas-Henri Massin – futur Prince-abbé de Stavelot-Malmedy. De 1728 à 1754, ils donnèrent, sur ce site, du travail à 125 hommes chargés de la production et à 300 femmes occupées à l’emballage en osier tressé assurant un transport sans encombres aux flacons de verre. La seule présentation des lieux vous permettra de comprendre comment l’impôt fut très habilement éludé. Les fours avaient été installés en terres limbourgeoises, les entrepôts et magasins en terres luxembourgeoises alors que les quais de chargement étaient en terres stavelotaines !

Les verriers liégeois voyaient évidemment d’un très mauvais œil cette concurrence déloyale et leurs revendications légitimes poussèrent le Prince-évêque à frapper d’un important droit d’entrée les bouteilles produites sur la rive de l’Amblève ; ce qui provoqua très vite la délocalisation de l’usine, à Chênée, en terres liégeoises.

L’abandon du travail du fer à Raborive précéda de quelques années seulement raborive-102l’avènement d’une nouvelle industrie locale : l’exploitation de la pierre. Et oui, notre pays carrier ne mérite cette appellation que depuis moins de deux siècles…

La première carrière ouverte chez nous est celle que créa le Comte de Berlaymont à Florzé, à quelques centaines de mètres à vol d’oiseau de Raborive. Cette carrière est particulière puisque le chantier d’extraction est séparé du chantier de taille par un long tunnel. A la fin du XIXe siècle, 200 ouvriers ouvriers s’activaient à la taille sur ce chantier, les pierres qu’ils façonnaient avaient été chargées sur des wagonnets qui, grâce à la pente naturelle du tunnel, voyageaient seuls. Ils étaient ensuite remontés grâce à la traction chevaline. Le système fut perfectionné par la suite par la création d’un chemin de fer privé.

L’extension de l’industrie extractive dans la zone Martinrive-Raborive-Florzé est consécutive à l’ouverture, en 1882, de la ligne de chemin de fer de l’Amblève qui permit l’ouverture de nouvelles carrières puisque le transport de leur production était désormais assuré. Les exploitations qui n’étaient pas aux abords immédiats de cette nouvelle et importante voie de communication s’en rapprochèrent par le développement d’un très dense réseau privé qui, de Florzé, desservaient plusieurs carrières avant de rejoindre la gare de Martinrive.

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Le site de Raborive vit l’implantation d’une importante scierie de marbre et de petit-granit, raccordée elle aussi par voie ferrée à la gare de Martinrive. Un atelier de polissage de marbre compléta les installations et fournissaient du travail à 30 ouvrières. Le patron, Math. Van Groenendael, par ailleurs patron de la carrière d’Ogné, était un homme très riche puisqu’on affirme qu’il fut le premier à posséder une automobile dans la région. Manifestement, tout lui était bon pour gagner de l’argent ; en effet, nous savons qu’il appartenait à cette catégorie de patrons qui, à la fin du XIXe siècle, ne payait ses ouvriers non en argent officiel mais seulement avec des billets d’un franc qu’il avait fait imprimer à son nom et qui ne s’échangeaient que dans certains magasins… L’histoire retient cette façon de procéder en parlant de paiement en monnaie de singe.scierie-rabo-2

A l’origine, les blocs de pierre brute étaient débités par un fil hélicoïdal (un câble en forme d’hélice) ; dans les scieries, ces blocs étaient ensuite coupés en tranches sous des armatures à lames d’acier (constamment arrosées d’eau et de sable) qui travaillaient 24 heures sur 24. Elles permettaient de couper une profondeur de 10 cm en 24 heures. L’introduction des lames diamantées ou au carbure de tungstène multiplia par 48 la vitesse de coupe : 20 cm/heure.      martinrive-011

Un terrible éboulement survenu le 26 mai 1954 et qui coûta la vie à 9 ouvriers  travaillant à la paroi rocheuse sonna définitivement le glas de la carrière de Florzé.

L’exploitation de la scierie de Raborive se poursuivit jusqu’il y a seulement quelques années, elle fut successivement exploitée par les sociétés « Carrières De Mont & van den Wildenberg» et  «Carrière de Vinalmont ».

Le site, entièrement nettoyé aujourd’hui, se prépare à vivre le développement d’une nouvelle activité économique destinée à devenir une nouvelle tradition locale. C’est, en effet, à Raborive qu’est annoncée la prochaine installation de la brasserie Elfique.

 

BIBLIOGRAPHIE

BOVY J., Promenades historiques dans le Pays de Liège, Liège, Collardin, 1838

COMPERE E., Toponymie d’Aywaille, Aywaille, E. Compère éditeur, 1997

HANSOTTE G., La métallurgie dans les bassins de l’Amblève et e l’Ourthe stavelotaine et limbourgeoise, 1393-1846, Malmedy, Famille et Terroir, 1968

HENNEN G., Etablissement d’une manufacture de draps à Aywaille en 1704, in Bull. de la Soc. Verv. d’Arch. et d’Hist. Tome XII, Verviers 1912

HENRY R., Hier en Ourthe-Amblève, T. 1 Réalités et Mystères, Bressoux, Dricot, 1991

HENRY R., Hier en Ourthe-Amblève, T. 2 Mythes et Destinées, Bressoux, Dricot, 1994

HENRY R., Vertiges du Passé – Nos châteaux, Bressoux, Dricot, 2013

LAMBERCY Ch., HENRY R., RELAVISSE F., Aywaille 500, Stavelot, Chauveheid, 1982

PIMPURNIAUX J., Guide du voyageur en Ardenne, Bruxelles, A. Decq, 1852

RAHIR E., Promenades dans les vallées de l’Amblève et de l’Ourthe, Bruxelles, J. Lebègue, 1899

THIRY L., Histoire de l’ancienne seigneurie et commune d’Aywaille, Liège, L. Gothier, 1937-1941

 

REMERCIEMENTS

À François Vitoux pour les nombreuses illustrations fournies

LES ATTELAGES DE NOS CAMPAGNES

La Petite Gazette du 27 décembre 2007

POUR LES SPECIALISTES DU WALLON OU CEUX DE L’ATTELAGE

Madame Stéphanie Demazy, de Waillet, est enchantée de découvrir, semaine après semaine, l’étendue de vos connaissances ; elle a donc décidé de faire appel à votre sagacité.

« Je me suis mise à écrire un texte qui fait appel à des termes du patois, dont j’indique la traduction française entre parenthèses. Je bute actuellement contre le mot « gaillo » que personne n’arrive à traduire en français dans mon entourage. Il s’agit d’une petite charrette basse et triangulaire, à trois roues, celle de devant étant plus petite, à courtes ridelles, à laquelle s’attelait un cheval. Les hommes, je crois, s’en servait pour transporter leurs outils aux champs et en ramener, par exemple, les sacs de pommes de terre. J’espère m’être bien expliquée, j’espère être comprise de l’un ou l’autre lecteur à qui, d’avance, je dis merci. »

A vous de jouer et d’étonner encore cette lectrice.

 

La Petite Gazette du 9 janvier 2008

POUR LES SPECIALISTES DU WALLON OU CEUX DE L’ATTELAGE

Madame Stéphanie Demazy, de Waillet, avait  décidé de faire appel à votre sagacité pour obtenir la traduction française d’un terme wallon « gaillo » que personne n’arrive à traduire en français dans son entourage.

Monsieur René Gabriel, de Roanne Coo,  s’est penché dans ses vieux dictionnaires et nous livre le fruit de ses recherches : « Je ne trouve aucune mention de ce mot dans le dictionnaire de Jean Haust, par contre le dictionnaire de L  Remacle édité en 1823 reprend :

Galio : s.m. Efourceau, machine composée d’un essieu, deux roues et un timon pour transporter des fardeaux très pesants.

Le dictionnaire de la langue française par E. Littré, tome II, année 1876 donne la définition suivante :

Efourceau : s.m. Nom d’une voiture à deux roues qui sert à conduire de pesants fardeaux, tels que les troncs d’arbres, de grosses poutres, etc.

Etym. : ce mot paraît formé du latin « furca » fourche : chariot à fourche. »

Un immense merci pour cette recherche précise. D’autres développements très prochainement.

La Petite Gazette du 16 janvier 2008

POUR LES SPECIALISTES DU WALLON OU CEUX DE L’ATTELAG

Madame Stéphanie Demazy, de Waillet, avait  décidé de faire appel à votre sagacité pour obtenir la traduction française d’un terme wallon « gaillo » que personne n’arrive à traduire en français dans son entourage. La semaine dernière, je vous livrais l’analyse faite par M. Gabriel, de Roanne-Coo ; d’autres me sont parvenues et elles sont également intéressantes :

Mme Marcel David-Lacasse, de Manhay, s’est plongée dans les dictionnaires et voici ce qu’elle a trouvé :

« Dans le dictionnaire de Hesbaye d’Eugène Dethier, édition 1994, je lis :

Galiot : sorte de banneau (petit chariot aux roues antérieures amovibles pouvant être remplacées, en hiver, par un traîneau)

Gaillotte : grosse brouette utilisée en Champagne. »

Mme Godinas-Borsu,de Lorcé, m’écrit pour signaler que, selon elle, « ce mot wallon est mal orthographié, il s’agit plutôt d’un ‘galiot’. Le dictionnaire de Jean Haust en donne la définition suivante : ‘terme rural, petit chariot bas sur roues, pour les travaux des champs’ Il s’agit donc, tout simplement, d’un chariot. D’après ce dictionnaire, ‘galiot’ signifie aussi haquet de brasseur et, en terme de houillère, un petit wagonnet employé dans les voies intermédiaires. Dans notre région, poursuit ma correspondante, je n’ai jamais entendu ce terme de ‘galiot’. Chez nous, on dirait tout simplement ‘on tchårê’. Le dictionnaire de Jean Haust est très explicite, je doute fort que Mme Demazy trouve d’autres formules. »

Monsieur Jean Grosdent, de Hotton, puise aux mêmes sources : « petit chariot pour les travaux des champs ou haquet (camion) de brasseur ». Il ajoute que « ce mot est dérivé de l’ancien français ‘galie’ qui était une galère. »

Merci à ces dames et à ce monsieur pour les recherches menées.

 La Petite Gazette du 23 janvier 2008

GALLIO… GALIOT… GARIOT

Comme beaucoup d’autres, M. Louis Daems, d’Ougrée, s’est passionné par cette question linguistique.« Cette lectrice désire connaître la signification du mot « gaillo ». En wallon liégeois (Jean Haust), il s’agit du mot « galiot » et « gariot » dans la région de Durbuy. Il s’agit d’un terme rural qui désigne un petit chariot bas, souvent à trois roues, pour les travaux des champs (J. Haust). La Petite Gazette du 1er avril 2005 a publié une illustration de ce type de véhicule, communiquée par M. Dethier, de Méan. » (N.D.L.R. La voici) bel-attelage

M. J. Polet, de Sprimont,  a cherché lui aussi et, outre ce qu’en dit Jean Haust il nous apprend que « Dans les années 1935, lors de la première invasion de notre région par des cultivateurs du plat pays, j’ai vu un «galiot » au travail. A la description faire par Mme Demazy, j’ajouterai que la petite roue située à l’avant pivotait sous le chariot, actionnée par un court timon auquel le cheval était attaché par un palonnier simple (« on cope »dans notre wallon de Sprimont, pour découvrir d’autres noms de ce palonnier simple, voir J. Haust p. 163 : coplê, copê, coplî, couplî). Le chariot que j’ai vu ne possédait pas de « mécanike », système de freins à patins de bois dur, ou une manivelle à vis sans fin, rabattait simultanément sur les roues arrières.Dans un pays accidenté comme le nôtre, cet engin n’était pas commode à utiliser. Avant d’entamer une descente, le charron devait stopper son cheval et bloquer ses roues arrières au moyen d’une perche passée entre les rayons ; le cheval tirant dans la descente.L’éfourceau dont parle M. R. Gabriel dans l’édition du 9 janvier dernier est un « trikebale » (voir J. Haust, page 676).Pour M. Georges, de Bomal, « le gallio » est une petite charrette à trois roues, avec ridelles sur les côtés, une petite roue devant (semblable à une roue de brouette) et un crochet d’attelage pour transporter des charges légères (les semences, les pommes…)

Pour M. Jacob, d’Ambly, il s’agit tout simplement d’un tombereau.

Monsieur Guy Miny, d’Aywaille, renvoie à l’excellent dictionnaire de M. Simon Stasse, d’Aywaille lui aussi. Voici ce qu’on peut y lire:

GALIOT : 1. Haquet, charrette étroite pour le transport des tonneaux ; syn. Tchèrète di brèsseû  (ou al bîre). 2. Efourceau, fardier, petit chariot bas sur roues pour le transport de lourdes charges. 3. wagonnet employé dans les voies intermédiaires.

M. Jean Dolne, de Sendrone, s’est également fendu d’une intéressante recherche :

« J’ai vu les premiers éléments de réponse parus ce 9 janvier.

Le « Dictionnaire pratique du wallon liégeois » de Jules Lempereur et Jacques Morayns, reprend le galiot avec comme seule précision « haquet, camion ». Mais ce n’est ni un haquet (véhicule à deux roues pour transporter des charges lourdes, des tonneaux), ni un camion (véhicule bas à deux ou quatre roues).

En faisant la même confusion, le dictionnaire Remacle a envoyé M. Gabriel sur une fausse piste. La définition de l’éfourceau montre bien que ce n’est pas ce que nous cherchons. Le « gaillo » décrit par Mme Demazy a trois roues, l’éfourceau en a deux. Il y en a plusieurs définitions de l’éfourceau sur Google, je vous donne celle de l’Académie.

ÉFOURCEAU : n. m. XVIIIe siècle. Issu de la forme masculine de l’ancien français forcelle, « clavicule », qui remonte au latin furcilla, « petite fourche ».

Chariot composé de deux roues, d’un essieu et d’un timon, utilisé pour le transport des grumes, des poutres, etc.

Une recherche plus poussée sur l’éfourceau m’a permis de trouver une illustration dans un ouvrage qui apparaît sur Internet, Elfinspell: Late 19th Century Modes of Transportation In France Taken from The Dictionary of P. Larousse

trinqueballeC’est donc bien une espèce de triqueballe, dont les roues sont reliées par un essieu droit, celles du triqueballe sont fixées sur une sorte d’arceau qui augmente la distance sol-support,

 

 

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J’ai trouvé – en cherchant dans la traction chevaline – le « beignot » utilisé en France, dans le Nord: ce serait bien un engin semblable à ce que nous cherchons … mais cela ne résout pas la question, car je n’en trouve que deux occurrences en cherchant avec Google. (Le diable et le beignot sont visibles sur http://metiers.free.fr/ac/c003_d.html). Qui trouvera ? … si c’est trouvable? »

Un tout grand merci pour cette belle recherche.

La Petite Gazette du 6 février 2008

GALLIO… GALIOT… GARIOT

Monsieur Roger Dorval, d’Emptinne, a rassemblé ses souvenirs :« Natif d’un petit village agricole à l’époque…, j’ai souvent entendu ce terme de « gaillo » qui désignait un petit chariot à deux ou quatre roues (le plus souvent), utilisé pour le transport de quantité ou volume peu important : des strains (paille), des canadas (pommes de terre), des pils (pulpe de betterave et ses feuilles)… attelé d’une seule bête. Le transport de matériaux plus lourds se faisait aussi à l’aide d’on bègnon (tombereau) qui, lui, avait deux roues et pouvait souvent basculer pour aider au déchargement del terroul (charbon), des sauvion (sable), encine (fumier)…Au contraire, le grand chariot était on tchôr pour le transport des grandes masses : moissons, pétrâles (betteraves)… beaucoup plus lourdes et attelé, souvent, de plusieurs bêtes. Il était fabriqué par on tcherron (charron) et entretenu par le tchorli qui était aussi le menuisier du village (châssis, cercueil, escaliers…) »Un immense merci pour cette précieuse collaboration. Merci également pour les recherches faites par Mme Jacqueline Wilmet-Mottet, de Marchin, et M Léon Franchimont, d’Esneux.Monsieur Jean De Tender revient sur ce sujet qui, décidément, aura passionné tous les amateurs de vocabulaire, tant wallon que français. Mon correspondant vous propose de découvrir ce petit passage de l’œuvre de Victor Hugo qu’il extrait de   Les misérables, livre IV chapitre premier : « Rien n’est plus ordinaire qu’un tombereau ou une charrette à la porte d’une auberge. Cependant le véhicule ou, pour mieux dire, le fragment de véhicule qui encombrait la rue devant la gargote du Sergent de Waterloo, un soir du printemps de 1818, eût certainement attiré par sa masse l’attention d’un peintre qui eût passé là.C’était l’avant-train d’un de ces fardiers, usités dans les pays de forêts, et qui servent à charrier des madriers et des troncs d’arbres. Cet avant-train se composait d’un massif essieu de fer à pivot où s’emboîtait un lourd timon, et que supportaient deux roues démesurées. Tout cet ensemble était trapu, écrasant et difforme. On eût dit l’affût d’un canon géant. Les ornières avaient donné aux roues, aux jantes, aux moyeux, à l’essieu et au timon, une couche de vase, hideux badigeonnage jaunâtre assez semblable à celui dont on orne volontiers les cathédrales. Le bois disparaissait sous la boue et le fer sous la rouille. Sous l’essieu pendait en draperie une grosse chaîne digne de Goliath forçat. Cette chaîne faisait songer, non aux poutres qu’elle avait fonction de transporter, mais aux mastodontes et aux mammons qu’elle eût pu atteler ; elle avait un air de bagne, mais de bagne cyclopéen et surhumain, et elle semblait détachée de quelque monstre. Homère y eût lié Polyphème et Shakespeare Caliban
(…)
Le centre de la chaîne pendait sous l’essieu assez près de terre, et sur la courbure, comme sur la corde d’une balançoire, étaient assises et groupées, ce soir-là, dans un entrelacement exquis, deux petites filles, l’une d’environ deux ans et demi, l’autre de dix-huit mois, la plus petite dans les bras de la plus grande. Un mouchoir savamment noué les empêchait de tomber. Une mère avait vu cette effroyable chaîne, et avait dit : « Tiens ! voilà un joujou pour mes enfants.»
Et Monsieur de Tender de commenter cet extrait :« A mon avis, ce qu’a vu Victor devant l’auberge de Thénardier est bien un éfourceau. Pour que deux fillettes, même si l’aînée n’a que deux ans et demi, puissent se balancer en dessous de l’essieu, il faut bien que celui-ci soit cintré vers le haut, même si les roues sont démesurées aux yeux du grand homme. Celui-ci semblait donc connaître la bonne mesure qu’auraient du avoir ces roues, mais  ignorant le nom à donner à cette apparition, il a recours à la bible et à la mythologie pour enrichir sa description. Que n’avait-il la « Petite Gazette » à sa disposition ! Osons croire que, dans un âge plus avancé il aura pris connaissance du dictionnaire de l’académie. »

Mme Stéphanie Demazy, de Waillet, qui est à l’origine de cet engouement pour cette petite charrette tient à remercier tout qui lui a apporté des informations et elle profite de l’occasion pour me livrer celles-ci :« Ma nièce, Jeanine Saint-Viteux, a découvert, dans une vieille encyclopédie, le terme « gaillote » qui en Champagne, serait « une brouette pour charger le raisin. » Mon fils, Patrice, sur un site wallon, a découvert pas mal de synonymes à ce gaillot :galiot, galiyot, garlot, gariot, siglisse, tchèrèt di brèsseu qui serait on piti tchèrèt avou dè ptitè rowes. Mon frère, Jean-Marie¸ décidément la famille s’investit, se réjouit ma correspondante, m’adresse la reproduction d’une photographie, que je vous propose de découvrir ci-dessous, que sa femme a découverte dans ses archives et sur laquelle figure cette petite charrette (à laquelle, faute de mémoire, je ne voyais que trois roues). L’âge du garçonnet nous indique que cette photo daterait des années 1942 ou 1943. »

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La semaine prochaine nous partirons à la découverte d’autres souvenirs et d’une autre photographie de cette petite charrette.

La Petite Gazette du 13 février 2008

ENCORE LE GALLIO …

Extraordinaire l’engouement suscité par ce mot…

Monsieur M. Godfrind, de Xhoris, nous donne à connaître cette photographie que lui a prêtée M. Jules Bastin, de Sougné-Remouchamps.

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« Cette photo correspond bien à la description que donnait M. Georges, de Bomal : « le gallio est une petite charrette à trois roues, avec ridelles sur les côtés, une petite roue devant (semblable à une roue de brouette) et un crochet d’attelage pour transporter des charges légères (les semences, les pommes…). Cette petite charrette est aussi appelée « clitchet » »

Merci pour ces précisions et merci également à Mme Marie-Thérèse Damoiseau pour sa communication.

La Petite Gazette du 20 février 2008

ENCORE A PROPOS DU GALIOT

Quand vous vous passionnez pour une recherche, c’est vraiment tout bénéfice pour tous les lecteurs…

Voici la très intéressante contribution de Mme Madeleine Jamotton-Collin, de Somme-Leuze que je remercie très chaleureusement pour la clarté de ses explications.

« Cette semaine (N.D.L.R. Voir l’édition du 23 janvier dernier) la photo parue est celle d’un gros tombereau ou bègnon. Il avait de grandes roues à l’arrière et une petite roue devant sous un petit timon triangulaire sur lequel on pouvait s’asseoir et auquel on attelait les  chevaux. Dans les petites fermes où il n’y avait qu’un cheval, la roue avant était remplacée par des brancards (crustale en wallon), dans lesquels on faisait reculer le cheval pour l’atteler.

Ces gros tombereaux servaient à conduire le fumier dans les champs, ramener les betteraves ou les pommes de terre. Ils étaient pourvus de freins à patins que l’on actionnait avec une mécanike placée à portée de main à l’avant du véhicule.

On pouvait également relever le devant de la caisse et la faire basculer, ce qui permettait de la vider plus facilement soit progressivement pour tirer le fumier, la caisse étant alors attachée à l’avant avec une chaîne et allongée au fur et à mesure ; soit d’un coup pour verser les betteraves ou les pommes de terre. On disait alors : taper li bègnon à cou.

Voici la photographie d’un galiot, beaucoup plus bas et plus léger et qui servait à conduire des charges plus légères : sacs de semences, piquets de clôture etc. Ils étaient beaucoup plus maniables qu’un les gros tombereaux et avaient aussi une petite roue pivotante à l’avant.

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Cette photo a été prise en 1938 et, dans le galiot, il y a ma grand-mère, mon père, ma mère, ma petite sœur, un cousin et moi. A l’avant, on distingue bien la manivelle qui servait à freiner, la mécanike. »

Après avoir fait des recherches dans les dictionnaires, ma correspondante se demande s’il n’y a pas un lien sémantique entre « galiot » et « galiote » petite galère à voiles rondes dont se servaient les Hollandais pour pêcher. Appelée aussi « caboteur », petit navire côtier employé pour de petites distances entre deux ports d’une même mer par exemple. Mme Jamotton a relevé la similitude d’emploi : « un petit véhicule pour transporter de petites charges, à faible distance » Qu’en pensez-vous ?

Monsieur Damoiseau, de Jambes, m’adresse un courrier plein d’humour, jugez plutôt : « en Namurois qui se respectent, nous arrivons sûrement les derniers… Qu’à cela ne tienne ! Les lumçons, les caracoles ni vont nin vite ! Do momin qu’i z’arrivaient ! »

Il revient ensuite sur le lien déjà fait entre galiot et éfourceau en précisant que ce petit chariot à trois roues utilisé pour les travaux des champs tire son nom du latin furcilla, petite fourche.

Force est de s’interroger sur l’éventualité d’interprétations différentes données à ce chariot d’une région à l’autre…

 

 

Les scieurs de long

La Petite Gazette du 3 août 2011

 

Ce métier m’a toujours fasciné… un de mes aïeuls l’a exercé. Je me souviens encore des explications que mon grand-père m’en donnait et d’une anecdote qui, entendue durant mon adolescence, m’avait réellement abasourdi.

Cet aïeul travaillait au fin fond des bois, suivant les bûcherons. Il partait parfois, à la bonne saison, pour plusieurs semaines et se nourrissait de ce que lui offrait la nature : baies et fruits sauvages, champignons… mais aussi petit gibier piégé dont des écureuils et des hérissons ! Un jour, durant une période caniculaire, les scieurs de long s’étaient débarrassés de leurs vêtements et travaillaient le torse nu. Des gendarmes à cheval vinrent à passer et ces représentants de la loi obligèrent les ouvriers à se revêtir car ils les avaient trouvés indécents, là-bas, seuls au fond des bois…

Monsieur V. Clavier me donne l’occasion de vous présenter ce splendide document, évocateur d’un métier aujourd’hui disparu de nos contrées : scieur de long.

 

scieurs de long

 

« Il s’agit d’une photographie des deux scieurs de long de la famille Wenin, de Septon, me précise mon correspondant. Narcisse était né en 1858 et Henri en 1860. Cette famille comptait également trois autres fils Léon, né en 1863, Hippolyte, né en 1867 et qui deviendra maçon, et enfin Eugène, né en 1870 et qui sera agent S.N.C.B. »

Ce magnifique document, mieux que n’importe laquelle des descriptions, nous renseigne sur ce difficile métier de jadis. Les scieurs de long suivaient les bûcherons dans les bois pour y débiter sur place les grumes en madriers et autres planches. Ils restaient parfois plusieurs semaines dans la forêt se nourrissant de ce qu’ils y trouvaient. Mon arrière-arrière grand-père était également scieur de long à la même époque que les frères Wenin. C’était un Antoine, Joseph pense se souvenir mon papa, qui ne l’a pas connu, il était originaire de Terwagne.

Un immense merci à Monsieur Clavier pour ce superbe document.

 

La Petite Gazette du 16 novembre 2011

DANS LE PAYS DE LIEGE, LES SCIEURS DE LONG AVAIENT LEUR CORPORATION

Monsieur Charles Cornet, de Stoumont, évoque l’organisation des corporations dans la Principauté de Liège.

« La photo de M. Clavier, parue en août dernier m’a rappelé bien des souvenirs personnels. Intéressé par l’histoire régionale, instituteur retraité, j’ai pu, grâce à de nombreux documents, découvrir en 1980, année du millénaire de la Principauté de Liège, quelques aspects des 32 Bons Métiers (les corporations) de la cité de Liège. C’est à ce titre que cette photo m’a intéressé.

Les scieurs de long ou soyeurs de long (numéro 17 ou 18 dans la série des 32) avaient comme blason une scie d’or sur fond de gueules (rouge).

scieurs de long blason

Voici le blason du bon métier des scieurs de long tel qu’il est visible sur la façade du palais provincial à Liège

Ils vénéraient la Vierge marie dans l’église des frères mineurs. Leur maison se trouvait au début de Feronstrée, à l’enseigne de la Couronne d’Or.

La photo publiée est suffisamment précise pour comprendre comment ils procédaient.

Un règlement de 1546 interdisait aux compagnons, les membres d’une même corporation, de s’unir en vue de refuser de travailler pour les mairniers (les marchands de bois, n°19, du wallon mairin bois de construction en général) ou toute autre personne en dessous d’un prix convenu. En contrepartie, les mêmes statuts protégeaient l’ouvrier contre le chômage. Ce règlement imposait, entre autres, aux maîtres soyeurs de congédier leurs hommes seulement le vendredi avant midi et l’ouvrier ne pouvait quitter son patron qu’une semaine avant ou après un djama, mot wallon signifiant deux jours fériés consécutifs, (N.D.L.R. il y en avait quatre par an : Noël, Pâques, Pentecôte et Assomption) car en ce moment sa présence à l’atelier est plus que jamais indispensable.

Des conflits ont éclaté entre soyeurs et vendeurs de bois de construction ; ils étaient, dans la mesure du possible, réglés par deux arbitres désignés par chacun des deux  Métiers.

Il est quasiment imposables de parler des soyeurs sans parler des mairniers. Eux seuls pouvaient vendre « denrées de bois, soit rond, soit carré, soit fendu. Comme ce matériau était employé en grandes quantités pour la construction des bâtiments, charpentes, poutres, planchers… ce Métier a une grande influence économique. Liège était un grand centre du commerce du bois venant de l’Ardenne par l’Ourthe navigable. On trouve encore des traces d’écluses, à Hamoir notamment. Les bateaux, à cause de leur proue relevée, étaient appelés des bètchètes.

Les achats de bois ne pouvaient se faire qu’à partir du moment où les troncs étaient arrivés aux rivages de l’Ourthe (Longdoz) ou de la Meuse (Sclessin). Les chantiers des mairniers étaient groupés au quai Sur Meuse.

En 1481, un procès opposa les mairniers et les naiveurs (18) qui, gênés par des tas de madriers, ne pouvaient plus faire haler leurs bateaux (depuis les quais de halage). Le jugement imposa aux mairniers de laisser une berge libre sur une largeur d’environ 5 mètres. De kleur côté, les soyeurs, seuls autorisés à scier des planches, entrèrent plusieurs fois en conflit avec les mairniers en vue d’obtenir de meilleurs salaires.

Les 32 Bons Métiers de liège sont présentés par ordre de préséance depuis le XIVe siècle. Le n°1 est celui des fèbvres (artisans travaillant les métaux sauf l’or et l’argent travaillés, eux, par les orfèvres, n°32). L’ordre des soyeurs et des naiveurs est parfois interverti selon les sources consultées.

Voilà quelques souvenirs d’un cours d’histoire qui m’a fait découvrir Liège et qui a passionné mes élèves et … leurs parents. »

Mon aimable correspondant précise qu’il a puisé ses informations dans un travail réalisé par des étudiants de l’Ecole normale Jonfosse, dans l’ouvrage de Daniel Bovy, Les XXXII Bons Vieux Métiers de Liège et dans « Richesses du Millénaire de l’enseignement communal liégeois »

 La Petite Gazette du 22 janvier 2014

MAGNIFIQUE CHANSON SUR LES SCIEURS DE LONG

Merci à Mme Mariette Liégeois, de Vaux-sous-Chèvremont, de nous transmettre cette chanson évoquant ce métier disparu.

Les sieurs de long

Y’a rien d’aussi habile.

Refrain

Congré, lon la, barbagnat,

Berdingué, réponds : crrré.

Couplet

Y’ a rien d’aussi habile

Que nos scieurs de long.

  1. Quand ils sont sur leurs pièces

En sciant du chevron.

  1. Le maître vient les voir

Courage, mes garçons.

  1. Quand l’ouvrag’ sera faite

Bouteille nous boirons.

  1. Nous irons voir nos femmes

Tous ceux qui en auront.

  1. Y’ a plus l’petit Pierre

Mais nous le marierons.

  1. A la petit’ Jeannette

La fille du patron.

  1. La fill’ n’est pas bien belle

Mais les oignons sont bons.


Les informations fournies par mon aimable correspondante précisent qu’il s’agit d’une ronde.

Amon l’cwèpi

La Petite Gazette du 22 mars 2000

Monsieur P.B., de Tohogne, m’a envoyé un très beau texte, très précis et très documenté, né, m’écrit-il, d’un doux moment de rêverie consécutif à la lecture de La Petite Gazette.

« A l’époque, celle des années de guerre et les suivantes immédiates, j’étais âgé d’une dizaine d’années ; mes parents et moi-même habitions un appartement au troisième étage près de la place du Martyr, à Verviers. Mon père travaillait dans une des dernières usines wallonnes de fabrication de chaussures. C’était donc un « cwèpi ».

Dans notre mansarde, il avait installé un petit atelier de cordonnerie. Le petit garçon que j’étais n’avait que peu de sujets d’amusement, mis à part la radio, la lecture et les montages et démontages de son méccano. Je rejoignais donc souvent mon père dans sa mansarde pour le regarder travailler et, parfois, travailler à quelques menus travaux.

Je pense que me souvenirs raviveront ceux d’autres lecteurs ayant fréquenté un cordonnier et instruiront d’autres sur les facettes de ce métier ô combien intéressant durant ces années de disette. Lorsqu’on entrait dans cet endroit, la première impression qui venait à l’esprit était celle de se trouver sur le lieu de travail d’un nain. En effet, tout était quasi à ras de terre et conçu pour travailler assis. Dans ce local, aucun engin électrique si ce n’est une ampoule qui pendait du plafond et diffusait sa lumière crue dans les moindres recoins.

Dans ce décor, mon père. Pour lui, comme pour ses collègues que j’ai rencontrés, la tenue de travail se résumait à peu de chose : une chemise à  carreaux, un pantalon de grosse toile, éventuellement le vieux pull et, pour tous, le tablier de cuir en forme de jupe. Certains avaient un tablier semblable à celui des forgerons avec une bavette, mais naturellement en cuir beaucoup plus mince puisque non soumis aux mêmes contraintes. »

Pendant quelques semaines, grâce aux souvenirs précis de ce lecteur de Tohogne, nous retrouverons donc les gestes du « cwèpi », ses outils et son art. Comme mon correspondant le souhaite, et, croyez-moi bien, il n’est pas le seul, si vous possédez dans vos collections la photographie d’un ancien atelier de cordonnerie, n’hésitez surtout pas à nous la transmettre afin que nous puissions la publier pour illustrer ces lignes. En effet, Monsieur M.B. à qui je réclamais semblable document m’a répondu : « Je ne possède aucune photo de cette époque, car il n’y a aucune honte à vous avouer que mes parents étaient de condition très modeste et ne possédaient pas d’appareil photographique. Les seules photos que nous possédions à cette époque étaient celles prises par des photographes de rues qui figeaient sur pellicule les passants qui déambulaient par beau temps. Ils recevaient alors un petit ticket leur permettant d’aller voir les clichés dans un local donné et où il était alors possible d’en faire l’acquisition moyennant finances. »

 

La Petite Gazette du 29 mars 2000

AMON L’CWEPI

Comme promis, je propose de vous plonger dans l’ambiance toute particulière de l’atelier de cordonnerie du papa de Monsieur P.B., de Tohogne.

« Résumons donc : une chaise, une table, un pied de fer et une étagère.

La table basse, probablement une vieille table de cuisine dont les pieds avaient été sciés pour se trouver à bonne hauteur du travail assis. Elle était encombrée et surchargée, dans un joyeux désordre, de boîtes à conserve remplie de pointes ou semences de 8, 10, 12, 15, … qui servaient à la fixation des semelles, des talons et encore des fers que mon père plaçait à la pointe ou au talon des chaussures pour les renforcer et prolonger ainsi leur existence.

Sur cette table également, une multitude de tranchets ainsi que la pierre à eau pour les affûter et en reconstituer le fil tranchant. Ces instruments, faits d’une simple lame d’acier, coupaient comme des rasoirs et il m’était interdit de les manipuler. Sur certains, mon père avait enroulé de la ficelle ce qui leur faisait une sorte de poignée utile lorsque leur usage demandait de les utiliser avec force.

Se trouvaient aussi sur la table des boules de poix, ainsi qu’un pot de colle durcie avec un pinceau dont le manche pointait vers le ciel, comme un doigt vengeur fâché d’avoir été abandonné ! Il suffisait toutefois de réchauffer le pot au bain-marie pour que colle et pinceau retrouvent toute leur souplesse. Et encore, des morceaux de cuir, de caoutchouc, des tenailles, des pinces, des marteaux tout cela formant un véritable attirail sur cette petite table.

La chaise était également trafiquée et j’ai pu en voir de semblables chez d’autres cordonniers qui, tous, appelaient ce siège un « ham ». Il s’agissait donc d’une vieille chaise dont le dossier avait été scié ainsi que les pieds pour en diminuer la hauteur. Le fond avait également disparu et était remplacé par un entrelacs de lanières en cuir clouées sur tout le pourtour du cadre. Cette fabrication maison avait certainement l’avantage d’offrir plus de confort à ces hommes assis durant huit ou neuf heures d’affilée. A nouveau, les pieds avaient été sciés et, avec le recul et ma compréhension d’adulte, j’en suis venu à la conclusion que tout cela était dû à la taille du pied de fer qui était d’environ septante centimètres de haut. »

Même si la description réalisée par Monsieur P.B. a la précision d’un cliché, permettez-moi d’insister auprès de vous pour tenter d’obtenir une photographie d’un ancien atelier de cordonnerie ; je suis intimement persuadé que cela ferait un plaisir immense à mon correspondant. Si vous possédez ce document, confiez-le-moi sans crainte. D’avance, un grand merci.

La Petite Gazette du 5 avril 2000

AMON L’CWEPI

Comme les deux dernières semaines, j’ai l’immense plaisir de vous convier à pénétrer dans l’atelier de cordonnerie du papa de Monsieur P.B., de Tohogne, et de, pour quelque temps, vous permettre de vous imprégner de l’ambiance feutrée qui y régnait et des odeurs de cuir et de colle qui y flottaient. Retrouvons-nous autour du pied de fer.

« Ce lourd engin de fonte comportait à sa base une grande et épaisse flasque d’où partait à la verticale un montant massif qui se terminait par un bloc parfaitement rond servant, lui, à la fixation, par collage ou clouage, des talons de toutes les mesures.

A gauche et à droite du montant vertical, partaient des bras qui formaient deux jolies arabesques ressemblant assez bien aux bras des danseuses asiatiques dans leur danse lascive et dont les mains auraient été remplacées par des blocs massifs ayant la forme d’une semelle de chaussure : d’un côté pour chaussure « homme » et de l’autre pour chaussure « dame ». Ayant la même utilité que le montant vertical dans la fixation des semelles de cuir ou caoutchouc par collage ou clouage. Donc, j’en conclus que ce pied de fer, étant soumis à des efforts certains et à des martelages énergiques, ne pouvait pas dépasser une certaine taille sous peine de basculer. Ainsi, tout le mobilier alentour était fait pour correspondre à cette taille et li cwèpi devait travailler, assis, avec tout à portée de main.

L’étagère, elle, était couverte d’anciennes boîtes à chaussures pleines de morceaux de peau, de cuir, de caoutchouc et d’autres matériaux nécessaires à cette activité.

Il serait fastidieux de reprendre tous les faits et gestes du cordonnier, mais il est utile de dire, qu’à cette époque, il façonnait les chaussures de A à Z ; depuis la prise des mesures jusqu’à la livraison dans un morceau de papier brun.

Le rendez-vous était pris avec le client, celui-ci enlevait la chaussure de son pied le plus fort et, en chaussettes, posait son pied bien à plat sur un papier épais. Mon père en dessinait le pourtour au crayon tout en veillant à observer toute difformité quelconque pour l’inclure plus tard dans son travail. A partir de ce patron, la fabrication démarrait par la découpe  des tiges, des empeignes, des lisses, des talons et autres composants dont j’ai oublié le nom. »

La semaine prochaine, nous retrouverons notre cordonnier assemblant toutes les parties de la chaussure neuve.

 

La Petite Gazette du 12 avril 2000

AMON L’CWEPI

Monsieur P.B., de Tohogne, nous a invités dans l’atelier de cordonnerie de son papa et, la semaine passée, nous avons assisté à la prise des mesures et à la découpe des pièces de cuir nécessaires à la fabrication d’une nouvelle paire de chaussures. Aujourd’hui, nous le suivrons dans son assemblage :

« Une des particularités était que tout était cousu à la main et que la couture des semelles m’apparaissait comme singulièrement intéressante. Avant tout, mon père préparait des fils, longs de plus ou moins 1,50 mètre, qui, pour résister aux intempéries et marches dans la pluie, étaient longuement enrobés de poix. Je ne puis dire d’où elle provenait mais je sais, par mes lectures, qu’elle était souvent utilisée dans la marine pour assurer l’étanchéité des navires construits en bois.

Tenant une boule de poix dans la main gauche protégée par un morceau de cuir, de la main droite, il pressait, sur la boule, le fil à coudre (genre ficelle mince en coton) au moyen du pouce et tirait ainsi à maintes reprises jusqu’à ce que le fil soit bien imprégné. C’était une opération de force qui se terminait par le placement de l’aiguille. Cette dernière n’avait rien de métallique, mais était constituée par certains poils de sanglier ou de porc que l’on nomme soie. Au bout de son fil à coudre, il séparait les brins de coton, y introduisait la soie, puis refermait les brins pour former une épissure qu’il enduisait également de poix. Le fil prêt était lisse comme du nylon et d’une résistance incroyable.

La couture pouvait dès lors commencer et se pratiquait à deux fils. Au moyen d’une alène, il faisait des trous dans les différentes épaisseurs de cuir, tige, empeigne, lisse et semelle. Dans ces trous, il passait les soies de porc ou de sanglier, puis, de chaque main, tirait les fils pour former des nœuds de couture d’une grande solidité. Il va sans dire que chaque main voyait sa paume protégée par des morceaux de cuir, car tout glissement intempestif du fil lui aurait provoqué de graves coupures tant la traction sur le fil était forte pour serrer les nœuds.

J’ai pu observer tous ces travaux durant des années et, parfois, je pouvais participer lorsque les chaussures étaient presque terminées. Mon travail consistait alors à enduire les lisses et les bords de semelles avec de la cire noire ou brune, selon la teinte de la peausserie. Au moyen d’une bougie, je chauffais donc un bloc de cire pour le ramollir et je le passais sur le cuir pour lui donner la teinte souhaitée. La cire se déposait assez grossièrement vu son refroidissement rapide au contact du cuir. A ce moment, il y avait des fers à lisser de différents profils et qui servaient à lisser et à faire briller la cire. Je chauffais ce fer au moyen de la bougie et passais plusieurs fois sur le cuir pour égaliser et faire briller les bords de semelles.

J’ai pu ainsi, lors de ma jeunesse, assister à cette fabrication artisanale et il y aurait encore beaucoup à relater sur ce métier de cordonnier. Vous serez peut-être étonnés, mais il me plaît de souligner qu’une paire de chaussures, ainsi faites main, avait une durée de vie d’une dizaine d’années ! Cela laisse rêveur à notre époque… »

Encore une fois, je tiens à remercier chaleureusement mon correspondant pour la qualité de son évocation qui, vous me l’avez dit et écrit, vous a réellement permis d’entrer et de visiter ce vieil atelier de cordonnerie. Vous avez été sensibles à ce récit et vous l’avez aimé.

La Petite Gazette du 19 avril 2000

AMON L’CWEPI

Comme promis, voici une autre évocation du métier de cordonnier rédigée cette fois par Monsieur René Carlier, de Neuville-en-Condroz.

« Mon oncle, Auguste Humps, frère aîné de ma mère, exerçait le métier de cwèpi à Ivoz-Ramet, route de France. Je vous envoie une photo le montrant au travail, cela se passe entre 1935 et 1940 (pas après car Léopold Counard, debout sur le cliché, a été tué au début de la guerre 40). Les autres personnes sont, de gauche à droite : Edmond Carlier, mon père ; à côté de lui, Marcel Counard, frère de Léopold, Henri Himisdael (tous des voisins) et, enfin, à droite, mon oncle Auguste. Ils sont installés dans la cour de la maison de mes grands-parents maternels M. et Mme René Humps-Firket qui, alors, tenaient un café.

coordonnier

Sur cette photo, vous voyez la table de travail très basse ; le pied de cordonnier ainsi qu’un de ses marteaux. Je les possède toujours de même que le petit bol à colle. Cette colle (qu’on appelle empois, je pense) était préparée par ma grand-mère, avec de la farine et de l’amidon. La chaise de mon oncle était basse aussi, elle n’avait pas de dossier et le fond était en cuir. Sa tenue de travail se caractérisait surtout par son grand tablier de toile bleue. Du plafond, dans son atelier, pendait une ampoule électrique qu’il montait ou descendait selon la lumière désirée.

Mon grand-père paternel, Alfred Carlier, était, lui aussi, cordonnier et brasseur. Il exerçait son métier à Clavier-Station.  Mon père savait également réparer, à l’occasion, certaines chaussures, car il donnait parfois un coup de main à son père.

Lorsque j’étais enfant, vers 11 ou 12 ans, j’en ai 60 aujourd’hui, je donnais souvent un coup de main à mon oncle, pendant les vacances : j’arrachais les semelles et les talons et, dans les trous, je clouais des petits bouts de bois d’environ 1 cm. De long et de 2 à 3 mm. d’épaisseur.  Mon oncle mettait, entre ses genoux, un gros pavé de rue pour battre le cuir qui avait trempé toute une nuit dans un petit bassin d’eau, pour être plus souple à l’emploi, comme il disait. Il possédait aussi une machine à coudre à pédale et une riveuse à main. Il a exercé son métier pendant 50 ans et était connu dans bien des villages du Condroz : Neuville, Rotheux, Saint-Séverin, Nandrin, Villers-le-Temple…Son travail était toujours apprécié de tous car c’était vraiment un artiste de la chaussure. »

J’imagine que cette belle évocation aura plu à nombre d’entre vous. En votre nom, j’en remercie vivement son auteur.

 

La Petite Gazette du 3 mai 2000

AMON L’CWEPI

Jamais je n’aurais imaginé que l’évocation du métier de cordonnier éveille tant de souvenirs chez mes lecteurs ; je suis ravi que cela soit le cas.

Ainsi Madame Odile Delmelle, d’Aywaille, se souvient du « cwèpi » qui travaillait dans le fond du village à Modave. Il y avait plusieurs filles dans cette famille, toutes étaient amies avec maman. Je me souviens des noms de leurs époux mais n’en trouve plus aucun dans le guide du téléphone. Je n’ai malheureusement aucune photographie, on n’avait pas de Kodak à l’époque, c’était vraiment du luxe ! Je revois en pensée cette maison où l’atelier nous attirait surtout par l’odeur du cuir et la gentillesse du couple. Raphaël  était très calme et très minutieux dans son travail. Tous les outils décrits me sont aussi revenus en mémoire ; je vois encore le « ham », le siège qu’occupait le cordonnier et le pied de fer avec ses deux plaques de dimensions différentes. Il y avait toujours des amateurs pour acheter ces lourds pieds ; quand le cordonnier décédait, on les vendait toujours un bon prix et la somme ainsi obtenue aidait bien les familles, souvent nombreuses à ce temps-là. Je me rappelle surtout combien les chaussures avaient l’air neuves après leur minutieuse réparation. »

Une lectrice de Marche-en-Famenne m’a, elle aussi, envoyé une lettre toute faite d’émotion :

« Mon père, qui aurait eu cent ans cette année, était également cordonnier. J’ai été ravie de lire toutes ces descriptions d’outils que j’ai bien connus, les clous, les pieds de fer, les odeurs du cuir, le caoutchouc, le fouillis de la fameuse petite table qui était impossible à ranger… Mon père aussi faisait les nouvelles chaussures à la main, de la même façon que celle évoquée par Monsieur P.B. de Tohogne. Il dessinait le pied du client sur du papier gris épais et, ensuite, sur une forme de bois, il montait, étape par étape, la bottine. Il employait des empeignes et des cuirs différents pour les intérieurs et extérieurs. Il travaillait beaucoup pour les fermiers moyennant des denrées alimentaires, des pommes de terre par exemple. Cela compensait le ravitaillement insuffisant pendant les années de guerre.

Il y a encore un objet important qui n’a pas été cité, c’était une grosse pierre d’eau sur laquelle on battait le cuir trempé, pour le rendre plus résistant, un quart d’heure sur chaque semelle et c’était costaud !

J’ai 70 ans aujourd’hui et j’aime me rappeler tout cela… Il m’arrivait de faire une belle finition, lisser les bordures de semelles et la dernière touche de teinture ; cela aidait papa.

J’adore lire votre Petite Gazette. »

Grâce à votre témoignage, chère Madame, j’imagine que bien d’autres personnes adoreront lire cette rubrique.

 

 La Petite Gazette du 21 juin 2000

AMON L’CWEPI

Cette rubrique a, elle aussi, fait couler beaucoup d’encre et pourtant… Il est manifeste que cette profession, avec laquelle tant de personnes avaient jadis des contacts fréquents, a laissé beaucoup de souvenirs dans les mémoires. Partons sans tarder à la découverte de ceux de Madame Dessart, de Modave :

« Je vois encore ce cordonnier de Tohogne et je perçois encore la bonne odeur de cuir qui flottait dans son atelier. J’avais 14 ou 15 ans, c’était la guerre et il y avait une pénurie de souliers !

J’avais appris qu’un cordonnier de Tohogne vendait encore des souliers ; je m’y rends, péniblement, depuis Atrin, à vélo avec des pneus pleins qui me donnaient une secousse à chaque tour de roue, quand je roulais sur l’attache métallique.

Hélas, c’étaient des bottines qui faisaient mon affaire, cela faisait fureur pour les filles, mais maman n’était pas de mon avis. Vu le prix, elle réfléchit quinze jours. Attention, je ne dis pas que le prix pratiqué relevait de l’usure, mais, papa, en pleine guerre, travaillait dans une ferme pour un  très petit salaire. Comme il était nourri et que nous recevions un kilo de beurre par semaine, au prix de 30 francs (il se vendait alors entre 400 et 450 francs au marché noir !). Pour ces fameuses bottines, cela représentait le salaire de quinze jours du travail de papa !

L’hiver arrivait, maman me donna de quoi acheter les souliers. A la troisième sortie, je fus trempée comme une soupe. C’était mon unique paire de chaussures, cela réclamait donc un séchage rapide près du feu…Mal n’en avait pris, les semelles en crêpe présentaient une éventration bonne à passer sur le billard. Un retour à Tohogne s’imposait. J’y reçus un sermon du vendeur qui me signala la nécessité de procéder à la pose d’une semelle en cuir. C’était aussi la mode des bottines cloutées et des fers aux pointes et aux talons ; par esprit d’économie, je fais faire cela. Deuxième sermon, ma mère, furieuse, me dit :  « Ou tu vas faire fuir tous les garçons ou tu vas les attirer tous ! On t’entend venir comme un gros boche ! »

Troisième voyage vers Tohogne, pour faire enlever tout cela. Finalement ces chaussures ont reçu une semelle en caoutchouc. Je ne sais plus combien ma bêtise a coûté à mes parents… et moi qui croyais leur faire faire une économie !

Vraiment j’espère que mes enfants et petits-enfants ne connaîtront jamais les privations que nous avons connues !

Je tiens encore à préciser que, jamais, je n’ai pensé qu’il y avait eu exagération  du prix au moment de la vente, mais je veux rappeler qu’à cette époque tout était vraiment hors de prix. »

Merci à ma correspondante pour son témoignage.

 

La Petite Gazette du 13 septembre 2000

RETOUR AMON L’CWEPI

Grâce à un envoi de Monsieur Franz G. Carlier, d’Andoumont, j’ai le plaisir d’apporter un petit prolongement à cette rubrique.

« Il se trouve que, pendant la guerre, m’écrit mon correspondant, j’ai eu l’occasion de faire des ressemelages avec un vieux cordonnier. Comme de règle avant l’ère des collages, nous employions des semences pour fixer les semelles (clous minces de section carrée qui se replient sur le pied de cordonnier et solidarisent ainsi semelle, empoigne et « première » (c’est-à-dire semelle de cuir intérieure). Mais le vieux cordonnier m’a montré une autre méthode : les chevilles étaient remplacées par de petites chevilles de bois, de section carrée. Il les chauffait et les séchait sur le poêle, dans un couvercle de métal ; perçait un avant-trou dans la semelle et enfonçait une double rangée de chevilles tout autour de la semelle. En reprenant de l’humidité, les chevilles gonflaient et fixaient la semelle. Avantage sur les semences ? Les semences rouillent et abîment finalement le cuir, tandis que les chevilles ne rouillent pas !

C’est d’ailleurs ainsi qu’étaient montées les demi-bottes de l’armée allemande. A la fin de la guerre, j’ai eu la chance d’en « récupérer » une paire dans un collège que les Allemands venaient de quitter. Elle l’a servi durant plusieurs années. »

Merci de nous avoir apporté ces quelques précisions qui, au-delà de l’anecdote, nous familiarisent avec un vocabulaire et une technique certainement en voie de complète disparition.

 

LE CONDUCTEUR DE DILIGENCE !

La Petite Gazette du 11 juillet 2012

Monsieur Fernand Maurer, de Hamois, m’a confié un ensemble de documents présentant un pan entier de l’histoire des transports dans nos régions puisque ces pièces nous conduisent au milieu du XIXe siècle quand son ancêtre obtient, le 9 août 1856, un avis favorable de la députation permanente quant à la demande qu’il a introduite avec le Sieur Orban en vue d’obtenir la concession d’un service de messageries entre Dinant et Ciney. Il est d’ailleurs intéressant de faire remarquer que la même députation permanente avait, le 20 juin précédent, refusé aux mêmes Sieurs Orban et Maurer l’autorisation d’établir ce même service de messageries.

Un avis, publié dans une feuille locale, dont je n’ai malheureusement pas les références, mais qui daterait du 9 juin 1861, donne quelques informations sur le service offert :

maurerAVIS

Martin MAURER, propriétaire du char-à-bancs de Ciney à Dinant, a l’honneur d’informer le public, qu’il part tous les jours le matin de Ciney pour Dinant, après l’arrivée du convoi de chemin de fer du Luxembourg venant de Jemelle ; et de Dinant pour Ciney, de l’hôtel des Ardennes, à 3 heures de relevée pour correspondre, à Ciney, avec le convoi venant de Luxembourg pour Bruxelles et avec celui de Bruxelles pour Luxembourg.

Mon correspondant m’apprend que son ancêtre « Martin Maurer, né le 11 juin 1818 à Bettingen, en Prusse, décédera à Ciney le 3 mai 1868. C’est à la suite du décès de son père qu’il émigrera vers nos régions où il devient conducteur de la diligence Ciney – Dinant. A sa mort, son épouse poursuivra l’entreprise de 1868 à 1877. Des documents fournis par M. Fernand Maurer, je conclus que la diligence, elle, poursuivra sa route. En effet, c’est ce véhicule que le Musée de la Vie Wallonne a acquis en 1925, date à laquelle elle cessa de circuler entre les deux villes. Elle venait de subir la concurrence d’une ligne d’autobus qui venait de se créer, la lutte était inégale et le progrès l’emporta sur la tradition. Son dernier propriétaire, venant d’acheter lui-même un omnibus automobile, a vendu les deux diligences dont il s’était servi jusqu’alors. La voici telle qu’elle a été présentée dans le n°8 des Enquêtes du Musée de la Vie Wallonne daté d’octobre 1925. Elle devrait, à terme, être exposée au Musée des Transports en commun du Pays de Liège ; c’est du moins ce qui était officiellement annoncé à mon correspondant en avril 2009 !

malle-poste

  La Petite Gazette du 1er août 2012

MON AIEUL ÉTAIT CONDUCTEUR DE DILIGENCE !

Monsieur Fernand Maurer, de Hamois, nous a permis d’évoquer la mémoire de son aïeul et, surtout, le métier qu’il exerçait entre Ciney et Dinant : conducteur de diligence. Cette semaine, toujours grâce à l’importante documentation mise à ma disposition par M. Maurer, nous évoquerons le passé de ce mode de transport dans nos contrées.

Ainsi dans une brochure faisant partie de la série « Documents » publiée à l’occasion du millénaire de la Principauté de Liège et les 150 ans de la Belgique, j’extrais la pièce suivante datée du 13 mars 1687 et conservée aux Archives de l’Etat à Liège (Archives du Conseil Privé, Registre aux dépêches, 1683 – 1687, t. XXXIV, f° 347)

Ajoutes et modifications à l’octroi du 28 février 1687 autorisant l’établissement d’un service régulier de voitures entre Dinant et Liège

13 mars 1687

   S.A.S. estant requise de la part de Michel et Mathy de St-Hubert de régler quelques points nécessaires pour faciliter le charoy vers Dinant, en excécution de l’octroy leur accordé par ses lettres patentes du 28 février dernier, et considérant qu’avant tout il convient de pourvoir à ce que les chemins soient mis en état de s’en pouvoir commodement servir, Saditte Altesse, ne veulant rien obmettre de ce qui peut dépendre d’Elle pour rendre la chose autant plus praticable et avantageuse au commerce et au public, ordonne sérieusement par ceste à son magistrat de Dinant de rendre bons, incessamment, les chemins qui sont de son resort, signanment au lieu de Foidvaux, et de les y entretenir.

   Que tous et chacun villages de la route qui seront indiqués à son haut officier, devront de mesme, sans aucun délai ny remise, à la première semonce de sondit officier, réparer et entretenir pareillement les chemins de laditte route pour autant qu’elle s’estendra par leur districht et sera païs de Liège, sans toucher aux terres estrangères, conformément à ce qui a esté autres fois suivi par charoy et voiturier.

   Et afin que les chartiers et voituriers de laditte route soient spécialement distingués, S.A. permet à chacque homme qui y sera employé de porter les ouleurs de ses chartiers ordinaires, voire parmy serment de ne s’en servir à aucun autre usage et de ne les prester à autruy ; voire mesme il leur sera permis de porter des armes à feu découvertes et chargées à balles contre les voleurs.

   Et comme S.A. a commandé ausdits de St-Hubert de partir chaque lundy d’une ville à l’autre, et qu’il luy a esté remonstré qu’il y avait plus d’avantage et de bénéfice pour le commerce de rendre la voiture plus fréquente, Elle a bien voulu, à leur réquisition, leur accorder le permission de pouvoir faire aller successivement les charrettes les lundis et jeudis d’une ville à l’autre, à sçavoir le lundy de Dinant, le jeudy de Liège, le lundy de Liège et le jeudy de dinant, ordonnant pour ce à tous ceux qu’il touchera de s’y conformer et de s’acquitter respectivement des devoirs de leurs charges, à l’exécution tant des présentes que des lettres d’octroy susdittes.

   Donné au Conseil de S.A., le 13 de mars 1687

 

N.D.L.R. En 1687, le prince-Evêque de la Principauté de Liège est Maximilien-Henri de Bavière. En outre, ce prélat, détesté des Liégeois, était également archevêque-électeur de Cologne et  évêque de Hildesheim ; en 1683, il fut, en plus, nommé évêque de Munster.

Le département de Sambre et Meuse a été créé le 1er octobre 1795,  il sera dissous en 1814 ;  mais avant même sa constitution officielle, des décisions administratives se devaient d’être prises. Ainsi, le 23 janvier 1793, l’administration provisoire requérait le citoyen Bosque pour que soit établi un service de poste aux lettres entre Dinant et Givet et entre Dinant et Ciney.

Dès 1856, le nom de Martin Maurer, l’aïeul de mon correspondant, apparaît régulièrement dans les délibérations de la députation permanente pour modifier le service de messagerie qu’il exploite entre Ciney et Dinant ou quand il sollicite une réduction de la taxe due aux barrières de Sorinnes et de Dinant. La dernière fois où ce patronyme apparaît dans ces délibérations officielles c’est le 12 octobre 1877, quand sa veuve abandonne l’exploitation de son défunt époux. Elle sera transférée au sieur Potier.

La fin du XIXe siècle coïncide avec l’apparition d’un nouveau mode de transport ainsi que l’indique la députation permanente en date du 11 août 1899 quand elle décide « sous conditions et sous réserve d’approbation Royale, d’autoriser la Société anonyme régionale de transports par automobiles, à Namur, à établir un service d’automobiles à vapeur pour le transport de voyageurs en commun et de marchandises, entre Profondville et Dinant, avec service de dinant à Namur et retour, pour prendre les dépêches postales à 10 heures du soir. » L’heure du déclin des malles-postes et des chars-à-bancs avait sonné.

 

La Petite Gazette du 15 août 2012

MON AIEUL ÉTAIT CONDUCTEUR DE DILIGENCE !

Grâce aux informations et documents fournis par Monsieur Fernand Maurer, de Hamois, nous avons eu la chance d’évoquer la réalité de ce métier d’autrefois. Voici, pour conclure sur le sujet ce que disait sur ce même thème et à propos de cette diligence montrée il y a peu le journal local « Les Nouvelles du Condroz » du dimanche 9 novembre 1930 sous la plume d’un certain Pol Judon:

« La dernière diligence en service en Wallonie.

 La semaine dernière, deux forts chevaux ont amené vers Liège la vieille diligence qui a fait le service Ciney-Dinant jusqu’en 1925. On se rappelle que son propriétaire, M. Joseph Lamor, avait espéré lutter, malgré tout, contre la concurrence d’une ligne d’autobus, créée en 1924.

Après quelques mois, il avait fallu se rendre à l’évidence: en notre siècle d’essence et de vapeur, la « diligence » et ses deux mules n’étaient plus de leur temps. Elles subirent le sort impitoyable réservé aux vieilles choses d’ici-bas et, du jour au lendemain, elles furent, c’est le cas de le dire, supprimées de la circulation.

C’est un reste du bon vieux temps qui disparut définitivement.

Le char à banc du père Lamor et de Jules, des Dernelle, des Barzin, des Maurair était bien beau, cependant! On le revoit, ni vert, ni gris, ni jaune, mais de cette couleur indéfinissable de la route qu’il parcourait.

Haut sur roues, coiffé d’un immense bonnet-abri des marchandises, anguleux, ceinturé d’une bande claire où se lisaient les noms de ses destinations, il avait bel air quand même!

Là-bas, vers Achêne, vers Sorinnes, la vieille voiture supportait tout: la bise qui fouette, la neige fine et les rafales sifflantes de la pluie.

Jules Lamor, qui a assuré pendant trente-cinq ans le service de la diligence Ciney-Dinant en a connu de riantes et tristes aventures, des incidents et des accrocs au cours de tous ses déplacements.

Le dernier char-à-bancs de Wallonie vient d’être acquis par le Musée de la Vie Wallonne à Liège. C’est là la reconnaissance pour bons et loyaux services. Il méritait d’être conservé, car il marque une date dans l’histoire des transports dans notre pays. »

Jules Lamor dut se reconvertir en troquant son habit de cocher contre une salopette de conducteur de camions, au service de « l’Economie Populaire », entreprise cinacienne plus connue sous le vocable de « l’Epécé ».

Pour ce qui concerne la malle-poste qui assurait le service entre Ciney et Dinant, un extrait du calendrier de 1981 édité par l’ASBL Pro-Post et la Régie des Postes nous procure quelques informations:

« C’est Monsieur Léon Sommelette, né à Achêne en 1850, qui fut le dernier conducteur à assurer, au début de ce siècle (il s’agit du XXe siècle), le dur service du transport du courrier postal entre Ciney et Dinant. Il s’agissait, en effet, d’un service assez pénible.

La poste quittait la poste de Ciney à 7 heures du soir et arrivait à Dinant à 9 heures.

Après avoir remis les dépêches à la poste, le conducteur restait à Dinant jusqu’à 2 heures du matin.

Un service postal spécial préparait le courrier à destination de Ciney.

La malle-poste Ciney-Dinant n’était pas très confortable, il y avait place pour huit voyageurs dont deux s’installaient à côté du conducteur.

Une boîte aux lettres était accrochée à l’arrière et un coffre blindé, fermé à clef, était destiné  contenir les dépêches. Fermé au bureau de départ, ce coffre était ouvert au bureau d’arrivée par les préposés de la poste.

En 1932, à l’occasion d’une interview, Monsieur Léon Somelette, alors âgé de 82 ans, confiait au journaliste qui désirait savoir s’il n’avait jamais eu peur de circuler seul ainsi la nuit:

« J’avais un chien-griffon ‘Serdjant’ qui était admirablement dressé. Il faisait le voyage sous la voiture marchant derrière le cheval et chaque fois que nous croisions un passant il baissait la tête, laissait passer la voiture et suivait alors en surveillant le convoi. Si quelque riverain avait une lettre à mettre à la boîte, il devait me faire signe d’arrêter et j’appelais ‘Serdjant’ pour permettre à la personne d’approcher de la boîte aux lettres ». »

La confusion est aisée, à notre époque, entre ces deux modes de locomotion. La malle-poste, ainsi que le cabriolet appelé « chaise de poste », étaient spécialement destinés au service de la poste, quoique prenant en plus quelques voyageurs. La voiture publique ou diligence, par contre, était destinée au transport de personnes et de marchandises. Occasionnellement, elle prenait également des dépêches et correspondances.

 

A la garde des vaches…

La Petite Gazette du 1er avril 2009

LE PATURAGE SANS PATURE

Monsieur Jacques Motte, de Grand-Bru, nous présente ce témoignage d’un temps révolu :

« Ma grand-mère, Joséphine Baclin dite Fifine, épouse de Jonas Burton, faisait paître ses vaches sur le bas côté du chemin à 150 mètres de chez elle à Grand-Bru, en core en 1939. Elle s’installait, bien à l’aise, sur son tabouret pliant posé à même la chaussée. Elle tricotait sans crainte de voir débouler un véhicule lancé à 80 km/h. C’était il y a 70 ans, mais cette pratique, qui s’est poursuivie jusque vers 1950, permettait de compléter gratuitement la nourriture du bétail pendant l’été.

Amis lecteurs, combien se souviennent encore d’avoir vu dames, demoiselles et enfants garder les vaches le long des routes?

Personnellement, je me souviens, après la guerre, avoir aussi gardé les vaches dans des prés non clôturés.

 

La Petite Gazette du 22 avril 2009

Mon ami Robert Leruth, d’Aywaille, m’a raconté que, lorsqu’il était enfant, il faisait paître des chèvres le long du talus non loin de la laiterie d’Aywaille.

Monsieur Francis Roufosse raconte à son tour :

« En ce qui concerne le pâturage sans pâture, il est vrai qu’autrefois les adultes et même fort souvent les enfants étaient chargés, chaque jour, d’aller faire paître leur vache ou autres bestiaux dans l’herbe (à l’époque fraîche car non mazoutée par les gaz d’échappement) le long des chemins.

Quelquefois assez loin de chez eux, même à la lisière de sombres forêts – parfois jusqu’à la tombée du jour- et en toute sécurité sans pour autant craindre l’apparition de pédophiles ou autre loup à visage humain (ce n’est pas sympa sympa pour les loups ce que je dis là !).

A Marche-en-Famenne, le calme de la petite vallée bucolique du « Fond des Vaulx », au sud de la ville, la désignait tout particulièrement non seulement pour les promenades dominicales en famille ou encore pour les nombreux petits jardins que les citadins cultivaient amoureusement « extra muros », mais également pour le bref pâturage d’animaux venus y prendre un petit supplément gratuit de verdure. »

Marche Fond des Vaulx

 

La Petite Gazette du 19 mai 2009

Madame Yolande Bertrand, de Rotheux, nous confie également quelques souvenirs :

« La grand-maman de mon mari, Madame Lambertine Looze, possédait deux vaches et son époux travaillait à Seraing. Ils habitaient une belle petite maison à Bellaire où il n’y avait qu’un petit potager. La grand-mère partait en conduisant ses bêtes pâturer non loin de là, à la lisière du bois où de l’herbe fraîche et bien verte croissait dans les « Claires », nom donné à ces endroits.

Ce bois a été défriché pour construire des habitations et puis la route du Condroz. Il reste comme souvenir de cette manne gratuite le nom d’une rue de Rotheux : la rue des Grandes Claires.

Parfois, grand-maman Bertrand rapportait, sur sa brouette, des fagots et du bois pour se chauffer. Son fils acheta une petite propriété à côté de la maison familiale et donna les terres à ses parents. Ils purent construire des étables et un hangar car le cheptel devenait plus important. »

 

La Petite Gazette du 10 novembre 2009

Madame M. Delfosse, de Verleumont, nous confie ce témoignage qu’elle tient de sa maman et qui concerne le pâturage des vaches le long des chemins. Précisons que sa maman était née à fraiture Bihain en octobre 1902.

« Maman était partie avec une autre petite fille du même âge pour, selon la formule consacrée, « garder les vaches ». elles étaient aidées dans cette tâche par des chiens de vaches.

Accomplissant la mission avec sérieux, quelle ne fut pas leur stupeur de voir arriver les premiers Prussiens de la guerre 1914-1918. Elle me les décrivait très imposants, sur leurs chevaux, avec leur long manteau et leur casque à pointe, une lance à la main !

Prises de panique, elles sont rentrées à la ferme avec le bétail et ce fut la dernière fois que les parents les ont envoyées aux champs… »

 

La Petite Gazette du 11 juin 2014

C’EST VRAI QU’IL N’ AVAIT PAS DE CLÔTURE AUX PRAIRIES

Madame Jeanne-Marie Naegels-Misie, d’Esneux, partage, avec nostalgie, cette « bien belle époque » ainsi qu’elle me l’écrit.

« J’habitais avec mon père, Nicolas Misie, et le propriétaire, Ivan Sucur, la dernière maison à la lisière du Bois du Sart-Tilman, rue Robiet, pendant la guerre et après. Le propriétaire, célibataire, avait une ferme et des prairies, le long de la rue de Boncelles qui va à Ougrée, la maison à côté des prairies d’Ivan Sucur était à la famille Dossogne, parents et enfants.

Le matin, Ivan Sucur, on va le nommer le fermier, mettait ses vaches et, par la même occasion, les trayait. Les gens des environs venaient chercher leur lait. Le soir, une personne de la rue Mattéoti ouvrait le fil de fer qui fermait la prairie et les vaches, qui attendaient cette ouverture en beuglant, retournaient toutes seules sur le chemin de la ferme et entraient dans l’étable. Le fermier procédait alors à la traite du soir et d’autres personnes venaient encore chercher du lait ; nous aussi…

Le matin des jours de congé, j’accompagnais le fermier ; certaines prairies n’avaient pas de fils barbelés et quelques vaches, durant la journée, s’aventuraient dans les bois. Il n’y a cependant jamais eu le moindre problème et aucune vache ne s’est jamais perdue. Chacune d’elles avait un nom et il y avait une chienne, Follette, avec un de ses jeunes, Gamin.

Une fois que le fermier venait d’avoir une truie qui avait des petits, moi, le midi, je revenais manger à la maison et je suis tout de suite allée voir ces bébés. Horreur… une fois la porte ouverte, un des petits s’est sauvé dans le bois et, jamais, on ne l’a récupéré. J’ai évidemment été grondée et punie… »

NOS VILLAGES ONT AUSSI UN IMPORTANT PASSE METALLURGIQUE

La Petite Gazette du 2 décembre 2015

Il suffit d’évoquer les noms de Ferrières, Ferot, Izier, Rouge-Minière, Xhoris… pour être convaincu que l’extraction et l’exploitation du fer ont aussi considérablement influencé l’histoire de nos villages et j’aimerais que vous puissiez en parler.

Lors d’une passionnante visite que je faisais dernièrement au Musée de la Vie rurale à Xhoris, une remarquable et très ancienne photographie qui y est exposée a retenu toute mon attention et je n’avais qu’une envie : vous la présenter.001

Les documents et objets présentés au Musée de la Vie rurale à Xhoris sont commentés, en français, en néerlandais et en wallon, à destination des visiteurs et cela rend la visite d’autant plus agréable. Quand le printemps reviendra, je vous promets que La Petite Gazette rendra une visite de ce musée à la découverte de ses richesses et avec la volonté de vous encourager à y faire une halte instructive. Nous en reparlerons donc…

Pour en revenir à cette photographie, nous avons appris qu’elle a été prise vers 1910. Elle présente un groupe d’ouvriers employés à l’extraction du minerai de fer à Xhoris. Ces ouvriers sont, de gauche à droite : H. Clajot, C. Laffineur, N. Dupont, A. Levêque, J. Pirotton, E. Tavier, A. Gabriel et ?  .

La mine se trouvait au bout de la route des Gueuses en passant par la rue des Minières. Il est utilement précisé qu’une gueuse désignait un lingot de fonte de première fusion.

Je suis certain que de pareils documents dorment encore chez vous qui avez eu des aïeuls travaillant encore dans le secteur métallurgique de nos campagnes, de même, je suis certain que, dans bien des familles, il existe encore le souvenir des anciens qui ont vécu de l’extraction ou de l’exploitation du minerai de fer. Je sais aussi qu’il y a parmi vous qui lisez ces lignes bien des amateurs d’histoire régionale qui se sont passionnés par ce sujet au départ, par exemple, d’une recherche toponymique ou de documents extraits des archives. Mon souhait est que vos témoignages, le fruit de vos recherches et vos documents familiaux puissent nous permettent de faire revivre cet aspect de notre histoire régionale. Voudrez-vous concrétiser ce souhait ? Je l’espère vivement et, déjà, vous remercie de vos contributions à venir.

La Petite Gazette du 23 décembre 2015

A PROPOS DE CEUX QUI EXPLOITAIENT LE FER A FERRIERES

Monsieur René Gabriel, de Roanne-Coo, vous le savez, est passionné par les réalités quotidiennes de l’ancien régime dans nos régions et, inlassablement, fouille les archives des cours de justice à la recherche de ces faits qui nous éclairent sur la vie au jour le jour, il y a plus de deux siècles, dans nos villages. Voici ce que l’appel lancé à propos des travailleurs du fer de nos contrées lui a fait ressortir de ses innombrables carnets de notes :

« Suite  à  votre  article  relatif  au  passé  sidérurgique  de  notre  région, je  vous  transmets  deux  mentions  qui  devraient intéresser les lecteurs de La Petite Gazette. J’ai  longuement  recherché  à  Ferrières, Cour  de  Justice, et  ces  documents  en  sont  issus. Il  s’agit, orthographe  de  l’époque, de  deux  visites  de  “corps  morts”  retrouvés  dans  des  fosses à  minière. J’ai  prolongé  ma  recherche  et  retrouvé  quantité  d’actes  où  sont  relatés  d’autres  faits  anodins, ou plus  graves, et  même  des  meurtres. Leur  nombre  étant  nettement  plus  important  que  dans  d’autres  bans, je  pense   qu’ils  sont  le  résultat  de  beuveries  et  bagarres  provoqués  par  des  ouvriers  miniers  dans  les  nombreux  estaminets  locaux ;  les  cultivateurs  et  autres  employés  dans  l’agriculture  étant  généralement  moins  enclins  à  de  tels excès.

A Lorcé et  Chevron, curieusement  des  bans  voisins, bon  nombre  de  faits  de  violence  semblables  sont  aussi  consignés. Rien  d’étonnant  qu’en  1789  les  meneurs  soient  des  lognards  ! Ils  avaient  le sang  chaud  ! Je  n’ai  pas  localisé  les  endroits  mais  la  toponymie  locale  doit  très  certainement  encore en  garder  trace

Le  28  août 1728. Visite  du  corps  mort de  Jean Joseph  Squelin.

Visite  faite  par  le chyrurgien Sr La Croix  après  qu’icelluy  eut  prêté  serment de  faire  fidel  rapport.

Le  corps  dudit  Jean Joseph  Squelin  ayant  été  tiré  hors  d’une  fosse  a  minière  sur  le  dit  lieu  de  la  Manette appartenant a Joseph le Quarte, Thomas  de  Marteau, Colas  le  Quarte et  Dieudonné  le  Quarte, a  déclaré  ledit  La Croix  n’avoir  trouvé  aucune  fracture  ny  dislocation  ny  aucune  playe  depuis  la  plante  du  pied  jusqu’à  la  teste  et  ne  voit  aucun  sujet  de  sa  morte  sinon  que  ledit Jean Joseph  a  été  submergé  dans  ladite  fosse  et  que  cela  luy  at  causé  la  morte.

Le  6  décembre 1729. Visite  d’un  corps  mort.

Visite  du  corps  mort  de  Louys  Jehot  dont  il  fut  trouvé  en  lieu dit Clocky a  l’adjunction  du  chyrurgien La Croix.

Ledit  corps  estant  exposé  dans  une  fosse  a  minière  estante  sur  la  propriété  de  Mademoiselle  Hennin  en  lieu  dit Clocki, y  at  esté  trouvé  ledit  chyrurgien  une  grande  playe  de  trois  doigts  de  longueur  du  cuir  muscului  sur  la  teste, l’os  coronal, l’os  frontal  et  autres os  fracassés  pièce  par  pièce. Les  veines  et  artères piémères  et  duremère  et  les  vaisseaux  tout  rompus et  délié de  ses  membres  par  quels  coups  la  morte  luy  est  survenue.

Il serait très intéressant que ceux qui le peuvent prennent la peine de situer précisément ces endroits où l’on a extrait le minerai de fer.

La Petite Gazette du 16 décembre 2015

LA METALLURGIE DANS NOS REGIONS

C’est avec grand plaisir que nous retrouvons la jolie plume de Monsieur Jean Bolland qui répond à l’appel qui vous a été lancé en évoquant le passé métallurgique de la vallée de l’Aisne :
« La métallurgie dans la vallée de l’Aisne a laissé son empreinte dans de nombreux lieux-dits évocateurs : Forge à l’Aplé, La Forge (Mormont), Vieux Fourneau… Des sources d’eau ferrugineuse -les pouhons- attestent également du fait que le minerai de fer est une composante de notre sous-sol.

Depuis Dochamps jusqu’à Bomal, en passant par La FosseForge à l’Aplé, Amonines, Blier, Wérichet-sous-Fisenne, Fanzel, La Forge, Roche-à-Fresne… de modestes ateliers métallurgiques étaient installés le long de l’Aisne et de certains de ses affluents. La plupart du temps, ces ateliers étaient constitués d’un bas-fourneau dans lequel le minerai de fer était fondu et d’un marteau -ou forge- où le fer obtenu était travaillé pour en façonner des objets.
Divers corps de métiers participaient, de près ou de loin, à la réussite de cette activité : bûcherons, charbonniers ou faudeurs qui produisaient le charbon de bois nécessaire à l’activité des fourneaux, forgerons, charretiers pour l’acheminement des matières premières et le transport des produits issus de cette métallurgie.

Le minerai de fer provenait de gisements de la région. Gisements à fleur de terre ou à faible profondeur : les minières exploitées notamment à Clerheid, Fisenne, Hoursinne, Wéris, Heyd, Ozo et Izier.

Cette activité métallurgique s’étendit sur les 15e, 16e et 17e siècles avec des hauts et des bas dus aux nombreuses guerres, passages de troupes étrangères et réquisitions qui en découlaient. Conséquence de ces époques troublées : cette industrie disparut pratiquement au 17e siècle. On peut ajouter le fait que ces installations, modestes faut-il le rappeler, n’avaient pas su se reconvertir face à une métallurgie liégeoise qui avait modernisé son outillage, diversifié sa production et ses débouchés ; métallurgie liégeoise qui avait également le net avantage de bénéficier de grandes facilités pour le transport des matières premières et des produits finis. Et pourtant nous n’en étions pas encore à l’époque des hauts-fourneaux qui allaient faire les beaux jours de Liège, au 19esiècle grâce à John Cockerill. Ceci est un autre histoire.
(Certains renseignements sont basés sur les recherches de Fernand Pirotte : En marge d’un millénaire, Aspects de la vie économique et de la vie sociale dans la Terre de Durbuy de 1500 à 1648, L’industrie métallurgique de la Terre de Durbuy de 1480 à 1625.) »

 La Petite Gazette du 30 décembre 2015

A PROPOS DE CE REGARD SUR LES US DES OUVRIERS DU FER A FERRIERES

Monsieur Pierre Paulis, de Ferrières, a lu attentivement les notes transmises par M. René Gabriel et vous éclaire sur la toponymie de Ferrières :

« J’ai lu, avec beaucoup d’intérêt, les notes de M. R. Gabriel, de Roanne-Coo, concernant les minières de Ferrières » m’écrit M. Paulis avant de nous livrer le fruit de ses recherches toponymiques :

« La manette. En tant que toponyme, je n’ai relevé aucune trace. A mon avis, ce substantif désigne la « qualité de la terre » qui est sale et boueuse. Ce qui expliquerait la raison de ces deux accidents que vous relatez. Ils se sont, sans doute, passés au même endroit, c’est-à-dire

È Clokî ( au Clocher) Celui-ci existe bel et bien comme toponyme. Ce grand terrain de +/- 10 ha est situé au sud de l’église. Il est surtout connu, aujourd’hui, par son chantoir dénommé « trô dè Pi » ou trou du goupil = renard. C’est une borne naturelle marquant la limite d’avec la Basse Colète contigüe.

É Clokî fut aussi, dès le 12me siècle, un douaire ( li doyâre) donné par les moines de Stavelot au curé ,dès l’instauration de notre paroisse indépendante. Elle est détachée de Xhignesse, son église-mère, avant 1130.

De cette terre boueuse, est extrait  depuis longtemps  –  on parle de l’époque belgo-romaine  –  un minerai de fer réputé pour sa qualité et son abondance. C’est de la limonite grise et schisteuse. (Exploitation jusqu’au début du 19me siècle). De l’eau d’infiltration contrecarrait le travail des mineurs. Ceux-ci se plaignaient de « passer autant de temps à puiser l’eau qu’à extraire le minerai » .Ils se plaignaient aussi du houx  envahissant les minières. L’eau était rejetée à l’aide d’une pompe (l’exhaure) dans le rîhê (ruisselet) tout proche.

La vie de ces ferrons (car ils travaillaient autant à la mine qu’au fourneau) était pénible et dangereuse. On déplore quantité d’accidents. Ce qui explique, sans doute, les traits de caractères que vous relevez et dont les traces sont encore visibles aujourd’hui. Nous étions aussi des Lognards! Le  minerai était travaillé sur place. Ensuite, il fut transporté, en fusion, par « li vôye  d’Eveu » (vôye d’êwe, voie d’eau ou mieux : la voie de l’eau) vers les makas hydrauliques de Malacord puis de Ferot. Au cours du 17e siècle, le surplus de la production minière était suffisamment important que pour être exporté vers les fourneaux de l’Amblève. Dieupart, notamment. Li vôye dès gueuses nous le rappelle.

Au Clokî encore, au mitan des ferrons, s’est, probablement, élevée, au 8me ou au 9me siècle, la première chapelle paroissiale dédiée à saint Martin (cf. Guilleaume). Par après, ont suivi les deux  églises, le cimetière, le  presbytère et le vicariat.

Cette terre a ainsi joué un rôle important  dans la formation du village, de la paroisse et de la commune de Ferrières. »

Un très grand merci pour cette très intéressante contribution.