« CAMILLE GASPARD – AUTEUR WALLON » UN MAGNIFIQUE OUVRAGE

La Petite Gazette du 20 décembre 2017

CAMILLE GASPARD, VOUS CONNAISSEZ?

Et si j’ajoutais Camille Gaspard, auteur wallon… Auteur particulièrement prolixe et éclectique puisque, parmi ses nombreux écrits, nous trouvons des chansons, des poèmes, des déclamations, des paskèyes, des pièces de théâtre et même quelques opérettes au travers desquels il nous offre un remarquable témoignage d’authenticité ardennaise. Camille Gaspard voit le jour à Dairomont (Grand-Halleux) en 1917 dans une famille d’agriculteurs-éleveurs où seul le wallon est parlé, « lu sâvadje èt si vî patwès, lu pârler d’nos péres, lu cok’sant Languèdje », Cette seule définition du wallon selon Camille Gaspard nous plonge d’emblée dans son style à la fois savoureux et recherché qui lui assurera une solide réputation s’étendant dès après la Libération, depuis Wanne, où il habite depuis son douzième années jusqu’à son décès en 1990, autant vers Liège que vers Bastogne.

Les textes de Camille Gaspard sont largement inspirés de la réalité de son quotidien et éclairent, d’un regard sans concession, la vie rurale dans les petits villages ardennais accablés par l’occupation, quand néanmoins l’auteur témoignera d’un indéfectible espoir en des lendemains joyeux. Le ton de ses productions est, bien sûr, influencé par tout ce que vit le village et, avec la liberté retrouvée, c’est la gaieté et le bonheur qui désormais chantés.

Camille Gaspard écrit beaucoup et l’ouvrage publié par « Mémoires ardennaises » vous présente 150 textes couchés sur le papier une fois les travaux agricoles terminés car, dès 1950, Camille a repris la ferme familiale.

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Ce remarquable et imposant ouvrage (550 pages), à la fois anthologie, biographie, petite monographie de la vie ardennaise, recherche philologique, bibliographique et lexicale est l’oeuvre de Jean-Philippe Legrand, « li pitit poyon » de Camille Gaspard, son grand-père et parrain, qui, indubitablement, aurait été très fier du minutieux travail de son filleul. En effet, Jean-Philippe Legrand n’a pas ménagé ses efforts pour présenter l’oeuvre de son grand-père, il s’est assuré de précieuses collaborations, dont  notamment celle de François Duysinx conférant ainsi à ses recherches une rigueur philologique exemplaire, mais aussi celle d’André Lamborelle, collaborateur régulier de La Petite Gazette et ardent défenseur de la culture wallonne.

Il s’agit là du cadeau idéal qui plaira aux amoureux de la langue wallonne, de la truculence et de l’humour présidant aux « sizes » et aux « concèrts« , aux passionnés de nos musiques traditionnelles car l’ouvrage nous livre pas moins de 80 partitions. L’ouvrage intéressera tout autant celles et ceux qui se passionnent pour les expressions et les mots de notre wallon car l’auteur a eu l’excellente idée d’ajouter, aux régulières précisions lexicales émaillent ses pages, les annotations et ajouts que Camille Gaspard avait apportés à ses exemplaires du Dictionnaire liégeois de Haust et du Glossaire de La Gleize de Remacle.

En outre, ce livre se veut « extensible » car il vous propose d’accéder en ligne à plus de 60 morceaux enregistrés, patiemment collectés par l’auteur lors de ses recherches. Ce livre de 550 pages est de plus un bel objet bien fait : cartonné, cousu, magnifiquement imprimé chez nous est en vente au prix de 30€ (5€ de frais d’expédition postale). Vous pouvez découvrir dans de nombreuses librairies dont la liste est accessible sur www.memoires-ardenaises.be adresse où vous découvrirez aussi tous les renseignements nécessaires à sa commande. Pour vous qui n’avez pas accès à internet, l »éditeur vous propose de le joindre par téléphone : 080/643 208 ou 0475/337 124

 

UNE ANNEE DE SOUVENIRS, DE TRADITIONS, DE GESTES OUBLIES… NOSTALGIE ET RÊVERIE

Au gré des publications hebdomadaires de La Petite Gazette, de très nombreux lecteurs ont pris la peine de répondre aux nombreuses questions qui leur étaient posées, parfois même après avoir mené de longues recherches. Il est également arrivé, à plusieurs reprises, que certains d’entre eux retrouvent un vrai plaisir à reprendre la plume ou le stylo et se lancent dans la rédaction de textes inspirés par l’un ou l’autre des sujets abordés dans les colonnes de cette rubrique. C’est un fait tout à fait banal, la découverte d’un calendrier reçu pour marquer le début d’une année nouvelle, qui décida Monsieur Jean Bolland à coucher sur le papier, des évocations nostalgiques d’une époque révolue bien que peu lointaine… Souvenirs, traditions ancestrales, croyances populaires, faits et gestes d’hier se mêlent intimement dans ces douze textes rédigés avec une plume lerte, précise et très agréable.

La Petite Gazette du 6 février 2013

UN NOUVEAU CALENDRIER ET DES SOUVENIRS QUI RESSURGISSENT

Monsieur Jean Bolland s’est pris à rêver en découvrant les illustrations désuètes d’un calendrier qu’il a reçu, comme bien d’autres parmi vous, aux premiers jours de cette année 2013. Ces illustrations lui ont inspiré, mois après mois, quelques lignes que nous partagerons avec lui :

« Janvier

La classe est finie. Chaussés de sabots pour les uns, de bottines pour les autres, les bambins se sont échappés de l’école. Oubliés, les calculs et la grammaire!

Le chemin du retour est l’occasion de mille et une découvertes changeant au fil des saisons. Les températures polaires de ce mois de janvier ont figé l’eau des mares et des étangs. Une belle couche de glace exerce une attraction à laquelle les enfants ne résistent que difficilement. Chaque marmot se souvient, cependant, des recommandations parentales. Mais cette petite voix intérieure incitant à la prudence est bientôt mise sous l’éteignoir. La glace a l’air si épaisse !

Chacun s’avance prudemment, pose délicatement un pied sur le miroir glacé, appuie de plus en plus fort et, devant la solidité éprouvée, les bras en guise de balancier, progresse à petits pas glissés. C’est avec retenue et contrôle de soi que les patineurs sillonnent la glace, évitant les aspérités qui pourraient provoquer la chute.

Après quelques évolutions grisantes, la petite troupe prend le chemin du logis, contente d’avoir osé! Mais…chut! L es parents ne doivent rien savoir. Pas question de vendre la mèche! D’autant que l’hiver ne semble pas avoir dit son dernier mot. »

 

La Petite Gazette du 27 février 2013

ET VOICI FEVRIER

Retrouvons, maintenant le texte que le dessin de février sur le calendrier reçu a inspiré à Monsieur Jean Bolland :

« Janvier avait allongé ses jours sous une température clémente qui faisait ressembler cet hiver à un automne qui n’en finissait pas.

Vers la fin du mois, un vent du nord avait charrié de lourds nuages d’un gris jaunâtre qui laissèrent échapper des myriades de flocons. Il neigea un jour et une nuit, sans discontinuer, accumulant une couche épaisse qui amortissait les sons. Après cet épisode neigeux, une bise piquante balaya les nuages.

Pendant les journées lumineuses, le soleil dardait ses rayons glacés. Au cours des nuits, dans un ciel piqué d’étoiles, la lune accentuait le sentiment que tout était figé part le gel.

Ce froid avait ralenti l’activité des hommes. Seules, des obligations impératives poussaient les campagnards à affronter cet assaut de l’hiver. C’était le cas d’André, le garde-chasse du comte. Après s’être rassasié d’une onctueuse omelette agrémentée de deux tranches de lard maigre, il se mit en route dès le lever du jour. C’est que le temps était propice à la découverte des pas du braconnier qui prélevait du petit gibier du côté du Bois de Tave! Cependant, secrètement, le garde espérait ne jamais prendre l’homme sur le fait. Il avait bien des soupçons mais connaissait suffisamment la situation du chapardeur pour savoir que ces menus larcins servaient uniquement à améliorer l’ordinaire de cette famille dans le besoin. A son grand soulagement, à part ses propres pas de la veille, André n’en découvrit pas d’autres.
Le coeur léger, il se mit en quête de bois mort qu’il rassembla en un imposant fagot avant de dévaler le sentier enneigé qui conduisait au village. Ce soir, un bon feu crépiterait dans l’âtre.
Le garde fut bientôt en vue du hameau dont les fermettes flanquaient l’unique rue ou, plutôt, ce qui en tenait lieu : deux ornières sinueuses séparées par un terre-plein étroit. En été, les charrettes soulevaient des nuages de poussières. La boue s’accrochait aux roues à rayons aussitôt les pluies d’automne arrivées.

A travers les fenêtres de l’école, il devina les écoliers penchés sur leur ardoise. Le maître avait fort à faire au cours de l’hiver où le local était bien garni. Au contraire, à la bonne saison, nombre d’enfants désertaient la classe pour aider leurs parents dans les travaux des champs.
Des volutes de fumée s’échappant des cheminées, des filets de vapeur s’élevant des fumiers coincés entre les habitations et le chemin : seuls signes que gens et bêtes vivaient reclus pour échapper aux morsures du froid.

Au bout du village, se dressait l’église à la tour trapue, comme pour rappeler au rare étranger de passage, qu’ici, tout est retenue et simplicité.

Le cimetière dépassé, André prit une route en légère pente, longea le manoir et bifurqua vers la droite pour s’arrêter devant le bûcher de la demeure mise à sa disposition par le comte. Il ôta son couvre-chef, se pencha vers l’avant : le fagot roula et s’écrasa lourdement sur le sol de terre battue.

Arrivé sur le pas de sa porte, les narines de l’homme captèrent des effluves prometteurs : il sut, qu’en ce jour de la Chandeleur, Manon faisait sauter les crêpes pour le repas de midi. Les enfants n’allaient pas tarder à rentrer de l’école. »

 

La Petite Gazette du 13 mars 2013

NOUS AVONS VU LE PRINTEMPS…

Voici mars, aussi retrouvons-nous le texte que l’illustration du calendrier inspira à Monsieur Jean Bolland.

« – Fanchon! Javotte! Levez-vous!

Les fillettes émergèrent doucement de leur sommeil. Pendant quelques minutes, elles profitèrent encore de la douce chaleur du lit. Les oreilles aux aguets, elles devinaient les multiples tâches que leur maman accomplissait chaque matin.

Après un brin de toilette, les demoiselles s’attablèrent face à un bol de lait chaud accompagné de tartines beurrées qu’elles avalèrent en échangeant des propos ponctués de rires complices.
Rassasiées, le cartable au dos, elles prirent le chemin de l’école. Ces instants de liberté étaient l’occasion de mille et une découvertes. Le moment qu’elles appréciaient le plus était celui où elles côtoyaient ces vieux chênes tordus par les ans et les intempéries. Un long frisson de plaisir mêlé d’un zeste de crainte délicieuse s’emparait des petites lorsqu’elles frôlaient les branches difformes qu’elles imaginaient armées de fins doigts crochus prêts à les agripper au passage.
En fin d’après-midi, les deux soeurs franchirent le portail rouillé de la cour de récréation, obliquèrent à gauche pour longer le ruisseau dont le cours sinueux les ramènerait à la maison. Le trajet du retour était souvent différent de l’aller : il fallait bien varier les occasions de musarder!
En bonnes  campagnardes proches de la nature, elles se dirigèrent vers un fossé dans lequel des grenouilles avaient pondu. Les manches retroussées, elles plongèrent les mains dans les amas gélatineux. Elles s’évertuaient à les soulever mais, immanquablement, ceux-ci leur glissaient entre les doigts pour retomber dans un grand flotch!, éclaboussant les fillettes qui partaient alors d’un grand éclat de rire.

Plus loin, le chemin traversait une boulaie dont la blancheur des écorces était accentuée par les rayons du soleil. Déjà, les bourgeons des bouleaux laissaient poindre de minuscules feuilles fripées, avant-gardes de toutes celles qui, d’ici quelques jours, pareraient la forêt d’un vert tendre. Les petites s’amusaient des chatons du noisetier : d’une chiquenaude, elles libéraient le pollen qui se contorsionnait sous le souffle d’un filet d’air frais.
Alors que la maison était en vue, des cris d’oiseaux leur firent lever la tête. Presqu’imperceptibles d’abord, ils allèrent en s’amplifiant. Les gamines reconnurent les craquettements caractéristiques d’un vol de grues griffant le ciel d’un grand V qui, parfois se déformait quelque peu pour reprendre bientôt sa forme initiale.

Les grands échassiers s’éloignaient vers le nord quand Fanchon et Javotte aperçurent Vincent, leur papa, taillant son pied de vigne.

Papa! Papa! Nous avons vu le printemps! »

 

La Petite Gazette du 24 avril 2013

EN AVRIL

Monsieur Jean Bolland, inspiré par les illustrations de Georges Delaw ornant son calendrier, nous livre, mois après mois, un petit texte où se mêlent nostalgie et poésie…

« L’hiver, s’il faut en croire le calendrier, a tiré sa révérence. Malheureusement, le printemps idéal, comme notre imagination se plaît à l’évoquer, n’est pas encore là.

Pour pallier les températures encore bien basses, le poêle à charbon de l’école rurale ronfle au centre de la classe.

Et pourtant, un franc soleil sème de la gaieté dans le local quelque peu austère. Cet apport de lumière semble, mais n’est-ce peut-être qu’une impression, infléchir la discipline rigoureuse imposée par l’instituteur déambulant entre les pupitres.

Bientôt, de gros nuages, d’un noir presque bleu, accourent, poussés par un vent du nord-ouest. En quelques instants, le jour baisse. Une semi-obscurité s’insinue dans les moindres recoins. Des volées de grêlons s’écrasent contre les carreaux avant de rebondir sur les bacs en bois destinés à accueillir les futurs géraniums. Le crépitement assourdissant couvre la voix du maître, l’obligeant à suspendre sa leçon. Seize paires d’yeux se tournent vers le ciel  déchaîné. Quel spectacle! Quel sentiment de sécurité et de bien-être! Dans cette lumière tamisée, à l’abri des intempéries, même le plus rétif des potaches se complaît, bercé par une douce chaleur.
Les éléments finissent par se calmer. Les nuages aux flancs lourds s’éloignent. Des rais de lumières, timides d’abord, succèdent à la pénombre, rendant couleurs et vie aux objets classiques.  La fine couche granuleuse qui masque la cour disparaît. Jusqu’à la prochaine giboulée. »

 

La Petite Gazette du 15 mai 2013

LE JOLI MOIS DE MAI

Retrouvons maintenant le texte que Monsieur Jean Bolland a écrit, inspiré par un dessin de Georges Delaw (1871-1938) imprimé sur son calendrier 2013. Ce mois-ci, c’est à la lessive que nous convie mon correspondant ; plus particulièrement la façon dont la lessive était faite à l’époque où les poudres actuelles n’existaient pas encore.

« Chaque matin, Julie se levait de bonne heure : en été, aux premières lueurs de l’aube; en hiver, lorsque le soleil pâle glissait ses rayons froids dans la chaumière, la jeune femme travaillait déjà depuis quelques heures.

Entre la traite des quelques vaches, les râteliers à garnir de foin lors de la mauvaise saison, la préparation de la pâtée pour les cochons et le grain à distribuer à la volaille, la fermière ne chômait pas.

A ces activités quotidiennes, s’ajoutaient les travaux hebdomadaires comme le pétrissage de la pâte suivi de la cuisson des pains pour la semaine, la fabrication du beurre et la lessive.

C’est précisément cette dernière tâche qui occupait la ménagère chaque lundi matin. Au chant du coq, elle craquait une allumette qui enflammait les brindilles sèches. Le feu léchait et dévorait les menus bois avant de s’attaquer aux bûches disposées sous deux chaudrons noircis par les ans et les flammes.

Le premier récipient était rempli d’eau dans lequel baignait le linge que la buandière avait soigneusement brossé pour en détacher le maximum de saletés. Une fois l’eau chauffée, Julie y déposait un sac rempli de cendres de bois ou de paille. Au préalable, elle avait évité de recueillir les cendres de chêne qui auraient bruni draps et vêtements sous l’action du tan. L’eau bouillante du second chaudron était alors puisée à l’aide d’une louche profonde armée d’un long manche puis versée sur les cendres dont la potasse faisait office de savon. Cette opération se répétait plusieurs fois. Julie laissait ensuite reposer le linge toute la journée.

Le lendemain, la lavandière sortait la lessive du chaudron et la disposait dans une brouette qu’elle poussait jusqu’à la rivière. Agenouillée sur un sac rempli de paille ou dans un garde-genoux, elle trempait le linge dans l’eau claire pour le rincer et le frappait à l’aide d’un battoir avant de l’essorer en le tordant. Quand le temps le permettait, Julie étendait les draps sur l’herbe pour qu’ils sèchent et blanchissent au soleil.

Elle se souvenait de sa grand-mère lui racontant que, de son temps, les grosses lessives s’effectuaient seulement deux ou trois fois sur l’année. »

Quel voyage dans le temps… Merci Monsieur Bolland.

 

La Petite Gazette du 12 juin 2013

EN JUIN, ON FAUCHE…

Monsieur Jean Bolland, a tourné une nouvelle page de son calendrier et son imagination fait le reste…

« Dans un large bol au décor fleuri, Auguste dispose des morceaux de pain d’épeautre qu’il arrose généreusement d’une longue rasade de crème de lait. Ce déjeuner, simple mais roboratif, accompagné d’une jatte de café noir et sucré lui fournira l’énergie nécessaire pour accomplir son travail matinal : le fauchage d’une prairie sur Saint-Hasted.

Il quitte la ferme tassée le long du coteau puis traverse Bergister qui, peu à peu, sort de son sommeil. Il retrouve bientôt d’autres agriculteurs, la faux sur l’épaule, en route vers les prairies dont ils sont locataires ou propriétaires. Tous supputent les chances d’un maintien du beau temps pour les jours à venir. Chacun y va de ses observations : la rosée abondante, les hirondelles volant haut, la lune qui brille clairement et nettement dans le ciel nocturne …
Arrivé à la sortie du village, Auguste s’engage dans la Bounir où, çà et là, traînent encore des écharpes de brume qui s’effilochent sous l’action des rayons du soleil levant. Tout à leur aise, prés et champs s’étendent dans cette vaste cuvette avec, pour seules limites, les forêts montant à l’assaut des plateaux de La Lue et de Benasse.

Le sifflement charmeur des merles qui se répondent pour mieux marquer leur territoire, le parfum suave des reines-des-prés  dressant leurs épis sur les accotements humides du chemin, la senteur délicate du chèvrefeuille qui s’entortille malicieusement dans les haies, tout concourt à donner du coeur à l’ouvrage.

Hier, assis sur un sac en jute, Auguste avait enfoncé une enclumette devant le poulailler, y avait posé et maintenu la lame.  A l’aide d’un marteau,il avait battu l’acier afin de redresser et d’affiler le tranchant.

Arrivé à destination, le fermier affûte l’instrument au moyen d’une pierre à aiguiser qu’il retire du coffin accroché à sa ceinture. L’étui oblong en bois contient de l’eau allongée d’un filet de vinaigre. Cette opération sera répétée toutes les dix minutes afin de garantir un travail efficace et performant.

L’homme balance la faux en demi-cercle, le fer maintenu parallèlement au sol. Le chuintement de l’acier couchant l’herbe et la cadence du corps guidant l’outil rythment le labeur. Le soleil brille déjà haut dans le ciel quand Auguste peut contempler les andains jonchant la prairie.

Le séchage du foin qui exhalera une odeur à nulle autre pareille, sa disposition sur des chevalets-trépieds, l’entassement sur le chariot, le déchargement à la ferme et l’engrangement dans le fenil fourniront la provende au bétail pendant les longs mois d’hiver. »

 

La Petite Gazette du 1er juillet 2013

EN JUILLET, A LA RENCONTRE DES NUTONS

Comme chaque mois, insipiré par les illustrations de son calendrier, Monsieur Jean Bolland nous invite à le suivre dans son imagination, aujourd’hui, fantastique et merveilleuse :

« L’heure d’entre chien et loup ! Le soleil s’est perdu à l’ouest.  L’horizon éclaboussé de jaune-orange est passé au rouge incandescent puis au bordeaux.

C’est le moment choisi par Arduin pour emprunter la sente herbue dégringolant de Menuheyd. Arrivé au bas de l’escarpement, il traverse le chemin se hissant vers Betaumont, se coule entre les buissons et atteint le fond de la vallée où se faufile La Lue. Il s’immobilise tout en scrutant la crête du coteau boisé qu’il vient de descendre.

Plus d’une fois, il a cru déceler sa venue. Cette fois, il en est sûr : elle arrive !  Là-haut, au faîte de la butte rocheuse, il la devine entre la cime des bouleaux : quelques éclats d’or se mouvant et grandissant au fil des minutes. Les arbres aident à cette naissance. Leurs branches, agitées par la brise vespérale, finissent par expulser celle pour qui Arduin se languit : la lune s’est enfin extraite de sa gangue forestière.

Le regard du petit bonhomme passe et repasse de sa belle-de-nuit à la surface du ruisseau. Insensiblement, le reflet de l’astre gagne l’instabilité de la piste liquide. Arduin,  fasciné par la danse endiablée de la flaque lumineuse tordue au gré des mouvements de l’onde, imite la chorégraphie de la lune. Elle, dans l’eau ; lui, sur la berge. Couple improbable qui communie au rythme de la nature et des mêmes mouvements.

Un craquement de branche sèche ! Le charme se rompt ! Arduin devine une présence humaine qui s’enfuit vers l’aval. Connaissant le caractère moqueur de bon nombre d’hommes, il ne doute pas un instant que celui qui vient de le surprendre fera un mauvais usage du spectacle auquel il vient d’assister.

Le lendemain, le danseur monte prudemment au village. Il se faufile furtivement entre chaumières et granges pour surprendre les bribes de conversations qui lui laisseraient deviner que sa danse avec la lune est devenue objet de dérision. Il termine sa quête d’informations en descendant vers le moulin d’où vient un tombereau chargé de sacs de farine. Il a juste le temps de se jeter derrière une haie pour éviter la rencontre avec le charretier et son fils commentant  la nouvelle apprise de la bouche du meunier : la veille, en vérifiant le bon état du bief, l’indélicat a surpris un Nuton se trémoussant sur la rive de La Lue.

Triste, le cœur lourd, Arduin rejoint le massif escarpé.  Son secret est éventé.

Depuis longtemps, l’entraide avait toujours prévalu entre les hommes et les Nutons. Les villageois, chargés de galoches à ressemeler, de chaudrons à rétamer et de divers outils à réparer empruntaient la route défoncée et caillouteuse qui dévale, en oblique, vers Menuheyd. Le ponceau de pierres moussues traversé, la troupe gravissait la colline boisée pour s’arrêter à l’entrée de la grotte devant laquelle les objets à restaurer étaient déposés.

A la nuit tombante, de petits êtres barbus sortaient de l’antre et s’emparaient du dépôt avant de disparaître au plus profond de la cavité. Le jour suivant, les paysans retrouvaient leurs biens remis à neuf et, en remerciement, les remplaçaient par des victuailles. Les deux peuples vivaient ainsi en parfaite symbiose.

Mais, malheur au campagnard qui aurait osé railler ces créatures farouches et discrètes. La guigne  s’abattait alors sur lui : gens et bêtes malades, mauvaises récoltes et autres contrariétés.

C’est ainsi que les nuits du meunier devinrent agitées.  Coups redoublés contre la porte, cris lugubres dans les combles, bruits de pas sur le toit, roue à aubes qui se mettait à tourner intempestivement. Le malheureux ne trouvait plus le sommeil. Pour ajouter à son désarroi, sa femme lui reprochait d’avoir ri du Nuton. Les clients se firent rares, terrifiés par l’étrangeté du phénomène touchant les lieux.

Le moulin fut vendu. Dès que le nouveau propriétaire prit possession du bâtiment, les manifestations inquiétantes cessèrent.»

 

La Petite Gazette du 7 août 2013

MONSIEUR JEAN BOLLAND EVOQUE AOUT…

« Le modeste atelier de menuiserie, ou plutôt l’appentis qui en tenait lieu, assurait la transition entre la maison et l’enclos dans lequel poussaient, au cours de la belle saison, légumes et  fleurs vivaces.

C’était le royaume du grand-père. Penché sur l’antique établi marqué par les cicatrices des ans, maniant, avec une dextérité innée, des outils rudimentaires tels le vilebrequin, les ciseaux, le rabot, la scie égoïne… il façonnait et assemblait planches, clous et vis qui devenaient objets usuels ou jeux pour ses petits-enfants. De presque rien, naissaient des merveilles.

Il travaillait posément, avec application, le dos tourné vers un insignifiant poêle à bois qui, néanmoins, réchauffait prestement le local lorsque le temps était au froid. Le crépitement des bûches, la douce chaleur, l’odeur du bois, le cliquetis de l’outillage, le martèlement des sabots au contact du béton rugueux, toutes ces sensations, Baptiste les emmagasinait en lui. Longtemps après, il s’en souviendrait encore.

Une fois l’entrée franchie, dans le coin gauche, se dressait la canne à pêche. Composée de trois éléments en bambou brun vernissé, elle ne quittait que rarement l’endroit qui lui était dévolu. Son grand-père l’utilisait pour aller taquiner la truite dans les rares moments de loisir qu’il s’accordait. Il enfourchait alors son vélo pour gagner les rives du ruisseau bordant le village au nord.

Pêcher ! Baptiste en avait envie ! Ne suffisait-il pas d’une bonne paire de bottes, d’acheter un permis, de retourner quelques pierres plates à la recherche de vers ?

C’est ainsi,  qu’équipé de pied en cap, avec l’autorisation parentale et la canne de son aïeul, le garçonnet partit pour ce qu’il pensait être la première d’une longue série de fructueuses équipées aquatiques. Fier comme Artaban, spéculant sur la quantité de poissons pêchés, il courut plus qu’il ne marcha au long des sentiers et ruelles, emprunta le chemin caillouteux des Evals, à la rencontre du futur théâtre de ses exploits.

Au bord de l’eau, il déposa le sac de toile kaki contenant le petit matériel et monta la canne. L’enthousiasme ressenti retomba d’un cran lorsqu’il voulut enfiler un ver sur l’hameçon. Non que l’opération était complexe mais l’enfant, révulsé par le pauvre annélide empalé et gigotant, découvrait un aspect de ce sport auquel il n’avait pas pensé.

Le ru bordé d’aulnes aux branches retombantes constitua un deuxième frein à l’exaltation initiale : la ligne s’accrochait aux brindilles, obligeant Baptiste à poser sa gaule pour libérer le fil. Finalement, l’appât daigna toucher le courant, dériva en bondissant entre les galets et ralentit sa course folle dans un méandre plus calme et plus profond. Là, nouveau dépit : le crochet se planta dans les racines d’un buisson surmontant l’onde de sa masse imposante. Dégoûté, l’apprenti pêcheur dut accepter des rentrées liquides dans les bottes afin de récupérer le matériel.

Oui, vraiment, la pêche n’était pas ce qu’il avait imaginé. Il comprit que le clapotis de l’eau, le vol gracieux des libellules et les multiples formes de vie explosant dans ce milieu aux confins de deux mondes suffisaient amplement à son bonheur de petit campagnard.

La canne retrouva sa place dans l’atelier et perdit, définitivement, son pouvoir de fascination. »

 

La Petite Gazette du 11 septembre 2013

SEPTEMBRE…

Retrouvons, comme chaque mois de cette année, le texte consacré à ce mois de septembre par Monsieur Jean Bolland :

« Septembre ! Chaque jour plus nombreuses, les hirondelles se rassemblent.  Un beau matin, dans un grand froufroutement d’ailes, les gracieuses demoiselles s’envolent vers des cieux plus cléments.

Au fil du mois, le soleil s’extirpe de l’horizon avec plus de difficultés. Fatigué d’un si long été, il peine à dissiper les écheveaux de brouillard noyant, dans une mer immobile, les fonds de vallées desquels émergent, çà et là, un clocher ou une poignée d’arbres.

Le temps est venu pour récolter les pommes de terre. Harnaché, Gamin a été attelé aux brancards du tombereau dans lequel Joseph a jeté une fourche, deux paniers en osier et des sacs en jute. Aurore, sa femme, l’accompagne.

Arrivés dans le champ, tous deux se mettent aussitôt à l’ouvrage. Lui, dégageant les tubercules du sol. Elle, les ramassant et les déposant précautionneusement dans les paniers qui, une fois remplis, sont délestés de leur contenu à la limite du terrain où le doux soleil d’arrière-saison séchera la récolte.

En fin de journée, les sacs rebondis sont transportés à la ferme : les patates reposeront quelques jours dans la grange.

Un travail qu’il affectionne sera alors accompli par Joseph : rassembler et brûler les fanes dont la fumée âcre lui rappelle l’époque où, enfant, il aidait son père dans cette même tâche.

Lorsque le moment lui semblera opportun, le fermier disposera les pommes de terre dans la cave, sur une épaisse litière de fougères sèches.

Aurore débute ses journées par la traite des vaches qui, en cette saison, paissent encore dans les prés. L’agricultrice dépose les deux cruches dans les emplacements circulaires de la charrette à bras. L’une est coiffée d’un seau retourné. L’autre reçoit une étamine qui filtrera le lait afin de le débarrasser des impuretés qui auraient pu y tomber. Poussant la petite carriole devant elle, Aurore gagne  l’enclos où l’attendent les trois vaches. Assise sur un trépied, le seau coincé entre les genoux, la tête appuyée contre le flanc de l’animal, la fermière débute la traite.

Rentrée à la ferme, Aurore transvase le précieux liquide dans de grands plats en terre cuite. D’ici un jour ou deux, la crème, séparée du lait, sera battue et malaxée pour donner du beurre.

La traite de fin d’après-midi terminée, Aurore prépare le souper. Pendant ce temps,  Joseph s’assure que les animaux de son petit élevage ne manquent de rien. Les grains lancés aux poules provoquent un remue-ménage caquetant. Du fond de sa soue, le cochon se précipite vers la porte en bois vermoulu. Dans un concert de grognements, il se rue goulûment vers le seau cabossé débordant d’épluchures cuites.

La table dressée, Aurore perçoit enfin les pas fatigués de son mari. Le dos légèrement voûté sous le poids du labeur, vêtu d’un sarrau rapiécé, celui-ci ouvre la porte qui grince sur ses gonds, s’avance vers la table et prend place à côté du bahut contenant les pains pour la semaine. La cuisinière remplit les assiettes de pommes de terre rissolées accompagnées d’une scarole.

Le repas terminé et la table débarrassée, chacun prend place près du poêle. A la lumière d’un quinquet, Aurore tricote. La pipe vissée au coin de la bouche, Joseph laisse échapper de mouvantes volutes de fumée bleuâtre. Pensif, il parle peu. Quelques rares paroles. Chez les gens de la terre, on ne dit pas en vingt mots ce qui peut être exprimé en cinq. Chez eux, rien n’est gaspillé.

Le silence est haché par le cliquetis des aiguilles à tricoter. Par le chant plaintif et grave des bûches noueuses. Par le tic-tac de l’antique horloge qui égrène le temps. Par le mugissement des premiers vents d’automne dans la cheminée.

La sérénité de ces heures apaise et répare les corps qui ont oeuvré de l’aube au crépuscule. »

 

La Petite Gazette du 8 octobre 2013

OCTOBRE…

Retrouvons, comme chaque mois de cette année, le texte que les illustrations du calendrier de Monsieur Jean Bolland lui ont inspiré…

« Les sorcières ! Aujourd’hui, cette évocation fait délicieusement frissonner les enfants. Pour eux, ce vocable est synonyme de fête, de carnaval et d’amusement.

Autrefois, il en allait autrement. Ce nom provoquait la crainte et l’effroi. En témoigne le nombre de lieux-dits rappelant le souvenir de ces êtres qui, bien malgré eux, ont terrifié les générations des siècles passés.

La définition, qu’en donne le dictionnaire Larousse,  dit l’essentiel : « Personne qu’on croit en liaison avec le diable et qui peut opérer des maléfices. » Chaque mot a son importance.

Il est toujours dangereux de vivre et de penser autrement que le commun des mortels. De nos jours, de tels individus sont parfois regardés avec commisération ou, dans le pire des cas, mis au ban de la société.

Jadis, ces gens risquaient leur vie. A une époque où l’instruction était limitée, où la crédulité de nos ancêtres leur faisait entrevoir l’intervention de forces obscures, il ne faisait pas bon être versé dans la catégorie des originaux. Une maladie grave ou un décès inexpliqué dans la famille, une épidémie dévastatrice ou, plus simplement, une vache et son veau qui crevaient,  ne pouvaient être que le résultat  de l’action de puissances maléfiques avec lesquelles certaines personnes, pensait-on, pactisaient.

Lorsque la rumeur enflait et se concentrait sur un malheureux, celui-ci devenait le coupable, tout désigné,  à l’origine des misères affligeant la communauté. Un procès, ou plutôt un simulacre de procès, était organisé. En résultait, généralement, l’exécution de l’accusée.

Dans nos régions, les 16° et 17° siècles virent une grande chasse aux sorcières qui furent brûlées à cause du fanatisme,  de l’ignorance de la population et de ses représentants. Comble de l’abjection, les frais de l’exécution étaient réclamés à la famille du condamné : rétribution du bourreau, payement du bois utilisé et repas de ceux qui s’attribuaient le titre de juges. »

 

La Petite Gazette du 30 octobre 2013

AVEC NOVEMBRE QUI S’ANNONCE, C’EST LE RETOUR DES LONGUES SIZES

Nous retrouvons, avec grand plaisir, le texte que M. Bolland a imaginé en découvrant la nouvelle page de son calendrier…

« Fernand, Raymond et Gaston aimaient passer, ensemble, les soirées de la mauvaise saison. Réunis, tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, ils discutaient des menus événements survenus dans le village, jouaient aux cartes ou évoquaient des histoires d’autrefois. Le plus souvent, c’était Fernand qui hébergeait ses compagnons.

A côté de l’âtre, lové sur une chaise basse, ronronnait un des nombreux chats de la ferme, fatigué d’avoir chassé les souris ayant élu domicile dans les moindres recoins de l’exploitation. Cette chaise lui était dévolue. Il se confondait avec elle. Pour peu, il aurait fait partie des meubles.

Combien de fois les compères ne s’étaient-ils pas rappelé le tour pendable qu’ils avaient joué à Eustache, un jeune marié. Le soir de ses noces,  les trois complices s’étaient dirigés vers la fermette de leur victime. C’était une modeste demeure adossée à un talus et dont le pied de la toiture arrière touchait le sol. Un chariot était entreposé dans le hangar accolé à la grange. Ils eurent vite fait de démonter l’engin, d’en transporter les éléments sur le robuste toit de cherbains avant de le remonter au faîte de l’habitation.

Une autre fois, ils avaient décroché et étendu, sur les buis du presbytère, le linge qu’une vieille jeune fille acariâtre avait mis à sécher au fil reliant deux pommiers de son verger.

Ces évocations étaient accompagnées de rires sonores qui allaient en s’amplifiant au fur et à mesure que la bouteille de genièvre diminuait. Difficile de dire qui était le plus farceur, tant chacun sollicitait  son imagination.

Fin novembre, Raymond et Gaston s’étaient invités à souper chez leur ami. Clotilde, l’épouse de Fernand,  mettait la dernière main aux préparatifs du repas pendant que le trio devisait joyeusement, cherchant un prochain souffre-douleur à leurs espiègleries. Le délicieux fumet qui s’échappait du chaudron suspendu à la crémaillère faisait saliver les invités.

Au moment de prendre place autour de la table, on frappa à la porte. La maîtresse de maison alla ouvrir : c’était la jeune voisine. Elle venait quérir de l’aide pour préparer le mélange de base à la fabrication du boudin noir. Clotilde se dit qu’elle souperait plus tard.

Prétextant des douleurs à l’estomac, Fernand ne fit que goûter les aliments avant de repousser son assiette. L’appétit ouvert par quelques petites gouttes, ses deux copains parlèrent peu, occupés qu’ils étaient à faire honneur aux mets. Ils relevèrent la tête lorsqu’il ne resta, au fond du plat, qu’un discret  morceau de viande et deux bouts de pommes de terre baignant dans un reliquat de sauce. Ils s’excusèrent presque de n’avoir rien laissé pour Clotilde.

Les deux hommes, rassasiés, reculèrent leur chaise, s’appuyant confortablement contre le dossier qui gémit, les jambes étendues sous la table. Il y a longtemps qu’ils n’avaient plus participé à pareil festin !

Un large sourire de satisfaction illuminait leur visage quand, soudain, Gaston donna un coup de coude nerveux à Raymond. D’un mouvement rapide de la tête, il l’invita à regarder la chaise basse dressée à côté de la cheminée :  le chat ne s’y trouvait pas ! Leur mine s’allongea. Pris de violentes nausées, ils se précipitèrent vers l’étable. »

 

La Petite Gazette du 11 décembre 2013

FEERIE DE DECEMBRE

Comme chaque mois de cette année qui s’épuise, Monsieur Jean Bolland nous baigne dans une intimité désuète, mais tellement sincère, et qui, je le sais, vous invite à la rêverie…

« Décembre est bien entamé. La Saint-Nicolas passée, une autre fête occupe peu à peu les esprits : Noël et sa féerie. Son attente donne de la couleur aux jours gris et de plus en plus courts.

Le temps d’une soirée, et elles sont longues en ce début d’hiver, l’église millénaire résonne de coups de marteaux. Des bénévoles installent, du côté droit du choeur, la structure qui hébergera les statuettes reléguées, pendant le restant de l’année, dans un coin sombre de la tour. Quelques résineux, placés en arrière-fond, donnent une touche bucolique à l’ensemble.

Après l’école, à l’aide de plâtre, les enfants  façonnent des santons qu’ils peindront avec méticulosité. Dans les jours qui précèdent la Nativité, les boîtes contenant les différentes garnitures sont  descendues du grenier et ouvertes délicatement. Les réflexions des petits fusent lors de la redécouverte des trésors fragiles qu’elles contiennent. L’un avait oublié la présence de telle boule. Un autre a des étoiles plein les yeux en retrouvant le clinquant des oiseaux qui le fascinent. Chacun rivalise d’adresse et de prudence au moment d’accrocher ces objets aux branches du sapin.  La crèche est enfin posée sur une petite table au pied de l’arbre rutilant : elle accueillera les personnages créés par les enfants. Ainsi garni, ce coin de la salle à manger, vers lequel convergeront tous les regards, ajoutera une touche de merveilleux et de bien-être.

Matinée de la veille de Noël. Le pot du poêle plate-buse est incandescent. Les deux portes émaillées du coffre ont été, au préalable, fermées afin d’y accumuler un maximum de chaleur. Sous les doigts experts de la maman, la farine, la levure, le lait, le beurre fondu, les œufs et une pincée de sel deviennent pâte qui reposera avant d’être partagée en pâtons aplatis à l’aide d’un rouleau puis étalés dans des moules à l’intérieur enduit de matière grasse. Fruits en morceaux, compote, riz… couronneront le tout. Enfournées dans le coffre du poêle pour en être retirées trois quarts d’heure après, dorées et appétissantes à souhait, les tartes prendront la direction de la cave pour y être entreposées dans un garde-manger à claies

La soirée du 24 s’annonce longue. Après le repas, les marmots sont invités à se reposer – à dormir même- pour pouvoir assister à la messe de minuit. A 23 h 45, les cloches sonnent à toute volée, emplissant l’espace de résonances claires s’interpénétrant et roulant jusqu’au fond de la vallée. La famille est en vue de l’église vers laquelle se dirigent d’autres groupes. Tout ce petit monde s’engouffre dans l’édifice. La douce chaleur, l’odeur de résine, les notes de musique dégringolant du jubé, les sourires échangés, la crèche illuminée, tout concourt à rendre l’assemblée heureuse. La magie des chants traditionnels ajoute un supplément de félicité et de surnaturel à ces instants de grâce.

L’office terminé, alors que chacun rentre chez soi, des détonations éclatent soudain et font se lever les têtes. C’est Hector, le menuisier, qui tire quelques fusées griffant les ténèbres du ciel d’éphémères traces dorées et chuintantes.

La porte close, la maisonnée prend place autour de la table pour avaler un morceau de tarte ou un cougnou « maison », le tout accompagné d’un petit verre de vin de muscat. »

Un tout grand merci à monsieur Bolland pour ces très beaux textes qui ponctuèrent fort agréablement cette année 2013.

ALLONS SÎZER…

Les soirées d’hiver dans nos villages donnaient, jadis, lieu à de sympathiques rassemblements que justifiaient diverses réalités d’alors. Tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, des voisins se réunissaient pour sîzer, pour passer la soirée ensemble. Cela permettait d’économiser du bois de chauffage, un peu de pétrole lampant ou quelques bouts de chandelle mais, surtout, cela encourageait les échanges et la transmission d’un savoir ancestral. Aller al sîse c’était aussi aller hoûter lès novèles, partager quelques potins du village ou des environs. Très souvent également, lors de ces soirées passées au coin du feu, les légendes locales, les contes traditionnels étaient racontés et donc transmis.

La Petite Gazette, au fil de ces très nombreux épisodes, a permis d’en sauver quelques exemplaires représentatifs. En voici un premier échantillon.

La Petite Gazette du 5 janvier 2000

MA GRAND-MERE ME RACONTAIT DES HISTOIRES EXTRAORDINAIRES

Monsieur Max-Léon Jadoul a fait l’effort, agréable me semble-t-il, de se souvenir des histoires que lui racontait Célina , sa grand-mère et marraine.

« Le vert-bok : un pauvre petit cultivateur se lamentait dans sa clairière sur les difficultés de subsister. Son épouse ne manquait pas de lui reprocher qu’il devait vivre sous une hutte de branchages et qu’il n’était pas capable de leur construire une petite maison. A bout de larmes, il soupira un jour : « il n’y a plus que le diable qui puisse m’aider ! »

A cet instant, dans un nuage de fumée, lui apparut un être fantastique : pieds fourchus, corps d’homme, tête et cornes de bouc, avec une grande barbiche. Il reconnut immédiatement le vert-bok ricanant. C’était le diable en personne. « Que puis-je faire pour toi ? » Se souvenant des reproches de sa femme, il exposa ses difficultés. « Je fais un pacte avec toi : je te place dans ta clairière, les matériaux nécessaires ; tu construiras une maison de deux pièces et, quand tu auras terminé, je viendrai prendre livraison de ton âme et de tes os. »

Forcé d’accepter le marché, le pauvre se résigne et, sur-le-champ, se met à l’œuvre. Sa femme s’inquiète pour savoir d’où viennent ces matériaux providentiels. Le pauvre homme finit par avouer : il a vendu corps et âme et, dès le travail terminé, il quittera la vie.

Ce n’est rien, lui dit-elle : « quand le diable viendra, je l’embobinerai ». Effectivement, un jour, le vert-bok  vint pour réceptionner les travaux. Il s’en dit très satisfait. « Maintenant, dit-il, je t’emporte aux enfers. »

« Monseigneur, dit la femme, ne croyez-vous pas qu’une annexe plus grande et plus belle pourrait vous servir de salle du trône, mieux digne de vous ? »

« Tout à fait d’accord, dit le diable, la main-d’œuvre ne me coûte rien. Je reviendrai quand la salle du trône sera construite. »

Les matériaux ne tardèrent guère à affluer et la salle du trône se construisit. Un beau jour, il fallut bien se rendre à l’évidence et recevoir Belzébuth. « Ce n’est rien, dit la femme, fais comme moi, j’en fais mon affaire. Monseigneur, prenez possession de votre palais ; installez-vous dans ce coin . »

A ce moment, mari et femme se jettent sur le Malin, le ligotent et l’attachent à un solide crampon fixé dans le trône. Le vert-bok a beau se débattre, jeter tous ses feux, hurler ses pires imprécations ; il n’y a rien à faire, il reste rivé à la muraille dont il a fourni lui-même les pierres. Les heures passent… mais que voulez-vous faire d’un bouc stérile ? Tous trois conviennent d’un pacte et  les époux le laissent s’enfuir pour ne jamais revenir. Le Malin dut conclure que plus rusé que le vert-bok, c’est toujours une femme ! »

Que pensez-vous de ces histoires racontées à la veillée, il y a plus de 70 ans ? Si, comme M. Jadoul, vous avez des souvenirs de ces personnages et êtres merveilleux qui hantèrent votre enfance, faites-les revivre dans La Petite Gazette. Je suis certain que vous ferez des tas d’heureux. D’avance merci.

La Petite Gazette du 19 janvier 2000

A LA VEILLEE AVEC GRAND-MERE

   Grâce à Monsieur Max-Léon Jadoul, d’Arlon, nous avons le plaisir de renouer avec les sizes du temps jadis.

« Ma grand-mère s’appelait Célina Lejeune, épouse de Maximilien Deward.  Elle a habité longtemps à Nandrin, parmi les hameaux aux noms si pittoresques Croix André (Criandrie), Croix claire (Cayèt-Bwès)… Jeune veuve, elle dirigeait fermement sa nichée de garçons complétée par deux filles. Dans les années 1925 – 1930, j’eus le plaisir de vivre en sa compagnie ; quels jours heureux et que de petites joies ! Cette femme exceptionnelle, bourrée d’expérience et de joie, possédait de plus un don de conteuse hors du commun. C’était une fameuse comédienne et, pour le concours de grimaces, sans rire, elle était imbattable. Voici un des personnages qu’elle aimait mettre en scène : Li Neûre Poye.

Un pauvre paysan avait une très jolie jeune femme, trop jolie disaient les mauvaises langues ! Ils s’aimaient d’amour… et, cependant, le pauvre mari éprouvait quelques doutes. En effet, chaque vendredi soir, après les effusions légitimes, mais bien avant minuit, la belle disparaissait sans bruit. La confiance régnait certes, mais tout de même !

Il avait surpris des éclairs de malice dans les yeux des charitables voisines. Un vendredi soir, il se résolut à tirer l’affaire au clair. A minuit, il se mit en route vers le bois de Rognac, en direction du vieux Chêne-Madame, endroit réputé pour les manifestations du  Malin. Venant de Rotheux, il aperçut une lueur verdâtre ; se rapprochant encore, il put voir un énorme bouc noir assis sur une souche et, tout autour de lui, une profusion d’animaux de basse-cour : poules, canes, oies, dindons qui tournaient en procession autour du chêne, en se dandinant et en barbotant dans leur langage respectif C’était vraiment très étrange. Ce qui le surprit le plus, c’est la très forte odeur de soufre et d’urine que dégageait le monstre et cela sans que la chose ne semble impressionner ses fidèles.

Le brave garçon en avait vu assez et il rentra au plus vite au logis. Il y parvint juste avant le chant du coq ; à temps pour apercevoir, toutes plumes dehors, une poule noire qui plongeait dans la trappe du poulailler. Vivement, le brave homme referma la trappe et retourna se coucher.

Le jour bien levé, il entre dans le poulailler et voit une belle poule noire qu’il ne connaît pas et qui le regarde avec effronterie.

« Ah ! la belle poulette qui va me pondre de beaux œufs ! »

Mais point d’œuf, ni ce jour, ni le lendemain.

«  Oh ! dit le fermier, une petite poule qui ne pond pas des œufs… Je vais lui tordre le cou. »

C’est à cet instant qu’il entendit une sorte de râle où il crut comprendre « Pardon ! ». La lumière était faite : il savait que sa femme était allée au sabbat du Bois de Rognac. Il se rappela que la meilleure façon de désenvouter quelqu’un, c’est de lui flanquer sur le croupion un très grand coup de « banette », cette grande pelle en bois servant à défourner les pains. Ce qu’il fit avec la vigueur du mari outragé. Une grande fumée… et voilà que réapparaît sa petite femme tout en pleurs, qui avoue n’être qu’une macrale débutante, qu’elle regrettait en promettant de ne plus pratiquer toutes ces choses.

Elle tint parole, mais le mari vit quelquefois de singuliers éclairs moqueurs dans le regard de quelques voisines, ce qui ne l’impressionnait nullement. Ils furent heureux, ils eurent beaucoup d’enfants, mais elle ne révéla jamais les formules magiques à ses filles.

Li neûre poye, c’est bien fini… Encore que : ma grand-mère affirmait qu’il faut se méfier d’une poule noire qui traverse la route. Ce sont peut-être des bêtises… mais on ne sait jamais. »

 

Voici un bien beau conte populaire qui nous replonge directement dans l’ambiance de ces veillées de nombre d’entre vous n’ont pas oubliées et qui étaient faites de témoignages d’une tradition orale souvent multi-séculaire.

Grâce à Monsieur Jadoul donc, nous avons réveillé quelques êtres étranges et merveilleux qui sommeillaient au plus profond de nombreuses lectrices et de nombreux lecteurs. Madame Peeters, de Louveigné, fait partie de ces personnes dont l’enfance fut jalonnée des manifestations des croque-mitaines de nos régions.

« Jamais, m’écrit-elle, je n’aurais imaginé un jour écrire au sujet des frayeurs de mon enfance… Comme vous avez réclamé des anecdotes relatives au « Babô », voici un petit épisode qui a marqué ma prime enfance :

Nous étions trois enfants, de 9 ans, 7 ans et demi et 4 ans. J’étais la plus jeune. Nous habitions une maison bourgeoise, un long couloir s’ouvrait sur la cage d’escalier avec une première volée de marches, puis un entre-palier et une deuxième volée de marches qui menait au premier étage.

Mon frère et ma sœur s’arrangeaient pour me faire monter la première, la lumière était allumée au rez-de-chaussée et au premier, sur le palier. Ils me suivaient très lentement. Dès que j’arrivais à la deuxième rangée d’escaliers, ils descendaient à toute vitesse, éteignaient les lumières, sauf celle du premier couloir, qui était plus éloigné.

Une fois en bas, ils commençaient à agiter les mains entre les fuseaux, ce qui faisaient des ombres. Ils criaient « Voilà Babô ! » et émettaient des sons sinistres. Je vous assure que j’en ai gardé une image indélébile.

Aujourd’hui, septante ans plus tard, j’en rie, mais la peur a duré des années. Comme quoi les enfants sont loin de réaliser les conséquences de leurs farces. En vous envoyant ce courrier, je réussirai, peut-être, à me libérer à jamais du sort de Babô ! »

Je vous le souhaite Mme Peeters, mais je tiens à vous rappeler que si, bien sûr, les enfants ne peuvent mesurer les conséquences de tous leurs actes et que si vos frère et sœur vous taquinaient avec le Babô, ce sont bien les parents qui faisaient intervenir ces êtres inquiétants pour protéger leur progéniture des endroits dangereux. Sans vous l’avouer, votre frère et votre sœur devaient, sans doute et de cette façon, exorciser leur propre peur ; ils n’avaient pas encore La Petite Gazette, eux ! Un tout grand merci pour votre collaboration à  cette rubrique.

La Petite Gazette du 26 janvier 2000

A LA VEILLEE AVEC GRAND-MERE CELINA

C’est avec beaucoup de plaisir que, une nouvelle fois, nous retrouvons Monsieur Max-Léon Jadoul, d’Arlon, qui, avec émotion, se souvient des sizes animées par les contes et les histoires de sa grand-mère et marraine.

Aujourd’hui, c’est de sorcières qu’il sera question.

« Ce n’était pas un sujet permanent de conversation, mais, de temps en temps, dans les circonstances les plus anodines, se glissait une allusion à peine effleurée, mais toujours avec un air très entendu.

Je demandais : « Marraine, as-tu connu des macrales ? où vivent-elles ? » Les réponses étaient très évasives, mais elle en avait tout de même connu une ou deux !

Et moi-même, en ai-je connu ? En réfléchissant bien, peut-être l’une ou l’autre. C’est oui ou c’est non ? « Ptêt-bin qu’oui, ptêt-bin qu’non. »

Une pauvre vieille femme solitaire, un peu simplette, faisait quelquefois l’affaire. D’autre part, certaines de ces créatures s’arrangeaient pour donner l’impression d’être de commerce avec le diable. Vivant modestement dans une petite maisonnette, voire même une hutte de bûcheron, elles s’entouraient d’animaux « emblématiques » : le gros rouquin marcou (qui venait toujours faire des jeunes à notre petite minette), un vieux chien borgne, hargneux et sans race, une chouette familière (elle s’apprivoise très bien) et, surtout, un affreux bouc puant (le vert bouc) qui assurait à la macrale un revenu régulier, car il revenait à l’animal de présenter ses hommages à toutes les biquettes du canton ! C’est qu’il mettait du cœur à la besogne le gaillard ! et, surtout, il n’y en avait guère dans les villages, car un bouc cela sent et cela ne donne pas de lait…

Ces pseudo-sorcières détenaient de lourds secrets et des remèdes familiers que l’on venait solliciter de loin. J’entendis souvent parler d’un de ceux-ci mis en œuvre pour soulager de graves maladies infantiles. Il consistait en l’application, sur la poitrine de l’enfant, d’un pigeon ouvert en deux vivant !

La version masculine était le macraî et, pour ceux ayant acquis un grade supérieur « li macraî r’créyou » . Il ne passait pas son temps dans de folles broutilles de femmes, mais pouvait devenir redoutable, car il se déplaçait beaucoup. Les macraîs exerçaient de petits métiers solitaires et, dans mes recherches généalogiques, j’ai relevé notamment : faiseur de manches, faiseurs de trappes-souris (pièges à rats et à souris), faiseur de dents de râteaux, faiseur de haies.

Tout ceci pour vous dire que sorcière ou sorcier, à force d’y croire, on peut en avoir l’aspect ou le comportement. Mais il ne faut pas en rire… on ne sait jamais, comme disait ma grand-mère, qui en connaissait un bout sur la question ! »

Vous aussi, vous avez des souvenirs de ces histoires de sorcières ou d’êtres  et d’animaux merveilleux dont on parlait lors des veillées de jadis ; m’en parlerez-vous ? Déjà quelques très jolis récits me sont parvenus, au fil des chroniques à paraître, nous retrouverons les contes dont s’est souvenus Mary Bertosi.

Voici encore une rubrique qui nous promet de bien agréables surprises ; merci pour votre précieuse collaboration.

 La Petite Gazette du 2 février 2000

A LA VEILLEE AVEC GRAND-MERE

      Comme annoncé, voici le premier des contes que m’a adressés Mary Bertosi. Il s’agit de la retranscription de récits entendus durant son enfance. Elle tient à préciser que certains ont été remis sur papier au départ de quelques souvenirs seulement.

« La grande Fifine.

Notre Ardenne d’autrefois comprenait des tas de choses et de personnes incroyables de nos jours : des nutons, des loups-garous, des rebouteux, des sorciers, des fées, etc. Tous ces personnages ont disparu  maintenant, il paraît que c’est depuis qu’on récite l’Evangile de St-Jean.

Je vais vous conter, aujourd’hui, une histoire réelle de sorcière.

La grande Fifine était, comme son surnom l’indique, plus grande que la moyenne des Ardennais qui ne dépassaient guère, en ce temps-là, plus de 1 m. 60. Maigre, les cheveux grisonnants, personne ne savait son âge. Elle vivait dans une petite ville, au bord d’une rue en pente qui menait dans les forêts et au cimetière. Dans sa pauvre chaumière, elle vivait de peu, faisant des ménages ou des lessives, fabriquant des fagots, louant ses bras, comme on disait à l’époque.

Elle avait la réputation d’être sorcière, car elle était bien différente des autres femmes du bourg (il est à remarquer ici que les femmes étaient, plus souvent que les hommes, accusées de sorcellerie). Fifine connaissait les plantes et, l’été, on la voyait herboriser à droite ou à gauche, cueillant les simples et toutes les plantes utiles à ses remèdes, qu’elle faisait sécher sous sa toiture. Les gens la consultaient pour toutes sortes de maux et de maladies, aussi bien que pour les animaux.

Fifine avait un voisin, l’Emile, qu’elle n’aimait pas beaucoup et qui le lui rendait bien. Les discussions étaient fréquentes, pour toutes sortes de raison : les poules de l’un avaient gratté un carré du jardin de l’autre, l’un avait ramassé les pommes tombées du côté de son pré alors que le pommier appartenait à l’autre et toutes sortes de petites querelles pareilles.

C’était lui, l’Emile, qui contribuait à entretenir la réputation de sorcière de la grande Fifine, en la traitant sans arrêt de « Vî macrale » . Elle lui répondait toujours : « Attin, dji t’aurai ». A la longue, on se méfia de Fifine, qui était pourtant brave femme, et, lorsque quelqu’un allait chez elle pour quelque remède, il ne manquait jamais de se signer avant d’entrer.

En réalité, Emile était jaloux car Fifine, malgré tout, avait des amis, en particulier Joseph. Celui-ci passait tous les jours devant chez elle avec son cheval Bijou, pour aller travailler dans les bois. Joseph entrait et buvait sa petite goutte, parfois plusieurs et sortait, quelquefois, assez éméché. Il remontait sur sa charrette et Fifine sortait toujours pour caresser Bijou et lui flatter la crinière. Emile enrageait, il alla même jusqu’à asperger le seuil de sa porte avec de l’eau bénite pour se prémunir du mauvais sort.

Joseph possédait un autre cheval qui ne servait qu’à tirer le corbillard lors des enterrements. L’Emile vint à mourir, après les veillées bien arrosées, comme il était d’usage à l’époque, les prières et les galettes, vint le jour de l’enterrement. Le cheval qui tirait d’habitude le corbillard étant malade, Joseph attela Bijou pour le remplacer ; Tout se passa bien jusqu’à ce qu’ils arrivent à la hauteur de la maison de Fifine, où le cheval s’arrêta net. On dut caler le corbillard avec des pierres, pour l’empêcher de reculer. Ni les paroles, ni les « hue » et les « ho », ni les poussées des gens, rien ne fit redémarrer le cheval, qui avait l’air cloué sur place. Rien à faire !

Au bout d’une heure, il était toujours là, sous un soleil de plomb. Dans la foule, on commençait à jaser ; c’est sûrement à cause de Fifine. Ils étaient tellement ennemis avec l’Emile, qu’elle a mis à exécution sa promesse et, jusqu’après la mort,  elle le fait enrager en ensorcelant le cheval. Voilà ce qu’on entendait. Quelqu’un vint même asperger Bijou avec de l’eau bénite, rien n’y fit ; on récita une dizaine de chapelets, toujours rien ! Que faire ? On ne pouvait pas rester là ad vitam eternam !

Joseph eut alors une idée, il entra chez Fifine et lui demanda de venir ; celle-ci s’approcha de Bijou, le flatta, lui parla tout bas, le caressa et, d’un seul coup, le cheval reprit son élan et monta jusqu’au cimetière, d’une seule traite. Voilà la réputation de sorcière de Fifine bien assise à des lieux à la ronde… et pourtant !

Chaque fois que Joseph s’arrêtait chez Fifine pour boire sa petite goutte, celle-ci sortait pour caresser le cheval et lui donner un morceau de sucre. Habitué à cette pratique, Bijou s’était arrêté le jour de l’enterrement et attendait, tout simplement, son sucre.

Voilà comment on devient sorcière ! »

Très joli récit, n’est-ce pas ! Faites-moi savoir ce que vous en pensez, il y en a d’autres, de la même veine. Un grand merci à Mary Bertosi.

La Petite Gazette du 26 juillet 2000

LE  LOUP-GAROU

Mary Bertosi, de Tenneville,  a gardé des souvenirs émus des contes entendus durant son enfance ; aujourd’hui, cette magie de l’histoire lue ou entendue, elle la restitue aux enfants, pour la plus grande joie de ceux-ci. Elle a couché sur papier certaines de ses histoires faites de propres souvenirs, de poésie et de féerie. Je vous propose de partir à la rencontre du loup-garou.

« Lorsque grand-mère était enfant, souvent, à la veillée, on racontait des histoires pas toujours amusantes ; des histoires qui faisaient peur aux enfants soit de l’eau, des forêts pour qu’ils ne s’y aventurent pas seuls, soit des puits et autres dangers à droite et à gauche. Les grandes personnes elles-mêmes n’étaient pas toujours rassurées car les Ardennais ont toujours été superstitieux et croyaient beaucoup aux nutons, aux sorcières jeteuses de sorts ou au laid méchant homme.

Aujourd’hui, je vais vous parler des loups-garous ; ces animaux mystérieux qui venaient on ne sait d’où et repartaient de même après avoir fait quelques dégâts dans les bêtes le plus souvent, mais, parfois, ils s’attaquaient aux gens.

Le loup-garou est une personne ensorcelée, métamorphosée en loup enragé, affamé, assoiffé de sang, par un sorcier très puissant et inconnu, dont le charme ne périt jamais. La transformation s’effectue le plus souvent les soirs de pleine lune où il est préférable de verrouiller portes et fenêtres, ainsi que les portes des étables. Parfois, la transformation pouvait durer plusieurs jours.

Dans une famille normale, il peut y avoir un loup-garou que personne ne connaît car le reste du temps, il est comme vous et moi. »

Dans notre prochaine édition, nous suivrons Mary Bertosi au cœur d’une de ces familles d’Ardenne au sein de laquelle il se passa de bien étranges choses…

La Petite Gazette du 26 juillet 2000

LE LOUP-GAROU

J’imagine que vous êtes, toutes et tous, curieux de retrouver l’atmosphère désuète de l’univers imaginaire de Mary Bertosi, de Tenneville ! Lors de notre précédente édition, après nous avoir expliqué en quelques mots ce qu’était un loup-garou, notre conteuse nous inquiétait quelque peu en affirmant qu’il était possible qu’il en existe, sans que personne ne s’en rende compte, dans des familles qu’elle qualifiait de « normales ».

« Marie-Josèphe Jeuniot avait l’habitude de porter à dîner à son mari, lorsque celui-ci travaillait aux champs, chose courante à l’époque.

Elle attendait avec lui, en faisant la causette et se reposant un peu, le temps qu’il termine son repas et elle reprenait ses récipients vides pour le retour.

Marie-Josèphe alla dons un jour, à midi, comme d’habitude, porter le dîner à son homme. Il travaillait à plus de quatre kilomètres du foyer et Marie-Josèphe allait bon train car elle était légèrement en retard.

Il y avait, sur plus de deux kilomètres, un bois à traverser, cela ne l’effrayait pas tant elle avait l’habitude d’y passer, mais se signait toujours avant d’entamer la côte ; bien lui en prit ce jour-là !

En effet, à peine avait-elle fait le signe de croix, qu’un énorme loup-garou sortit du bois avec fureur et attaqua la malheureuse. Elle se défendit tant qu’elle le put avec son gourdin, en invoquant le nom de tous les saints qui lui passaient par la tête : « Tiens sur la tête au nom de saint Joseph, vlan dans les côtes pour saint Mathieu, et voilà pour saint Antoine… »

La femme se battit plus d’une demi-heure avec cette bête enragée qui l’avait mise en lambeaux, ses jupons étaient réduits à quelques loques ; le sang lui venant sur les bras et les jambes et, même, au visage. Le loup-garou vit qu’il avait affaire à forte partie et se découragea, se sauva dans les bois tout courbaturé de coups de bâton.

Marie-Josèphe se pressa d’aller retrouver son homme ; elle le trouva en nage, assis, blessé à la tête et dans les côtes. Que s’est-il passé ? dit-elle en le voyant en sueur, oubliant du coup sa propre aventure.

« Rien qui vaille la peine, dit-il, allez, sers-moi à manger ! »

Marie-Josèphe servit la soupe, mais son mari ne voulait pas manger devant elle et se retourna. Mais qu’as-tu  donc aujourd’hui ? lui dit-elle et elle s’approcha plus près ; c’est alors qu’elle vit, dans les dents de son mari, des lambeaux de tissu de sa robe, de son jupon, qui étaient restés accrochés dans sa denture.

« Ah ! mon Dieu ! dit-elle, le loup-garou c’était toi et tu m’as attaquée sur le chemin ! »

Alors le mari se tourna vers sa femme en pleurant et lui demanda « Débarrasse-moi de ce sortilège, tiens prends ce poignard bénit et perces-en mon cœur en une seule fois. C’est le seul moyen de détruire la bête qui est en moi ».

Marie-Josèphe prit le poignard, récita quelques Paters, fit un grand signe de croix et traversa la poitrine de son mari d’un seul coup, à cet instant, un hurlement de loup se fit entendre dans le lointain, mais l’homme avait retrouvé le calme sur son visage sans vie, tourmenté quelques instants auparavant.

Marie-Josèphe le déclara mort, tué par des brigands, pour qu’il puisse avoir une sépulture chrétienne, qui aurait été refusée si l’on avait connu sa métamorphose. »

Terrible et surprenant n’est-ce pas ! J’espère de tout cœur que cette histoire ne viendra pas perturber vos nuits que je vous souhaite paisibles et agréables.