La Petite Gazette du 11 juillet 2012
Monsieur Fernand Maurer, de Hamois, m’a confié un ensemble de documents présentant un pan entier de l’histoire des transports dans nos régions puisque ces pièces nous conduisent au milieu du XIXe siècle quand son ancêtre obtient, le 9 août 1856, un avis favorable de la députation permanente quant à la demande qu’il a introduite avec le Sieur Orban en vue d’obtenir la concession d’un service de messageries entre Dinant et Ciney. Il est d’ailleurs intéressant de faire remarquer que la même députation permanente avait, le 20 juin précédent, refusé aux mêmes Sieurs Orban et Maurer l’autorisation d’établir ce même service de messageries.
Un avis, publié dans une feuille locale, dont je n’ai malheureusement pas les références, mais qui daterait du 9 juin 1861, donne quelques informations sur le service offert :
AVIS
Martin MAURER, propriétaire du char-à-bancs de Ciney à Dinant, a l’honneur d’informer le public, qu’il part tous les jours le matin de Ciney pour Dinant, après l’arrivée du convoi de chemin de fer du Luxembourg venant de Jemelle ; et de Dinant pour Ciney, de l’hôtel des Ardennes, à 3 heures de relevée pour correspondre, à Ciney, avec le convoi venant de Luxembourg pour Bruxelles et avec celui de Bruxelles pour Luxembourg.
Mon correspondant m’apprend que son ancêtre « Martin Maurer, né le 11 juin 1818 à Bettingen, en Prusse, décédera à Ciney le 3 mai 1868. C’est à la suite du décès de son père qu’il émigrera vers nos régions où il devient conducteur de la diligence Ciney – Dinant. A sa mort, son épouse poursuivra l’entreprise de 1868 à 1877. Des documents fournis par M. Fernand Maurer, je conclus que la diligence, elle, poursuivra sa route. En effet, c’est ce véhicule que le Musée de la Vie Wallonne a acquis en 1925, date à laquelle elle cessa de circuler entre les deux villes. Elle venait de subir la concurrence d’une ligne d’autobus qui venait de se créer, la lutte était inégale et le progrès l’emporta sur la tradition. Son dernier propriétaire, venant d’acheter lui-même un omnibus automobile, a vendu les deux diligences dont il s’était servi jusqu’alors. La voici telle qu’elle a été présentée dans le n°8 des Enquêtes du Musée de la Vie Wallonne daté d’octobre 1925. Elle devrait, à terme, être exposée au Musée des Transports en commun du Pays de Liège ; c’est du moins ce qui était officiellement annoncé à mon correspondant en avril 2009 !
La Petite Gazette du 1er août 2012
MON AIEUL ÉTAIT CONDUCTEUR DE DILIGENCE !
Monsieur Fernand Maurer, de Hamois, nous a permis d’évoquer la mémoire de son aïeul et, surtout, le métier qu’il exerçait entre Ciney et Dinant : conducteur de diligence. Cette semaine, toujours grâce à l’importante documentation mise à ma disposition par M. Maurer, nous évoquerons le passé de ce mode de transport dans nos contrées.
Ainsi dans une brochure faisant partie de la série « Documents » publiée à l’occasion du millénaire de la Principauté de Liège et les 150 ans de la Belgique, j’extrais la pièce suivante datée du 13 mars 1687 et conservée aux Archives de l’Etat à Liège (Archives du Conseil Privé, Registre aux dépêches, 1683 – 1687, t. XXXIV, f° 347)
Ajoutes et modifications à l’octroi du 28 février 1687 autorisant l’établissement d’un service régulier de voitures entre Dinant et Liège
13 mars 1687
S.A.S. estant requise de la part de Michel et Mathy de St-Hubert de régler quelques points nécessaires pour faciliter le charoy vers Dinant, en excécution de l’octroy leur accordé par ses lettres patentes du 28 février dernier, et considérant qu’avant tout il convient de pourvoir à ce que les chemins soient mis en état de s’en pouvoir commodement servir, Saditte Altesse, ne veulant rien obmettre de ce qui peut dépendre d’Elle pour rendre la chose autant plus praticable et avantageuse au commerce et au public, ordonne sérieusement par ceste à son magistrat de Dinant de rendre bons, incessamment, les chemins qui sont de son resort, signanment au lieu de Foidvaux, et de les y entretenir.
Que tous et chacun villages de la route qui seront indiqués à son haut officier, devront de mesme, sans aucun délai ny remise, à la première semonce de sondit officier, réparer et entretenir pareillement les chemins de laditte route pour autant qu’elle s’estendra par leur districht et sera païs de Liège, sans toucher aux terres estrangères, conformément à ce qui a esté autres fois suivi par charoy et voiturier.
Et afin que les chartiers et voituriers de laditte route soient spécialement distingués, S.A. permet à chacque homme qui y sera employé de porter les ouleurs de ses chartiers ordinaires, voire parmy serment de ne s’en servir à aucun autre usage et de ne les prester à autruy ; voire mesme il leur sera permis de porter des armes à feu découvertes et chargées à balles contre les voleurs.
Et comme S.A. a commandé ausdits de St-Hubert de partir chaque lundy d’une ville à l’autre, et qu’il luy a esté remonstré qu’il y avait plus d’avantage et de bénéfice pour le commerce de rendre la voiture plus fréquente, Elle a bien voulu, à leur réquisition, leur accorder le permission de pouvoir faire aller successivement les charrettes les lundis et jeudis d’une ville à l’autre, à sçavoir le lundy de Dinant, le jeudy de Liège, le lundy de Liège et le jeudy de dinant, ordonnant pour ce à tous ceux qu’il touchera de s’y conformer et de s’acquitter respectivement des devoirs de leurs charges, à l’exécution tant des présentes que des lettres d’octroy susdittes.
Donné au Conseil de S.A., le 13 de mars 1687
N.D.L.R. En 1687, le prince-Evêque de la Principauté de Liège est Maximilien-Henri de Bavière. En outre, ce prélat, détesté des Liégeois, était également archevêque-électeur de Cologne et évêque de Hildesheim ; en 1683, il fut, en plus, nommé évêque de Munster.
Le département de Sambre et Meuse a été créé le 1er octobre 1795, il sera dissous en 1814 ; mais avant même sa constitution officielle, des décisions administratives se devaient d’être prises. Ainsi, le 23 janvier 1793, l’administration provisoire requérait le citoyen Bosque pour que soit établi un service de poste aux lettres entre Dinant et Givet et entre Dinant et Ciney.
Dès 1856, le nom de Martin Maurer, l’aïeul de mon correspondant, apparaît régulièrement dans les délibérations de la députation permanente pour modifier le service de messagerie qu’il exploite entre Ciney et Dinant ou quand il sollicite une réduction de la taxe due aux barrières de Sorinnes et de Dinant. La dernière fois où ce patronyme apparaît dans ces délibérations officielles c’est le 12 octobre 1877, quand sa veuve abandonne l’exploitation de son défunt époux. Elle sera transférée au sieur Potier.
La fin du XIXe siècle coïncide avec l’apparition d’un nouveau mode de transport ainsi que l’indique la députation permanente en date du 11 août 1899 quand elle décide « sous conditions et sous réserve d’approbation Royale, d’autoriser la Société anonyme régionale de transports par automobiles, à Namur, à établir un service d’automobiles à vapeur pour le transport de voyageurs en commun et de marchandises, entre Profondville et Dinant, avec service de dinant à Namur et retour, pour prendre les dépêches postales à 10 heures du soir. » L’heure du déclin des malles-postes et des chars-à-bancs avait sonné.
La Petite Gazette du 15 août 2012
MON AIEUL ÉTAIT CONDUCTEUR DE DILIGENCE !
Grâce aux informations et documents fournis par Monsieur Fernand Maurer, de Hamois, nous avons eu la chance d’évoquer la réalité de ce métier d’autrefois. Voici, pour conclure sur le sujet ce que disait sur ce même thème et à propos de cette diligence montrée il y a peu le journal local « Les Nouvelles du Condroz » du dimanche 9 novembre 1930 sous la plume d’un certain Pol Judon:
« La dernière diligence en service en Wallonie.
La semaine dernière, deux forts chevaux ont amené vers Liège la vieille diligence qui a fait le service Ciney-Dinant jusqu’en 1925. On se rappelle que son propriétaire, M. Joseph Lamor, avait espéré lutter, malgré tout, contre la concurrence d’une ligne d’autobus, créée en 1924.
Après quelques mois, il avait fallu se rendre à l’évidence: en notre siècle d’essence et de vapeur, la « diligence » et ses deux mules n’étaient plus de leur temps. Elles subirent le sort impitoyable réservé aux vieilles choses d’ici-bas et, du jour au lendemain, elles furent, c’est le cas de le dire, supprimées de la circulation.
C’est un reste du bon vieux temps qui disparut définitivement.
Le char à banc du père Lamor et de Jules, des Dernelle, des Barzin, des Maurair était bien beau, cependant! On le revoit, ni vert, ni gris, ni jaune, mais de cette couleur indéfinissable de la route qu’il parcourait.
Haut sur roues, coiffé d’un immense bonnet-abri des marchandises, anguleux, ceinturé d’une bande claire où se lisaient les noms de ses destinations, il avait bel air quand même!
Là-bas, vers Achêne, vers Sorinnes, la vieille voiture supportait tout: la bise qui fouette, la neige fine et les rafales sifflantes de la pluie.
Jules Lamor, qui a assuré pendant trente-cinq ans le service de la diligence Ciney-Dinant en a connu de riantes et tristes aventures, des incidents et des accrocs au cours de tous ses déplacements.
Le dernier char-à-bancs de Wallonie vient d’être acquis par le Musée de la Vie Wallonne à Liège. C’est là la reconnaissance pour bons et loyaux services. Il méritait d’être conservé, car il marque une date dans l’histoire des transports dans notre pays. »
Jules Lamor dut se reconvertir en troquant son habit de cocher contre une salopette de conducteur de camions, au service de « l’Economie Populaire », entreprise cinacienne plus connue sous le vocable de « l’Epécé ».
Pour ce qui concerne la malle-poste qui assurait le service entre Ciney et Dinant, un extrait du calendrier de 1981 édité par l’ASBL Pro-Post et la Régie des Postes nous procure quelques informations:
« C’est Monsieur Léon Sommelette, né à Achêne en 1850, qui fut le dernier conducteur à assurer, au début de ce siècle (il s’agit du XXe siècle), le dur service du transport du courrier postal entre Ciney et Dinant. Il s’agissait, en effet, d’un service assez pénible.
La poste quittait la poste de Ciney à 7 heures du soir et arrivait à Dinant à 9 heures.
Après avoir remis les dépêches à la poste, le conducteur restait à Dinant jusqu’à 2 heures du matin.
Un service postal spécial préparait le courrier à destination de Ciney.
La malle-poste Ciney-Dinant n’était pas très confortable, il y avait place pour huit voyageurs dont deux s’installaient à côté du conducteur.
Une boîte aux lettres était accrochée à l’arrière et un coffre blindé, fermé à clef, était destiné contenir les dépêches. Fermé au bureau de départ, ce coffre était ouvert au bureau d’arrivée par les préposés de la poste.
En 1932, à l’occasion d’une interview, Monsieur Léon Somelette, alors âgé de 82 ans, confiait au journaliste qui désirait savoir s’il n’avait jamais eu peur de circuler seul ainsi la nuit:
« J’avais un chien-griffon ‘Serdjant’ qui était admirablement dressé. Il faisait le voyage sous la voiture marchant derrière le cheval et chaque fois que nous croisions un passant il baissait la tête, laissait passer la voiture et suivait alors en surveillant le convoi. Si quelque riverain avait une lettre à mettre à la boîte, il devait me faire signe d’arrêter et j’appelais ‘Serdjant’ pour permettre à la personne d’approcher de la boîte aux lettres ». »
La confusion est aisée, à notre époque, entre ces deux modes de locomotion. La malle-poste, ainsi que le cabriolet appelé « chaise de poste », étaient spécialement destinés au service de la poste, quoique prenant en plus quelques voyageurs. La voiture publique ou diligence, par contre, était destinée au transport de personnes et de marchandises. Occasionnellement, elle prenait également des dépêches et correspondances.