La Petite Gazette du 22 mars 2000
Monsieur P.B., de Tohogne, m’a envoyé un très beau texte, très précis et très documenté, né, m’écrit-il, d’un doux moment de rêverie consécutif à la lecture de La Petite Gazette.
« A l’époque, celle des années de guerre et les suivantes immédiates, j’étais âgé d’une dizaine d’années ; mes parents et moi-même habitions un appartement au troisième étage près de la place du Martyr, à Verviers. Mon père travaillait dans une des dernières usines wallonnes de fabrication de chaussures. C’était donc un « cwèpi ».
Dans notre mansarde, il avait installé un petit atelier de cordonnerie. Le petit garçon que j’étais n’avait que peu de sujets d’amusement, mis à part la radio, la lecture et les montages et démontages de son méccano. Je rejoignais donc souvent mon père dans sa mansarde pour le regarder travailler et, parfois, travailler à quelques menus travaux.
Je pense que me souvenirs raviveront ceux d’autres lecteurs ayant fréquenté un cordonnier et instruiront d’autres sur les facettes de ce métier ô combien intéressant durant ces années de disette. Lorsqu’on entrait dans cet endroit, la première impression qui venait à l’esprit était celle de se trouver sur le lieu de travail d’un nain. En effet, tout était quasi à ras de terre et conçu pour travailler assis. Dans ce local, aucun engin électrique si ce n’est une ampoule qui pendait du plafond et diffusait sa lumière crue dans les moindres recoins.
Dans ce décor, mon père. Pour lui, comme pour ses collègues que j’ai rencontrés, la tenue de travail se résumait à peu de chose : une chemise à carreaux, un pantalon de grosse toile, éventuellement le vieux pull et, pour tous, le tablier de cuir en forme de jupe. Certains avaient un tablier semblable à celui des forgerons avec une bavette, mais naturellement en cuir beaucoup plus mince puisque non soumis aux mêmes contraintes. »
Pendant quelques semaines, grâce aux souvenirs précis de ce lecteur de Tohogne, nous retrouverons donc les gestes du « cwèpi », ses outils et son art. Comme mon correspondant le souhaite, et, croyez-moi bien, il n’est pas le seul, si vous possédez dans vos collections la photographie d’un ancien atelier de cordonnerie, n’hésitez surtout pas à nous la transmettre afin que nous puissions la publier pour illustrer ces lignes. En effet, Monsieur M.B. à qui je réclamais semblable document m’a répondu : « Je ne possède aucune photo de cette époque, car il n’y a aucune honte à vous avouer que mes parents étaient de condition très modeste et ne possédaient pas d’appareil photographique. Les seules photos que nous possédions à cette époque étaient celles prises par des photographes de rues qui figeaient sur pellicule les passants qui déambulaient par beau temps. Ils recevaient alors un petit ticket leur permettant d’aller voir les clichés dans un local donné et où il était alors possible d’en faire l’acquisition moyennant finances. »
La Petite Gazette du 29 mars 2000
AMON L’CWEPI
Comme promis, je propose de vous plonger dans l’ambiance toute particulière de l’atelier de cordonnerie du papa de Monsieur P.B., de Tohogne.
« Résumons donc : une chaise, une table, un pied de fer et une étagère.
La table basse, probablement une vieille table de cuisine dont les pieds avaient été sciés pour se trouver à bonne hauteur du travail assis. Elle était encombrée et surchargée, dans un joyeux désordre, de boîtes à conserve remplie de pointes ou semences de 8, 10, 12, 15, … qui servaient à la fixation des semelles, des talons et encore des fers que mon père plaçait à la pointe ou au talon des chaussures pour les renforcer et prolonger ainsi leur existence.
Sur cette table également, une multitude de tranchets ainsi que la pierre à eau pour les affûter et en reconstituer le fil tranchant. Ces instruments, faits d’une simple lame d’acier, coupaient comme des rasoirs et il m’était interdit de les manipuler. Sur certains, mon père avait enroulé de la ficelle ce qui leur faisait une sorte de poignée utile lorsque leur usage demandait de les utiliser avec force.
Se trouvaient aussi sur la table des boules de poix, ainsi qu’un pot de colle durcie avec un pinceau dont le manche pointait vers le ciel, comme un doigt vengeur fâché d’avoir été abandonné ! Il suffisait toutefois de réchauffer le pot au bain-marie pour que colle et pinceau retrouvent toute leur souplesse. Et encore, des morceaux de cuir, de caoutchouc, des tenailles, des pinces, des marteaux tout cela formant un véritable attirail sur cette petite table.
La chaise était également trafiquée et j’ai pu en voir de semblables chez d’autres cordonniers qui, tous, appelaient ce siège un « ham ». Il s’agissait donc d’une vieille chaise dont le dossier avait été scié ainsi que les pieds pour en diminuer la hauteur. Le fond avait également disparu et était remplacé par un entrelacs de lanières en cuir clouées sur tout le pourtour du cadre. Cette fabrication maison avait certainement l’avantage d’offrir plus de confort à ces hommes assis durant huit ou neuf heures d’affilée. A nouveau, les pieds avaient été sciés et, avec le recul et ma compréhension d’adulte, j’en suis venu à la conclusion que tout cela était dû à la taille du pied de fer qui était d’environ septante centimètres de haut. »
Même si la description réalisée par Monsieur P.B. a la précision d’un cliché, permettez-moi d’insister auprès de vous pour tenter d’obtenir une photographie d’un ancien atelier de cordonnerie ; je suis intimement persuadé que cela ferait un plaisir immense à mon correspondant. Si vous possédez ce document, confiez-le-moi sans crainte. D’avance, un grand merci.
La Petite Gazette du 5 avril 2000
AMON L’CWEPI
Comme les deux dernières semaines, j’ai l’immense plaisir de vous convier à pénétrer dans l’atelier de cordonnerie du papa de Monsieur P.B., de Tohogne, et de, pour quelque temps, vous permettre de vous imprégner de l’ambiance feutrée qui y régnait et des odeurs de cuir et de colle qui y flottaient. Retrouvons-nous autour du pied de fer.
« Ce lourd engin de fonte comportait à sa base une grande et épaisse flasque d’où partait à la verticale un montant massif qui se terminait par un bloc parfaitement rond servant, lui, à la fixation, par collage ou clouage, des talons de toutes les mesures.
A gauche et à droite du montant vertical, partaient des bras qui formaient deux jolies arabesques ressemblant assez bien aux bras des danseuses asiatiques dans leur danse lascive et dont les mains auraient été remplacées par des blocs massifs ayant la forme d’une semelle de chaussure : d’un côté pour chaussure « homme » et de l’autre pour chaussure « dame ». Ayant la même utilité que le montant vertical dans la fixation des semelles de cuir ou caoutchouc par collage ou clouage. Donc, j’en conclus que ce pied de fer, étant soumis à des efforts certains et à des martelages énergiques, ne pouvait pas dépasser une certaine taille sous peine de basculer. Ainsi, tout le mobilier alentour était fait pour correspondre à cette taille et li cwèpi devait travailler, assis, avec tout à portée de main.
L’étagère, elle, était couverte d’anciennes boîtes à chaussures pleines de morceaux de peau, de cuir, de caoutchouc et d’autres matériaux nécessaires à cette activité.
Il serait fastidieux de reprendre tous les faits et gestes du cordonnier, mais il est utile de dire, qu’à cette époque, il façonnait les chaussures de A à Z ; depuis la prise des mesures jusqu’à la livraison dans un morceau de papier brun.
Le rendez-vous était pris avec le client, celui-ci enlevait la chaussure de son pied le plus fort et, en chaussettes, posait son pied bien à plat sur un papier épais. Mon père en dessinait le pourtour au crayon tout en veillant à observer toute difformité quelconque pour l’inclure plus tard dans son travail. A partir de ce patron, la fabrication démarrait par la découpe des tiges, des empeignes, des lisses, des talons et autres composants dont j’ai oublié le nom. »
La semaine prochaine, nous retrouverons notre cordonnier assemblant toutes les parties de la chaussure neuve.
La Petite Gazette du 12 avril 2000
AMON L’CWEPI
Monsieur P.B., de Tohogne, nous a invités dans l’atelier de cordonnerie de son papa et, la semaine passée, nous avons assisté à la prise des mesures et à la découpe des pièces de cuir nécessaires à la fabrication d’une nouvelle paire de chaussures. Aujourd’hui, nous le suivrons dans son assemblage :
« Une des particularités était que tout était cousu à la main et que la couture des semelles m’apparaissait comme singulièrement intéressante. Avant tout, mon père préparait des fils, longs de plus ou moins 1,50 mètre, qui, pour résister aux intempéries et marches dans la pluie, étaient longuement enrobés de poix. Je ne puis dire d’où elle provenait mais je sais, par mes lectures, qu’elle était souvent utilisée dans la marine pour assurer l’étanchéité des navires construits en bois.
Tenant une boule de poix dans la main gauche protégée par un morceau de cuir, de la main droite, il pressait, sur la boule, le fil à coudre (genre ficelle mince en coton) au moyen du pouce et tirait ainsi à maintes reprises jusqu’à ce que le fil soit bien imprégné. C’était une opération de force qui se terminait par le placement de l’aiguille. Cette dernière n’avait rien de métallique, mais était constituée par certains poils de sanglier ou de porc que l’on nomme soie. Au bout de son fil à coudre, il séparait les brins de coton, y introduisait la soie, puis refermait les brins pour former une épissure qu’il enduisait également de poix. Le fil prêt était lisse comme du nylon et d’une résistance incroyable.
La couture pouvait dès lors commencer et se pratiquait à deux fils. Au moyen d’une alène, il faisait des trous dans les différentes épaisseurs de cuir, tige, empeigne, lisse et semelle. Dans ces trous, il passait les soies de porc ou de sanglier, puis, de chaque main, tirait les fils pour former des nœuds de couture d’une grande solidité. Il va sans dire que chaque main voyait sa paume protégée par des morceaux de cuir, car tout glissement intempestif du fil lui aurait provoqué de graves coupures tant la traction sur le fil était forte pour serrer les nœuds.
J’ai pu observer tous ces travaux durant des années et, parfois, je pouvais participer lorsque les chaussures étaient presque terminées. Mon travail consistait alors à enduire les lisses et les bords de semelles avec de la cire noire ou brune, selon la teinte de la peausserie. Au moyen d’une bougie, je chauffais donc un bloc de cire pour le ramollir et je le passais sur le cuir pour lui donner la teinte souhaitée. La cire se déposait assez grossièrement vu son refroidissement rapide au contact du cuir. A ce moment, il y avait des fers à lisser de différents profils et qui servaient à lisser et à faire briller la cire. Je chauffais ce fer au moyen de la bougie et passais plusieurs fois sur le cuir pour égaliser et faire briller les bords de semelles.
J’ai pu ainsi, lors de ma jeunesse, assister à cette fabrication artisanale et il y aurait encore beaucoup à relater sur ce métier de cordonnier. Vous serez peut-être étonnés, mais il me plaît de souligner qu’une paire de chaussures, ainsi faites main, avait une durée de vie d’une dizaine d’années ! Cela laisse rêveur à notre époque… »
Encore une fois, je tiens à remercier chaleureusement mon correspondant pour la qualité de son évocation qui, vous me l’avez dit et écrit, vous a réellement permis d’entrer et de visiter ce vieil atelier de cordonnerie. Vous avez été sensibles à ce récit et vous l’avez aimé.
La Petite Gazette du 19 avril 2000
AMON L’CWEPI
Comme promis, voici une autre évocation du métier de cordonnier rédigée cette fois par Monsieur René Carlier, de Neuville-en-Condroz.
« Mon oncle, Auguste Humps, frère aîné de ma mère, exerçait le métier de cwèpi à Ivoz-Ramet, route de France. Je vous envoie une photo le montrant au travail, cela se passe entre 1935 et 1940 (pas après car Léopold Counard, debout sur le cliché, a été tué au début de la guerre 40). Les autres personnes sont, de gauche à droite : Edmond Carlier, mon père ; à côté de lui, Marcel Counard, frère de Léopold, Henri Himisdael (tous des voisins) et, enfin, à droite, mon oncle Auguste. Ils sont installés dans la cour de la maison de mes grands-parents maternels M. et Mme René Humps-Firket qui, alors, tenaient un café.
Sur cette photo, vous voyez la table de travail très basse ; le pied de cordonnier ainsi qu’un de ses marteaux. Je les possède toujours de même que le petit bol à colle. Cette colle (qu’on appelle empois, je pense) était préparée par ma grand-mère, avec de la farine et de l’amidon. La chaise de mon oncle était basse aussi, elle n’avait pas de dossier et le fond était en cuir. Sa tenue de travail se caractérisait surtout par son grand tablier de toile bleue. Du plafond, dans son atelier, pendait une ampoule électrique qu’il montait ou descendait selon la lumière désirée.
Mon grand-père paternel, Alfred Carlier, était, lui aussi, cordonnier et brasseur. Il exerçait son métier à Clavier-Station. Mon père savait également réparer, à l’occasion, certaines chaussures, car il donnait parfois un coup de main à son père.
Lorsque j’étais enfant, vers 11 ou 12 ans, j’en ai 60 aujourd’hui, je donnais souvent un coup de main à mon oncle, pendant les vacances : j’arrachais les semelles et les talons et, dans les trous, je clouais des petits bouts de bois d’environ 1 cm. De long et de 2 à 3 mm. d’épaisseur. Mon oncle mettait, entre ses genoux, un gros pavé de rue pour battre le cuir qui avait trempé toute une nuit dans un petit bassin d’eau, pour être plus souple à l’emploi, comme il disait. Il possédait aussi une machine à coudre à pédale et une riveuse à main. Il a exercé son métier pendant 50 ans et était connu dans bien des villages du Condroz : Neuville, Rotheux, Saint-Séverin, Nandrin, Villers-le-Temple…Son travail était toujours apprécié de tous car c’était vraiment un artiste de la chaussure. »
J’imagine que cette belle évocation aura plu à nombre d’entre vous. En votre nom, j’en remercie vivement son auteur.
La Petite Gazette du 3 mai 2000
AMON L’CWEPI
Jamais je n’aurais imaginé que l’évocation du métier de cordonnier éveille tant de souvenirs chez mes lecteurs ; je suis ravi que cela soit le cas.
Ainsi Madame Odile Delmelle, d’Aywaille, se souvient du « cwèpi » qui travaillait dans le fond du village à Modave. Il y avait plusieurs filles dans cette famille, toutes étaient amies avec maman. Je me souviens des noms de leurs époux mais n’en trouve plus aucun dans le guide du téléphone. Je n’ai malheureusement aucune photographie, on n’avait pas de Kodak à l’époque, c’était vraiment du luxe ! Je revois en pensée cette maison où l’atelier nous attirait surtout par l’odeur du cuir et la gentillesse du couple. Raphaël était très calme et très minutieux dans son travail. Tous les outils décrits me sont aussi revenus en mémoire ; je vois encore le « ham », le siège qu’occupait le cordonnier et le pied de fer avec ses deux plaques de dimensions différentes. Il y avait toujours des amateurs pour acheter ces lourds pieds ; quand le cordonnier décédait, on les vendait toujours un bon prix et la somme ainsi obtenue aidait bien les familles, souvent nombreuses à ce temps-là. Je me rappelle surtout combien les chaussures avaient l’air neuves après leur minutieuse réparation. »
Une lectrice de Marche-en-Famenne m’a, elle aussi, envoyé une lettre toute faite d’émotion :
« Mon père, qui aurait eu cent ans cette année, était également cordonnier. J’ai été ravie de lire toutes ces descriptions d’outils que j’ai bien connus, les clous, les pieds de fer, les odeurs du cuir, le caoutchouc, le fouillis de la fameuse petite table qui était impossible à ranger… Mon père aussi faisait les nouvelles chaussures à la main, de la même façon que celle évoquée par Monsieur P.B. de Tohogne. Il dessinait le pied du client sur du papier gris épais et, ensuite, sur une forme de bois, il montait, étape par étape, la bottine. Il employait des empeignes et des cuirs différents pour les intérieurs et extérieurs. Il travaillait beaucoup pour les fermiers moyennant des denrées alimentaires, des pommes de terre par exemple. Cela compensait le ravitaillement insuffisant pendant les années de guerre.
Il y a encore un objet important qui n’a pas été cité, c’était une grosse pierre d’eau sur laquelle on battait le cuir trempé, pour le rendre plus résistant, un quart d’heure sur chaque semelle et c’était costaud !
J’ai 70 ans aujourd’hui et j’aime me rappeler tout cela… Il m’arrivait de faire une belle finition, lisser les bordures de semelles et la dernière touche de teinture ; cela aidait papa.
J’adore lire votre Petite Gazette. »
Grâce à votre témoignage, chère Madame, j’imagine que bien d’autres personnes adoreront lire cette rubrique.
La Petite Gazette du 21 juin 2000
AMON L’CWEPI
Cette rubrique a, elle aussi, fait couler beaucoup d’encre et pourtant… Il est manifeste que cette profession, avec laquelle tant de personnes avaient jadis des contacts fréquents, a laissé beaucoup de souvenirs dans les mémoires. Partons sans tarder à la découverte de ceux de Madame Dessart, de Modave :
« Je vois encore ce cordonnier de Tohogne et je perçois encore la bonne odeur de cuir qui flottait dans son atelier. J’avais 14 ou 15 ans, c’était la guerre et il y avait une pénurie de souliers !
J’avais appris qu’un cordonnier de Tohogne vendait encore des souliers ; je m’y rends, péniblement, depuis Atrin, à vélo avec des pneus pleins qui me donnaient une secousse à chaque tour de roue, quand je roulais sur l’attache métallique.
Hélas, c’étaient des bottines qui faisaient mon affaire, cela faisait fureur pour les filles, mais maman n’était pas de mon avis. Vu le prix, elle réfléchit quinze jours. Attention, je ne dis pas que le prix pratiqué relevait de l’usure, mais, papa, en pleine guerre, travaillait dans une ferme pour un très petit salaire. Comme il était nourri et que nous recevions un kilo de beurre par semaine, au prix de 30 francs (il se vendait alors entre 400 et 450 francs au marché noir !). Pour ces fameuses bottines, cela représentait le salaire de quinze jours du travail de papa !
L’hiver arrivait, maman me donna de quoi acheter les souliers. A la troisième sortie, je fus trempée comme une soupe. C’était mon unique paire de chaussures, cela réclamait donc un séchage rapide près du feu…Mal n’en avait pris, les semelles en crêpe présentaient une éventration bonne à passer sur le billard. Un retour à Tohogne s’imposait. J’y reçus un sermon du vendeur qui me signala la nécessité de procéder à la pose d’une semelle en cuir. C’était aussi la mode des bottines cloutées et des fers aux pointes et aux talons ; par esprit d’économie, je fais faire cela. Deuxième sermon, ma mère, furieuse, me dit : « Ou tu vas faire fuir tous les garçons ou tu vas les attirer tous ! On t’entend venir comme un gros boche ! »
Troisième voyage vers Tohogne, pour faire enlever tout cela. Finalement ces chaussures ont reçu une semelle en caoutchouc. Je ne sais plus combien ma bêtise a coûté à mes parents… et moi qui croyais leur faire faire une économie !
Vraiment j’espère que mes enfants et petits-enfants ne connaîtront jamais les privations que nous avons connues !
Je tiens encore à préciser que, jamais, je n’ai pensé qu’il y avait eu exagération du prix au moment de la vente, mais je veux rappeler qu’à cette époque tout était vraiment hors de prix. »
Merci à ma correspondante pour son témoignage.
La Petite Gazette du 13 septembre 2000
RETOUR AMON L’CWEPI
Grâce à un envoi de Monsieur Franz G. Carlier, d’Andoumont, j’ai le plaisir d’apporter un petit prolongement à cette rubrique.
« Il se trouve que, pendant la guerre, m’écrit mon correspondant, j’ai eu l’occasion de faire des ressemelages avec un vieux cordonnier. Comme de règle avant l’ère des collages, nous employions des semences pour fixer les semelles (clous minces de section carrée qui se replient sur le pied de cordonnier et solidarisent ainsi semelle, empoigne et « première » (c’est-à-dire semelle de cuir intérieure). Mais le vieux cordonnier m’a montré une autre méthode : les chevilles étaient remplacées par de petites chevilles de bois, de section carrée. Il les chauffait et les séchait sur le poêle, dans un couvercle de métal ; perçait un avant-trou dans la semelle et enfonçait une double rangée de chevilles tout autour de la semelle. En reprenant de l’humidité, les chevilles gonflaient et fixaient la semelle. Avantage sur les semences ? Les semences rouillent et abîment finalement le cuir, tandis que les chevilles ne rouillent pas !
C’est d’ailleurs ainsi qu’étaient montées les demi-bottes de l’armée allemande. A la fin de la guerre, j’ai eu la chance d’en « récupérer » une paire dans un collège que les Allemands venaient de quitter. Elle l’a servi durant plusieurs années. »
Merci de nous avoir apporté ces quelques précisions qui, au-delà de l’anecdote, nous familiarisent avec un vocabulaire et une technique certainement en voie de complète disparition.