PRINDEZ VOSSE BASTON SIMON ET LES CRAMIGNONS

La Petite Gazette a permis, permet toujours, de se remettre en mémoire quelques éléments essentiels de notre patrimoine dialectal. Grâce à vos interventions, de passionnants développements ont été recensés au départ de vieilles chansons notamment. En voici un bel exemple, mais vous en connaissez bien d’autres sans doute, il ne tient qu’à vous de les partager avec la communauté des lecteurs.

La Petite Gazette du 12 janvier 2011

CONNAISSEZ-VOUS LES PAROLES DE CE CRAMIGNON ?

Monsieur André Leroy, de Ciney, vous demande de faire un petit effort de mémoire, ou de recherche dans votre documentation, pour l’aider à reconstituer les paroles de ce cramignon célèbre « Prindez vosse baston ? Simon, es minez ben l’cramignon »

Pour vous mettre sur la voie, il a rassemblé les quelques bribes de paroles dont il se souvient, tout en précisant qu’elles ne sont peut-être pas dans l’ordre…

Perindez vosse baston, Simon, es minez ben l’cramignon

Il a on’ tiesse come on boulet d’canon, Simon

Il a on vint’ come on satche à laton, Simon

Il a deux ouyes come deux pourris ognons, Simon

L’a on minton qu’on y djourit l’violon, Simon

Il a deux… come deux quawes di ramon, Simon

Merci de venir en aide à ce lecteur en signalant, à votre tour, à La Petite Gazette ce dont vous vous souvenez.

 

La Petite Gazette du 2 février 2011

VOUS CONNAISSIEZ EVIDEMMENT : PRINDEZ VOSSE BASTON SIMON 

Mesdames Lucienne Gaspard, d’Erezée ; et Odette Renard, d’Ocquier ; MM. Jacques Bastin, de Heyd ; Marcel Courtoy, F. Edeline, de Tilff ; Roger François, d’Esneux ; José Gathon, de Sougné-Remouchamps ; Roger Hourant, de Nandrin ; Jean Ninane, d’Esneux et Jean-Claude Paquay, de Boncelles ; ont eu la gentillesse de répondre à l’appel qui vous était lancé. Voici donc les paroles de ce cramignon :

Prindez vosse baston, Simon

C ’è-st-å Pont d’-s-Åtches, c’è-st-ås nouvès mohons, Simon,

Qu’i-gn-a-t-in-ome qui ravise on påvion, Simon.

Prindez vosse baston, Simon, èt s’ minez nosse cråmignon.

2 Qu’i-gn-a-t-in-ome qui ravise on påvion, Simon,

Il a deûs djambes come dès pîces å hoûbion, Simon.

Prindez…

3Il a deûs djambes come dès pîces å hoûbion, Simon,

Il a on vinte come on sètch a laton, Simon.

Prindez…

4 Il a on vinte come on sètch a laton, Simon,

‘l a on minton qu’on-î djowereût l’ violon, Simon.

Prindez…

5 ‘l a on minton qu’on-î djowereût l’ violon, Simon,

Il a deûs-oûy come deûs poûris-ognons, Simon.

Prindez …

6 Il a deûs-oûy come deûs poûris-ognons, Simon,

Il a deûs brès’ come dès cowes di ramon, Simon.

Prindez…

7 Il a deûs brès’ come dès cowes di ramon, Simon,

Il a-st-ine tièsse come on boulèt d’ canon, Simon.

Prindez…

8 Il a-st-ine tièsse come on boulèt d’ canon, Simon,

Il a-st-ine boke come on fôr å floyon, Simon.

Prindez…

9 Il a-st-ine boke come on fôr å floyon, Simon,

Il a dès dj’vès come dèl linne di mouton, Simon.

Prindez…

10 Il a dès dj’vès come dès linne di mouton, Simon,

C’è-st-å Pont d’s-Åtches, c’è-st-ås noûvês mohons, Simon.

Prindez vosse baston, Simon, èt s’ minez nosse cråmignon

 

Sachant que les lecteurs aiment cela, ces aimables correspondants ont ajouté aux paroles transmises divers renseignements et souvenirs liés à ce cramignon. Ainsi M. Ninane se souvient que le curé Albert Simonis faisait chanter ces paroles au Patro d’Esneux, mais avec un refrain différent.

Monsieur José Gathon précise qu’il a découvert ces paroles dans un ouvrage intitulé « Recueil de crâmignons » (aux éd. La Roue Solaire, Bruxelles, 1944), il extrait de l’introduction d’Yvan Dailly les très intéressantes explications suivantes :

« Le cramignon est une chanson populaire de la région de Liège. C’est une chanson mais aussi une danse. Donc, une danse chantée. La chaîne des danseurs – un garçon, une fille…- forme une sorte de farandole joyeuse qui parcourt les rues de la ville, surtout les rues sinueuses, et pénètre même dans les habitations. Un homme est à la tête : c’est le meneur (li mineû). Vue d’en haut, cette chaîne donne l’impression d’un zigzag, comme la forme dentée d’une crémaillère. C’est d’ailleurs dans le vieux mot français « cramillon », en wallon « crâmâ », signifiant « crémaillère », qu’il faut trouver l’étymologie du mot « cramignon ».

Le cramignon, qui était encore dansé de façon régulière avant la guerre de 1914-1918, ne fait plus l’objet aujourd’hui (édition de 1944 !) que de manifestations organisées (par exemple par la « Compagnie Royale des Arquebusiers » à Visé. » (N.D.L.R. Aujourd’hui, le cramignon a retrouvé ses heures de gloire dans nombre de localités de la vallée du Geer.)

Monsieur Jacques Bastin a, lui aussi, vu resurgir bien des souvenirs liés à ce chant.

« J’ai appris ce chant, m’écrit-il, en 1947/48 à l’Ecole moyenne Félicien Beaufort, rue Jonfosse à Liège. Pour la petite histoire, je dirai que nous avions alors, encore et toujours, dans notre programme scolaire, des cours de musique (1 heure par semaine ; tout de même mieux que de nos jours !). Notre professeur était Monsieur José Quitin, dont le père avait une école privée de musique rue Chapelle-des-Clercs (à deux pas de la Place St-Lambert) à Liège. José Quitin, notre professeur, était une personne extrêmement dynamique. C’était une véritable force de la nature. Il avait monté à Jonfosse une chorale à 5 Voix constituée de TOUS les élèves des trois années de moyenne. Il dirigeait, avec grande maîtrise, à partir d’une petite estrade sur laquelle était monté son harmonium d’accompagnement, tout en surveillant étroitement chacun et prêt à intervenir avec l’énergie requise auprès des inévitables « troubleurs » qui étaient alors directement expulsés sans ménagement.

Sa connaissance du folklore chanté wallon et de l’histoire wallonne étaient absolument remarquables. C’est lui qui nous a appris, en wallon bien sûr, nombre de chants nés dans la Principauté de Liège. Nous chantions ainsi, entre autres beaux chants wallons, en wallon toujours : Li Tchant dè Walons, que nos parlementaires régionaux actuels ne savent chanter qu’en français : On croit rêver !!!!

Au cours de l’année 1948, je pense, il fut nommé professeur d’histoire de la Musique au Conservatoire royal de sa bonne ville de Liège. Il y a quelques petites années seulement, j’ai lu dans la presse, alors qu’il était largement âgé de plus de nonante ans, qu’il se décidait d’enfin déposer définitivement la baguette. Sa photo, reproduite dans l’article en question, montrait un homme encore très bien qui, pour moi, avait peu changé physiquement. »

 

La Petite Gazette du 23 février 2011

LES CRAMIGNONS

Mme Mariette Thibert, de Vaux-sous-Chèvremont, apporte à son tour une précieuse contribution relative aux cramigons liégeois.

« Le cramignon est essentiellement liégeois, mais on le trouve jusque dans la région malmédienne. La figure est celle de la farandole provençale, mais tandis que cette dernière est instrumentale, le cramignon est vocal. Comme les farandoleurs, les danseurs de cramignon, faisant la chaîne en se tenant par la main, s’avancent en une marche rapide, sautillante, à la suite du « mineû » (meneur), qui les entraîne à sa guise à travers les rues, les allées du jardin, voire les pièces de la maison, en chantant les couplets, repris en chœur, avec le refrain, par toute la bande.

Le cramigon, tel qu’on le signale à Liège dès le XVIe siècle, est une chanson simple, la chanson du peuple qui n’a cure d’une signification parfaite, se contente d’une idée générale et se préoccupe plutôt de retenir des harmonies faciles et sautantes.

Une disposition particulière aux cramignons en distiques est la répétition au deuxième vers du précédent, ce qui en réalité n’apporte qu’un seul vers :

  1. C’è-st-å pont d’s’åtches, c’èst a noûvès mohons, Simon,

Qu’i-gn-a-t-i-ome qui ravise on påvion, Simon.

    

  1.    Qu’i-gn-a-t-i-ome qui ravise on påvion, Simon.

            Il a deûs djambes come dès pîces å hoûbion, Simon.

 

Sur l’origine du mot, ma correspondante apporte les renseignements suivants :

Altéré de cramion :  -iyon

Ancien français « cramillon » prononcé « cramyon »

Le mot est dérivé de crama crémaillère.

Le trajet sinueux de la chaîne de danseurs évoque la dentelure du crama. »

Vraiment passionnant, merci beaucoup.

UNE ANNEE DE SOUVENIRS, DE TRADITIONS, DE GESTES OUBLIES… NOSTALGIE ET RÊVERIE

Au gré des publications hebdomadaires de La Petite Gazette, de très nombreux lecteurs ont pris la peine de répondre aux nombreuses questions qui leur étaient posées, parfois même après avoir mené de longues recherches. Il est également arrivé, à plusieurs reprises, que certains d’entre eux retrouvent un vrai plaisir à reprendre la plume ou le stylo et se lancent dans la rédaction de textes inspirés par l’un ou l’autre des sujets abordés dans les colonnes de cette rubrique. C’est un fait tout à fait banal, la découverte d’un calendrier reçu pour marquer le début d’une année nouvelle, qui décida Monsieur Jean Bolland à coucher sur le papier, des évocations nostalgiques d’une époque révolue bien que peu lointaine… Souvenirs, traditions ancestrales, croyances populaires, faits et gestes d’hier se mêlent intimement dans ces douze textes rédigés avec une plume lerte, précise et très agréable.

La Petite Gazette du 6 février 2013

UN NOUVEAU CALENDRIER ET DES SOUVENIRS QUI RESSURGISSENT

Monsieur Jean Bolland s’est pris à rêver en découvrant les illustrations désuètes d’un calendrier qu’il a reçu, comme bien d’autres parmi vous, aux premiers jours de cette année 2013. Ces illustrations lui ont inspiré, mois après mois, quelques lignes que nous partagerons avec lui :

« Janvier

La classe est finie. Chaussés de sabots pour les uns, de bottines pour les autres, les bambins se sont échappés de l’école. Oubliés, les calculs et la grammaire!

Le chemin du retour est l’occasion de mille et une découvertes changeant au fil des saisons. Les températures polaires de ce mois de janvier ont figé l’eau des mares et des étangs. Une belle couche de glace exerce une attraction à laquelle les enfants ne résistent que difficilement. Chaque marmot se souvient, cependant, des recommandations parentales. Mais cette petite voix intérieure incitant à la prudence est bientôt mise sous l’éteignoir. La glace a l’air si épaisse !

Chacun s’avance prudemment, pose délicatement un pied sur le miroir glacé, appuie de plus en plus fort et, devant la solidité éprouvée, les bras en guise de balancier, progresse à petits pas glissés. C’est avec retenue et contrôle de soi que les patineurs sillonnent la glace, évitant les aspérités qui pourraient provoquer la chute.

Après quelques évolutions grisantes, la petite troupe prend le chemin du logis, contente d’avoir osé! Mais…chut! L es parents ne doivent rien savoir. Pas question de vendre la mèche! D’autant que l’hiver ne semble pas avoir dit son dernier mot. »

 

La Petite Gazette du 27 février 2013

ET VOICI FEVRIER

Retrouvons, maintenant le texte que le dessin de février sur le calendrier reçu a inspiré à Monsieur Jean Bolland :

« Janvier avait allongé ses jours sous une température clémente qui faisait ressembler cet hiver à un automne qui n’en finissait pas.

Vers la fin du mois, un vent du nord avait charrié de lourds nuages d’un gris jaunâtre qui laissèrent échapper des myriades de flocons. Il neigea un jour et une nuit, sans discontinuer, accumulant une couche épaisse qui amortissait les sons. Après cet épisode neigeux, une bise piquante balaya les nuages.

Pendant les journées lumineuses, le soleil dardait ses rayons glacés. Au cours des nuits, dans un ciel piqué d’étoiles, la lune accentuait le sentiment que tout était figé part le gel.

Ce froid avait ralenti l’activité des hommes. Seules, des obligations impératives poussaient les campagnards à affronter cet assaut de l’hiver. C’était le cas d’André, le garde-chasse du comte. Après s’être rassasié d’une onctueuse omelette agrémentée de deux tranches de lard maigre, il se mit en route dès le lever du jour. C’est que le temps était propice à la découverte des pas du braconnier qui prélevait du petit gibier du côté du Bois de Tave! Cependant, secrètement, le garde espérait ne jamais prendre l’homme sur le fait. Il avait bien des soupçons mais connaissait suffisamment la situation du chapardeur pour savoir que ces menus larcins servaient uniquement à améliorer l’ordinaire de cette famille dans le besoin. A son grand soulagement, à part ses propres pas de la veille, André n’en découvrit pas d’autres.
Le coeur léger, il se mit en quête de bois mort qu’il rassembla en un imposant fagot avant de dévaler le sentier enneigé qui conduisait au village. Ce soir, un bon feu crépiterait dans l’âtre.
Le garde fut bientôt en vue du hameau dont les fermettes flanquaient l’unique rue ou, plutôt, ce qui en tenait lieu : deux ornières sinueuses séparées par un terre-plein étroit. En été, les charrettes soulevaient des nuages de poussières. La boue s’accrochait aux roues à rayons aussitôt les pluies d’automne arrivées.

A travers les fenêtres de l’école, il devina les écoliers penchés sur leur ardoise. Le maître avait fort à faire au cours de l’hiver où le local était bien garni. Au contraire, à la bonne saison, nombre d’enfants désertaient la classe pour aider leurs parents dans les travaux des champs.
Des volutes de fumée s’échappant des cheminées, des filets de vapeur s’élevant des fumiers coincés entre les habitations et le chemin : seuls signes que gens et bêtes vivaient reclus pour échapper aux morsures du froid.

Au bout du village, se dressait l’église à la tour trapue, comme pour rappeler au rare étranger de passage, qu’ici, tout est retenue et simplicité.

Le cimetière dépassé, André prit une route en légère pente, longea le manoir et bifurqua vers la droite pour s’arrêter devant le bûcher de la demeure mise à sa disposition par le comte. Il ôta son couvre-chef, se pencha vers l’avant : le fagot roula et s’écrasa lourdement sur le sol de terre battue.

Arrivé sur le pas de sa porte, les narines de l’homme captèrent des effluves prometteurs : il sut, qu’en ce jour de la Chandeleur, Manon faisait sauter les crêpes pour le repas de midi. Les enfants n’allaient pas tarder à rentrer de l’école. »

 

La Petite Gazette du 13 mars 2013

NOUS AVONS VU LE PRINTEMPS…

Voici mars, aussi retrouvons-nous le texte que l’illustration du calendrier inspira à Monsieur Jean Bolland.

« – Fanchon! Javotte! Levez-vous!

Les fillettes émergèrent doucement de leur sommeil. Pendant quelques minutes, elles profitèrent encore de la douce chaleur du lit. Les oreilles aux aguets, elles devinaient les multiples tâches que leur maman accomplissait chaque matin.

Après un brin de toilette, les demoiselles s’attablèrent face à un bol de lait chaud accompagné de tartines beurrées qu’elles avalèrent en échangeant des propos ponctués de rires complices.
Rassasiées, le cartable au dos, elles prirent le chemin de l’école. Ces instants de liberté étaient l’occasion de mille et une découvertes. Le moment qu’elles appréciaient le plus était celui où elles côtoyaient ces vieux chênes tordus par les ans et les intempéries. Un long frisson de plaisir mêlé d’un zeste de crainte délicieuse s’emparait des petites lorsqu’elles frôlaient les branches difformes qu’elles imaginaient armées de fins doigts crochus prêts à les agripper au passage.
En fin d’après-midi, les deux soeurs franchirent le portail rouillé de la cour de récréation, obliquèrent à gauche pour longer le ruisseau dont le cours sinueux les ramènerait à la maison. Le trajet du retour était souvent différent de l’aller : il fallait bien varier les occasions de musarder!
En bonnes  campagnardes proches de la nature, elles se dirigèrent vers un fossé dans lequel des grenouilles avaient pondu. Les manches retroussées, elles plongèrent les mains dans les amas gélatineux. Elles s’évertuaient à les soulever mais, immanquablement, ceux-ci leur glissaient entre les doigts pour retomber dans un grand flotch!, éclaboussant les fillettes qui partaient alors d’un grand éclat de rire.

Plus loin, le chemin traversait une boulaie dont la blancheur des écorces était accentuée par les rayons du soleil. Déjà, les bourgeons des bouleaux laissaient poindre de minuscules feuilles fripées, avant-gardes de toutes celles qui, d’ici quelques jours, pareraient la forêt d’un vert tendre. Les petites s’amusaient des chatons du noisetier : d’une chiquenaude, elles libéraient le pollen qui se contorsionnait sous le souffle d’un filet d’air frais.
Alors que la maison était en vue, des cris d’oiseaux leur firent lever la tête. Presqu’imperceptibles d’abord, ils allèrent en s’amplifiant. Les gamines reconnurent les craquettements caractéristiques d’un vol de grues griffant le ciel d’un grand V qui, parfois se déformait quelque peu pour reprendre bientôt sa forme initiale.

Les grands échassiers s’éloignaient vers le nord quand Fanchon et Javotte aperçurent Vincent, leur papa, taillant son pied de vigne.

Papa! Papa! Nous avons vu le printemps! »

 

La Petite Gazette du 24 avril 2013

EN AVRIL

Monsieur Jean Bolland, inspiré par les illustrations de Georges Delaw ornant son calendrier, nous livre, mois après mois, un petit texte où se mêlent nostalgie et poésie…

« L’hiver, s’il faut en croire le calendrier, a tiré sa révérence. Malheureusement, le printemps idéal, comme notre imagination se plaît à l’évoquer, n’est pas encore là.

Pour pallier les températures encore bien basses, le poêle à charbon de l’école rurale ronfle au centre de la classe.

Et pourtant, un franc soleil sème de la gaieté dans le local quelque peu austère. Cet apport de lumière semble, mais n’est-ce peut-être qu’une impression, infléchir la discipline rigoureuse imposée par l’instituteur déambulant entre les pupitres.

Bientôt, de gros nuages, d’un noir presque bleu, accourent, poussés par un vent du nord-ouest. En quelques instants, le jour baisse. Une semi-obscurité s’insinue dans les moindres recoins. Des volées de grêlons s’écrasent contre les carreaux avant de rebondir sur les bacs en bois destinés à accueillir les futurs géraniums. Le crépitement assourdissant couvre la voix du maître, l’obligeant à suspendre sa leçon. Seize paires d’yeux se tournent vers le ciel  déchaîné. Quel spectacle! Quel sentiment de sécurité et de bien-être! Dans cette lumière tamisée, à l’abri des intempéries, même le plus rétif des potaches se complaît, bercé par une douce chaleur.
Les éléments finissent par se calmer. Les nuages aux flancs lourds s’éloignent. Des rais de lumières, timides d’abord, succèdent à la pénombre, rendant couleurs et vie aux objets classiques.  La fine couche granuleuse qui masque la cour disparaît. Jusqu’à la prochaine giboulée. »

 

La Petite Gazette du 15 mai 2013

LE JOLI MOIS DE MAI

Retrouvons maintenant le texte que Monsieur Jean Bolland a écrit, inspiré par un dessin de Georges Delaw (1871-1938) imprimé sur son calendrier 2013. Ce mois-ci, c’est à la lessive que nous convie mon correspondant ; plus particulièrement la façon dont la lessive était faite à l’époque où les poudres actuelles n’existaient pas encore.

« Chaque matin, Julie se levait de bonne heure : en été, aux premières lueurs de l’aube; en hiver, lorsque le soleil pâle glissait ses rayons froids dans la chaumière, la jeune femme travaillait déjà depuis quelques heures.

Entre la traite des quelques vaches, les râteliers à garnir de foin lors de la mauvaise saison, la préparation de la pâtée pour les cochons et le grain à distribuer à la volaille, la fermière ne chômait pas.

A ces activités quotidiennes, s’ajoutaient les travaux hebdomadaires comme le pétrissage de la pâte suivi de la cuisson des pains pour la semaine, la fabrication du beurre et la lessive.

C’est précisément cette dernière tâche qui occupait la ménagère chaque lundi matin. Au chant du coq, elle craquait une allumette qui enflammait les brindilles sèches. Le feu léchait et dévorait les menus bois avant de s’attaquer aux bûches disposées sous deux chaudrons noircis par les ans et les flammes.

Le premier récipient était rempli d’eau dans lequel baignait le linge que la buandière avait soigneusement brossé pour en détacher le maximum de saletés. Une fois l’eau chauffée, Julie y déposait un sac rempli de cendres de bois ou de paille. Au préalable, elle avait évité de recueillir les cendres de chêne qui auraient bruni draps et vêtements sous l’action du tan. L’eau bouillante du second chaudron était alors puisée à l’aide d’une louche profonde armée d’un long manche puis versée sur les cendres dont la potasse faisait office de savon. Cette opération se répétait plusieurs fois. Julie laissait ensuite reposer le linge toute la journée.

Le lendemain, la lavandière sortait la lessive du chaudron et la disposait dans une brouette qu’elle poussait jusqu’à la rivière. Agenouillée sur un sac rempli de paille ou dans un garde-genoux, elle trempait le linge dans l’eau claire pour le rincer et le frappait à l’aide d’un battoir avant de l’essorer en le tordant. Quand le temps le permettait, Julie étendait les draps sur l’herbe pour qu’ils sèchent et blanchissent au soleil.

Elle se souvenait de sa grand-mère lui racontant que, de son temps, les grosses lessives s’effectuaient seulement deux ou trois fois sur l’année. »

Quel voyage dans le temps… Merci Monsieur Bolland.

 

La Petite Gazette du 12 juin 2013

EN JUIN, ON FAUCHE…

Monsieur Jean Bolland, a tourné une nouvelle page de son calendrier et son imagination fait le reste…

« Dans un large bol au décor fleuri, Auguste dispose des morceaux de pain d’épeautre qu’il arrose généreusement d’une longue rasade de crème de lait. Ce déjeuner, simple mais roboratif, accompagné d’une jatte de café noir et sucré lui fournira l’énergie nécessaire pour accomplir son travail matinal : le fauchage d’une prairie sur Saint-Hasted.

Il quitte la ferme tassée le long du coteau puis traverse Bergister qui, peu à peu, sort de son sommeil. Il retrouve bientôt d’autres agriculteurs, la faux sur l’épaule, en route vers les prairies dont ils sont locataires ou propriétaires. Tous supputent les chances d’un maintien du beau temps pour les jours à venir. Chacun y va de ses observations : la rosée abondante, les hirondelles volant haut, la lune qui brille clairement et nettement dans le ciel nocturne …
Arrivé à la sortie du village, Auguste s’engage dans la Bounir où, çà et là, traînent encore des écharpes de brume qui s’effilochent sous l’action des rayons du soleil levant. Tout à leur aise, prés et champs s’étendent dans cette vaste cuvette avec, pour seules limites, les forêts montant à l’assaut des plateaux de La Lue et de Benasse.

Le sifflement charmeur des merles qui se répondent pour mieux marquer leur territoire, le parfum suave des reines-des-prés  dressant leurs épis sur les accotements humides du chemin, la senteur délicate du chèvrefeuille qui s’entortille malicieusement dans les haies, tout concourt à donner du coeur à l’ouvrage.

Hier, assis sur un sac en jute, Auguste avait enfoncé une enclumette devant le poulailler, y avait posé et maintenu la lame.  A l’aide d’un marteau,il avait battu l’acier afin de redresser et d’affiler le tranchant.

Arrivé à destination, le fermier affûte l’instrument au moyen d’une pierre à aiguiser qu’il retire du coffin accroché à sa ceinture. L’étui oblong en bois contient de l’eau allongée d’un filet de vinaigre. Cette opération sera répétée toutes les dix minutes afin de garantir un travail efficace et performant.

L’homme balance la faux en demi-cercle, le fer maintenu parallèlement au sol. Le chuintement de l’acier couchant l’herbe et la cadence du corps guidant l’outil rythment le labeur. Le soleil brille déjà haut dans le ciel quand Auguste peut contempler les andains jonchant la prairie.

Le séchage du foin qui exhalera une odeur à nulle autre pareille, sa disposition sur des chevalets-trépieds, l’entassement sur le chariot, le déchargement à la ferme et l’engrangement dans le fenil fourniront la provende au bétail pendant les longs mois d’hiver. »

 

La Petite Gazette du 1er juillet 2013

EN JUILLET, A LA RENCONTRE DES NUTONS

Comme chaque mois, insipiré par les illustrations de son calendrier, Monsieur Jean Bolland nous invite à le suivre dans son imagination, aujourd’hui, fantastique et merveilleuse :

« L’heure d’entre chien et loup ! Le soleil s’est perdu à l’ouest.  L’horizon éclaboussé de jaune-orange est passé au rouge incandescent puis au bordeaux.

C’est le moment choisi par Arduin pour emprunter la sente herbue dégringolant de Menuheyd. Arrivé au bas de l’escarpement, il traverse le chemin se hissant vers Betaumont, se coule entre les buissons et atteint le fond de la vallée où se faufile La Lue. Il s’immobilise tout en scrutant la crête du coteau boisé qu’il vient de descendre.

Plus d’une fois, il a cru déceler sa venue. Cette fois, il en est sûr : elle arrive !  Là-haut, au faîte de la butte rocheuse, il la devine entre la cime des bouleaux : quelques éclats d’or se mouvant et grandissant au fil des minutes. Les arbres aident à cette naissance. Leurs branches, agitées par la brise vespérale, finissent par expulser celle pour qui Arduin se languit : la lune s’est enfin extraite de sa gangue forestière.

Le regard du petit bonhomme passe et repasse de sa belle-de-nuit à la surface du ruisseau. Insensiblement, le reflet de l’astre gagne l’instabilité de la piste liquide. Arduin,  fasciné par la danse endiablée de la flaque lumineuse tordue au gré des mouvements de l’onde, imite la chorégraphie de la lune. Elle, dans l’eau ; lui, sur la berge. Couple improbable qui communie au rythme de la nature et des mêmes mouvements.

Un craquement de branche sèche ! Le charme se rompt ! Arduin devine une présence humaine qui s’enfuit vers l’aval. Connaissant le caractère moqueur de bon nombre d’hommes, il ne doute pas un instant que celui qui vient de le surprendre fera un mauvais usage du spectacle auquel il vient d’assister.

Le lendemain, le danseur monte prudemment au village. Il se faufile furtivement entre chaumières et granges pour surprendre les bribes de conversations qui lui laisseraient deviner que sa danse avec la lune est devenue objet de dérision. Il termine sa quête d’informations en descendant vers le moulin d’où vient un tombereau chargé de sacs de farine. Il a juste le temps de se jeter derrière une haie pour éviter la rencontre avec le charretier et son fils commentant  la nouvelle apprise de la bouche du meunier : la veille, en vérifiant le bon état du bief, l’indélicat a surpris un Nuton se trémoussant sur la rive de La Lue.

Triste, le cœur lourd, Arduin rejoint le massif escarpé.  Son secret est éventé.

Depuis longtemps, l’entraide avait toujours prévalu entre les hommes et les Nutons. Les villageois, chargés de galoches à ressemeler, de chaudrons à rétamer et de divers outils à réparer empruntaient la route défoncée et caillouteuse qui dévale, en oblique, vers Menuheyd. Le ponceau de pierres moussues traversé, la troupe gravissait la colline boisée pour s’arrêter à l’entrée de la grotte devant laquelle les objets à restaurer étaient déposés.

A la nuit tombante, de petits êtres barbus sortaient de l’antre et s’emparaient du dépôt avant de disparaître au plus profond de la cavité. Le jour suivant, les paysans retrouvaient leurs biens remis à neuf et, en remerciement, les remplaçaient par des victuailles. Les deux peuples vivaient ainsi en parfaite symbiose.

Mais, malheur au campagnard qui aurait osé railler ces créatures farouches et discrètes. La guigne  s’abattait alors sur lui : gens et bêtes malades, mauvaises récoltes et autres contrariétés.

C’est ainsi que les nuits du meunier devinrent agitées.  Coups redoublés contre la porte, cris lugubres dans les combles, bruits de pas sur le toit, roue à aubes qui se mettait à tourner intempestivement. Le malheureux ne trouvait plus le sommeil. Pour ajouter à son désarroi, sa femme lui reprochait d’avoir ri du Nuton. Les clients se firent rares, terrifiés par l’étrangeté du phénomène touchant les lieux.

Le moulin fut vendu. Dès que le nouveau propriétaire prit possession du bâtiment, les manifestations inquiétantes cessèrent.»

 

La Petite Gazette du 7 août 2013

MONSIEUR JEAN BOLLAND EVOQUE AOUT…

« Le modeste atelier de menuiserie, ou plutôt l’appentis qui en tenait lieu, assurait la transition entre la maison et l’enclos dans lequel poussaient, au cours de la belle saison, légumes et  fleurs vivaces.

C’était le royaume du grand-père. Penché sur l’antique établi marqué par les cicatrices des ans, maniant, avec une dextérité innée, des outils rudimentaires tels le vilebrequin, les ciseaux, le rabot, la scie égoïne… il façonnait et assemblait planches, clous et vis qui devenaient objets usuels ou jeux pour ses petits-enfants. De presque rien, naissaient des merveilles.

Il travaillait posément, avec application, le dos tourné vers un insignifiant poêle à bois qui, néanmoins, réchauffait prestement le local lorsque le temps était au froid. Le crépitement des bûches, la douce chaleur, l’odeur du bois, le cliquetis de l’outillage, le martèlement des sabots au contact du béton rugueux, toutes ces sensations, Baptiste les emmagasinait en lui. Longtemps après, il s’en souviendrait encore.

Une fois l’entrée franchie, dans le coin gauche, se dressait la canne à pêche. Composée de trois éléments en bambou brun vernissé, elle ne quittait que rarement l’endroit qui lui était dévolu. Son grand-père l’utilisait pour aller taquiner la truite dans les rares moments de loisir qu’il s’accordait. Il enfourchait alors son vélo pour gagner les rives du ruisseau bordant le village au nord.

Pêcher ! Baptiste en avait envie ! Ne suffisait-il pas d’une bonne paire de bottes, d’acheter un permis, de retourner quelques pierres plates à la recherche de vers ?

C’est ainsi,  qu’équipé de pied en cap, avec l’autorisation parentale et la canne de son aïeul, le garçonnet partit pour ce qu’il pensait être la première d’une longue série de fructueuses équipées aquatiques. Fier comme Artaban, spéculant sur la quantité de poissons pêchés, il courut plus qu’il ne marcha au long des sentiers et ruelles, emprunta le chemin caillouteux des Evals, à la rencontre du futur théâtre de ses exploits.

Au bord de l’eau, il déposa le sac de toile kaki contenant le petit matériel et monta la canne. L’enthousiasme ressenti retomba d’un cran lorsqu’il voulut enfiler un ver sur l’hameçon. Non que l’opération était complexe mais l’enfant, révulsé par le pauvre annélide empalé et gigotant, découvrait un aspect de ce sport auquel il n’avait pas pensé.

Le ru bordé d’aulnes aux branches retombantes constitua un deuxième frein à l’exaltation initiale : la ligne s’accrochait aux brindilles, obligeant Baptiste à poser sa gaule pour libérer le fil. Finalement, l’appât daigna toucher le courant, dériva en bondissant entre les galets et ralentit sa course folle dans un méandre plus calme et plus profond. Là, nouveau dépit : le crochet se planta dans les racines d’un buisson surmontant l’onde de sa masse imposante. Dégoûté, l’apprenti pêcheur dut accepter des rentrées liquides dans les bottes afin de récupérer le matériel.

Oui, vraiment, la pêche n’était pas ce qu’il avait imaginé. Il comprit que le clapotis de l’eau, le vol gracieux des libellules et les multiples formes de vie explosant dans ce milieu aux confins de deux mondes suffisaient amplement à son bonheur de petit campagnard.

La canne retrouva sa place dans l’atelier et perdit, définitivement, son pouvoir de fascination. »

 

La Petite Gazette du 11 septembre 2013

SEPTEMBRE…

Retrouvons, comme chaque mois de cette année, le texte consacré à ce mois de septembre par Monsieur Jean Bolland :

« Septembre ! Chaque jour plus nombreuses, les hirondelles se rassemblent.  Un beau matin, dans un grand froufroutement d’ailes, les gracieuses demoiselles s’envolent vers des cieux plus cléments.

Au fil du mois, le soleil s’extirpe de l’horizon avec plus de difficultés. Fatigué d’un si long été, il peine à dissiper les écheveaux de brouillard noyant, dans une mer immobile, les fonds de vallées desquels émergent, çà et là, un clocher ou une poignée d’arbres.

Le temps est venu pour récolter les pommes de terre. Harnaché, Gamin a été attelé aux brancards du tombereau dans lequel Joseph a jeté une fourche, deux paniers en osier et des sacs en jute. Aurore, sa femme, l’accompagne.

Arrivés dans le champ, tous deux se mettent aussitôt à l’ouvrage. Lui, dégageant les tubercules du sol. Elle, les ramassant et les déposant précautionneusement dans les paniers qui, une fois remplis, sont délestés de leur contenu à la limite du terrain où le doux soleil d’arrière-saison séchera la récolte.

En fin de journée, les sacs rebondis sont transportés à la ferme : les patates reposeront quelques jours dans la grange.

Un travail qu’il affectionne sera alors accompli par Joseph : rassembler et brûler les fanes dont la fumée âcre lui rappelle l’époque où, enfant, il aidait son père dans cette même tâche.

Lorsque le moment lui semblera opportun, le fermier disposera les pommes de terre dans la cave, sur une épaisse litière de fougères sèches.

Aurore débute ses journées par la traite des vaches qui, en cette saison, paissent encore dans les prés. L’agricultrice dépose les deux cruches dans les emplacements circulaires de la charrette à bras. L’une est coiffée d’un seau retourné. L’autre reçoit une étamine qui filtrera le lait afin de le débarrasser des impuretés qui auraient pu y tomber. Poussant la petite carriole devant elle, Aurore gagne  l’enclos où l’attendent les trois vaches. Assise sur un trépied, le seau coincé entre les genoux, la tête appuyée contre le flanc de l’animal, la fermière débute la traite.

Rentrée à la ferme, Aurore transvase le précieux liquide dans de grands plats en terre cuite. D’ici un jour ou deux, la crème, séparée du lait, sera battue et malaxée pour donner du beurre.

La traite de fin d’après-midi terminée, Aurore prépare le souper. Pendant ce temps,  Joseph s’assure que les animaux de son petit élevage ne manquent de rien. Les grains lancés aux poules provoquent un remue-ménage caquetant. Du fond de sa soue, le cochon se précipite vers la porte en bois vermoulu. Dans un concert de grognements, il se rue goulûment vers le seau cabossé débordant d’épluchures cuites.

La table dressée, Aurore perçoit enfin les pas fatigués de son mari. Le dos légèrement voûté sous le poids du labeur, vêtu d’un sarrau rapiécé, celui-ci ouvre la porte qui grince sur ses gonds, s’avance vers la table et prend place à côté du bahut contenant les pains pour la semaine. La cuisinière remplit les assiettes de pommes de terre rissolées accompagnées d’une scarole.

Le repas terminé et la table débarrassée, chacun prend place près du poêle. A la lumière d’un quinquet, Aurore tricote. La pipe vissée au coin de la bouche, Joseph laisse échapper de mouvantes volutes de fumée bleuâtre. Pensif, il parle peu. Quelques rares paroles. Chez les gens de la terre, on ne dit pas en vingt mots ce qui peut être exprimé en cinq. Chez eux, rien n’est gaspillé.

Le silence est haché par le cliquetis des aiguilles à tricoter. Par le chant plaintif et grave des bûches noueuses. Par le tic-tac de l’antique horloge qui égrène le temps. Par le mugissement des premiers vents d’automne dans la cheminée.

La sérénité de ces heures apaise et répare les corps qui ont oeuvré de l’aube au crépuscule. »

 

La Petite Gazette du 8 octobre 2013

OCTOBRE…

Retrouvons, comme chaque mois de cette année, le texte que les illustrations du calendrier de Monsieur Jean Bolland lui ont inspiré…

« Les sorcières ! Aujourd’hui, cette évocation fait délicieusement frissonner les enfants. Pour eux, ce vocable est synonyme de fête, de carnaval et d’amusement.

Autrefois, il en allait autrement. Ce nom provoquait la crainte et l’effroi. En témoigne le nombre de lieux-dits rappelant le souvenir de ces êtres qui, bien malgré eux, ont terrifié les générations des siècles passés.

La définition, qu’en donne le dictionnaire Larousse,  dit l’essentiel : « Personne qu’on croit en liaison avec le diable et qui peut opérer des maléfices. » Chaque mot a son importance.

Il est toujours dangereux de vivre et de penser autrement que le commun des mortels. De nos jours, de tels individus sont parfois regardés avec commisération ou, dans le pire des cas, mis au ban de la société.

Jadis, ces gens risquaient leur vie. A une époque où l’instruction était limitée, où la crédulité de nos ancêtres leur faisait entrevoir l’intervention de forces obscures, il ne faisait pas bon être versé dans la catégorie des originaux. Une maladie grave ou un décès inexpliqué dans la famille, une épidémie dévastatrice ou, plus simplement, une vache et son veau qui crevaient,  ne pouvaient être que le résultat  de l’action de puissances maléfiques avec lesquelles certaines personnes, pensait-on, pactisaient.

Lorsque la rumeur enflait et se concentrait sur un malheureux, celui-ci devenait le coupable, tout désigné,  à l’origine des misères affligeant la communauté. Un procès, ou plutôt un simulacre de procès, était organisé. En résultait, généralement, l’exécution de l’accusée.

Dans nos régions, les 16° et 17° siècles virent une grande chasse aux sorcières qui furent brûlées à cause du fanatisme,  de l’ignorance de la population et de ses représentants. Comble de l’abjection, les frais de l’exécution étaient réclamés à la famille du condamné : rétribution du bourreau, payement du bois utilisé et repas de ceux qui s’attribuaient le titre de juges. »

 

La Petite Gazette du 30 octobre 2013

AVEC NOVEMBRE QUI S’ANNONCE, C’EST LE RETOUR DES LONGUES SIZES

Nous retrouvons, avec grand plaisir, le texte que M. Bolland a imaginé en découvrant la nouvelle page de son calendrier…

« Fernand, Raymond et Gaston aimaient passer, ensemble, les soirées de la mauvaise saison. Réunis, tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, ils discutaient des menus événements survenus dans le village, jouaient aux cartes ou évoquaient des histoires d’autrefois. Le plus souvent, c’était Fernand qui hébergeait ses compagnons.

A côté de l’âtre, lové sur une chaise basse, ronronnait un des nombreux chats de la ferme, fatigué d’avoir chassé les souris ayant élu domicile dans les moindres recoins de l’exploitation. Cette chaise lui était dévolue. Il se confondait avec elle. Pour peu, il aurait fait partie des meubles.

Combien de fois les compères ne s’étaient-ils pas rappelé le tour pendable qu’ils avaient joué à Eustache, un jeune marié. Le soir de ses noces,  les trois complices s’étaient dirigés vers la fermette de leur victime. C’était une modeste demeure adossée à un talus et dont le pied de la toiture arrière touchait le sol. Un chariot était entreposé dans le hangar accolé à la grange. Ils eurent vite fait de démonter l’engin, d’en transporter les éléments sur le robuste toit de cherbains avant de le remonter au faîte de l’habitation.

Une autre fois, ils avaient décroché et étendu, sur les buis du presbytère, le linge qu’une vieille jeune fille acariâtre avait mis à sécher au fil reliant deux pommiers de son verger.

Ces évocations étaient accompagnées de rires sonores qui allaient en s’amplifiant au fur et à mesure que la bouteille de genièvre diminuait. Difficile de dire qui était le plus farceur, tant chacun sollicitait  son imagination.

Fin novembre, Raymond et Gaston s’étaient invités à souper chez leur ami. Clotilde, l’épouse de Fernand,  mettait la dernière main aux préparatifs du repas pendant que le trio devisait joyeusement, cherchant un prochain souffre-douleur à leurs espiègleries. Le délicieux fumet qui s’échappait du chaudron suspendu à la crémaillère faisait saliver les invités.

Au moment de prendre place autour de la table, on frappa à la porte. La maîtresse de maison alla ouvrir : c’était la jeune voisine. Elle venait quérir de l’aide pour préparer le mélange de base à la fabrication du boudin noir. Clotilde se dit qu’elle souperait plus tard.

Prétextant des douleurs à l’estomac, Fernand ne fit que goûter les aliments avant de repousser son assiette. L’appétit ouvert par quelques petites gouttes, ses deux copains parlèrent peu, occupés qu’ils étaient à faire honneur aux mets. Ils relevèrent la tête lorsqu’il ne resta, au fond du plat, qu’un discret  morceau de viande et deux bouts de pommes de terre baignant dans un reliquat de sauce. Ils s’excusèrent presque de n’avoir rien laissé pour Clotilde.

Les deux hommes, rassasiés, reculèrent leur chaise, s’appuyant confortablement contre le dossier qui gémit, les jambes étendues sous la table. Il y a longtemps qu’ils n’avaient plus participé à pareil festin !

Un large sourire de satisfaction illuminait leur visage quand, soudain, Gaston donna un coup de coude nerveux à Raymond. D’un mouvement rapide de la tête, il l’invita à regarder la chaise basse dressée à côté de la cheminée :  le chat ne s’y trouvait pas ! Leur mine s’allongea. Pris de violentes nausées, ils se précipitèrent vers l’étable. »

 

La Petite Gazette du 11 décembre 2013

FEERIE DE DECEMBRE

Comme chaque mois de cette année qui s’épuise, Monsieur Jean Bolland nous baigne dans une intimité désuète, mais tellement sincère, et qui, je le sais, vous invite à la rêverie…

« Décembre est bien entamé. La Saint-Nicolas passée, une autre fête occupe peu à peu les esprits : Noël et sa féerie. Son attente donne de la couleur aux jours gris et de plus en plus courts.

Le temps d’une soirée, et elles sont longues en ce début d’hiver, l’église millénaire résonne de coups de marteaux. Des bénévoles installent, du côté droit du choeur, la structure qui hébergera les statuettes reléguées, pendant le restant de l’année, dans un coin sombre de la tour. Quelques résineux, placés en arrière-fond, donnent une touche bucolique à l’ensemble.

Après l’école, à l’aide de plâtre, les enfants  façonnent des santons qu’ils peindront avec méticulosité. Dans les jours qui précèdent la Nativité, les boîtes contenant les différentes garnitures sont  descendues du grenier et ouvertes délicatement. Les réflexions des petits fusent lors de la redécouverte des trésors fragiles qu’elles contiennent. L’un avait oublié la présence de telle boule. Un autre a des étoiles plein les yeux en retrouvant le clinquant des oiseaux qui le fascinent. Chacun rivalise d’adresse et de prudence au moment d’accrocher ces objets aux branches du sapin.  La crèche est enfin posée sur une petite table au pied de l’arbre rutilant : elle accueillera les personnages créés par les enfants. Ainsi garni, ce coin de la salle à manger, vers lequel convergeront tous les regards, ajoutera une touche de merveilleux et de bien-être.

Matinée de la veille de Noël. Le pot du poêle plate-buse est incandescent. Les deux portes émaillées du coffre ont été, au préalable, fermées afin d’y accumuler un maximum de chaleur. Sous les doigts experts de la maman, la farine, la levure, le lait, le beurre fondu, les œufs et une pincée de sel deviennent pâte qui reposera avant d’être partagée en pâtons aplatis à l’aide d’un rouleau puis étalés dans des moules à l’intérieur enduit de matière grasse. Fruits en morceaux, compote, riz… couronneront le tout. Enfournées dans le coffre du poêle pour en être retirées trois quarts d’heure après, dorées et appétissantes à souhait, les tartes prendront la direction de la cave pour y être entreposées dans un garde-manger à claies

La soirée du 24 s’annonce longue. Après le repas, les marmots sont invités à se reposer – à dormir même- pour pouvoir assister à la messe de minuit. A 23 h 45, les cloches sonnent à toute volée, emplissant l’espace de résonances claires s’interpénétrant et roulant jusqu’au fond de la vallée. La famille est en vue de l’église vers laquelle se dirigent d’autres groupes. Tout ce petit monde s’engouffre dans l’édifice. La douce chaleur, l’odeur de résine, les notes de musique dégringolant du jubé, les sourires échangés, la crèche illuminée, tout concourt à rendre l’assemblée heureuse. La magie des chants traditionnels ajoute un supplément de félicité et de surnaturel à ces instants de grâce.

L’office terminé, alors que chacun rentre chez soi, des détonations éclatent soudain et font se lever les têtes. C’est Hector, le menuisier, qui tire quelques fusées griffant les ténèbres du ciel d’éphémères traces dorées et chuintantes.

La porte close, la maisonnée prend place autour de la table pour avaler un morceau de tarte ou un cougnou « maison », le tout accompagné d’un petit verre de vin de muscat. »

Un tout grand merci à monsieur Bolland pour ces très beaux textes qui ponctuèrent fort agréablement cette année 2013.

LES FETES DE FIN D’ANNEE

La Petite Gazette du 5 janvier 2011

AVANT D’EN FINIR POUR UN AN AVEC LES FETES DE FIN D’ANNEE…

A Aye Madame Christine Petit se souvient très bien d’une autre tradition rappelée souvent par son grand-père à propos des cendres de la bûche de bois brûlée la nuit du réveillon de Noël.

« Il disait que certaines vertus magiques étaient attribuées aux cendres de la bûche de bois brûlée le soir du réveillon. Celles-ci étaient conservées et réparties pour protéger la maison de la foudre, pour conjurer du mauvais sort, pour éloigner les épidémies dans les bergeries et les étables et, également, pour améliorer les récoltes en les mélangeant aux semences.

Voilà une autre tradition dont pourraient nous entretenir les fidèles lectrices et lecteurs et ce sujet pourrait alors être approfondi dans les prochains numéros de La Petite Gazette. »

Il est un fait que l’origine de la tradition de la bûche de Noël doit se chercher dans l’âtre des demeures de nos aïeux et non chez les boulangers… Pourrez-vous répondre au souhait de Mme Petit et nous dire si, dans votre famille également, des traditions liées à la bûche étaient respectées à Noël ?

La petite Gazette du 19 janvier 2011

POUR EN FINIR CETTE ANNEE AVEC LES TRADITIONS DE NOEL

Madame Edith Forget, d’Aywaille, tient à apporter son témoignage sur les traditions de Noëls telles qu’elles sont respectées dans sa famille.

« Mes deux filles ont, aujourd’hui, la quarantaine et, depuis qu’elles sont toutes petites, je leur faisais la traditionnelle bûche de Noël. Elles ont pris le relais maintenant. Dans notre famille, nous n’achetons pas de bûches nous la confectionnons nous-mêmes : biscuits petit beurre et moka, enfin la tradition.

Autre tradition que nous respectons durant la nuit du réveillon, c’est celle qui consiste à mettre, à l’extérieur, sur un appui de fenêtre ou sur la terrasse, un verre d’eau, une tranche de pain et de la monnaie emballée en comptant les gens que nous aimons. Celui qui, le 25 décembre, boit de cette eau, n’aura jamais soif durant l’année ; celui qui mange un morceau de pain n’aura jamais faim et celui qui reçoit une piécette ne manquera pas d’argent l’année durant. »

Un grand merci pour cet intéressant témoignage.

La Petite Gazette du 21 décembre 2011

ON Z-A TANT BRÈT NOYÉ, QU’A L’FIN, IL ÈST V’NOU…

Et oui, Noël est déjà là, bien sûr il était annoncé par son cortège d’illuminations, ses marchés spécifiques, ses boudins et autres spécialités beaucoup plus exotiques, mais on est toujours surpris de voir, déjà, arriver la fin de l’année. Que cela passe vite ! ne cesse-t-on d’entendre…

Autrefois, quand le temps n’était pas compté, quand on ne disait pas encore que c’était de l’argent, Noël était attendu avec fébrilité.

Tos l’s, n’s-avans cwate grandès fièsses, mês, l’pus bèle, c’èst l’cisse dè Noyé.

Noël commence le 24 décembre, vigile de la fête ; ce jour était donc un jour d’abstinence, on mangeait maigre, mais on se rattrapait sur les bouquettes. Cependant, on n’oubliait pas d’en mettre une de côté pour la vierge et une autre pour l’Enfant Jésus !

La nuit, pour ne pas manquer d’argent pendant l’année suivante, on exposait (certains le font certainement encore) de la monnaie à l’extérieur de la maison. On faisait de même avec du pain et de l’eau qui, après avoir passé la nuit de Noël à l’extérieur, seraient conservés soigneusement car ils protégeraient des maladies en étant consommés à jeun.

La nuit du 25 décembre est la première du cycle des Douze Nuits. Ces nuits sont dites « enchantées » et donc propices aux maléfices… Elles font l’objet d’observations météorologiques car elles sont censées présager du temps qu’il fera durant les douze mois de l’année à venir.

Toutes ces croyances de nos aïeux, je les ai puisées dans « L’almanach de notre Terroir » que j’ai publié il y a quelques années et qui est désormais épuisé.  A toutes et à tous, je souhaite un très joyeux Noël à partager avec votre famille et tous ceux qui vous sont chers

La Petite Gazette du 19 décembre 2012

NOEL, C’EST DÉJÀ NOEL…

Durant la nuit magique du réveillon de Noël, les anciens avaient l’habitude, pour ne pas manquer d’argent durant l’année à venir, d’exposer de la monnaie à l’extérieur de la maison. Ils faisaient de même avec du pain et de l’eau qu’ils consommaient ensuite à jeun pour se protéger des maladies.

Cette grande fête qui, outre sa symbolique religieuse, marque le retour progressif du jour rognant l’obscurité est chargée d’innombrables croyances populaires et ponctuée de nombreux rituels mêlant paganisme et religiosité.

On dit, par exemple, qu’un enfant né cette nuit sera roux car Jésus l’était. Noël commence le 24 décembre, vigile de la fête ; ce jour était donc un jour d’abstinence, on mangeait maigre, mais on se rattrapait sur les bouquettes. Cependant, on n’oubliait pas d’en mettre une de côté pour la vierge et une autre pour l’Enfant Jésus !

Les douze jours qui suivent Noël font l’objet d’observations météorologiques car ils sont censés présager du temps qu’il fera durant les douze mois de l’année à venir.

A toutes et à tous, je souhaite un très joyeux Noël à partager avec votre famille et tous ceux qui vous sont chers

La Petite Gazette du 26 décembre 2012

2012 S’EN VA… VIVEMENT 2013 !

Dans nos campagnes, on observera certainement le temps qu’il fera la nuit du 31 décembre car il est admis que si la nuit est tranquille, l’année sera bonne pour le campagnard ; si le vent souffle d’Est, il y aura une épidémie dans le bétail ; s’il souffle d’Ouest, il y aura une épidémie parmi les souverains régnants ; enfin, s’il souffle du Sud, on prédit que la maladie décimera la population…

Pourvu qu’il n’y ait pas de vent sera, dès lors, mon dernier souhait de 2012 !

Le premier jour de l’an est chargé de traditions que l’on respecte avec plaisir. On fait toujours des gaufres, des galets ou des galettes que l’on mange en famille et que l’on offre à ceux que l’on visite ou que l’on reçoit. Des traditions plus anciennes ont évidemment disparu… comme celle qui consistait à entourer d’une torchette de paille le tronc des arbres fruitiers puis de leur souhaiter une bonne année, à la garde de Dieu.

La tradition populaire a conservé de nombreux spots, spécifiques au premier jour de chaque année et réservés à l’échange des vœux :

Dji  v’sohête ine bone annêye, ine parfète santé et totes sorts di boneûrs.

A une belle à marier, on dira : Dji v’sohête ine bone annêye, on bê djône ome a vosse costé».

En pensant à des coutumes d’antan, certaines personnes n’ont, heureusement,  pas oublié que :

Al novèl an, on done dès strèmes, ine dringuèle, dès p’titès rik’nohances ou dès galèts.

De la façon la plus égoïste qui soit, je me souhaite, pour 2013, des lectrices et des lecteurs toujours aussi extraordinaires qui me permettront d’alimenter cette page hebdomadaire tout en lui conservant le remarquable intérêt que vous lui manifestez.

Une excellente année 2013 à vous toutes et tous.

La Petite Gazette du 18 décembre 2013

NOEL APPROCHE… SAVEZ-VOUS QUE :

Ce n’est qu’au IVe siècle, durant le règne du pape Jules 1er, qu’il fut décidé que la fête paënne du solstice d’hiver deviendrait une fête chrétienne. Si rien ne permet, en effet, de dire que le christ est né un 25 décembre, le symbole de la fête du renouveau, du retour de la clarté – symbole de vie et de fécondité – convenait parfaitement au message chrétien porté par le fils de Dieu sur terre.

Les symboles actuels de Noël, le sapin, les boules et la bûche, pour traditionnels qu’ils paraissent, ont des origines très diverses et parfois fort récentes. La bûche est certainement la tradition la plus ancienne, mais sous une forme bien différente. Il s’agissait, à l’origine, de trois véritables bûches de bois de taille considérable puisqu’elles devaient brûler douze jours, jusqu’à l’épiphanie. Elles étaient allumées avec « le feu nouveau » que l’on ramenait de la messe de minuit. Dans nos régions, il était de coutume de conserver de la cendre de ces bûches car elle avait la réputation de soigner les brûlures. Il semble que le premier gâteau conçu en forme de bûche ait été servi à la cour de France à l’aube du XVIIe siècle.

Le sapin nous vient des pays germaniques, sa verdeur y était considérée comme un symbole de fertilité. Ce n’est qu’au XVIIe siècle qu’on commence à le décorer de bougies exclusivement. Les boules, de verre à l’origine, n’apparaissent que vers la fin du XIXe siècle dans les familles nanties évidemment.

La lumière nouvelle était ramenée de la messe de minuit vers les maisons et servait également à allumer une chandelle de cire pure qui était conservée toute l’année pour ses vertus protectrices. On la rallumait quand l’orage grondait pour écarter la foudre, on la plaçait dans les mains d’un mourant pour lui assurer une mort paisible et on l’allumait encore lors d’un accouchement.

Quant au Père Noël, sachez qu’il nous vient d’Amérique. Il est simplement une adaption américaine de notre saint Nicolas dont la tradition avait été emportée outre océan par les colons des XVIIe et XVIIIe siècles.

La Petite Gazette du 2 janvier 2014

LES TRADITIONS DU JOUR DE L’AN

Elles sont nombreuses, variées et, surtout, méritent de ne pas sombrer dans l’oubli. Rappelons-en donc quelques-unes :

carte-nouvel-an

Le baiser qui accompagne les souhaits de l’an neuf a, sans doute, valu à cette journée le nom de « djou dès fås vidèdjes » en référence au baiser de Judas… Les vieilles formules de souhaits nous en apprennent beaucoup sur les réalités quotidiennes de jadis. Ainsi celle-ci, très ancienne : Bone annêye frèzèye ; parfète santé frèzé ; totes sôres du bonheûr frèzé voleûr.

Cette formule nous rappelle que, avant que les bienfaits des campagnes de vaccination, nombre de femmes et d’hommes de nos campagnes avaient contracté la petite vérole et présentaient un visage grelé (frèzé – frèzèye = grelé – grelée).

A Liège, on disait que la jeune fille qui recevait les premiers souhaits d’un petit garçon aurait un fiancé qui porterait le même prénom ; si, au contraire, c’était d’une vieille femme qu’elle recevait les premiers vœux de Nouvel-An, elle ne se marierait pas dans le courant de l’année.

Toujours dans la région liégeoise, une jeune fille porte malheur en vous souhaitant, la première,  une bonne année ; au contraire, les vœux d’un petit garçon sont d’un très favorable augure. Aussi, ces derniers, malins qu’ils ont toujours été, s’empressaient-ils de débiter ce petit distique à la suite de leurs souhaits :

C’est on p’tit valèt, vos-årez dè boneûr après.

C’est évidemment pour répondre à cette même croyance que, avant la Grande Guerre, les petits garçons de Neuville-en-Condroz s’en allaient présenter leurs vœux en chantant :

Strimez-m’ nosse Dame ! (Etrennez-nous Madame !)

Strimez-m’ nosse Dame !

C’è-st-oûy li prumi djoû d’l’an.nêye

carte-nouvel-an-2

Entendre le chant d’un oiseau  le premier jour de l’an neuf assure du bonheur pour toute l’année.

Dans les régions d’élevage, les anciens ne manquaient pas de commencer l’année en adressant leurs vœux à chaque de leurs bêtes. Ailleurs, ce sont les vergers qui reçoivent la visite matinale des agriculteurs venus saluer chaque arbre en lui adressant une formule rituelle :

Abe, dji t’sitreume, si ti n’pwète nin pus qu’l’an.nêye passèye, ni pwète nin mons non pus !

A Trois-Ponts, il était admis que le rêve fait durant la nuit du Nouvel-An était considéré comme la révélation de la vérité.

Dans les foyers du Condroz, on pense que le feu allumé la veille du jour de l’An couve toujours sous la cendre le lendemain, c’est un indice favorable pour l’année qui commence.

Dans le pays de Marche, le jour de l’An, on ramassait trois petites pierres et on les jetait devant soi en marchant ; ce geste rituel était censé s’assurer le bonheur pour l’année entière.

Partout, il était admis qu’il était dangereux de s’approcher des rivières au premier jour de l’An. En effet, il se disait que « Al novèl an, l’êwe pèhe voltî». L’origine de cette mise en garde est lointaine et prévient les soiffeurs du réveillon de se méfier en rentrant si leur chemin longe un cours d’eau…

1926 – LI DJOU DE NOVEL-AN

Madame Odette Dodeigne, d’Anthisnes, a sorti cette page (imprimée il y a bien longtemps  par l’imprimerie E. Cousin d’Aywaille) de son tiroir à souvenirs. La feuille a vieilli bien sûr mais son intérêt est sauf.

J’ai choisi de vous la présenter ainsi qu’elle fut rédigée, dans une langue étonnante… En effet, ce n’est ni du français, ni du wallon, mais la mise par écrit du parler villageois usuel, mêlant les termes des deux langues et écrite dans une orthographe vraiment fantaisiste. La voici :

Pasqueie composeie et t’chanteie à l’Novèl-An 1926 par les Djoyeux Plankets dè l’Carrire dè Trô dè Mont (Mont, hamtai dè l’commeune di Comblain-â-Pont)

 

RESPLEUS

So l’air du tra dèri dèra,

So l’air du tra dèri dèra,

So l’air du tra dèri dèra.

1er COPLET

N’sestant n’bande di lurons,

Chal è noss trô dè Mont,

Li ci qu’a l’pus belle voèx

C’est Dj’han l’Luxembourgeoès,

Qwand i t’chante li veie t’chir

Ou les rutabagas

Fat qu’on s’tinse so n’t’chèyir

Po n’nin toumer pu bas.

2e COPLET

Nos avans l’grand Philippin,

Li magneus d’inglitins,

I m’dit l’grand forsolé

Qui l’crolé n’sé t’chanter

Min mi dj’li restampa

Sins fer baicop d’racha

Va a concert è Mont

T’arè bon d’ètinde Jean.

3e COPLET

Li gros Twenne d’a p’tit Bwès

C’est on drole di valet.

On d’jase qui s’va ruiné

A todi tant t’chiquer

C’est ine vreie punition

D’falleur t’chergi ses moëllons

C’est ine vreie punition

D’falleur t’chergi ses moëllons

Fareut on drap d’mohon

Po r’souwé ses rot’chons.

4e COPLET

L’accapareur Bulthot

Cila s’nè nin on sot

Avou les meie qui là

I fait d’ses imbarras

Actionnaire à Raideut

C’est dedja onk qu’est reud.

Tant que l’beurre ne baisse pas,

Chez lui, on n’sen fait pas.

5e COPLET

Astheur li blond dè Mont

Y nè nin mon plaihant

Po ine gotte di pèket

I s’laireut pinde ma foè,

In si sareut passé

Est çoula q’dès ping’ter

Si va amon Lambion

Fat qui beuie on hufion.

6e COPLET

Nos avans l’gros d’Josef

Qui n’si fait nou ma d’tiesse,

C’est lu què Commandant

Po t’chergi les wagons

Avou noss machineu

Qu’c’est portant in agneu

Il a tot d’minme trové

Si p’tite feume po s’marier.

7e COPLET

N’savant Armand d’Gilson

C’est on vix céliba

On gaillard qu’a d’juré

Dè d’moré come çoula

I s’dit qui sin kpagnèe

I d’hirèt svikareie

Divins les longs pameis

Il a sogne d’es rifeit.

8e COPLET

Li grand Maurice Djoris

C’est l’home à rinde chervice

Dispoye qu’la stu taxé

On n’fait pu qu’dè l’balter

Po ses septante hut francs

I fait s’ton laid minton

C’est qui po les gwangni

I fat tant travaï.

9e COPLET

Si nè nin baicop mi

Avou noss maiss ovri

Qu’a l’nez todi d’loffré

Télmint qui n’fait qu’dè pen’ter

Quwand c’est qui prind n’pèneie

Ennè prind dès quaqueies

Qu’on s’dimande bin sovint

Qu’mint qui s’narène ni hière nin

10e COPLET

N’savans Alfred Collard

C’est on drole di gaillard

I tomreut minme dès s’tran

Qui n’seuye è trô dè Mont

Avou l’grand Vandenpeer

Onk qu’a des laides airs

E l’nèveu d’a Chartier

Qui n’jase maIe qui d’furter

11e COPLET

Nosse compagnon Raymond

C’est y ewèration

Dispôye qui l’est marié

In fait qu’di stourmèté

Portant s’nest nin l’richesse

J’y v’zassure qu’el kichesse

Mins c’est si p’tit poïon

Qui n’a co no  rjèton.

12e COPLET

Noss grand maiss Olivier

Si fait sovint r’marquer si v’zav’ des bai boquets

V’zester sur qui pass’rais

Min si vos n’navez nin

I n’sèret nin contint

Y passret out di vo

Magré

Qu’on s’arredge tot.

13e COPLET

Mes amis cisse pasqueie

A s’tu faite ax euraies

Avousmes compagnons

Tot magnant noss crostant

Ossi po r’merçimint

E noss sètche braves d’gins

Tapez, tapez frankmint

Disqu’à tant qui seuye plein.

carte-nouvel-an-3

La Petite Gazette du 28 décembre 2016

LI BOUKETE EMACRALEYE

Madame Mariette Liégeois, de Vaux-sous-Chèvremont est très attachée à notre belle langue wallonne et à toutes nos traditions régionales. Elle a pensé, et a eu bien raison, que le moment était judicieux de se remettre en mémoire ce célèbre texte de Georges Ista.

Ma correspondante rappelle aux lecteurs de la Petite Gazette que ce prolifique auteur wallon a vécu à Sy durant la Grande Guerre.

C’esteût  l’nut’ dè Noyé.  Li mame fève dès boûkètes

Et  tos les p’tits- èfants rasson-nés dilé l’feû,

Rin qu’a houmer l’odeûr qui montéve dèl pêlète

Si  sintîs  l’êwe  al boque  èt raletchît  lès deûts

Qwand on costé dèl påsse  esteût djusse  a l’îdèye

Li mame prindéve li pêle  èl hoyéve en p’tit pô

Et pwis houp ! li boukète è l’air féve  ine dimèye

Et d’vins l’mitan dèl pêle ritouméve  cou-zå-haut

– Lèyiz-m on pô  sayi ! brèya li p’tite Madjène

Dji wadje dèl ritoûrner d’adreût dè prumî côp

Vos-alez vèyî, mame !… Et volà nosse glawène

Qui prind l’pêle a deûs mains et  qui  s’abahe on p’tit pô,

Et rouf !di totes  sès fwèces elle  èvole  li boûkète…

Ele  l’èvola  si bin qu’èle n’a måy ritoumé

On qwèra tos  costés : so  l’årmå, po-dri  l’pwète

On n’ritrova måy rin. Wice aveût-èle passé?

Tot  l’monde  s’èl dimandéve èt  les k’méres dè vinåve

Si racontit tot bas,  l’al nute  åtoû dè feû

Qui  c’èsteût  sûr  li diâle qu’èsteût  catchî d’zos  l’tåve

Et  qui  1’aveût magnî  sin fé ni eune ni deûs.

 

L’iviér passa. L’osté ramina les vèrdeûres

Et  lès fièsses di porotche  ås djoyeûs  cråmignons

Tot  l’monde aveût dèdja roûvî ciste avinteûre

Qwand li mére d’a Madjène fat r’blanki  sès plafonds

Volà don l’bwègne Colas, blankiheû  sin parèy,

Qu’arive  avou sès breûsses, ses håles et  sès  sèyès

I k’minça dè bodjî  lès ptitès bardah’rèyes

Qu’èstit  avå l’manèdje; i wèsta lès tåvlês

Qui pindît  so  lès meûrs; pwis, montant   so  s’halète

I d’pinda 1’grand mureû qui hågnîve  so  l’dgîvå

Et c’èst po-drî  l’mureû qu’on r’trova nosse  boûkète

Qu’esteût  la d’pôy  sî meûs, co pus deûre  qu’on vî clå

Neûre  come on cou d’tchapê, reûde èco pé qu’ine bèye

Frèzèye  come  ine vèye  catche, èt, d’zeûr di tot  çoula

Tote coviète di  strons d’mohe, èt tél’min tchamossèye

Qu’èle aveût  dès poyèdjes, co pé qu’in-angora

                                                Georges  ISTA (1874 – 1939)

Le jeu de quilles ou Li djeû d’bèyes

La Petite Gazette du 14 juillet 1999

Les jeux d’antan… Le jeu de quilles

C’est Monsieur Emile Van Craywinkel, d’Evelette, qui évoque ses souvenirs pour vous :

« De 1934 au début de 1940, on a pratiqué le jeu de quilles, chez nous, à Libois, où c’était un café. Tous les dimanches après-midi, une vingtaine d’amateurs se réunissaient pour, pendant quelques heures, jouer aux quilles.

Mon père, très attentif à ce jeu, organisait deux concours par année ; il y avait de nombreux lots : vélos, radios, boîtes de cigares, chocolat et divers. Beaucoup de professionnels y assistaient, les mises étaient de 20 francs pour participer à ce jeu.

C’est le plus grand nombre de quilles renversées qui désignait le gagnant, à moins d’un ex aequo, car alors ils devaient à nouveau s’affronter pour la première place et, peut-être, remporter le beau vélo.

Les autres dimanches, c’étaient surtout les habitués de la commune qui venaient. Ces jours-là, les mises variaient de 1 à 5 francs. Quand il y avait un ex aequo,  les joueurs perdants devaient mettre un supplément pour continuer la partie. Il arrivait parfois que la somme en jeu soit importante.

C’était moi, se souvient M. Emile Van Craywinkel, qui faisait la relève des quilles. Chaque joueur gagnant me donnant 10% de la somme gagnée ; cela me rapportait assez bien d’argent… quilles 1

Le joueur peut faire déplacer trois quilles d’un demi-centimètres ; soit écarter un peu la première, ouvrir légèrement la deuxième, la « fourche », ou la troisième, la « dame ». Cela donne un bon résultat mais cela demande quand même une bonne technique de la part du joueur qui doit encastrer le boulet entre ces trois quilles.»

 

La Petite Gazette du 8 septembre 1999

Le jeu de quilles

Monsieur Simon André, de neufchâteau, se souvient également :

« La relation de M. Van Craywinkel sur le jeu de quilles m’a aussi rappelé des souvenirs. C’est que, comme lui, j’ai souvent été appelé à relever les quilles après la messe et entre les vêpres et le salut du dimanche. Il est vrai que le jeu était tenu par les habitants de la maison jouxtant la nôtre.

A la lecture, j’ai remarqué que le règlement différait quelque peu, malgré la distance assez courte qui sépare les deux localités, comte tenu des moyens de transport actuels bien entendu.

Chez nous :

– les fourches étaient déplacées au gré du joueur (il n’était pas question de millimètres !) ;

– la dame restait en place ;

– le boulet était seulement percé de trois trous et n’était pas recouvert de tôle métallique percé.

Personnellement, j’ai connu trois jeux de quilles différents :

  1. En cendrée : la poutrelle était remplacée par des cendres de charbon. Un bout de poutrelle existait au début du jeu et devait être touchée par le boulet lors du lancement.
  2. Le même que celui représenté par le croquis de Monsieur Van Craywinkel.
  3. En béton : sur celui-ci il était préférable –et toujours bénéfique- de donner un mouvement de rotation au boulet, de façon à ce qu’il arrive dans les quilles en tournant.

Que de fois ai-je entendu : « Hé, m’fi toûne on pô l’prumîre. Droûve li fotche va, nin ciçale, lôte. Li èrin-ne n’èst nin ès-s’plèce ! » avec, en plus, les quolibets lancés à l’adresse du joueur qui manquait de réussite.

Le jeu de quilles était, en somme, le grand amusement hebdomadaire des hommes et des jeunes gens d’alors, toujours, le pèkèt aidant parfois, empreint de bonne humeur.

Avant la dernière guerre, conclut Monsieur André, un jeu en béton existait à Bonsin, chez Georges Dujardin, et un autre à Chardeneux, chez Louis Wathelet.

Madame Bury-Lecron, de Hamoir, m’écrit :

« Il y a chez nous une ancienne piste de jeu de quilles terminées par une pierre de taille bleue, marquée des neuf emplacements de quilles. Bien que la piste ait été refaite en ciment, il reste un vestige, très usé, de la piste en bois.

La maison est très ancienne et, dans le temps, c’était une auberge-café et marchand de charbon, l’écurie qui abritait le cheval existe encore. C’était la maison Grailet-Godfroid. Les personnes vivant à Hamoir depuis longtemps s’en souviennent certainement. »

 

La Petite Gazette du 15 septembre 1999

Encore le jeu de quilles

Monsieur G. Carlier, d’Andoumont, apporte également une petite précision sur le sujet :

« A Jupille, où j’ai habité trente ans, il y avait, près de la place de Meuse, un café qui possédait une piste de quilles. Le vieil homme qui m’en a parlé me disait que l’on jouait gros jeu et que les joueurs de quilles se reconnaissaient au fait qu’ils entassaient les billets, en vue, dans leur poche. »

 La Petite Gazette du 16 juin 2010

LES JEUX DE QUILLES DE NOS VILLAGES

S’il est bien un jeu populaire qui connut un succès et un engouement extraordinaires en nos régions, c’est bien le jeu de quilles. Monsieur René Gabriel, de Roanne-Coo, mène actuellement une recherche sur ce sujet passionnant et, bien sûr, il a besoin de vos souvenirs et de vos connaissances en la matière.

« Je recherche les anciens jeux de quilles présents dans nos villages au siècle passé. J’ai déjà contacté plusieurs de nos aînés et ai recueilli, grâce à eux, des précisions très intéressantes. Des jeux existaient pratiquement dans tous nos villages,  ainsi on en a retrouvé quatre à Rahier, à des époques différentes. Mon inventaire s’étoffe mais ne demande qu’à se compléter encore.

Je me suis rendu au Musée de la Vie Wallonne, où j’ai été très bien reçu et où j’ai pu découvrir des photographies généralement prises entre 1890 et 1930. Je possède maintenant une vingtaine de reproductions localisées. Parmi celles-ci, une photographie me pose un problème de localisation et j’espère que les lecteurs de La Petite Gazette pourront m’aider. Le document ci-dessous porte simplement comme indication « 1910. Rahier ? La Gleize ? » et je ne suis pas parvenu à situer l’endroit dans une de ces deux localités… Le pourrez-vous ?

quilles 2

Parmi les personnes que j’ai interrogées, plusieurs ont « bill’té » (N.D.L.R. Ailleurs, on aurait dit « bèyeter ou biyeter ») lorsqu’ils étaient jeunes. « Bill’ter » ou « repiquer » signifiait remettre ou redresser les quilles (les bèyes). Le « bill’teur » recevait une petite rémunération de la part des gagnants, plus ou moins 5% des gains.

Certains de mes contacts m’ont signalé des mises exorbitantes, en période de guerre notamment, se soldant parfois par la perte de bétail… Plus généralement, on jouait pour une tournée, un jambon…

Il est probable que de nombreux lecteurs pourraient nous donner des informations sur ce délassement pratiqué le dimanche, souvent après la messe, et lors des fêtes locales. Pourvu que ces personnes communiquent leurs souvenirs, leurs photos à La Petite Gazette. D’avance, je les en remercie chaleureusement.

J’espère sincèrement que vous répondrez à cet appel en nous communiquant vos souvenirs, vos anecdotes liées à la pratique de ce jeu si populaire jadis en nos contrées. Puissiez-vous nous en décrire le déroulement précis, combien de joueurs ? Durée d’une partie ? Règles et usages à respecter ? Noms des différents gestes spécifiques ? Rôles de chacun ? Qui prenait et conservait les mises ?… Bref tout ce qui touche à l’organisation même d’une partie, mais aussi les lieux où étaient installés ces jeux (à l’extérieur, à l’intérieur), les moments auxquels on y jouait… Les anecdotes liées aux mises et aux prix et le pourquoi de la disparition de ce jeu nous intéressent tout autant. Merci de nous communiquer tout ce que vous savez sur le sujet, cela devrait nous valoir des récits savoureux à présenter prochainement dans cette page…

 

La Petite Gazette du 23 juin 2010

 LES JEUX DE QUILLES DE NOS REGIONS

Madame Marie Deselliers, de Qualité-Village-Wallonie, n’est certes pas une inconnue pour les lecteurs attentifs que vous êtes. Avec son intervention de ce jour, elle nous montre qu’elle peut tout aussi bien répondre aux appels lancés qu’en susciter d’autres…

« Concernant les jeux de quilles, m’écrit-elle, il y en a encore un dans le village de Géromont (Comblain-au-Pont) avec sa rampe en bois et ses quilles en bois. Ils le sortent encore lors de certaines fêtes de village.
Il y en avait également un à la salle d’Awan (Aywaille), on le voit sur de vieilles photos. (N.D.L.R. Quelqu’un nous permettra-t-il de les présenter aux lecteurs de la Petite Gazette ? D’avance, je remercie cette personne) »

Monsieur D. Montanus a lui aussi réagi rapidement à l’appel lancé par M. Gabriel.

« J’espère, m’écrit-il,  que M. GABRIEL appréciera la photo en annexe. Ce jeu se situait à l’entrée du village de Humain, devant un établissement  faisant tout et ce en 1912. L’établissement est devenu un immeuble de logements et des transformations de voirie ont changé les lieux.quilles3

Fortement envahi par la végétation  actuellement, à côté de la salle du village  dans les années 50 un « boulodrome » avait été installé et a fonctionné jusque les années 90, j’ai vu il n’y a pas si longtemps une boule et des quilles dans la cave de cette salle qui doit incessamment être rasée pour faire place à une nouvelle. »

Un très grand merci à mes correspondants. Vous aussi, vous avez certainement des souvenirs liés à ce jeu si populaire jadis en nos villages, j’espère de tout cœur que vous les partagerez avec nous… Puissiez-vous nous en décrire le déroulement précis, combien de joueurs ? Durée d’une partie ? Règles et usages à respecter ? Noms des différents gestes spécifiques ? Rôles de chacun ? Qui prenait et conservait les mises ?… Bref tout ce qui touche à l’organisation même d’une partie, mais aussi les lieux où étaient installés ces jeux (à l’extérieur, à l’intérieur), les moments auxquels on y jouait… Les anecdotes liées aux mises et aux prix et le pourquoi de la disparition de ce jeu nous intéressent tout autant. Merci de nous communiquer tout ce que vous savez sur le sujet, cela devrait nous valoir des récits savoureux à présenter prochainement dans cette page…

La Petite Gazette du 14 juillet 2010

LES QUILLES DE MON ENFANCE…

Madame Maria Lambotte, de Werbomont, est une correspondante fidèle et prolixe, personne ne s’en plaindra, elle ne rate jamais une occasion de partager ses souvenirs avec La Petite Gazette.

« Qui n’a pas reçu, à l’époque, un jeu de quilles pour la Saint-Nicolas ?

Je me souviens avoir accompagné papa après la grand-messe de 10h30, à Ernonheid, au café tenu par Adolphe Bodson (maison qu’habitent aujourd’hui Maurice et Liliane Lahaye). Maman, quant à elle, allait à la messe basse de 8h. à Bosson.

J’étais prise par le sérieux qui entourait les joueurs.

On relevait li dame, li fotche…

Il est vrai que les mises devaient être bien contrôlées pour que tout se passe de façon équitable. Une fois grandis, nous rentrions de la messe, tous à vélo. Papa rentrait bon dernier, maman n’était pas ravie, le dîner traînait. Un dimanche, il est rentré un peu plus tard, un peu trop tard…

Puis, en février 1953, papa offrit à maman, pour ses 40 ans, un gaufrier électrique. Peu après, maman me dit, toute confuse : « Tu sais, le dimanche où j’ai grondé papa, il avait fait une grosse part aux quilles et il avait gardé les sous pour mon anniversaire ! » Ce n’est pas beau cela ? »

 La Petite Gazette du 25 août 2010

LE JEU DE QUILLES DE VILLERS-LE-TEMPLE, « E MON DAVIN »

Monsieur A. Mathelot, de Poulseur, a gardé en mémoire quelques souvenirs liés au jeu de quilles installé à Villers-le-Temple è mon Davin. Il a eu l’excellente idée de les partager avec nous tous et, pour la clarté de ses explications, a joint les illustrations suivantes. A ses explications s’ajoutent celles transmises par Monsieur Marcel Grégoire, de Gouvy

quilles 4Monsieur Grégoire précise d’emblée que, à sa connaissance, « il existait trois jeux de quilles différents : à 9, à 7 et à 5 quilles. »

« Nous étions à la fin de la guerre et j’avais 10 ans, se souvient M. Mathelot. Le jeu était installé derrière la porte cochère visible sur le dessin.

 

Explication des légendes de ce plan.quilles 5

  1. Mur extérieur de la maison.
  2. Banc réservé aux joueurs (à la hauteur d’un tabouret de bar)
  3. Deux planches en « V » disposées sur un plan incliné passant sous le banc des joueurs pour ramener le boulet à son point de départ.
  4. Dalle en béton portant l’emplacement des quilles.

5 et 6. Deux des neuf quilles disposées sur la dalle. Quilles en bois avec cercle en fer à la base. Ici, M. Grégoire apporte d’utiles précisions : « Une quille mesure 30 cm de hauteur, elle se compose d’un cylindre de 15 cm puis part en cône sur 15 cm. Sur la jeu, la première quille a un diamètre de 12 à 14 cm, les deux suivantes (les dames) font 10 à 12 cm de diamètre et les autres 9 à 10, les deux quilles extérieures s’appellent les valets. Toutes sont façonnées dans du bouleau »

A noter, poursuit M. Mathelot, que le diamètre des circonférences marquées sur la dalle était  légèrement supérieur à celui des bases des quilles, ce qui permettait un léger ajustement dans la position de celles-ci. le joueur pouvait demander à déplacer légèrement les quilles 5 ou 6 vers l’intérieur du jeu (Serrez li fotche à dreute ou à gauche) soit vers l’extérieur (Drôvî li fotche).

  1. Piste, en très fines cendres, ratissée très régulièrement dès que le besoin s’en faisait sentir. M. Grégoire quant à lui n’évoque pas une piste mais une planche « où l’on fait rouler le boulet et mesurant10 à 12 mètres de long sur 15 à 20 cm de large. »
  2. Planches enfoncées verticalement délimitant l’aire de jeu.
  3. Les horottes. La piste en cendrée ayant une forme trapézoïdale, les horottes étaient les deux évidements ainsi formés. Quand un boulet mal lancé finissait el horotte, il s’en allait lamentablement terminer sa course à côté de la dalle en béton. Le commentaire le plus expressif, autant que laconique, concernant le malheureux joueur était « Y l’a fè bèrwète».
  4. planche de départ (je suis quasiment certain, indique M. Mathelot, que cette planche portait un nom typiquement wallon mais pas moyen de m’en souvenir…) Quand le joueur lance li boulèt, celui-ci doit impérativement toucher la planche de départ avant de poursuivre sa course sur la piste en cendrées. Si le boulet commence directement sa course sans toucher la planche de départ, le joueur a fè hovlète et le coup est nul.

Il n’y a pas grand-chose à dire à propos du boulèt si ce n’est qu’il était en bois, mais j’ignore quelle essence il fallait utiliser. » M. Grégoire vient donc à son secours : « Le boulet est fait dans du hêtre ou du charme. Il a un diamètre de 18 à 20 cm et pèse 4 à 5 kg. Pour le tenir, il y a un trou où placer le pouce et une encoche pour glisser les quatre autres doigts. »

La semaine prochaine nous suivrons les explications de mes correspondants sur le déroulement des parties.

 La petite Gazette du 1er septembre 2010

 LE JEU DE QUILLES DANS NOS REGIONS

Comme promis, nous retrouvons les témoignages de MM. A. Mathelot, de Poulseur, et M. Grégoire, de Gouvy, qui évoquent pour nous le déroulement d’une partie de jeu de quilles.

Le premier raconte que « la partie pouvait accueillir un nombre illimité de joueurs. La mise de départ s’arrêtait de commun accord entre les joueurs, de 5 francs, ine pèce, à 10 ou 20 francs. Après dépôt des mises à même le sol, on commençait le premier tour. Quand chaque joueur avait tenté sa chance, deux cas de figure pouvaient se présenter. Soit un seul joueur avait obtenu un score supérieur à tous les autres, il empochait alors les mises et la partie était terminée (on pouvait en commencer une autre) ; soit plusieurs joueurs avaient atteint le même score supérieur à celui des autres, on disait alors que «  li pârt èst bouf ». Alors recommençait un autre tour auquel participaient gratuitement les joueurs détenteurs du meilleur score au premier tour, mais tous les autres, s’ils voulaient continuer la partie, devaient doubler leur mise initiale. Il en allait de même jusqu’à ce qu’un joueur mette tout le monde d’accord en surclassant ses adversaires.

Avec 10 ou 15 joueurs, il n’était pas rare de voir les parties s’éterniser à force d’être « bouf »… il ne faut pas perdre de vue que, pour continuer la partie, les « perdants » devaient débourser des sommes de plus en plus importantes (de 5 francs au départ, ils misaient ensuite 10 francs, puis 20, 40 et ainsi de suite).

Un joueur pouvait néanmoins quitter la partie à tout moment, il arrêtait alors de miser mais perdait évidemment ce qu’il avait déjà déposé !

Au sujet des gains, j’ai conservé le souvenir d’une anecdote. Un samedi soir, mon père emporte finalement une partie qui avait été « bouf » je ne sais combien de fois ; il avait ainsi empoché un beau pactole. Une semaine plus tard, le dimanche, nous « remontions » fièrement au village, mon père avec un nouveau pardessus et moi, tout fier, dans mon nouveau paletot, un peu trop grand il est vrai.

Je ne sais plus dans quelles circonstances a disparu le jeu de quilles de Villers-le-Temple car il faut savoir qu’au-dessus du jeu de quilles se trouvait la salle de bal et, assez tôt, j’ai gravi l’escalier qui menait vers un autre monde… »

Monsieur Grégoire explique à son tour : « Les joueurs sont en nombre illimité et la mise va de 5 à 1000 francs, aujourd’hui c’est évidemment en euros. Ainsi s’il y a dix joueurs à 100F., il y a 1000F. sur la table. Tous jouent une fois et on retient le plus grand nombre de quilles tombées (il faut obligatoirement avoir la première). Si 5 joueurs ont eu 4 quilles, on dit qu’ils sont « barres » et ils peuvent jouer au deuxième tour. Si les autres veulent continuer la partie, ils doivent remettre de l’argent (la somme qu’il y a sur la table divisée par le nombre de barrants) ; ainsi dans l’exemple cité 1000F. que l’on divise par 5 soit 200F. et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un seul joueur.  Le gagnant « lève » la part et donne un pourcentage de ses gains (généralement 5%) à celui qui tient la table et à celui qui relève les quilles et renvoie le boulet.

Dans certains villages, le dimanche de la kermesse, un jambon est joué. C’est un jambon à l’os fumé pesant 6 à 8Kg. Le responsable du jeu vend des cartes à 100F./pièce jusqu’à concurrence au moins du prix du jambon. Une carte donne droit, selon les villages, à un ou à deux coups de boulet. Au premier tour, il faut au moins 3 quilles pour être « barre » et recevoir une carte d’un autre jeu (pour ne pas mélanger le premier avec le deuxième tour). Le responsable distribue les cartes dans l’ordre suivant : cœur, carreau, trèfle, pique et, dans chaque série, as, roi, dame, etc. Ensuite, il appelle les joueurs  par la dernière carte distribuée, donc le dernier « barrant » à jouer sera le détenteur de la carte « as de cœur ».

Aux tours suivants, les barres sont à ceux qui feront tomber le plus de quilles. Les tours s’enchaînent jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un seul joueur qui gagne le jambon et, généralement, qui paie un verre aux autres joueurs.

Ce dimanche 1er août, un jambon a été joué à la kermesse de Courtil-Bouvigny, lors d’un jeu à 9 quilles. Cette tradition est entretenue dans d’autres villages encore. »

Un immense merci pour ces témoignages précis. L’un des joueurs ou des spectateurs de ces jeux de quilles nous procurera-t-il des photos de ces rencontres ? Je l’espère vivement car je sais qu’elles intéresseraient bien des lecteurs.

La semaine prochaine, nous vous donnerons connaissance des souvenirs d’un autre lecteur encore.

La Petite Gazette du 8 septembre 2010

 LES JEUX DE QUILLES DE NOS VILLAGES…

Je savais que ce sujet vous passionnerait et je ne suis pas déçu ! Aujourd’hui, je puis vous donner connaissance du contenu de l’intéressant envoi de M. Henri Preudhomme, de Neupré.

« En 1949, à Ivoz-Ramet, j’ai souvent participé à ce jeu comme releveur de quilles. On y jouait « à la partie » autorisée par la loi. Chaque joueur payait 5 francs pour participer. Le gagnant étant celui qui faisait tomber le plus de quilles. S’il y avait des ex aequo, la partie continuait jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un seul joueur qui empochait la mise.

Comme releveur, je notais sur un tableau les points des participants. Au gagnant, je notais le nombre de coups de boulet de la partie. Chaque gagnant devait me payer 25 centimes par coup de boulet joué. Cela se passait le samedi soir et le dimanche de 14 à 22 heures. Le samedi, je gagnais 250 à 300 francs et le dimanche de 400 à 500 francs. Un jour de fêt m’a même rapporté 750 francs. A Seraing, il y avait d’autres jeux de quilles sur lesquels on pariait sur un nombre impair de quilles que le joueur allait faire tomber. Ce genre de pari était interdit par la loi ! Des collègues de travail me racontaient qu’ils pouvaient perdre ou gagner 4000 à 5000 francs par soirée ! C’était presque un mois de salaire…quilles 6

Le jeu de quilles, c’est une piste de 7m ; de long, 60 cm de large, pour arriver au carré des quilles à 90 cm ; Les quilles sont posées sur une tôle en forme de triangle. Au début de la piste, il y avait une table qui séparait la piste d’élan et sous laquelle les boulets étaient lancés vers les quilles.

L’argent devait être déposé sur la table, à la vue de tous les joueurs. La technique du bon joueur consistait à frapper entre les deux premières quilles qui constituaient ce qu’on appelait la fourche. A droite pour un droitier, à gauche pour un gaucher. Une quille mesurait 30 cm de haut avec un diamètre de plus ou moins 9 cm. Le boulet, quant à lui, avait un diamètre d’environ 22 cm et présentait trois trous de 30 à 50 mm de profondeur. »

J’espère toujours de tout cœur recevoir des photos montrant les joueurs en action.

 

 

 

 

 

La Petite Gazette du 22 septembre 2009

UN BIEN BELLE PHOTOGRAPHIE D’UN JEU DE QUILLES

Monsieur Lucien Leruth, un très fidèle lecteur de La Petite Gazette, a suivi un conseil que je vous répète souvent et a fouillé ses albums aux vieilles photos pour en extraire celle-ci.

quilles 7

« J’ai lu avec intérêt les articles relatifs au jeu de quilles et, dans l’album de vieilles photos hérité de mon oncle Arsène Leruth je trouve cette photo de 1916 montrant le passe-temps des habitants.

Au dos, j’y trouve la liste des noms des personnes photographiées, elles sont  citées à droite de bas vers le haut: Victoire Schonne, Joseph Leruth, Nelly Collet, Paul Gilles, Arsène Leruth, Odon Hebrant, Jules Henkard, Henri Henrotin, Hervé Gaillard, Honoré Schonne, François Gilles, Marcel Gaillard (et des gamins). »

La Petite Gazette du 20 octobre 2010

 LE JEU DE QUILLES A BOURDON

Monsieur Patrick Remy, de Jambes, me signale qu’il « possède aussi cette photo (NDLR il s’agit de la photo présentée il y a quelques semaines sous le titre « Une bien belle photo d’un jeu de quilles ») sur laquelle figure mon arrière-grand-père Honoré Schonne et sa soeur Victoire. Grâce à M. Leruth, je peux enfin mettre un nom sur chaque personnage présent. Je n’ai pas pensé à regarder cette photo de plus près lorsqu’un de vos lecteurs avait lancé une recherche sur les jeux de quilles. Ma grand-mère, Andrée Schonne confirme qu’il y avait bien un jeu à cet emplacement.

Ci-dessous la reproduction d’une carte postale figurant la même rue mais dans le sens « inverse ». »
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Le temps des Rogations

La Petite Gazette du 24 mai 2000
LE TEMPS DES ROGATIONS
Monsieur Maurice Grün s’est souvenu qu’il était revenu le temps des Rogations, ces processions qui parcouraient champs et prairies au mois de mai.
« Les trépidations de la vie moderne en pleine évolution –ou révolution – ont supprimé les Rogations, ces cortèges solennels qui jalonnaient villages et campagnes. C’étaient des prières publiques accompagnées de processions, pendant les trois jours qui précèdent immédiatement l’Ascension. Elles étaient destinées à attirer la bénédiction divine sur le bétail, les récoltes et les travaux des champs.
Les archives de l’abbé Hacherelle, curé de Somme-Leuze de 1905 à 1930, laissent le souvenir de ces pratiques. Ces processions étaient suivies avec ferveur par de nombreux fidèles. J’y ai souvent participé, accompagnant le prêtre, précise mon correspondant. Le bon temps n’était pas souvent de la partie (vent, pluie, froidure, crachin, brouillard…)
Il est encore une croix en fer installée au croisement du chemin de Coquaimont et de la route de Liège, en face du chemin du Montet. Cette croix des Rogations a été élevée, à la demande de l’abbé Hacherelle, par la famille Burette sur leur domaine.

La Petite Gazette du 8 août 2001
DE NOUVELLES PRECISIONS A PROPOS DES ROGATIONS
« Je crois comprendre, m’écrit M. Pierre Paulis, de Ferrières, que vos lecteurs attendent des renseignements concernant les rogations, appelées également « lès Creûs » ; voici, à leur intention, ce que j’ai recueilli :
Après la messe matinale, le prêtre, revêtu du surplis blanc et de l’étole mauve – rite de pénitence – accompagné du chantre, terminait la procession dont la tête était la croix portée par l’acolyte en robe rouge. La croix était de bois et légère, hampe noire et croix dorée avec, en écharpe, un ruban mauve. Elle était appelée « croix pour rogations ou croix pour les longs chemins » (une autre, plus lourde, servait aux enterrements et aux processions.)
Suivaient, sur deux rangs, les enfants et les enseignants, les dames, puis les hommes. Les fidèles étaient surtout constitués de ceux « qui vivent de la terre ». Partie de l’église au milieu des litanies des saints : après « Sancta Maria », la procession se terminait à l’église. Il n’y avait pas de décorations spéciales dans le village si ce n’est aux croix et aux chapelles devant lesquelles la procession faisait halte. Elles étaient nettoyées, repeintes, fleuries… Il n’y avait pas d’arrêt aux potales. Sur le parcours, chapelets, litanies, chants extraits de l’Hosanna. J’ai en mémoire les innombrables « ora pro nobis » et les « te rogamus audi nos » répercutés par l ‘écho ou étouffés par les frondaisons, les « ave » concurrençant les chants d’oiseaux, la forte rosée aspergeant nos mollets ou alourdissant le bas des robes… les haltes silencieuses des jeunes attendant, avec condescendance, au haut des « gripètes » l’effort essoufflé des plus âgés…
Je suppose que les acolytes, ils étaient trois en tout, transportaient aussi l’eau bénite et le goupillon !
Selon la date de Pâques, les Rogations se célébraient entre la fin avril et le début juin. C’est donc l’époque dite des « Saints de glace ». Le premier jour était consacré à la protection des foins ; le deuxième à celle des moissons ; le troisième jour, on priait principalement pour la protection des pommes de terre et des betteraves. On s’était dirigé vers les quatre points cardinaux : le lundi au nord, le mardi à l’est et le mercredi à l’ouest et au sud.
En 1966, les rogations ont eu lieu le soir. Elles cesseront en 1970 par une mini-procession autour de l’église. Les prévisions météorologiques et les engrais ont pris le relais ! »
D’autres informations à ce sujet dans notre prochaine édition. Un grand merci à Monsieur Paulis.

La Petite Gazette du 29 août 2001
D’UTILES PRECISIONS SUR LES ROGATIONS

Monsieur l’abbé Jean Voz, de Mormont, est un fidèle lecteur de cette chronique et il ne manque jamais une occasion de nous éclairer sur divers sujets, je l’en remercie vivement. Voici ce qu’il a glané comme indications précises à propos des Rogations dont nous avions quelque peu reparlé il n’y a guère.
« Rogation : du mot latin rogatio (objet d’une demande).
Il s’agit d’une procession comprenant le chant des litanies des saints et, après, une messe spéciale.
Elle fut instituée en 470 par saint Mamert, évêque de Vienne en Dauphiné, pour demander la fin d’un tremblement de terre et d’autres calamités. Elle se déroulait pendant les trois jours précédant l’Ascension.
En 511, le premier Concile d’Orléans l’étendit à toutes les églises de Gaule et c’est alors qu’elle prit le nom de Rogation.
Léon III (pape de 795 à 816) introduisit les Rogations à Rome et on les appelait « litanies mineures » pour les distinguer de la litanie majeure qui se faisait le 25 avril (jour de la saint-Marc, mais sans aucune référence à cette fête d’ailleurs instituée plus tard). La litanie majeure fut établie pour remplacer la procession païenne des Robigalia.
Dans nos régions, je pense, poursuit notre abbé, on faisait moins la litanie majeure que les litanies mineures : ainsi, on faisait, par exemple, la litanie majeure à Malempré, mais pas à Mormont.
Il y a quarante ans, la réforme liturgique issue du Concile Vatican II n’a pas supprimé ces litanies, mais a laissé le soin d’en fixer les dates et les modalités aux conférences épiscopales : les rogations étant des cérémonies de pénitence, il ne convenait guère de les faire au temps pascal, un temps de joie. »

La Petite Gazette du 27 avril 2011
LA CROIX DE MONT-COMBLAIN ET LES ROGATIONS
L’ASBL Chapelle de Mont, associée à Qualité-Village-Wallonie, travaille à la réalisation d’un inventaire du petit patrimoine sacré de la commune de Comblain-au-Pont et vous interrogeait à ce titre au sujet de la chapelle de Mont.
Monsieur Henri Jacquemin, de La Gleize, « un ancien de Qualité-Village Moulin du Ruy » précise-t-il, se souvenait que cette chapelle avait déjà été évoquée dans La Petite Gazette. Il a fouillé ses archives et a retrouvé ce passage dans l’édition du 29 juin 1995. C’était Mme Jeanne Donis-Dawant (82 ans à l’époque) qui précisait alors :
« Je l’ai toujours vue là, près de la chapelle. Jusqu’il y a deux ans, durant le mois de mai, une fois la semaine, on y récitait le chapelet. Nous étions comme cela une demi-douzaine de femmes de Mont. Du temps déjà lointains des rogations, la procession, curé de Comblain en tête, s’arrêtait à la croix qui avait été garnie pour l’occasion. Mais je n’ai pas de renseignements sur l’âge de la croix, ni sur le pourquoi de son édification ».
Voilà que sont évoquées les Rogations, processions champêtres qui, au mois de mai, parcouraient les campagnes pour bénir champs et pâturages afin de s’assurer de bonnes récoltes.
Je me suis replongé dans mon Almanach de notre Terroir (éditions Dricot,1999) pour en extraire quelques renseignements sur ces Rogations.
Saint Mamer premier des saints de glace fêté le 11 mai), en 474, fait adopter par l’Eglise, le rite des Rogations, qui était déjà connu des Romains, sous le nom d’Ambarvalia, qui voulaient protéger leurs récoltes.
Les lundi, mardi et mercredi précédant l’Ascension, on organisait, sur le territoire des paroisses, de longues processions pérégrinant au travers des prés et des champs afin de les bénir et de s’assurer une bonne récolte. Ce sont les Rogations, autrement appelées « lès Creûx »
On disait alors : « Qui n’a pas semé aux croix, pour un grain en mettra trois »
Le beurre battu le deuxième jour des Rogations soigne les brûlures et la croûte de lait.
Vous pouvez évidemment confier à la Petite Gazette vos témoignages liés aux Rogations et nous aider à conserver le souvenir de toutes les traditions, croyances populaires et coutumes qui y étaient attachées.

ET SI ON JOUAIT AUX BILLES ?

 

La Petite Gazette du 22 août 2012

Madame Andrée Bernaerts, d’Embourg, m’explique qu’elle a conservé beaucoup de billes en verre avec lesquelles ses garçons, nés dans les années 1960, ont joué. Elle se souvient également que, dans sa propre jeunesse cette fois, elle voyait des garçons passionnés qui jouaient de longues heures, accroupis derrière des billes pareilles.

« N’ayant pas eu de frère, je n’ai jamais connu les règles de ces jeux qui, en plus, étaient réservés aux garçons ! J’ai maintenant des petits enfants qui jouent n’importe comment avec ces billes, cela ne dure donc pas longtemps ! Or je voudrais les intéresser davantage aussi, à mon tour, fais-je appel aux lecteurs de la Petite Gazette pour qu’ils m’expliquent, et que je puisse transmettre à mes petits enfants, les règles des jeux de billes comme on y jouait autrefois. »

J’ai aussi beaucoup joué aux billes durant mon enfance, lors des récréations à l’école communale par exemple. Je me souviens par exemple que nous jouions « al pote ». On traçait, sur une zone plane en terre battue, une large circonférence, entre 4 et 5 mètres de diamètre. Au centre, on creusait la « pote », une petite fosse d’une dizaine de centimètres de diamètre et de quelques centimètres de profondeur. Chaque joueur, à son tour, lance une bille vers la fosse au départ de la limite du cercle tracé. Quand tous ont joué, celui qui a réussi à lancer sa bille dans la « pote » (ou celui qui s’en est le plus rapproché) rejoue. Il est obligé de viser la bille la plus proche de la sienne et s’il la touche, il la gagne et peut rejouer en visant de nouveau la bille la plus proche. Quand il rate, c’est au suivant de procéder de même.

Il y avait bien d’autres façons de jouer et j’espère que vous aiderez cette lectrice à donner la passion des billes à ses petits enfants. J’attends vos courriers nombreux sur le sujet et vous en remercie d’ores et déjà.

 

La Petite Gazette du 12 septembre 2012

Monsieur André Janssens, de Heyd, se souvient des « jeux de billes qui nous ont fait passer de si agréables moments à l’école primaire entre 1939 et 1945, malgré les événements de l’époque et, quelquefois, entre deux alertes aériennes. »

Monsieur F. Edeline, de Tilff, répond lui aussi avec beaucoup d’enthousiasme : « Quelle bonne idée de faire une enquête sur les jeux de billes ! Comme Mme Bernaerts a raison de souligner la disparition de ces beaux jeux au grand air et avec des compagnons réels et non virtuels ! »

Un des jeux que mes correspondants évoquent est celui dit « au carré ». En voici les règles :

Pour 2 à 4 participants. On traçait un carré de 30 à 40 cm de côté. Chaque joueur y disposait 2 ou 3 de ses billes, à des distances égales les unes des autres. Depuis une ligne tracée à 3 ou 4 mètres de distance, chaque joueur envoyait sa bille-tireuse en essayant d’expulser une ou plusieurs billes-cibles du carré, lesquelles formaient alors sa prise. Si après les premiers tirs, personne n’avait touché une bille-cible, c’était à celui dont la bille-tireuse était la plus proche du carré à recommencer. Il était permis, en tirant, d’écarter  les billes-tireuses d’un ou de plusieurs concurrents. Si une bille-tireuse, même après avoir expulsé une bille-cible du carré, restait elle-même dans le carré ; le joueur était éliminé et sa bille-tireuse devenait une bille-cible supplémentaire.

Il y avait deux manières de jouer, en « amical », quel que soit le résultat, la partie terminée (quand toutes les billes étaient sorties du carré) chacun reprenait ses billes et on notait simplement le résultat, ou « pour de vrai » et, dans ce cas, chaque bille-cible sortie du carré devenait le butin de l’heureux tireur. Cette formule était interdite à l’école mais se pratiquait extra-muros.

Mes correspondants qui, signalons-le car c’est important, ont tous les deux pratiqué ce jeu durant leur enfance à Bruxelles précisent que la bille devait être expédiée d’une façon précise, la seule autorisée, c’est-à-dire qu’elle ne pouvait être propulsée que par une brusque détente du pouce. M. Edeline précise que « seules les filles jouent en pinçant leur bille entre le pouce et l’index ! Chaque coup était très surveillé par les adversaires car il était interdit de « youper », c’est-à-dire d’accompagner le tir par un mouvement du poignet dans la bonne direction ! »

 

La Petite Gazette du 26 septembre 2012

Retrouvons quelques souvenirs de jeux, de règles et de « matériel » tels qu’ils m’ont été confiés par les lecteurs.

Monsieur F. Edeline, de Tilff, nous apporte des précisions importantes sur la façon de jouer aux billes selon les lieux où il a habité. Originaire de Bruxelles, avec sa famille, il a émigré vers Bouillon au début de la guerre et il se souvient :

« Les jeux y étaient très différents, le « carré » y était inconnu. La population était plus pauvre et les billes de verre plus rares. Celles, transparentes avec une sorte de petite hélice de couleur vive, étaient très prisées, on les appelait « œil de chat ». Mais la bille courante, monnaie d’échange, était en terre cuite. Souvent nous les faisions nous-mêmes : petites boulettes d’argile qu’on mettait dans le pot de la cuisinière pendant 24 heures. On ne les retrouvait pas toujours !

Le vocabulaire était très différent car le patois de Bouillon n’a rien à voir avec le dialecte liégeois. Si on touchait une bille, avec sa bille personnelle, toujours en verre celle-là, on criait « pèté ». Si on faisait une manœuvre passible du « paiement » d’une bille, on criait « Tchê ! ».

Un des jeux en vogue alors était la poursuite. Il pouvait se jouer à deux et le jeu consistait à essayer de toucher la bille de l’adversaire. On comptait alors un point et on avait le droit de rejouer. Rejouer consistait à se placer près de la bille de l’adversaire et, par un coup puissant et un peu plongeant, à l’envoyer dinguer à deux mètres alors que sa propre bille restait sur place. Ce n’était pas facile à réussir et cela ressemble au « bouler » du jeu de croquet. ».

Monsieur André Hanssens, de Heyd, se remémore un jeu de billes très original : le « football aux billes ». Il vous l’explique :

« On formait deux équipes de 7 ou bien de 11 billes de même couleur pour chaque équipe et disposées, au départ, comme les joueurs de football, sur un terrain tracé sur le sol, de 2,5 à 4 mètres de long selon le nombre de billes joueuses dans chaque équipe.

Il fallait aussi un « ballon », une bille de couleur différente de celles utilisées par les deux équipes. Le jeu consiste à faire des « passes » entre les billes d’une même équipe et à envoyer le « ballon » dans les buts adverses, sans toucher la  bille « gardien de but » car, dans ce cas, le but est annulé et la bille-gardien remise à sa place.

Aussi longtemps que les billes-joueuses d’une même équipe touchent le « ballon », elles continuent à tirer, le joueur choisissant chaque fois sa bille joueuse la plus proche du « ballon ». Dès qu’elles le manquent, c’est à l’adversaire de prendre l’initiative.

Il est interdit de tirer sur les billes joueuses adverses ; le cas échéant, il y a « faute » et le « ballon » revient à l’adversaire.

Si une bille joueuse emportée par son élan déborde du terrain, elle reprend sa place à l’endroit où elle a franchi la limite, comme pour les remises en jeu du vrai football. Deux, voire trois partenaires peuvent s’associer pour manier les billes joueuses d’un même camp. »

Et bien, grâce à ces deux lecteurs, voilà encore de quoi passer de bons moments…

 

La Petite Gazette du 31 octobre 2012

C’est aujourd’hui Monsieur Raymond Hébrant, de Comblain-au-Pont, qui se souvient des jeux de billes qu’il pratiquait durant sa jeunesse.

« Dans mon école, en récréation, nous jouions aux billes, « al pote » par exemple. Le jeu consistait à placer sa bille dans le trou en partant du pourtour. Le jeu se jouait en équipe. On pouvait éjecter un adversaire qui se trouvait bien placé dans le chemin, afin de permettre à son équipe de se placer convenablement. On jouait parfois avec de grosses billes appelées « maillets ».

A Marche-en-Famenne, nous étions à l’école primaire dans les années 1948 – 1949 et nous jouions là à un autre jeu que nous appelions le « triangle ». Chaque joueur mettait une bille dans le triangle, parfois on pouvait y mettre deux ou trois billes et alors on pouvait jouer deux ou trois fois. Pour savoir qui commençait le jeu, il y avait une ligne située à plus ou moins trois mètres du triangle et le joueur qui avait lancé sa bille le plus près de la ligne commençait. Le jeu consistait à faire sortir le plus possible de billes du triangle, ces billes devenaient alors la propriété du gagnant. Afin de retarder certains joueurs, on pouvait lancer notre bille sur celle de l’adversaire afin de l’éloigner du triangle.

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Je me souviens que dans notre groupe, il y avait un joueur très habile, il pointait si bien qu’il faisait mouche plusieurs fois de suite. Certains joueurs n’avaient plus de billes, un commerce illicite s’installait alors et le gagnant revendait ses billes à un prix moindre que celui pratiqué au magasin… Sur une semaine, il récoltait ainsi quelques francs. »

 

La Petite Gazette du 12 décembre 2012

Monsieur F. Edeline, de Tilff, se souvient que les enfants jouant aux billes à Bouillon, où il vécut une partie de son enfance, jetaient parfois un sort à leur adversaire…

« Lorsqu’on voulait jeter un sort à l’adversaire, afin de l’empêcher de viser juste et donc de toucher notre bille, on se dépêchait de tracer une croix sur la trajectoire probable de la bille menaçante, en criant « Croix de bouc ! ».

Bouillon est à 25 Km. de Florenville, et ma grand-mère avait vécu à Martué, où son mari était garde-barrière. Elle m’a appris une petite formule de malédiction que je transcris comme je m’en souviens :

Poiche au pot          (= petit pois)

Crapaud crevé

Raine des patées     (= grenouille des prés et des pâtures)

Pour faire la dikausse (= la ducasse)

A Martué

Je sais qu’il fallait, en même temps, faire des gestes de la main, du genre tracer une figure sur le sol avec un doigt, mais j’ai oublié précisément quoi. »

Les remuages à Nassogne

La petite Gazette du 15 mai 2007

Monsieur Edmond Leroy, de Nassogne, évoque pour notre plus grand intérêt une tradition multiséculaire:

« Monon est né en Ecosse dans une famille assez riche et vertueuse. Il y vivait sans occupation en méditant la loi du Seigneur et le servant par ses prières.

Un jour, pressé de sommeil, il prit un peu de repos, il vit un ange et reçut un message céleste : »Monon, serviteur fidèle de Jésus-Christ, possesseur des Cieux, Dieu très haut te commande que, sans délai, tu t’en ailles en France dans les forêts d’Ardenne et que tu cherches avec grande diligence, dans les forêts d’Ardenne, la place qui s’appelle Frydier, laquelle place est arrosée de la fontaine Nassonia ».

Il y construisit une cellule, priait, évangélisait, invitait les habitants de la région à la conversion. Les druides du dieu Freyr et du dieu Arduina, offusqués par le résultat du travail de Monon, chargèrent leurs adeptes de le supprimer dans son ermitage, en 636.

Jean l’Agneau, évêque de Tongres, son ami, fit construire une première église où furent conservées les reliques du martyr qui reçurent la visite de nombreux pèlerins. Pépin le Bref, pèlerin de marque, éleva l’église au rang de collégiale, la dota et établit un chapitre de chanoines qui subsista jusqu’à la Révolution française.saint-Monon

La dernière construction date de 1661, elle subit plusieurs restaurations, la dernière en 1948-1949 suite aux dégâts de l’Offensive des Ardennes en 1944-1945.

Pour suivre la tradition, Nassogne, vit chaque année à l’heure du pèlerinage de saint Monon, organisé depuis des siècles le dimanche qui suit l’Ascension. Après la messe à la collégiale a lieu la procession des « Remuages », translation du sarcophage du saint (que l’on peut frotter d’herbes ou de branchages) vers la chapelle de Coumont, lieu de son ermitage et martyre en 636. »

Il serait vraiment intéressant de pouvoir présenter dans une prochaine Petite Gazette des témoignages et des photographies de cette ancestrale tradition ardennaise. Y penserez-vous?