La Petite Gazette du 18 janvier 2017
HIER 1814 -1815 : LES BATELIERS DE L’OURTHE EN CHÔMAGE
En lecteurs avisés de La Petite Gazette, vous savez que Monsieur Gabriel Gabriel, de Roanne–Coo est un inlassable chercheur. Depuis des années, il fouille méticuleusement les vieux documents relatifs à nos régions qui reposent au dépôt des Archives de l’Etat à Liège. Lorsqu’il fait une découverte susceptible d’intéresser les lecteurs de cette rubrique, il ne manque jamais de me la communiquer pour que j’en partage le contenu avec vous tous. Encore une fois, en votre nom à tous, je tiens à l’en remercier chaleureusement. Cette semaine, c’est un document déniché dans les archives du Fonds hollandais qu’il vous propose de découvrir ; comme il traite des bateliers de l’Ourthe, je sais qu’il vous passionnera. Il vous présente son contenu :
« Après la défaite des armées françaises à Liepzig en 1813, les armées des coalisés, ou des Hautes Puissances Alliées, vont occuper notre pays dès janvier 1814. Il sera alors administré par des représentants hollandais avant que le sort de notre nation soit définitivement scellé lors du Congrès tenu à Vienne en 1815.
La période charnière entre ces deux évènements marquants de l’histoire de notre pays sera particulièrement difficile.
Retenons une plainte des Bateliers de l’Ourthe adressée au Commissaire du Gouvernement. Selon son excellente habitude, René Gabriel nous propose ce texte dans son orthographe d’origine :
A Monsieur Koenen Commissaire du Gouvernement pour le département de l’Ourte.
Les soussignés bateliers des communes d’Esneux, Hamoir, Comblin-Fairon, Sprimont, Tilff, Angleur et Chesnée ont l’honneur de vous exposer que depuis longtemps ils sont privés de leurs bateaux emploiés au pont qui a été jetté sur la Meuse vis à vis de Visé, que ces bateaux sont la seule et unique ressource de la plupart d’eux qui n’ont d’autre moyen d’existence pour eux et leur nombreuse famille, ils se permettent d’observer que la destination de ce pont est bonne à cesser depuis la reddition de la place de Mastricht et qu’il ne peut tout au plus aujourd’hui que servir aux habitants de Visé pour communiquer plus aisément d’une rive à l’autre de la Meuse, tandis d’un autre côté que l’intérêt de la navigation et par suite du commerce réclame impérieusement la prompte remise des bateaux aux soussignés pour pouvoir continuer comme ci-devant à transporter toutes sortes de marchandises dans les villes de Maestricht, Venlo, Ruremonde et même plus avant dans la Hollande.
Pleins de confiance dans votre justice ordinaire, les soussignés osent se flatter, Monsieur le Commissaire, que vous ne balancerez pas d’après toutes ces considérations, d’ordonner sur le champ la remise de leurs dits bateaux.
Salut et profond respect.
Signatures.
Et mon correspondant de conclure par une information et une remarque très judicieuses :
« La fourchette des années 1814-1815 semble bonne. En effet, je viens de trouver que le siège de Maestricht avait eu lieu de décembre 1813 au 21 juillet 1814. En outre, il me semble bien intéressant de retenir les destinations hollandaises de nos bateliers locaux: Venlo, Ruremonde et au delà …! »
La Petite Gazette du 25 janvier 2017
REQUISITION DES BATEAUX D’OURTE (selon l’orthographe de l’époque)
C’est avec intérêt que nous retrouvons les documents exhumés des archives par René Gabriel. Il nous présente une autre trouvaille sur le sujet abordé dernièrement :
« Précédemment, nous avons suivi une plainte des bateliers réclamant le retour de leurs embarcations. Revenons début mars 1814 et découvrons un premier rapport relatif au projet de pont :
Liège le 10 mars 1814.
Mise en réquisition dans les communes de Tilff et d’Esneux de vingt bateaux de l’Ourte propres à porter des canons, cordes et chaines et dans celle de Chokier de 1600 planches de 2 à 3 pouces d’épaisseur, nous appréhendons que ces réquisitions ne se rempliront au moins pas entièrement et nous vous en prévenons pour votre gouverne afin de pouvoir de votre côté prendre les précautions que vous jugerez nécessaires.
Nous venons également de requérir le maire de Visé de procurer demain à l’officier du Génie les ouvriers et outils désignés dans la liste que vous nous avez envoyée hier.
Pour cet ouvrage il est demandé 20 bateaux pour porter canons, cordes et chaines, 230 poutres, 1000 planches, 3000 clous.
Les ouvriers proviendront de la région de Visé dont presque tous exercent la profession de charpentier.
Les bateaux de l’Ourte conviendront mieux que ceux que l’on trouve en Liège, aussi Messieurs vous pourriez requérir dans les communes de cette rivière.
Cette précision va être très préjudiciable à nos bateliers locaux car l’ordre est immédiatement transmis aux maires de Tilff et d’Esneux :
Liège le 10 mars 1814.
Aux maires d’Esneux et de Tilff.
C’est d’après des ordres supérieurs que nous vous enjoignons de mettre dans vos communes en réquisition 10 bateaux d’eau d’Ourte et les envoyer de suite devant Visé pour la construction d’un pont que l’armée des Alliés va y établir. Il faut que ces bateaux soient de profondeur à porter des canons, cordes et chaines.
Nous vous observons que cette réquisition est aussi pressée que rigoureuse et sous peine d’une nombreuse réquisition militaire. Nous vous accuserons la réception de celle-ci par un récipissé au porteur auquel on paye un franc pour frais de voiage. »
Simplement passionnant, un immense merci à Monsieur Gabriel qui reviendra vers nous avec d’autres documents si ses recherches lui permettent de les mettre à jour. Evidemment si, de votre côté, vous êtes en possession de renseignements permettant de compléter le sujet, les colonnes de La Petite Gazette vous sont ouvertes.
La Petite Gazette du 1er février 2017
LA NAVIGATION SUR L’OURTHE A L’EPOQUE FRANCAISE
Les documents transmis par M. René Gabriel évoquant « la réquisition des bateaux d’Ourte » décidée par les autorités françaises au début du XIXe siècle pour servir à l’installation d’un pont provisoire, réclamé par l’armée, devant Visé avaient conduit ce lecteur-chercheur à s’interroger sur les destinations qu’atteignaient alors les bateliers de l’Ourthe : « dans les villes de Maestricht, Venlo, Ruremonde… ». Je savais que cette information me rappelait quelque chose de connu et, à mon tour, j’ai fouillé mes notes relatives à cette période et… j’ai retrouvé ce que j’y cherchais.
Dans son extraordinaire « Mémoire statistique du département de l’Ourte », Thomassin, chef de division à l’administration du département, rapporte ceci : « Les pavés des carrières d’Esneux et de Comblain-au-Pont descendent par l’Ourthe dans la Meuse à Liège et se transportent de là, sur les différentes chaussées et par la Meuse, à Maestricht et Venlo »
L’auteur de ce précieux « Mémoire » nous précise qu’il y a alors 12 carrières à Esneux, employant 60 ouvriers et produisant annuellement 800 000 pavés ; 2 carrières à Gomzé-Andoumont, 13 ouvriers et 249 000 pavés/an ; 4 carrières à Comblain-au-Pont qui, avec 16 ouvriers fournissent 300 000 pavés/an.
PROLONGEONS LA PETITE GAZETTE…
Monsieur René Gabriel nous donne encore à découvrir de nouveaux documents :
Réquisition des bateaux d’Ourte.
Le 9 mai 1814.
A Monsieur Defloen maire de Visé,
On vous prévient que Son Excellence le Gouverneur Général par sa dépêche du 28 avril, a défendu formellement la démolition du pont établi à Visé pour la communication des troupes aussi que la vente au profit de l’armée Suédoise des matières provenant de ce pont.
Ce pont ayant été construit aux frais du pays ainsi que la fourniture de tous les objets qui ont été nécessaires, ils doivent être considérés comme sa propriété sacrée et rester à sa disposition. Je vous invite en conséquence à me rendre compte sur le champ des attentats que les militaires voudroient se permettre à l’égard de ce pont et prendre les mesures les plus efficaces pour les empêcher …
Le 16 mai 1814.
A Monsieur Koenen Gouverneur du département de l’Ourte.
Les bateliers soussignés ont l’honneur de vous exposer qu’étant privés de leurs bateaux qu’ils ont fournis pour la construction du pont de Visé d’après la réquisition leur insinuée, ils ont encore le désagrément d’être contraints au payement d’une taxe arbitraire pour le passage du même pont lorsqu’ils descendent avec quelques bateaux qui leurs restent, cette taxe étant de 3, 4 ou 5 francs par partie et même prix à la remonte à vuide.
Les soussignés épuisés par le défaut de navigation pendant tout le temps que la Meuse a été fermée et privés aujourd’hui de leurs bateaux dont ils ne sont pas encore payés ce qui les empêche de se relever de leurs pertes, viennent implorer votre justice dans la ferme croyance que vous daignerez Monsieur le Gouverneur combien il leur est sensible de payer le passage d’un pont construit de leurs propres bateaux et que vous ordonnerez que le passage leur soit libre, ils ont l’honneur d’être avec le plus profond respect.
Vos très humbles et très obéissants serviteurs.
On comprend très aisément, analyse René Gabriel, l’exaspération des bateliers d’Ourte car, outre la réquisition de leurs bateaux, ils doivent en plus lorsqu’il naviguent avec d’autres embarcations payer des taxes lors de leurs passages sur ce (leur) pont.
Précisons que c’était une grande difficulté pour le franchissement de l’ouvrage. En effet, cela nécessitait de couper provisoirement la continuité de celui-ci afin de laisser passer les embarcations qui de dirigeaient vers Maastricht et au-delà, ou à la remontée vers Liège, puis d’opérer de nouveau le raccord. Cela nécessitait donc la présence de nombreux ouvriers et faisait monter le coût total de cette entreprise.
René Gabriel nous permet de suivre, pas à pas ses recherches et de ses découvertes puisqu’il continue à alimenter ce sujet par de nouveaux documents et informations…
Le 18 mai 1814.
A Son Excellence le Gouverneur Général,
Monsieur,
J’ai l’honneur de rendre compte à Votre Excellence, ainsi qu’elle me le prescrit par sa dépêche du 7 de ce mois, que le pont établi à Visé pour la communication des cantonnemens Suédois subsiste toujours en son entier, et que l’autorité militaire suédoise semble s’être désintéressée de ses prétentions à l’égard de ce pont. Cependant un piquet de 14 hommes de cette troupe stationne toujours à Visé sous prétexte de garder le pont, et sont une charge permanente pour les habitans de cette commune ; quoique depuis le 25 avril dernier, époque de la levée des derniers cantonnemens Suédois, Monsieur le chef de brigade Anckarsward ait ordonné la démolition de ce pont comme devenu inutile au service des armées. En effet, depuis l’ouverture de la place de Maastricht, le pont ne fait qu’entraver la navigation de la Meuse. Les bateliers et autres personnes qui ont été requises de fournir des pièces de construction, en réclament vivement la restitution. Je prie donc Votre Excellence de m’autoriser à faire déconstruire incessamment ce pont, pour que je puisse faire restituer à chacun les objets qui leurs appartiennent, et du produit de quelques matériaux acquis par le département faire payer les ouvriers et autres fournisseurs à qui il reste des prétentions pour avoir concouru à l’établissement de ce pont.
Je suis avec respect …
Liège le 26 mai 1814.
A la Commission municipale de la ville de Liège
Il s’agit, Messieurs, de préparer sur le champ au corps d’armée Russe qui arrivera le 28 courant par Terwagne, des moyens de franchir la Meuse au passage de Seraing. Comme le pont de Visé subsiste encore en son entier, il viendroit très à propos parer à ce besoin. A cet effet, je vous invite à requérir des ouvriers intelligens, aidés de quelques bateliers pour opérer de suite la dislocation du pont de Visé, en remonter les pièces jusqu’à Seraing et l’y recomposer pour servir jusqu’après le passage dont il s’agit. Pour que cette mission puisse être exécutée d’une manière certaine pour le 28 de ce mois vous feriez bien de nommer un commissaire spécial qui ait toute votre confiance afin de surveiller et diriger cette opération.
Vous sentez Messieurs que nous avons tous le plus grand intérêt à ce que cette troupe puisse traverser rapidement le département et surtout la ville de Liège, il faut donc lui ôter tout prétexte de s’y arrêter.
Je vous prie de m’accuser réception de cette lettre.
Je pense que le moyen le plus sûr d’atteindre le but seroit de charger de cet ouvrage un entrepreneur qui devroit se faire fort d’achever cette besogne pour le jour indiqué.
—
Le 27 mai 1814. Arrondissement communal de Liège. Ville de Liège.
La Commission Municipale, à Monsieur Koenen Commissaire du Gouvernement pour le département de l’Ourte.
Monsieur le Commissaire
Nous avons reçu ce matin vers les onze heures votre lettre relative à la construction d’un pont à Seraing en employant les poutres et madriers du pont de Visé, mais il y a impossibilité physique d’effectuer ce transport et la reconstruction pour le 28 de ce mois, cette impossibilité est même reconnue par les officiers Russes et en conséquence Monsieur le Directeur du Cercle de Liège que nous venons de voir à cet effet et qui a cet objet dans ses attributions avait déjà fait réunir tous les bacs et bateaux de Seraing et des environs afin d’assurer le prompt passage de la colonne qui vient de Terwagne, et il y aura d’autant plus de facilité que les eaux sont basses ce qui ôte toute idée d’inconvéniens et de danger dans la mesure que le peu de tems qui reste à faire adopter par Monsieur De Harsez.
Nous avons l’honneur d’être avec la plus haute considération.
Vos très humbles et très obéissants.
Le président de la Commission.
Commentaire de notre inlassable chercheur : « Démolir le pont de bateaux de Visé et le reconstruire à Seraing … ! En deux jours !! Remarquons que les coalisés ont peu envie de rencontrer leurs “alliés Russes” ! »
Les armées des Hautes Puissances Alliées arrivent dans nos contrées.
Retenons à présent un autre auteur : Paul Verhaegen, qui dans son ouvrage La Belgique sous la Domination Française 1792-1814 évoque cette année 1814 et les armées des Hautes Puissances Alliées. Nous allons y rencontrer les troupes en présence :
« Rançonnés par leurs maîtres de la veille, menacés de désordres intérieurs par la disparition des autorités, les Belges rencontraient une nouvelle source de malheurs dans l’occupation étrangère. C’est le moment de décrire les calamités que l’invasion de 1814 vint apporter à nos provinces à l’occasion de leur libération.
L’armée du Nord, chargée d’affranchir les Pays-Bas était composée d’éléments extrêmement variés. Sous le haut commandement de Bernadotte, prince royal de Suède, elle groupait des troupes suédoises, russes, prussiennes, hessoises, saxonnes, wurtembourgeoises, anglaises et hollandaises.
Parmi ces contingents si divers, le plus nombreux était celui qu’avait fourni le troisième corps prussien dirigé par le duc de Saxe-Weimar, assisté par les généraux Wolzogen, prince de Wurtenberg, Borstell et Thielmann. Précédant le troisième corps, le général Bulow à la tête d’une première armée prussienne et d’une avant-garde de cosaques, avait traversé la Belgique presque sans s’arrêter et s’était porté vers Maubeuge et Laon. Derrière la masse des Allemands arrivèrent les autres bataillons dont les uns stationnèrent dans le pays et les autres gagnèrent la France. Dans la vallée de la Meuse, ce furent les russes du général Wintzingerode qui défilèrent les premiers, suivis de près par les Prussiens et les Saxons. Plus au Sud, un corps commandé par le général York et composé principalement de Prussiens, traversa le Luxembourg, somma la ville de ce nom, puis fut remplacé pendant les opérations du blocus par des troupes hessoises.
Tels étaient les premiers flots du torrent qui désola les villes et les campagnes voisines des grands’routes à partir de la fin de janvier 1814.
L’invasion parut suspendue quand on apprit la capitulation de Paris et l’abdication de Napoléon. Mais ces évènements furent le signal d’un second envahissement. Les forces qui avaient conquis le Nord de la France traversèrent de nouveau la Belgique pour rentrer dans leurs foyers. Cette fois, le mal fut accru parce qu’elles croisèrent en de nombreux endroits les garnisons françaises qui, ayant évacué les forteresses du Nord, se hâtaient de regagner leur patrie.
Au milieu de tout ce mouvement de troupes, le sort de la population belge était profondément à plaindre. Privée de ces chefs, n’ayant aucune force à opposer aux exigences arbitraires des occupants, la nation était réduite au rôle des serfs de jadis, taillables et corvéables à merci. Sans doutes, les commandants supérieurs s’efforçaient de modérer les prétentions de leurs soldats, et bientôt une administration centrale réorganisée vint seconder leur bonne volonté. Mais la célérité du passage des régiments et la multiplicité des corps auxquels ils appartenaient relâchaient la discipline et empêchaient le redressement des abus. Beaucoup d’étrangers, d’ailleurs, joignant à des habitudes de pillage la conviction que les Belges étaient amis de la France, traitaient leurs hôtes d’un jour en ennemis.
A vrai dire, ces pensées hostiles étaient principalement partagées par les soldats prussiens. Quand on montait dans la hiérarchie, on rencontrait chez les officiers allemands une attitude tout autre. La plupart possédaient la langue française et s’attachaient à acquérir les sympathies des habitants du pays.
Chez leur chef, le duc Charles-Auguste de Saxe-Weimar, l’urbanité de manières se joignait à la distinction de l’esprit et à un jugement éclairé, qui valurent à cet ami de Goethe et de Schiller l’attachement des Belges. Malheureusement, les rudes cavaliers accourus des bords du Don et du fond de la Poméranie pour venger sur Paris les insultes de 1806 et de 1812, ne comprenaient rien aux charmes le l’atticisme ou aux prescriptions du droit des gens. Pendant deux années, et principalement pendant les premiers mois de 1814, la Belgique allait constater que la cour de Weimar, l’Athènes du Nord, n’avait guère policé les mœurs des villageois allemands.
A côté des officiers allemands qui se piquaient d’aménité et s’efforçaient de modérer leurs soldats, une mention particulière était due aux contingents anglais et hanovriens. Fort bien disciplinés, pourvus largement de tout ce qui était nécessaire à une troupe de campagne, les soldats qui les composaient laissèrent, en général, les meilleurs souvenirs de leurs cantonnements. Bon nombre avaient fait en Belgique les campagnes de 1793 et de 1794, et furent reconnus dans les localités comme Courtrai, Nieuport, Ypres et Menin, où ils avaient guerroyé autrefois. Non seulement leur conduite ne donna lieu à aucune plainte, mais quand ils s’éloignèrent, ils reçurent de leurs hôtes les témoignages les plus flatteurs d’estime et de regrets.
Tout au contraire, ce furent la crainte et la haine que provoquèrent les cosaques et les Prussiens. L’aspect seul des premiers suffisait à indisposer la population. Ils étaient, en général, petits de taille, de visage difforme, présentant le type Kalmouk ou Mongol. Leurs barbes et leurs cheveux incultes donnaient à leur personne un caractère de saleté odieux. Ils étaient couverts de vermine et exhalaient des odeurs repoussantes. Coiffés de bonnets de fourrures, montés sur de petits chevaux à peine harnachés à l’aide d’une mauvaise selle ou d’une couverture, ils portaient une longue lance et étaient armés de pistolets et de sabres. Certains même, appelés Baskirs, n’avaient d’autre arme qu’un arc, des flèches et un fouet. Merveilleux cavaliers, ils ne faisaient qu’un avec leur monture. C’était un jeu pour eux, en galopant à fond de train, de se pencher assez pour ramasser sur le sol une arme ou une pièce de monnaie. C’était aussi pour eux une habitude de ne pas se séparer de leurs chevaux, à côté desquels ils passaient la nuit, couchés dans les rues, même au milieu de l’hiver. Ajoutez à cet extérieur répugnant les habitudes de gloutonnerie qui leur faisaient absorber non seulement des liqueurs fortes en quantité considérable, mais l’huile de lampe, le suif, les chandelles, ou mêler de la poudre à leur boisson pour en relever le goût. En un mot, ils apparaissaient comme l’incarnation de la sauvagerie sortant des steppes de l’Orient.
Enfant du désert comme la plupart de ses hommes, le colonel commandant le premier régiment des cosaques du Don resta légendaire à Gand. Il personnifiait les qualités et les défauts de ses soldats. C’était l’hetman Bychalow, que les Gantois baptisèrent familièrement du nom de Pietje Kosak. Vieillard de plus de quatre-vingt ans, aux cheveux blancs, doué d’une activité prodigieuse, il passait ses journées à chevaucher ou à boire. Ignorant les langues de l’Occident, il était accompagné partout par un juif polonais qui lui servait à la fois d’interprète, de secrétaire et de chef d’état-major. Il traînait derrière lui trente et un chevaux, et chacun de ses officiers en avait sept. Quand il arriva à Gand, le 14 février, pour remplacer le colonel de cosaques Mentchikof, il s’installa dans l’hôtel d’une des premières familles de la ville. Quoique fort bien reçu, il ne tarda pas à se plaindre et à s’installer dans une autre demeure patricienne qu’il délaissa bientôt aussi. Il fit ainsi le tour des hôtels de Gand, accablant ses hôtes d’exigences et les surprenant par ses excentricités. L’une des moindres consistait à imposer à la municipalité d’organiser, aux frais de la caisse communale, des banquets somptueux où elle avait ordre d’inviter les officiers étrangers, parfois au nombre de quatre-vingts. Exagérant les forces dont il disposait, il obtint après une simple démonstration militaire, la capitulation du Sas de Gand, et s’empara d’une grande quantité d’eau-de-vie et de vin qu’il fit distribuer aux Gantois quand il quitta leur ville. Recherchant la popularité, il fit fouetter des soldats convaincus d’avoir détroussé des habitants. Il prenait un plaisir particulier à jeter des pièces de monnaie à la foule afin de s’amuser à voir les luttes occasionnées par ses libéralités. Pour célébrer dignement le jour de fête de son souverain, il fit établir une estrade sur la Place d’Armes, devant l’hôtel où il logeait, et après le concert donné par la musique du régiment, il s’avança sur la scène pour exécuter une danse cosaque. «Il gambada comme un fou, rapporte un chroniqueur, pendant que ses soldats buvaient le vin dans des cuvelles, comme des bêtes ».Le même soir, comme la Chambre de rhétorique avait organisé une solennité en son honneur, Bychalow se rendit à la représentation, accepta le titre de membre d’honneur de la confrérie et fit don aux rhétoriciens de son portrait peint sur ivoire. Le lendemain, après un banquet imposé à la municipalité, il exécuta de nouveau devant l’assemblée des danses cosaques qui achevèrent de scandaliser la gravité flamande et qui le firent traiter de pitre de foire. Tout en flattant les Gantois, le colonel ne négligeait guère les profits que pouvait valoir sa situation de commandant militaire. En l’espace d’un mois, son prédécesseur et lui avaient imposé à la ville des réquisitions atteignant la somme de 168.000 francs et une contribution de guerre de 750.000 francs.
Sous de pareils chefs la licence des soldats ne connaissait guère de limites. Logement, alimentation, fourniture d’équipement, transport de bagages et d’artillerie, tout était occasion d’abus et de brutalités.
Presque toutes les villes belges étaient, en 1814, des places ouvertes, occupées par des garnisons peu nombreuses. L’insuffisance des casernes amenait ainsi forcément les corps militaires traversant la Belgique à se loger chez les habitants. On vit même à Gand les soldats refuser d’occuper les casernes afin de continuer à être hébergés dans les maisons particulières. On conçoit ce que ces hôtes incommodes, amenant avec eux leurs chevaux, dont ils prétendaient ne pas se séparer, apportaient de trouble dans les demeures où ils s’installaient. »
Et René Gabriel d’ajouter : « Ces troupes Russes, ou une partie du moins, sont passées dans nos régions. Nous en avons retrouvé des traces; il était exigé dans certaines de nos commune, de Stavelot et de La Gleize notamment, un … “impôt de guerre” en leur faveur ainsi que fournitures diverses tant pour les soldats que pour leurs montures. »
La démolition du pont de bateaux d’Ourte construit à Visé.
Le 3 juin 1814.
Les 11 et 12 mars la réquisition des bateaux a été faite par MM. Doblesteine et Doneux préposés à la construction par le Capitaine Gilbert officier du Génie Suédois. On a utilisé :
80 pieds de chaines de fosse acquis aux maitres des houillères, 3.000 clous de 5 pouces de long, 2.000 clous de 6 pouces de long, 150 livres de clous de 3 pouces de long, 215 pièces de bois de chêne pour prix de 4.000 francs.
Quant au loyer des indemnités il nous parait que les propriétaires les méritoient mais aucune indemnité n’a été fixée ni statuée à charge de qui elle soit.
Le 7 juin 1814.
Le Commissaire du Gouvernement à M. le Directeur du Cercle de Liège,
Il résulte des correspondances que les commandants des troupes prussiennes stationnées à Visé et à Argenteau s’opposent à la déconstruction du pont de Visé.
Comme je n’ai prescrit cette déconstruction que d’après la décision formelle de Son Excellence le Gouverneur Général et après avoir obtenu l’assentiment de Son Excellence en chef d’Yorck, je dois croire messieurs que les commandants n’ont pas de raison de s’y opposer …
Liège le 8 juin 1814.
Les soussignés bateliers navigant sur le Meuse
A
Monsieur Koenen, commissaire du Gouvernement pour le département de l’Ourte
Monsieur le Commissaire,
Le pont de bateaux construit sur la Meuse vis à vis de Visé, donne de très grands embarras à la navigation, retarde la correspondance entre Liège et Maestricht, enfin cause une foule d’inconvénients qu’il est inutile de détailler ; mais ce qui mérite bien de fixer votre attention, Monsieur le Commissaire, c’est que ce pont est construit de bateaux qui sont les seuls convenables pour naviguer de temps-ci, moment où les eaux sont les plus basses, le commerce de la Meuse est donc privé d’une très grande ressource et les propriétaires de ces bateaux sont tous des malheureux trop longtemps privés de leurs moyens d’existence.
Le pont de Visé est inutile aux troupes des Hautes puissances Alliées, il cause des dommages à des pauvres particuliers et gène le commerce. Nous vous supplions donc, Monsieur le Commissaire, d’ordonner qu’il soit levé, vous êtes trop juste et trop raisonnable pour ne pas faire droit à notre demande.
Nous avons l’honneur d’être, Monsieur le Commissaire,
Vos très humbles et très obéissants serviteurs. Signatures.
—
Le 9 juin 1814.
La direction du Cercle à la Municipalité de Liège,
Quant à l’indemnité à payer aux propriétaires des bateaux requis il convient que vous vous en fassiez remettre l’Etat par MM. Doneux et Doblesteine et que vous proposiez l’indemnité que vous jugerez convenable de leur faire accorder.
Le 11 juin 1814.
Le pont de bateaux construit sur la Meuse vis à vis de Visé donne de très grands embarras à la navigation, il retarde la correspondance entre Liège et Maastricht.
—
Le 19 juin 1814.
23 personnes ont démonté le pont de Visé, pontainiers, bateliers, ouvriers, menuisiers, charretier et préposé. Le montant total des journées s’élève à 163 francs 36 centimes. Il faut y ajouter le montant à payer lors de la construction qui est de 13,60 francs. Total : 176 francs 96.
Visé le 23 juin 1814.
L’abonnataire du passage d’eau du 10 février au 20 mars, la Meuse étant haute, a dû mettre les ouvriers pour faire le passage d’eau qu’exigeoient jour et nuit les ordonnances et troupes des Hautes Puissances Alliées jusqu’au 20 mars qu’un pont s’établit.
—
Le 30 juin 1814.
Discry Servais Joseph, fermier du passage de Hermalle sous Argenteau à
Monsieur Koenen Commissaire du Gouvernement pour le Département de l’Ourte,
Monsieur,
Me confiant dans la droiture de vos intentions, à l’égard de tous vos administrés, et fort de la justice de ma réclamation, j’ose espérer que vous daignerez l’accueillir et me préserver moi et ma famille de la misère qui pourrait nous accabler.
Le simple exposé de fait suffira pour mettre au jour l’équité de ma demande.
D’après une convention faite le 24 9bre (novembre) 1813 avec Monsieur le préfet de ce département, je me suis rendu adjudicataire du grand bac au passage d’eau de Hermalle, devant Visé, et j’entrai en jouissance le premier janvier 1814.
Je ne parlerai point du préjudice qui ne fut fait la nuit du 18 au 19 janvier par des individus qui s’avisèrent de fracturer mon bateau et de le faire couler à fond, ils s’imaginèrent sans doute se soustraire au passage des trouppes qui allaient être fréquents, puisque c’était alors que les français effectuaient leur retraite poursuivis par les armées Alliées, mais le 10 février suivant, Mrs les maires de Hermalle et de Visé, après m’avoir ordonné de faire relever le bac / car il avait resté enfoncé sous l’eau jusqu’à cette époque / et de le raccommoder, me le firent conduire, ledit jour, devant Visé, pour y passer conjointement avec les bateliers de Visé et d’Argenteau, jour et nuit toute la correspondance des armées, la cavalerie, l’infanterie, etc. … L’âpreté du froid couvrait dans ces moments la rivière de glaçons, ce qui m’occasionna beaucoup de frais, tant par le nombre plus considérable d’ouvriers que je devais employer que par la grande déterioration faite à mon bateau.
Cette manœuvre gratuite ne cessa que le premier avril 1814 jour où fut achevé le pont qu’on avait ordonné de jetter sur la Meuse ; le maire m’enjoignit alors de faire remonter le bac et une autre nacelle que j’avais été forcé d’y joindre au rivage d’Hermal, mais vu la construction du pont par lequel tout pouvait passer gratuitement, mon passage fut totalement paralysé et pour ainsi dire nul, de sorte que pendant un espace de quatre mois et d’avantage je n’ay reçu aucune rétribution de ma reprise.
Ce simple allégué suffit sans doute pour vous convaincre, Monsieur, que pendant les deux trimestres de cette année, dont j’ai dû acquitter le 1er d’avance au gouvernement français, je n’ai pu gagner de quoi subvenir aux besoins de ma famille ; qu’au contraire j’ai fait beaucoup de frais qui ne pourront se compenser que de longtems avec le petit bénéfice que je retire du passage qui m’est confié.
J’espère, Monsieur, que vous vous attendrirez sur mon triste sort, que vous l’allègerez en me gratifiant pour le 3eme trimestre et que vous calmerez par ce bienfait les inquiétudes de celui qui vous en aura une reconnaissance hors bornes.
Quoy faisant,
J’ai l’honneur d’être avec un très profond respect, Monsieur le Commissaire.
Votre très humble et très obéissant serviteur. Servais J Discry.
—
Nous arrivons à la fin de ce long épisode relatif à la réquisition de ces vingt bateaux d’Ourte qui composèrent le pont de Visé. Je n’ai toutefois pas, jusqu’à présent, retrouvé l’indemnisation proposée aux propriétaires. Comment toujours, il s’agissait de réquisition militaire très urgente … , on devine que les pauvres bateliers qui auront récupéré leurs embarcations – dans quel état ?- attendront pour obtenir satisfaction.
En marge de ce qui précède, René Gabriel nous donne à connaître le contenu d’un autre document très intéressant, une pétition – comportant une trentaine de signatures. Elle indique autant de noms de bateliers ou propriétaires qui naviguaient sur l’Ourte en cette fin d’Ancien régime.
Des bateliers d’Ourte en 1816.
Le 20 juillet 1816. Les bateliers de la rivière d’Ourte se plaignent du très mauvais état du chemin de halage depuis Douflamme jusqu’aux Vennes. Les noms des signataires sont, sauf erreur :
Jean François Fouat, F. Renard, J. Grégoire, G. Henry, Joseph Poncin, M. Honhon, J. le baux, G. Poncin, JM Gavage, JJ. Collignon, G. Lisent, J. Ignace Halleux, François Brinbois, Hubert Hanson, JP Gillard, Simon Grignet, Joseph petit Han, Philippe Bomal, Poncin, Martin Boumal, JF Laguesse, F Artus, Raskin Gillard, de Amoury, L Grignet, Joseph Josset, Hubert Leonard, W Montulet, François Minguet, Joseph Halleux et quelques autres …
Un immense merci pour tous ces documents et la masse d’informations qu’ils recèlent.
Très intéressant ! Merci.
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