UNE ANNEE DE SOUVENIRS, DE TRADITIONS, DE GESTES OUBLIES… NOSTALGIE ET RÊVERIE

Au gré des publications hebdomadaires de La Petite Gazette, de très nombreux lecteurs ont pris la peine de répondre aux nombreuses questions qui leur étaient posées, parfois même après avoir mené de longues recherches. Il est également arrivé, à plusieurs reprises, que certains d’entre eux retrouvent un vrai plaisir à reprendre la plume ou le stylo et se lancent dans la rédaction de textes inspirés par l’un ou l’autre des sujets abordés dans les colonnes de cette rubrique. C’est un fait tout à fait banal, la découverte d’un calendrier reçu pour marquer le début d’une année nouvelle, qui décida Monsieur Jean Bolland à coucher sur le papier, des évocations nostalgiques d’une époque révolue bien que peu lointaine… Souvenirs, traditions ancestrales, croyances populaires, faits et gestes d’hier se mêlent intimement dans ces douze textes rédigés avec une plume lerte, précise et très agréable.

La Petite Gazette du 6 février 2013

UN NOUVEAU CALENDRIER ET DES SOUVENIRS QUI RESSURGISSENT

Monsieur Jean Bolland s’est pris à rêver en découvrant les illustrations désuètes d’un calendrier qu’il a reçu, comme bien d’autres parmi vous, aux premiers jours de cette année 2013. Ces illustrations lui ont inspiré, mois après mois, quelques lignes que nous partagerons avec lui :

« Janvier

La classe est finie. Chaussés de sabots pour les uns, de bottines pour les autres, les bambins se sont échappés de l’école. Oubliés, les calculs et la grammaire!

Le chemin du retour est l’occasion de mille et une découvertes changeant au fil des saisons. Les températures polaires de ce mois de janvier ont figé l’eau des mares et des étangs. Une belle couche de glace exerce une attraction à laquelle les enfants ne résistent que difficilement. Chaque marmot se souvient, cependant, des recommandations parentales. Mais cette petite voix intérieure incitant à la prudence est bientôt mise sous l’éteignoir. La glace a l’air si épaisse !

Chacun s’avance prudemment, pose délicatement un pied sur le miroir glacé, appuie de plus en plus fort et, devant la solidité éprouvée, les bras en guise de balancier, progresse à petits pas glissés. C’est avec retenue et contrôle de soi que les patineurs sillonnent la glace, évitant les aspérités qui pourraient provoquer la chute.

Après quelques évolutions grisantes, la petite troupe prend le chemin du logis, contente d’avoir osé! Mais…chut! L es parents ne doivent rien savoir. Pas question de vendre la mèche! D’autant que l’hiver ne semble pas avoir dit son dernier mot. »

 

La Petite Gazette du 27 février 2013

ET VOICI FEVRIER

Retrouvons, maintenant le texte que le dessin de février sur le calendrier reçu a inspiré à Monsieur Jean Bolland :

« Janvier avait allongé ses jours sous une température clémente qui faisait ressembler cet hiver à un automne qui n’en finissait pas.

Vers la fin du mois, un vent du nord avait charrié de lourds nuages d’un gris jaunâtre qui laissèrent échapper des myriades de flocons. Il neigea un jour et une nuit, sans discontinuer, accumulant une couche épaisse qui amortissait les sons. Après cet épisode neigeux, une bise piquante balaya les nuages.

Pendant les journées lumineuses, le soleil dardait ses rayons glacés. Au cours des nuits, dans un ciel piqué d’étoiles, la lune accentuait le sentiment que tout était figé part le gel.

Ce froid avait ralenti l’activité des hommes. Seules, des obligations impératives poussaient les campagnards à affronter cet assaut de l’hiver. C’était le cas d’André, le garde-chasse du comte. Après s’être rassasié d’une onctueuse omelette agrémentée de deux tranches de lard maigre, il se mit en route dès le lever du jour. C’est que le temps était propice à la découverte des pas du braconnier qui prélevait du petit gibier du côté du Bois de Tave! Cependant, secrètement, le garde espérait ne jamais prendre l’homme sur le fait. Il avait bien des soupçons mais connaissait suffisamment la situation du chapardeur pour savoir que ces menus larcins servaient uniquement à améliorer l’ordinaire de cette famille dans le besoin. A son grand soulagement, à part ses propres pas de la veille, André n’en découvrit pas d’autres.
Le coeur léger, il se mit en quête de bois mort qu’il rassembla en un imposant fagot avant de dévaler le sentier enneigé qui conduisait au village. Ce soir, un bon feu crépiterait dans l’âtre.
Le garde fut bientôt en vue du hameau dont les fermettes flanquaient l’unique rue ou, plutôt, ce qui en tenait lieu : deux ornières sinueuses séparées par un terre-plein étroit. En été, les charrettes soulevaient des nuages de poussières. La boue s’accrochait aux roues à rayons aussitôt les pluies d’automne arrivées.

A travers les fenêtres de l’école, il devina les écoliers penchés sur leur ardoise. Le maître avait fort à faire au cours de l’hiver où le local était bien garni. Au contraire, à la bonne saison, nombre d’enfants désertaient la classe pour aider leurs parents dans les travaux des champs.
Des volutes de fumée s’échappant des cheminées, des filets de vapeur s’élevant des fumiers coincés entre les habitations et le chemin : seuls signes que gens et bêtes vivaient reclus pour échapper aux morsures du froid.

Au bout du village, se dressait l’église à la tour trapue, comme pour rappeler au rare étranger de passage, qu’ici, tout est retenue et simplicité.

Le cimetière dépassé, André prit une route en légère pente, longea le manoir et bifurqua vers la droite pour s’arrêter devant le bûcher de la demeure mise à sa disposition par le comte. Il ôta son couvre-chef, se pencha vers l’avant : le fagot roula et s’écrasa lourdement sur le sol de terre battue.

Arrivé sur le pas de sa porte, les narines de l’homme captèrent des effluves prometteurs : il sut, qu’en ce jour de la Chandeleur, Manon faisait sauter les crêpes pour le repas de midi. Les enfants n’allaient pas tarder à rentrer de l’école. »

 

La Petite Gazette du 13 mars 2013

NOUS AVONS VU LE PRINTEMPS…

Voici mars, aussi retrouvons-nous le texte que l’illustration du calendrier inspira à Monsieur Jean Bolland.

« – Fanchon! Javotte! Levez-vous!

Les fillettes émergèrent doucement de leur sommeil. Pendant quelques minutes, elles profitèrent encore de la douce chaleur du lit. Les oreilles aux aguets, elles devinaient les multiples tâches que leur maman accomplissait chaque matin.

Après un brin de toilette, les demoiselles s’attablèrent face à un bol de lait chaud accompagné de tartines beurrées qu’elles avalèrent en échangeant des propos ponctués de rires complices.
Rassasiées, le cartable au dos, elles prirent le chemin de l’école. Ces instants de liberté étaient l’occasion de mille et une découvertes. Le moment qu’elles appréciaient le plus était celui où elles côtoyaient ces vieux chênes tordus par les ans et les intempéries. Un long frisson de plaisir mêlé d’un zeste de crainte délicieuse s’emparait des petites lorsqu’elles frôlaient les branches difformes qu’elles imaginaient armées de fins doigts crochus prêts à les agripper au passage.
En fin d’après-midi, les deux soeurs franchirent le portail rouillé de la cour de récréation, obliquèrent à gauche pour longer le ruisseau dont le cours sinueux les ramènerait à la maison. Le trajet du retour était souvent différent de l’aller : il fallait bien varier les occasions de musarder!
En bonnes  campagnardes proches de la nature, elles se dirigèrent vers un fossé dans lequel des grenouilles avaient pondu. Les manches retroussées, elles plongèrent les mains dans les amas gélatineux. Elles s’évertuaient à les soulever mais, immanquablement, ceux-ci leur glissaient entre les doigts pour retomber dans un grand flotch!, éclaboussant les fillettes qui partaient alors d’un grand éclat de rire.

Plus loin, le chemin traversait une boulaie dont la blancheur des écorces était accentuée par les rayons du soleil. Déjà, les bourgeons des bouleaux laissaient poindre de minuscules feuilles fripées, avant-gardes de toutes celles qui, d’ici quelques jours, pareraient la forêt d’un vert tendre. Les petites s’amusaient des chatons du noisetier : d’une chiquenaude, elles libéraient le pollen qui se contorsionnait sous le souffle d’un filet d’air frais.
Alors que la maison était en vue, des cris d’oiseaux leur firent lever la tête. Presqu’imperceptibles d’abord, ils allèrent en s’amplifiant. Les gamines reconnurent les craquettements caractéristiques d’un vol de grues griffant le ciel d’un grand V qui, parfois se déformait quelque peu pour reprendre bientôt sa forme initiale.

Les grands échassiers s’éloignaient vers le nord quand Fanchon et Javotte aperçurent Vincent, leur papa, taillant son pied de vigne.

Papa! Papa! Nous avons vu le printemps! »

 

La Petite Gazette du 24 avril 2013

EN AVRIL

Monsieur Jean Bolland, inspiré par les illustrations de Georges Delaw ornant son calendrier, nous livre, mois après mois, un petit texte où se mêlent nostalgie et poésie…

« L’hiver, s’il faut en croire le calendrier, a tiré sa révérence. Malheureusement, le printemps idéal, comme notre imagination se plaît à l’évoquer, n’est pas encore là.

Pour pallier les températures encore bien basses, le poêle à charbon de l’école rurale ronfle au centre de la classe.

Et pourtant, un franc soleil sème de la gaieté dans le local quelque peu austère. Cet apport de lumière semble, mais n’est-ce peut-être qu’une impression, infléchir la discipline rigoureuse imposée par l’instituteur déambulant entre les pupitres.

Bientôt, de gros nuages, d’un noir presque bleu, accourent, poussés par un vent du nord-ouest. En quelques instants, le jour baisse. Une semi-obscurité s’insinue dans les moindres recoins. Des volées de grêlons s’écrasent contre les carreaux avant de rebondir sur les bacs en bois destinés à accueillir les futurs géraniums. Le crépitement assourdissant couvre la voix du maître, l’obligeant à suspendre sa leçon. Seize paires d’yeux se tournent vers le ciel  déchaîné. Quel spectacle! Quel sentiment de sécurité et de bien-être! Dans cette lumière tamisée, à l’abri des intempéries, même le plus rétif des potaches se complaît, bercé par une douce chaleur.
Les éléments finissent par se calmer. Les nuages aux flancs lourds s’éloignent. Des rais de lumières, timides d’abord, succèdent à la pénombre, rendant couleurs et vie aux objets classiques.  La fine couche granuleuse qui masque la cour disparaît. Jusqu’à la prochaine giboulée. »

 

La Petite Gazette du 15 mai 2013

LE JOLI MOIS DE MAI

Retrouvons maintenant le texte que Monsieur Jean Bolland a écrit, inspiré par un dessin de Georges Delaw (1871-1938) imprimé sur son calendrier 2013. Ce mois-ci, c’est à la lessive que nous convie mon correspondant ; plus particulièrement la façon dont la lessive était faite à l’époque où les poudres actuelles n’existaient pas encore.

« Chaque matin, Julie se levait de bonne heure : en été, aux premières lueurs de l’aube; en hiver, lorsque le soleil pâle glissait ses rayons froids dans la chaumière, la jeune femme travaillait déjà depuis quelques heures.

Entre la traite des quelques vaches, les râteliers à garnir de foin lors de la mauvaise saison, la préparation de la pâtée pour les cochons et le grain à distribuer à la volaille, la fermière ne chômait pas.

A ces activités quotidiennes, s’ajoutaient les travaux hebdomadaires comme le pétrissage de la pâte suivi de la cuisson des pains pour la semaine, la fabrication du beurre et la lessive.

C’est précisément cette dernière tâche qui occupait la ménagère chaque lundi matin. Au chant du coq, elle craquait une allumette qui enflammait les brindilles sèches. Le feu léchait et dévorait les menus bois avant de s’attaquer aux bûches disposées sous deux chaudrons noircis par les ans et les flammes.

Le premier récipient était rempli d’eau dans lequel baignait le linge que la buandière avait soigneusement brossé pour en détacher le maximum de saletés. Une fois l’eau chauffée, Julie y déposait un sac rempli de cendres de bois ou de paille. Au préalable, elle avait évité de recueillir les cendres de chêne qui auraient bruni draps et vêtements sous l’action du tan. L’eau bouillante du second chaudron était alors puisée à l’aide d’une louche profonde armée d’un long manche puis versée sur les cendres dont la potasse faisait office de savon. Cette opération se répétait plusieurs fois. Julie laissait ensuite reposer le linge toute la journée.

Le lendemain, la lavandière sortait la lessive du chaudron et la disposait dans une brouette qu’elle poussait jusqu’à la rivière. Agenouillée sur un sac rempli de paille ou dans un garde-genoux, elle trempait le linge dans l’eau claire pour le rincer et le frappait à l’aide d’un battoir avant de l’essorer en le tordant. Quand le temps le permettait, Julie étendait les draps sur l’herbe pour qu’ils sèchent et blanchissent au soleil.

Elle se souvenait de sa grand-mère lui racontant que, de son temps, les grosses lessives s’effectuaient seulement deux ou trois fois sur l’année. »

Quel voyage dans le temps… Merci Monsieur Bolland.

 

La Petite Gazette du 12 juin 2013

EN JUIN, ON FAUCHE…

Monsieur Jean Bolland, a tourné une nouvelle page de son calendrier et son imagination fait le reste…

« Dans un large bol au décor fleuri, Auguste dispose des morceaux de pain d’épeautre qu’il arrose généreusement d’une longue rasade de crème de lait. Ce déjeuner, simple mais roboratif, accompagné d’une jatte de café noir et sucré lui fournira l’énergie nécessaire pour accomplir son travail matinal : le fauchage d’une prairie sur Saint-Hasted.

Il quitte la ferme tassée le long du coteau puis traverse Bergister qui, peu à peu, sort de son sommeil. Il retrouve bientôt d’autres agriculteurs, la faux sur l’épaule, en route vers les prairies dont ils sont locataires ou propriétaires. Tous supputent les chances d’un maintien du beau temps pour les jours à venir. Chacun y va de ses observations : la rosée abondante, les hirondelles volant haut, la lune qui brille clairement et nettement dans le ciel nocturne …
Arrivé à la sortie du village, Auguste s’engage dans la Bounir où, çà et là, traînent encore des écharpes de brume qui s’effilochent sous l’action des rayons du soleil levant. Tout à leur aise, prés et champs s’étendent dans cette vaste cuvette avec, pour seules limites, les forêts montant à l’assaut des plateaux de La Lue et de Benasse.

Le sifflement charmeur des merles qui se répondent pour mieux marquer leur territoire, le parfum suave des reines-des-prés  dressant leurs épis sur les accotements humides du chemin, la senteur délicate du chèvrefeuille qui s’entortille malicieusement dans les haies, tout concourt à donner du coeur à l’ouvrage.

Hier, assis sur un sac en jute, Auguste avait enfoncé une enclumette devant le poulailler, y avait posé et maintenu la lame.  A l’aide d’un marteau,il avait battu l’acier afin de redresser et d’affiler le tranchant.

Arrivé à destination, le fermier affûte l’instrument au moyen d’une pierre à aiguiser qu’il retire du coffin accroché à sa ceinture. L’étui oblong en bois contient de l’eau allongée d’un filet de vinaigre. Cette opération sera répétée toutes les dix minutes afin de garantir un travail efficace et performant.

L’homme balance la faux en demi-cercle, le fer maintenu parallèlement au sol. Le chuintement de l’acier couchant l’herbe et la cadence du corps guidant l’outil rythment le labeur. Le soleil brille déjà haut dans le ciel quand Auguste peut contempler les andains jonchant la prairie.

Le séchage du foin qui exhalera une odeur à nulle autre pareille, sa disposition sur des chevalets-trépieds, l’entassement sur le chariot, le déchargement à la ferme et l’engrangement dans le fenil fourniront la provende au bétail pendant les longs mois d’hiver. »

 

La Petite Gazette du 1er juillet 2013

EN JUILLET, A LA RENCONTRE DES NUTONS

Comme chaque mois, insipiré par les illustrations de son calendrier, Monsieur Jean Bolland nous invite à le suivre dans son imagination, aujourd’hui, fantastique et merveilleuse :

« L’heure d’entre chien et loup ! Le soleil s’est perdu à l’ouest.  L’horizon éclaboussé de jaune-orange est passé au rouge incandescent puis au bordeaux.

C’est le moment choisi par Arduin pour emprunter la sente herbue dégringolant de Menuheyd. Arrivé au bas de l’escarpement, il traverse le chemin se hissant vers Betaumont, se coule entre les buissons et atteint le fond de la vallée où se faufile La Lue. Il s’immobilise tout en scrutant la crête du coteau boisé qu’il vient de descendre.

Plus d’une fois, il a cru déceler sa venue. Cette fois, il en est sûr : elle arrive !  Là-haut, au faîte de la butte rocheuse, il la devine entre la cime des bouleaux : quelques éclats d’or se mouvant et grandissant au fil des minutes. Les arbres aident à cette naissance. Leurs branches, agitées par la brise vespérale, finissent par expulser celle pour qui Arduin se languit : la lune s’est enfin extraite de sa gangue forestière.

Le regard du petit bonhomme passe et repasse de sa belle-de-nuit à la surface du ruisseau. Insensiblement, le reflet de l’astre gagne l’instabilité de la piste liquide. Arduin,  fasciné par la danse endiablée de la flaque lumineuse tordue au gré des mouvements de l’onde, imite la chorégraphie de la lune. Elle, dans l’eau ; lui, sur la berge. Couple improbable qui communie au rythme de la nature et des mêmes mouvements.

Un craquement de branche sèche ! Le charme se rompt ! Arduin devine une présence humaine qui s’enfuit vers l’aval. Connaissant le caractère moqueur de bon nombre d’hommes, il ne doute pas un instant que celui qui vient de le surprendre fera un mauvais usage du spectacle auquel il vient d’assister.

Le lendemain, le danseur monte prudemment au village. Il se faufile furtivement entre chaumières et granges pour surprendre les bribes de conversations qui lui laisseraient deviner que sa danse avec la lune est devenue objet de dérision. Il termine sa quête d’informations en descendant vers le moulin d’où vient un tombereau chargé de sacs de farine. Il a juste le temps de se jeter derrière une haie pour éviter la rencontre avec le charretier et son fils commentant  la nouvelle apprise de la bouche du meunier : la veille, en vérifiant le bon état du bief, l’indélicat a surpris un Nuton se trémoussant sur la rive de La Lue.

Triste, le cœur lourd, Arduin rejoint le massif escarpé.  Son secret est éventé.

Depuis longtemps, l’entraide avait toujours prévalu entre les hommes et les Nutons. Les villageois, chargés de galoches à ressemeler, de chaudrons à rétamer et de divers outils à réparer empruntaient la route défoncée et caillouteuse qui dévale, en oblique, vers Menuheyd. Le ponceau de pierres moussues traversé, la troupe gravissait la colline boisée pour s’arrêter à l’entrée de la grotte devant laquelle les objets à restaurer étaient déposés.

A la nuit tombante, de petits êtres barbus sortaient de l’antre et s’emparaient du dépôt avant de disparaître au plus profond de la cavité. Le jour suivant, les paysans retrouvaient leurs biens remis à neuf et, en remerciement, les remplaçaient par des victuailles. Les deux peuples vivaient ainsi en parfaite symbiose.

Mais, malheur au campagnard qui aurait osé railler ces créatures farouches et discrètes. La guigne  s’abattait alors sur lui : gens et bêtes malades, mauvaises récoltes et autres contrariétés.

C’est ainsi que les nuits du meunier devinrent agitées.  Coups redoublés contre la porte, cris lugubres dans les combles, bruits de pas sur le toit, roue à aubes qui se mettait à tourner intempestivement. Le malheureux ne trouvait plus le sommeil. Pour ajouter à son désarroi, sa femme lui reprochait d’avoir ri du Nuton. Les clients se firent rares, terrifiés par l’étrangeté du phénomène touchant les lieux.

Le moulin fut vendu. Dès que le nouveau propriétaire prit possession du bâtiment, les manifestations inquiétantes cessèrent.»

 

La Petite Gazette du 7 août 2013

MONSIEUR JEAN BOLLAND EVOQUE AOUT…

« Le modeste atelier de menuiserie, ou plutôt l’appentis qui en tenait lieu, assurait la transition entre la maison et l’enclos dans lequel poussaient, au cours de la belle saison, légumes et  fleurs vivaces.

C’était le royaume du grand-père. Penché sur l’antique établi marqué par les cicatrices des ans, maniant, avec une dextérité innée, des outils rudimentaires tels le vilebrequin, les ciseaux, le rabot, la scie égoïne… il façonnait et assemblait planches, clous et vis qui devenaient objets usuels ou jeux pour ses petits-enfants. De presque rien, naissaient des merveilles.

Il travaillait posément, avec application, le dos tourné vers un insignifiant poêle à bois qui, néanmoins, réchauffait prestement le local lorsque le temps était au froid. Le crépitement des bûches, la douce chaleur, l’odeur du bois, le cliquetis de l’outillage, le martèlement des sabots au contact du béton rugueux, toutes ces sensations, Baptiste les emmagasinait en lui. Longtemps après, il s’en souviendrait encore.

Une fois l’entrée franchie, dans le coin gauche, se dressait la canne à pêche. Composée de trois éléments en bambou brun vernissé, elle ne quittait que rarement l’endroit qui lui était dévolu. Son grand-père l’utilisait pour aller taquiner la truite dans les rares moments de loisir qu’il s’accordait. Il enfourchait alors son vélo pour gagner les rives du ruisseau bordant le village au nord.

Pêcher ! Baptiste en avait envie ! Ne suffisait-il pas d’une bonne paire de bottes, d’acheter un permis, de retourner quelques pierres plates à la recherche de vers ?

C’est ainsi,  qu’équipé de pied en cap, avec l’autorisation parentale et la canne de son aïeul, le garçonnet partit pour ce qu’il pensait être la première d’une longue série de fructueuses équipées aquatiques. Fier comme Artaban, spéculant sur la quantité de poissons pêchés, il courut plus qu’il ne marcha au long des sentiers et ruelles, emprunta le chemin caillouteux des Evals, à la rencontre du futur théâtre de ses exploits.

Au bord de l’eau, il déposa le sac de toile kaki contenant le petit matériel et monta la canne. L’enthousiasme ressenti retomba d’un cran lorsqu’il voulut enfiler un ver sur l’hameçon. Non que l’opération était complexe mais l’enfant, révulsé par le pauvre annélide empalé et gigotant, découvrait un aspect de ce sport auquel il n’avait pas pensé.

Le ru bordé d’aulnes aux branches retombantes constitua un deuxième frein à l’exaltation initiale : la ligne s’accrochait aux brindilles, obligeant Baptiste à poser sa gaule pour libérer le fil. Finalement, l’appât daigna toucher le courant, dériva en bondissant entre les galets et ralentit sa course folle dans un méandre plus calme et plus profond. Là, nouveau dépit : le crochet se planta dans les racines d’un buisson surmontant l’onde de sa masse imposante. Dégoûté, l’apprenti pêcheur dut accepter des rentrées liquides dans les bottes afin de récupérer le matériel.

Oui, vraiment, la pêche n’était pas ce qu’il avait imaginé. Il comprit que le clapotis de l’eau, le vol gracieux des libellules et les multiples formes de vie explosant dans ce milieu aux confins de deux mondes suffisaient amplement à son bonheur de petit campagnard.

La canne retrouva sa place dans l’atelier et perdit, définitivement, son pouvoir de fascination. »

 

La Petite Gazette du 11 septembre 2013

SEPTEMBRE…

Retrouvons, comme chaque mois de cette année, le texte consacré à ce mois de septembre par Monsieur Jean Bolland :

« Septembre ! Chaque jour plus nombreuses, les hirondelles se rassemblent.  Un beau matin, dans un grand froufroutement d’ailes, les gracieuses demoiselles s’envolent vers des cieux plus cléments.

Au fil du mois, le soleil s’extirpe de l’horizon avec plus de difficultés. Fatigué d’un si long été, il peine à dissiper les écheveaux de brouillard noyant, dans une mer immobile, les fonds de vallées desquels émergent, çà et là, un clocher ou une poignée d’arbres.

Le temps est venu pour récolter les pommes de terre. Harnaché, Gamin a été attelé aux brancards du tombereau dans lequel Joseph a jeté une fourche, deux paniers en osier et des sacs en jute. Aurore, sa femme, l’accompagne.

Arrivés dans le champ, tous deux se mettent aussitôt à l’ouvrage. Lui, dégageant les tubercules du sol. Elle, les ramassant et les déposant précautionneusement dans les paniers qui, une fois remplis, sont délestés de leur contenu à la limite du terrain où le doux soleil d’arrière-saison séchera la récolte.

En fin de journée, les sacs rebondis sont transportés à la ferme : les patates reposeront quelques jours dans la grange.

Un travail qu’il affectionne sera alors accompli par Joseph : rassembler et brûler les fanes dont la fumée âcre lui rappelle l’époque où, enfant, il aidait son père dans cette même tâche.

Lorsque le moment lui semblera opportun, le fermier disposera les pommes de terre dans la cave, sur une épaisse litière de fougères sèches.

Aurore débute ses journées par la traite des vaches qui, en cette saison, paissent encore dans les prés. L’agricultrice dépose les deux cruches dans les emplacements circulaires de la charrette à bras. L’une est coiffée d’un seau retourné. L’autre reçoit une étamine qui filtrera le lait afin de le débarrasser des impuretés qui auraient pu y tomber. Poussant la petite carriole devant elle, Aurore gagne  l’enclos où l’attendent les trois vaches. Assise sur un trépied, le seau coincé entre les genoux, la tête appuyée contre le flanc de l’animal, la fermière débute la traite.

Rentrée à la ferme, Aurore transvase le précieux liquide dans de grands plats en terre cuite. D’ici un jour ou deux, la crème, séparée du lait, sera battue et malaxée pour donner du beurre.

La traite de fin d’après-midi terminée, Aurore prépare le souper. Pendant ce temps,  Joseph s’assure que les animaux de son petit élevage ne manquent de rien. Les grains lancés aux poules provoquent un remue-ménage caquetant. Du fond de sa soue, le cochon se précipite vers la porte en bois vermoulu. Dans un concert de grognements, il se rue goulûment vers le seau cabossé débordant d’épluchures cuites.

La table dressée, Aurore perçoit enfin les pas fatigués de son mari. Le dos légèrement voûté sous le poids du labeur, vêtu d’un sarrau rapiécé, celui-ci ouvre la porte qui grince sur ses gonds, s’avance vers la table et prend place à côté du bahut contenant les pains pour la semaine. La cuisinière remplit les assiettes de pommes de terre rissolées accompagnées d’une scarole.

Le repas terminé et la table débarrassée, chacun prend place près du poêle. A la lumière d’un quinquet, Aurore tricote. La pipe vissée au coin de la bouche, Joseph laisse échapper de mouvantes volutes de fumée bleuâtre. Pensif, il parle peu. Quelques rares paroles. Chez les gens de la terre, on ne dit pas en vingt mots ce qui peut être exprimé en cinq. Chez eux, rien n’est gaspillé.

Le silence est haché par le cliquetis des aiguilles à tricoter. Par le chant plaintif et grave des bûches noueuses. Par le tic-tac de l’antique horloge qui égrène le temps. Par le mugissement des premiers vents d’automne dans la cheminée.

La sérénité de ces heures apaise et répare les corps qui ont oeuvré de l’aube au crépuscule. »

 

La Petite Gazette du 8 octobre 2013

OCTOBRE…

Retrouvons, comme chaque mois de cette année, le texte que les illustrations du calendrier de Monsieur Jean Bolland lui ont inspiré…

« Les sorcières ! Aujourd’hui, cette évocation fait délicieusement frissonner les enfants. Pour eux, ce vocable est synonyme de fête, de carnaval et d’amusement.

Autrefois, il en allait autrement. Ce nom provoquait la crainte et l’effroi. En témoigne le nombre de lieux-dits rappelant le souvenir de ces êtres qui, bien malgré eux, ont terrifié les générations des siècles passés.

La définition, qu’en donne le dictionnaire Larousse,  dit l’essentiel : « Personne qu’on croit en liaison avec le diable et qui peut opérer des maléfices. » Chaque mot a son importance.

Il est toujours dangereux de vivre et de penser autrement que le commun des mortels. De nos jours, de tels individus sont parfois regardés avec commisération ou, dans le pire des cas, mis au ban de la société.

Jadis, ces gens risquaient leur vie. A une époque où l’instruction était limitée, où la crédulité de nos ancêtres leur faisait entrevoir l’intervention de forces obscures, il ne faisait pas bon être versé dans la catégorie des originaux. Une maladie grave ou un décès inexpliqué dans la famille, une épidémie dévastatrice ou, plus simplement, une vache et son veau qui crevaient,  ne pouvaient être que le résultat  de l’action de puissances maléfiques avec lesquelles certaines personnes, pensait-on, pactisaient.

Lorsque la rumeur enflait et se concentrait sur un malheureux, celui-ci devenait le coupable, tout désigné,  à l’origine des misères affligeant la communauté. Un procès, ou plutôt un simulacre de procès, était organisé. En résultait, généralement, l’exécution de l’accusée.

Dans nos régions, les 16° et 17° siècles virent une grande chasse aux sorcières qui furent brûlées à cause du fanatisme,  de l’ignorance de la population et de ses représentants. Comble de l’abjection, les frais de l’exécution étaient réclamés à la famille du condamné : rétribution du bourreau, payement du bois utilisé et repas de ceux qui s’attribuaient le titre de juges. »

 

La Petite Gazette du 30 octobre 2013

AVEC NOVEMBRE QUI S’ANNONCE, C’EST LE RETOUR DES LONGUES SIZES

Nous retrouvons, avec grand plaisir, le texte que M. Bolland a imaginé en découvrant la nouvelle page de son calendrier…

« Fernand, Raymond et Gaston aimaient passer, ensemble, les soirées de la mauvaise saison. Réunis, tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, ils discutaient des menus événements survenus dans le village, jouaient aux cartes ou évoquaient des histoires d’autrefois. Le plus souvent, c’était Fernand qui hébergeait ses compagnons.

A côté de l’âtre, lové sur une chaise basse, ronronnait un des nombreux chats de la ferme, fatigué d’avoir chassé les souris ayant élu domicile dans les moindres recoins de l’exploitation. Cette chaise lui était dévolue. Il se confondait avec elle. Pour peu, il aurait fait partie des meubles.

Combien de fois les compères ne s’étaient-ils pas rappelé le tour pendable qu’ils avaient joué à Eustache, un jeune marié. Le soir de ses noces,  les trois complices s’étaient dirigés vers la fermette de leur victime. C’était une modeste demeure adossée à un talus et dont le pied de la toiture arrière touchait le sol. Un chariot était entreposé dans le hangar accolé à la grange. Ils eurent vite fait de démonter l’engin, d’en transporter les éléments sur le robuste toit de cherbains avant de le remonter au faîte de l’habitation.

Une autre fois, ils avaient décroché et étendu, sur les buis du presbytère, le linge qu’une vieille jeune fille acariâtre avait mis à sécher au fil reliant deux pommiers de son verger.

Ces évocations étaient accompagnées de rires sonores qui allaient en s’amplifiant au fur et à mesure que la bouteille de genièvre diminuait. Difficile de dire qui était le plus farceur, tant chacun sollicitait  son imagination.

Fin novembre, Raymond et Gaston s’étaient invités à souper chez leur ami. Clotilde, l’épouse de Fernand,  mettait la dernière main aux préparatifs du repas pendant que le trio devisait joyeusement, cherchant un prochain souffre-douleur à leurs espiègleries. Le délicieux fumet qui s’échappait du chaudron suspendu à la crémaillère faisait saliver les invités.

Au moment de prendre place autour de la table, on frappa à la porte. La maîtresse de maison alla ouvrir : c’était la jeune voisine. Elle venait quérir de l’aide pour préparer le mélange de base à la fabrication du boudin noir. Clotilde se dit qu’elle souperait plus tard.

Prétextant des douleurs à l’estomac, Fernand ne fit que goûter les aliments avant de repousser son assiette. L’appétit ouvert par quelques petites gouttes, ses deux copains parlèrent peu, occupés qu’ils étaient à faire honneur aux mets. Ils relevèrent la tête lorsqu’il ne resta, au fond du plat, qu’un discret  morceau de viande et deux bouts de pommes de terre baignant dans un reliquat de sauce. Ils s’excusèrent presque de n’avoir rien laissé pour Clotilde.

Les deux hommes, rassasiés, reculèrent leur chaise, s’appuyant confortablement contre le dossier qui gémit, les jambes étendues sous la table. Il y a longtemps qu’ils n’avaient plus participé à pareil festin !

Un large sourire de satisfaction illuminait leur visage quand, soudain, Gaston donna un coup de coude nerveux à Raymond. D’un mouvement rapide de la tête, il l’invita à regarder la chaise basse dressée à côté de la cheminée :  le chat ne s’y trouvait pas ! Leur mine s’allongea. Pris de violentes nausées, ils se précipitèrent vers l’étable. »

 

La Petite Gazette du 11 décembre 2013

FEERIE DE DECEMBRE

Comme chaque mois de cette année qui s’épuise, Monsieur Jean Bolland nous baigne dans une intimité désuète, mais tellement sincère, et qui, je le sais, vous invite à la rêverie…

« Décembre est bien entamé. La Saint-Nicolas passée, une autre fête occupe peu à peu les esprits : Noël et sa féerie. Son attente donne de la couleur aux jours gris et de plus en plus courts.

Le temps d’une soirée, et elles sont longues en ce début d’hiver, l’église millénaire résonne de coups de marteaux. Des bénévoles installent, du côté droit du choeur, la structure qui hébergera les statuettes reléguées, pendant le restant de l’année, dans un coin sombre de la tour. Quelques résineux, placés en arrière-fond, donnent une touche bucolique à l’ensemble.

Après l’école, à l’aide de plâtre, les enfants  façonnent des santons qu’ils peindront avec méticulosité. Dans les jours qui précèdent la Nativité, les boîtes contenant les différentes garnitures sont  descendues du grenier et ouvertes délicatement. Les réflexions des petits fusent lors de la redécouverte des trésors fragiles qu’elles contiennent. L’un avait oublié la présence de telle boule. Un autre a des étoiles plein les yeux en retrouvant le clinquant des oiseaux qui le fascinent. Chacun rivalise d’adresse et de prudence au moment d’accrocher ces objets aux branches du sapin.  La crèche est enfin posée sur une petite table au pied de l’arbre rutilant : elle accueillera les personnages créés par les enfants. Ainsi garni, ce coin de la salle à manger, vers lequel convergeront tous les regards, ajoutera une touche de merveilleux et de bien-être.

Matinée de la veille de Noël. Le pot du poêle plate-buse est incandescent. Les deux portes émaillées du coffre ont été, au préalable, fermées afin d’y accumuler un maximum de chaleur. Sous les doigts experts de la maman, la farine, la levure, le lait, le beurre fondu, les œufs et une pincée de sel deviennent pâte qui reposera avant d’être partagée en pâtons aplatis à l’aide d’un rouleau puis étalés dans des moules à l’intérieur enduit de matière grasse. Fruits en morceaux, compote, riz… couronneront le tout. Enfournées dans le coffre du poêle pour en être retirées trois quarts d’heure après, dorées et appétissantes à souhait, les tartes prendront la direction de la cave pour y être entreposées dans un garde-manger à claies

La soirée du 24 s’annonce longue. Après le repas, les marmots sont invités à se reposer – à dormir même- pour pouvoir assister à la messe de minuit. A 23 h 45, les cloches sonnent à toute volée, emplissant l’espace de résonances claires s’interpénétrant et roulant jusqu’au fond de la vallée. La famille est en vue de l’église vers laquelle se dirigent d’autres groupes. Tout ce petit monde s’engouffre dans l’édifice. La douce chaleur, l’odeur de résine, les notes de musique dégringolant du jubé, les sourires échangés, la crèche illuminée, tout concourt à rendre l’assemblée heureuse. La magie des chants traditionnels ajoute un supplément de félicité et de surnaturel à ces instants de grâce.

L’office terminé, alors que chacun rentre chez soi, des détonations éclatent soudain et font se lever les têtes. C’est Hector, le menuisier, qui tire quelques fusées griffant les ténèbres du ciel d’éphémères traces dorées et chuintantes.

La porte close, la maisonnée prend place autour de la table pour avaler un morceau de tarte ou un cougnou « maison », le tout accompagné d’un petit verre de vin de muscat. »

Un tout grand merci à monsieur Bolland pour ces très beaux textes qui ponctuèrent fort agréablement cette année 2013.

CROQUEMITAINES ET MAKRALES

La Petite Gazette du 18 janvier 2012

LE GAMIN ET LI SPES TINS

C’est avec beaucoup de plaisir que je puis vous proposer ce magnifique souvenir d’un croquemitaine de chez nous, évoqué par Monsieur René Dosogne, de Modave.

« Dans ma jeunesse, 1925-1940, les légendes et croyances populaires alimentaient souvent les longues soirées d’hiver.

A la tombée du jour, il n’était pas rare d’entendre dire, pour faire rentrer les enfants avant la nuit : « Voci li spès tins », sous-entendu « la nuit noire ».

Dans la région vivait un monsieur âgé qui n’avait pas été gâté par la nature et qui avait l’habitude de rendre visite à ses cousins à la nuit tombante. Un soir, il tomba nez à nez avec un gamin de 8 ans, qui avait pour habitude de traîner en rue. Surpris, le gosse rentre en catastrophe chez ses grands-parents, blanc de peur… La grand-mère, intriguée, demande « Qu’avez-vous ? » Et le gamin de répondre : « J’ai vu li spès tins !» et Bobonne de vérifier avec le sourire…

Ce monsieur était un voisin, d’une gentillesse admirable, à qui je rendais visite chaque jour. Depuis, bien des années ont passé et, 70 ans après son décès, il m’est agréable de rendre hommage à Fernand B., un vrai brave homme ! »

Merci M. Dosogne, j’adore ce genre de témoignage faisant revivre de façon si naturelle les croyances de jadis. Si vous aussi vous avez de ces anecdotes mettant en scène les divers croquemitaines qui peuplaient nos contrées – li spès tins, Pépé Crotchet, li Bâbou, li neûr ome, lu rodje-bètch…) n’hésitez surtout pas à nous les conter.

La Petite Gazette du 28 mars 2012

LES CROQUEMITAINES DE NOTRE ENFANCE…

Il y a deux mois, La Petite Gazette faisait revivre, grâce aux souvenirs de Monsieur René Dossogne, de Modave, un des plus fameux croquemitaines de nos contrées, li spès tins. Monsieur Robert Rahier, d’Embourg, n’a jamais oublié, ainsi qu’il me l’écrit, ces « nombreux personnages effrayants qui hantaient mon imaginaire d’enfant. Je m’en suis souvenu et j’en ai rassemblé une brochette dans un écrit intitulé « Mès sognes d’èfant » tiré de mon recueil « èl Rôye d’èrére »

Mès sognes d’èfant

Avez-v’oyou « Moncheû Dåvint »

Divint lès cohes dèl vîle mèlêye ?

I nos ramonne si måssî timp

Èn-ine cabasse di calinerèyes

 

Avez-v’ vèyou « l’ome ås rodjes dints »

Å grés dèl cåve, dizos l’montèye ?

È li spèheûr, mi dji l’ètind

Dji sin s’sofla come dèl djalèye

 

« Li neûr Djèrå » c’èst-ine lêde bièsse

Vos v’ritrovez, sins qu’i n’èl dèye,

Li trô dè cou inte lès deûs fèsses

Ou bin l’tchièsse int lès deûs orèyes.

 

Qwant fêt neûr nut’ « li Maflou » tind.

Il a bin l’toûr di v-s-assètchî.

Mins n’a pé qu’lu, c’èst « li spès tins »

I v’s-aval’reût sins v’kihagnî.

 

« li gate di fiér » èt « l’neûre makrale »

C’èst d’vins lès bouh’nisses qu’èles si t’nêt

Lès p’tits-èfants, c’è-st-on règal

Èles ènnè fêt dè matoufèt.

 

Si v’n’èstez nin dès pus djintis,

« li blanke houp’rale » a sès marotes,

Avou sès coûtès èrunis

Èle vis côp’rè l’filet dèl trote.

 

Li cîsse qui m’fêt todi l’pus sogne

C’èst « l’mwète bètchowe » qui lès-a totes

Si n’a nouk po l’tini a gogne

On n’vis r’veûrè pus qu’a fribotes.

 

Di sint houbêrt, si v’fez l’luskète,

Lès clokes vis toûn’ront a posteûre ;

« hanscroufe » tot neûr èt s’grande baguète

Trimpèye è vinègue li pus seûr.

 

« li trô dèl gate », sint Nicolèy,

Nos-s’î avans crèyou lontins

C’èsteût les bons moumins dès vèye.

Dji m’veût co avou m’bleû vantrin.

La Petite Gazette du 11 avril 2012

JE VOYAIS SURGIR UN DIABLE TERRIFIANT…

Madame Claire Delhez, de Marchin, par la petite anecdote qu’elle nous conte, rappelle que, jadis, il n’était pas toujours nécessaire d’évoquer les terribles croquemitaines de chez nous pour que la peur s’empare d’un enfant…

« Mon grand-papa Ulysse était un brave homme, le ventre rond sous un gilet gis, boutonné, la moustache touffue sans oublier l’éternelle pipe fumante entre les dents.

Un personnage, un bon vivant, bien de notre charmant Condroz… Quand on frappait à la porte de sa petite ferme blottie sur une pente douce, il criait, d’un ton amusé, « Intrez si c’n’est nin l’diâle ! ». Cette phrase au parfum de soufre me figeait sur place. Je voyais surgir un terrifiant diable noir, cornu et entouré de flammes pointues.

Entrait alors un ami de la famille, venu en cachette boire une bonne petite goutte, ou une voisine pressée d’apporter nouvelles et potins du jour.

Dans le regard bleu de grand-papa, je voyais bien cette petite lueur taquine qui le trahissait.

Délicieux souvenir que je partage avec vous qui lisez ces lignes… »

La Petite Gazette du 3 octobre 2012

NOUS VIVONS ENTOURES DE SORCIERES…

Voici un magnifique témoignage que me transmet une charmante lectrice d’Ourthe-Amblève et dans lequel elle évoque ces êtres qui peuplent la tradition orale locale.

« Un jour, une dame de mon voisinage m’avoue avoir entendu des voix, des voix de femmes, un homme peut-être… Elle ne comprend pas leur langage ! Dès qu’elle rentre dans sa maison, elle n’entend plus rien. « Que se passe-t-il ? Sont-ce des troubles dus à mon âge ? »

Un après-midi de soleil, nous étions dans les premiers jours d’avril, je déménage, côté sud, le petit salon jardin au bord du ruisseau qui traverse ma propriété, pour un agréable moment de lecture.

A mon tour, j’entends également des voix, des voix de femmes, plusieurs… Je ne comprends rien, mais elles sont joyeuses, bavardes, remplies d’entrain… Je pense que c’est une visite qui s’annonce et je vais voir… Personne ! Cela se passait à un endroit où dernièrement s’est créé un chantoir et cela a manifestement son importance !

En soirée, je vais chez mon amie qui décide de téléphoner à un voyant de notre connaissance qui a toute notre confiance. Je m’attendais bien peu à la réponse qu’il nous donna.

« Durant la première quinzaine d’avril, c’est le grand rassemblement des sorcières pour le sabbat qui se passe là-bas, sur les hauteurs ! »

Il faisait noir, je devais rentrer chez moi, à pied, et là j’ai eu un peu peur.

Quelque temps après, je parle de cette histoire à une autre amie qui se met aussitôt à rire. « Tu vois, tu te moques de moi ! » « Mais non, réplique-t-elle, vous me faites rire à avoir peur de choses qui ont toujours existé ! »

Elle me raconta alors l’histoire vécue par son père qui se promenait un soir dans le champ des Macralles, plateau non loin de Remouchamps, à droite de la route menant à Louveigné. Il emprunta alors le chemin qui fait à peu près face au chantoir de Sécheval, lieu de rendez-vous pour le sabbat de Satan !

Le père de mon amie a raconté avoir entendu des voix et des rires, mais il n’y avait personne ! C’étaient elles ! Pareille manifestation se remarque notamment à partir de l’éclosion des premiers bourgeons de lilas et jusqu’à ce que leurs fleurs viennent à maturité. Il paraît d’ailleurs qu’il convient d’avoir un lilas chez soi. J’en ai un qui a bien repris dans le talus, là derrière ma maison. Ces étranges manifestations surviennent également aux équinoxes et aux solstices et une petite recherche sur internet m’apprend qu’elles ne sont pas rares à la veille des fêtes chrétiennes. Mon aventure se déroulait justement à la veille de pâques. Je serai attentive aux prochains solstices et aux équinoxes à venir. Quelle belle histoire !

J’aimais à rapporter cela car si jamais ma petite-fille venait habiter ici un jour, je ne voudrais pas qu’elle ait peur ! Il ne faut pas craindre ce monde parallèle qui est bien là , à côté de nous… Il faut vivre avec !

Mon amie de Remouchamps m’a dit : « Toujours bien dire bonjour aux sorcières… Bonjour Mesdames ! »

La dame qui avait entendu les voix avant moi m’a rappelé l’histoire de Bellem, sorcier d’Ardenne, en insistant sur ce qu’il fallait en retenir : « ne jamais se moquer des sorciers et des sorcières et toujours leur dire bonjour ! ». Et ma correspondante de conclure : ma terre aussi, c’est une terre de légendes ! »

La Petite Gazette du 7 novembre 2012

ENCORE LES SORCIERES …

Madame Maria Lambotte, de Werbomont, a questionné autour d’elle pour en apprendre davantage sur les sorcières de chez nous…

« Au cours des Journées du Patrimoine, quelqu’un m’a demandé « Que sais-tu des macrales ? » Absolument rien ou bien peu de choses… Par après, en creusant un peu, je me suis souvenue d’un vieux livre incomplet « L’Ardenne mystérieuse », un livre à moitié déchiré où un conteur (N.D.L.R. Louis Banneux) rapportaient des histoires de sorcières qui se passaient dans toute l’Ardenne. Dans les pages qui me restent, j’ai appris que Burnontige, Fays, la Cherhalle avaient aussi leurs macrales.

Puis j’ai interrogé les anciens, Nestor Bodson, de Werbomont, nonante ans, m’a rappelé qu’à l’autre côté du monument dédié à la mémoire des aviateurs anglais tombés à cet endroit, un petit chemin monte à l’hesse d’el tchapelle ; c’est là que les macrales étaient censées aller faire leurs danses. Et la chapelle… a-t-elle vraiment existé ? Mystère…

Marie Jacquemin, son épouse, m’a dit qu’un jour des scouts catholiques de Liège avaient choisi de venir à l’hesse d’el tchapelle pour faire leur promesse. Pour recevoir ces dites promesses, un aumônier les accompagnait. Deux représentants de la Fédération faisaient aussi partie du groupe. D’autre part, j’apprends que certaines mamans, d’un temps pas si lointain, recommandaient à leurs enfants de ne pas s’arrêter en passant près de l’arbre parce que c’était l’arbre aux macrales… D’un côté des petites filles qui priaient auprès de l’arbre et, à d’autres moments, des enfants s’encourant… Danger ? Bien bizarre tout cela !

Pour l’anecdote, maman me disait quand j’avais, par mégarde, mis mon gilet à l’envers : « Ti k’tchèsse lès macrales ? » C’est bien possible car je n’en ai jamais vu…  « mins saqwante’ côps dja vèyou l’djâle ! »

La Petite Gazette du 26 décembre 2012

A PROPOS DES MACRALES

Monsieur J. Burton, de Bomal s/O, partage avec nous tous ces extraordinaires anecdotes.

« Voilà une histoire que nous raconta jadis ma maman lorsque nous étions encore tous en famille. Dans son village natal, à Commanster, commune de Vielsalm actuellement, vivait, encore dans l’entre-deux-guerres, une macrale notoire et toujours très active.

Par un bel après-midi d’été, ma grand-mère part se promener dans le village avec sa petite-fille, encore bébé, née en 1924 et qui, bien plus tard, deviendra ma marraine. Passant devant la maison de la macrale, celle-ci s’avança sur la route pour voir le bébé et lui caresser la joue. A peine était-elle rentrée chez elle avec le bébé que celui-ci se mit à pleurer et tous les moyens utilisés pour arrêter ses pleurs furent vains. Finalement, elle fit appel au curé du village qui vint bénir le bébé, prononçant quelques paroles, mains jointes. Avant de sortir, le prêtre recommanda à ma grand-mère de ne plus se laisser approcher par la macrale et de faire un signe de croix en s’éloignant d’elle si elle la voyait.

Un fermier chassait ses cochons sur la route, quand, arrivés devant la maison de la macrale, les animaux refusèrent d’avancer ou de reculer. Voyant la macrale debout sur son seuil, le fermier lui cria : « C’est encore toi vieille macrale !» et il lui lança son bâton. La vieille n’insista pas et rentra. Aussitôt, les cochons continuèrent leur chemin, normalement.

Une autre fois, un fermier avec son cheval attelé à un tombereau passait à proximité de la maison de la macrale et voilà, cette fois, que c’est le cheval qui ne veut plus avancer. Il vit la macrale qui regardait par sa fenêtre et l’entendit crier « scie un rayon d’une roue de ton tombereau et le cheval avancera ! » Le fermier s’exécuta et le cheval put continuer sa route.

Il s’agit là d’histoires vécues il y a moins d’un siècle. Cette sorcière est morte quelques années avant la guerre et les gens du village disaient qu’elle avait hérité des livres de sorcellerie de sa vieille tante… » Un merci tout spécial pour ce remarquable témoignage.

UNE TRES ANCIENNE TRADITION, LE CHARIVARI ou PELETEDJE

La Petite Gazette du 9 septembre 2005

CHARIVARI OU PELETEDJE

Mme Françoise Schroder-Closjans, de Louveigné, nous confie un souvenir de jeunesse :

«En juillet 1936, la sœur aînée de maman, âgée de 48 ans et toujours célibataire, épousait l’instituteur de Pery, veuf et de 10 ans son aîné. La surprise fut grande pour la famille et le mariage fut célébré dans la plus stricte intimité, seuls étaient présents les mariés et leurs témoins.

La veille du mariage, un frère de maman, très farceur et très taquin, est arrivé à la maison avec ses fils et a demandé à maman des casseroles et des pêlètes , des ustensiles pour faire beaucoup de bruit. Il annonça alors : « on va pêleter Marie ». Maman hésitait beaucoup… ne voulant pas peiner sa sœur, mais son frère insistait car c’était la coutume disait-il !

Enfin, à la tombée de la nuit, avec oncle André, mon frère et mes cousins, nous sommes allés pêleter derrière la fermette de grand-papa, située en retrait de la route. On a fait du tintamarre pendant quelques minutes, on s’est amusé comme des fous – mon oncle y compris. Alors âgée de 7 ans, j’étais la plus jeune de la bande et je suis la seule encore en vie. Personne n’ en a jamais parlé et moi-même je ne savais pas que c’était interdit. »

Un grand merci pour ce merveilleux témoignage d’une tradition qui semble bien à jamais perdue. Avez-vous vous aussi des souvenirs de charivari ou de pêletèdje ? Nous les raconterez-vous également ? Je suis loin d’être le seul à l’espérer vivement.

La Petite Gazette du 23 septembre 2005

LE CHARIVARI OU PELETAGE.

Répondant à mon appel, M. Henri Boudlet, d’Izier, nous fait le grand plaisir d’évoquer cette très ancienne coutume disparue :

« Le charivari, m’écrit-il, était aussi dans les coutumes à  Izier.

   Qu ‘est-ce qu’un charivari ?    C’est l’action par laquelle plusieurs personnes munies de chaudrons, casseroles, poêlons, etc… jouant sur des instruments discordants (sifflets, trompes, cornets, etc.) ou poussant des cris, manifestent par des bruits injurieux leur opposition à certains actes ou tournent en ridicule certaines personnes. Au point de vue ordre public , il est classé, comme les bruits et tapages nocturnes parmi les attroupements capables d’entraîner du désordre et les forces de l’ordre ont pour mission de les dissiper d’office. Au point de vue pénal, si le charivari se donne la nuit, ce qui était souvent le cas, les auteurs pourraient être poursuivis à la fois pour bruits ou tapage nocturnes, et pour injures si plainte de la personne offensée.

Je me souviens de deux charivaris dans les années 30 dont un connut des péripéties invraisemblables. Celui de Joseph Haot dit < Haot dès forni > il avait précédemment habité dans un fournil en ruine.! Il était veuf avec trois enfants dont les deux plus jeunes : Fernand et Louisa , étaient placés à l’orphelinat des Sœurs à Durbuy.. Il habitait à l’endroit appelé alors   < è 1′ cwène dès bwè > (rue du Bois ), dans une baraque construite et mise à sa disposition par la commune d’Izier. Sa profession : colporteur ; il allait de village en village pour vendre des petites marchandises : bobines de fil, lacets, cirage, allumettes, savon … qu’il transportait dans un grand panier en osier soutenu par un bâton sur son épaule. Il connaissait et utilisait tous les sentiers de la région. Ainsi au moment de la cueillette des myrtilles il repérait les endroits favorables et pouvait ainsi renseigner ainsi les cueilleuses .

Son rayon d’action était très étendu ! Jugez-en ! Au cours de ses tournées à  Lamormenil, il fit connaissance d’une femme beaucoup plus jeune que lui, surnommée « li rossette Nonore ». Elle ne tarda pas à venir vivre maritalement avec lui à Izier. C’était à l’époque un cas à sanctionner et les pèleteus se mirent en action. Ils venaient chaque soir et se répartissaient autour la baraque. Nonore était une personne qui avait du caractère. Parfois, elle ouvrait la porte d’entrée de la baraque pour lancer des bouteilles vides sur les participants. Une intervention des gendarmes de la brigade de Barvaux vint ralentir le rythme. Le jour du mariage ce fut l’apothéose! Ils se marièrent un jour à 19h30 ; le jour était tombé. Tout le dispositif bruyant était en place . Il y eut le mariage civil à la maison communale puis le couple (seul, pas d’invité) se rendit à pied à l’église proche de la maison communale; jusque là aucun bruit. Les mariés allaient passer leur nuit de noces chez un cousin de Haot à Ville-My. Une voiture avec chauffeur les attendait devant l’église. Il y eut connivence entre des participants et le chauffeur. Il fut convenu que la voiture roulerait à allure réduite, ferait des arrêts jusqu’à la sortie du village. A leur sortie de l’église, les participants déclenchèrent le vacarme et suivirent la voiture. Pendant le dernier arrêt certains attachèrent des ustensiles propres à faire du bruit tels que casseroles, couvercles, cruches à lait, etc. au pare-choc arrière de la voiture. Ainsi le charivari continua pendant le reste du trajet vers Ville, mais c’était sans  pèleteus  ! »

Un immense merci pour ce remarquable souvenir de charivari, nous retrouverons d’autres témoignages d ès la prochaine édition. Vous aussi, si vous avez le souvenir d’un pèletage, je vous engage vivement à le confier à La Petite Gazette, afin que nous puissions, au moins, assurer la survivance de cette coutume dans la mémoire collective. D’avance, un grand merci.

La Petite Gazette du 30 septembre 2005

LE CHARIVARI OU   PELETAGE.

Répondant à mon appel, M. Henri Boudlet, d’Izier, nous fait le grand plaisir d’évoquer cette très ancienne coutume disparue :

« Le deuxième charivari dont j’ai eu à connaître concernait Gabrielle Gavray surnom : < Li gavrette >. Elle était originaire d’Ougrée et en avait conservé l’accent.. Elle était mariée avec un ouvrier mineur. Ils avaient 2 enfants. Le couple était mal assorti l’époux était calme et peu bavard tandis qu’elle c’était un réservoir d’énergie et une langue bien pendue. Les séparations étaient fréquentes; ils finirent par se séparer définitivement. Elle était trayeuse dans une ferme. A cette époque, il n’y avait pas des machines à traire, la traite se faisait manuellement le matin et le soir parfois à midi pour les vaches fraîchement vêlées. Elle avait aussi d’autres activités saisonnières, liées aux coutumes en usage à cette époque, en équipe avec une autre femme du village, Elise Coulée.

Elles allaient ramasser le bois mort, assemblé en long fagot, elles le rapportait sur leur dos. (C’était un droit d’usage mais on ne pouvait prendre que le bois sec et gisant par terre. Pour les arbres sur pied entièrement secs il fallait demander la délivrance (code forestier))

A la saison des myrtilles, elles étaient parmi les cueilleuses assidues et habiles. Après la cueillette, elles devaient les nettoyer, c’est-à-dire les séparer des feuilles et des brindilles. avant de les porter pour la vente. Il y avait deux marchands de myrtilles à Izier, Jules Zeug et Louis Guillaume qui se rendaient tous les jours à Liège pour le marché matinal. Parfois, la vente se faisait directement aux boulangers-pâtissiers

Elles étaient aussi glaneuses ; les épis ramassés servaient à la nourriture des poules.(Le glanage , dans les lieux où l’usage en est reçu, ne peut être pratiqué que par les vieillards, les infirmes, les femmes et les enfants âgés de moins de douze ans et seulement sur le territoire de leur commune, dans les champs non clos entièrement dépouillés et vidés de leur récoltes et à partir du lever jusqu’au coucher du soleil. Le glanage ne peut se faire qu’à la main, (code rural)).

Etant libérée de son époux, elle commença par séduire un domestique de la ferme où elle était trayeuse. Ensuite ce fut un villageois beaucoup plus jeune qu’elle. C’est le frère de ce jeune amant qui avait initié le charivari qui fut dissipé par les gendarmes.

Pour camoufler ses errements, elle contraignit sa fille, très jeune, à épouser l’amant. Ainsi, son honneur était sauf!

II y a enfin, conclut M. Boudlet, un charivari qui m’a été raconté ; c’était pendant la guerre 1914-1918. La personne concernée était le bourgmestre f.f. d’Izier, désigné par l’occupant. Je ne me souviens plus du motif du charivari. Je sais qu’il avait épousé une fille de la ferme où il était domestique..

Il faut d’abord se souvenir qu’en 14-18 la partie occupée de la Belgique était sous administration allemande. Ainsi, devant la progression allemande la gendarmerie s’est retirée, dans la partie du pays restée libre et sur le front.   La police est assurée par la feldgendarmerie allemande qui a une brigade à Izier. C’est cette feldgendarmerie, renforcée, qui sur demande du bourgmestre f.f. intervient pour disperser les participants au charivari. Ce fut une intervention musclée, sommations par coups de feu, charge sabre au clair. Ce fut la débâcle. L’offensé habitait rue grande (actuellement rue de l’Argoté) où la marge de manœuvre était étroite pour les deux camps. Il y eu un blessé du côté allemand dans les circonstances suivantes : un participant avait pour instrument une «faux », un feldgendarme tenta de la prendre mais il la saisit par le côté tranchant ce qui lui occasionna une blessure grave à la main. Un groupe prit la direction de Villers et se réfugia sous le pont de L’Amante. Un participant, pourtant considéré comme intrépide, qui était de ce groupe avait avoué < avoir fait dans sa culotte >. Un autre groupe, n’ayant pas d’autre issue, s’enfuit vers la rue El Va . En traversant le Pahy, cette grande prairie de la ferme de la Rue Elva dans laquelle paissait du bétail, ils durent fuirent un autre poursuivant tout aussi dangereux que les feldgendarmes allemands ; c’était un « taureau ! »

Vous aussi, si vous avez le souvenir d’un pèletage, je vous engage vivement à le confier à La Petite Gazette, afin que nous puissions, au moins, assurer la survivance de cette coutume dans la mémoire collective. D’avance, un grand merci.

La Petite Gazette du 7 octobre 2005

CHARIVARI ET PELETAGE

Monsieur René Gabriel, de Roanne-Coo, est un passionné d’archives et un fidèle lecteur de La Petite Gazette ; dans son dernier envoi, il associe ses deux centres d’intérêt. En effet, il vous propose de découvrir le contenu d’un article paru dans le Bulletin du Dictionnaire Wallon, 16e année 1927-31, n° 1 – 4. L’indéniable intérêt de cette communication m’a poussé à vous le présenter in-extenso.

« Chanson de charivari

Le charivari est le vacarme désapprobateur dont le bon peuple gratine les mariages qui lui déplaisent. On le nomme en wallon liégeois pêletèdje. en ardennais pêletadje, de pèle qui est la poêle à frire. C’est l’instrument de musique dont tout le monde sait jouer; il existe dans tous les ménages : on n’a qu’à le décrocher; il suffit de frapper dessus à tour de bras avec une ferraille quelconque. Imaginez un orchestre d’une cinquantaine d’exécutants poursuivant le cortège des mariés, continuant la sérénade autour de la maison après la cérémonie jusque bien tard et quelquefois toute la nuit.. On y ajoutait des cris d’animaux, des huées, des projectiles et des chansons. J’ai noté jadis, en 1889 ou 1890. sous la dictée de ma mère, originaire de La Roche, une de ces chansons de pêletadje. Elle l’intitulait Pasquêye su V sièrvante d’à Dèwalle di Viyé. Il s’y agit donc du mariage d’une servante avec son vieux maître. Viyé. officiellement Villers, est un hameau situé à vingt mi­nutes de La Roche. C’est la servante qui est censée parler : elle se moque du vacarme en énumérant naïvement ce qu’elle gagne à ce mariage. Cette fille était une paysanne de quelque village des environs. Les gens de Laroche qui ont fait, la chanson essayaient d’imiter son langage. Il y a donc, au point de vue phonétique, quelques formes qui ne sont pas du patois citadin de  La Roche.   Mais  cette  pasquille  fournit quelques mots au dictionnaire, sans compter ce qu’elle offre d’inté­ressant au chapitre des mœurs.

Avou vos pèles et vos pêlètes,

èt  vos tchaudrons èt vos cramiètes,

vola qwinze djoûs qui dj’ n’ave co rin.

et âdjoûrdu dj’ai on bê bin !

 

Dj’a deûs vatches è m’ sitaminèye

èt s’a-dje po-z-acheter dès livrèyes;

mi mére ârè on noû abit,

et m’ père dès solés a sès pis :

 

mès sours âront dès gôrjulètes ;

mès cousines âront dès atètches ;

— Dji   n’roûvèyerê   nin   lès   brâvès   djins

qui âdjoûrdu n’ mi pêletèt nin ! —

 

Po fé on pô dès nwaces qui vaye

dji vindré on p’tit bokèt .d’ haye,

po p’leur fé brâvemint dès gatôs

èt mête, on bokèt d’ tchâr o pot.

On me cite encore un couplet, mais il renferme des mots déjà employés dans les autres : c’est plutôt une variante qu’un couplet à enchâsser dans la chanson. Nous le donnons à cause d’un détail de toilette qui peut servir à dater cet échantillon de la muse populaire :

D’ja d’dja on tchapé a loukètes.

i   m’  fâreût co one gôrjulète ;

i m » fâreût co on nou abit.

et on bonèt a mile plis.

TRADUCTION ET NOTES

En dépit de vos poêles et de vos poêlons, de vos chaudrons et de vos crochets, voilà quinze jours que je n’avais rien encore et aujourd’hui j’ai un beau bien. — J’ai deux vaches dans mon étable et s’ai-je pour acheter des livrées : ma mère aura un costume neuf, et mon père des souliers aux pieds. — Mes sœurs auront des colle­rettes, mes cousines auront des épingles. Je n’oublierai pas les braves gens qui aujourd’hui ne me huent pas ! — Pour faire un peu des noces qui vaillent, je vendrai un petit coin de bois, pour pouvoir faire beau­coup de gâteaux et mettre un morceau de viande au pot. — — J’ai déjà un chapeau à jours, il me manque encore une collerette ; il me faudrait aussi un habit neuf et un bonnet à mille plis.

Tchaudrons : on tambourinait donc aussi sur des chaudrons. La cramiète est citée ici comme percuteur. C’est un usten­sile de cuisine composé d:une poignée et de deux crochets pour dépendre les marmites du feu.

Staminèye : étable des vaches. Le nom est tiré des stamons (poteaux) qui séparent la place de chaque bête. Terme inusité à La Roche, où il n’aurait pas eu d’ailleurs la finale èy brève. Vers 7-8. A défaut de poésie, ce rappel de la misère fami­liale ne manque pas de méchanceté ! Gôrjulète : à La Roche on disait colèrète. Atètches : les petits cadeaux qu’on nomme en français des « épingles ».

Vers 11-12. «Je n’oublierai pas les cadeaux aux braves gens… ».

Nwaces, de *nôptias ; l’o ouvert entravé devient wa comme dans pwate porte, -mwate morte, fwace force, pwartchî porcher, dwart dort.

Haye, au sens premier de « bois » et non de « haie ». Tchape a loukètes, Loukètc vient de louker regarder.   One loukète est une embrasure par laquelle on peut regarder ou encore une éclaircie dans un ciel nuageux. Nous traduisons par « chapeau à jours ». garni de dentelle ajourée.

Bonèt a mile plis. Petit bonnet à bords godronnés ou tuyau­tés, introduit de Liège à La Roche entre 1845 et 1850. et qui y fut alors le nec plus ultra de l’élégance. Ces mots donnent la date de la chanson. F. »

La Petite Gazette du 12 octobre 2005

 CHARIVARI ET PELETAGE

Monsieur René Gabriel, de Roanne-Coo, je vous l’avais annoncé, a découvert, dans les archives, d’intéressants documents relatifs au charivari.

« De nombreuses ordonnances, à Stavelot-Malmédy, sous l’ancien régime, concernent cette ancienne pratique populaire. Citons celles du 21 février 1705, du 8 février 1707, du 3 juillet 1728, du 13 février 1732, du 30 janvier 1738, du 18 septembre 1752 et du 5 mars 1773 dont je vous adresse la copie :

« Mandement renouvelant les défenses antérieures de s’attrouper et de donner des charivaris l’occasion des mariages, et comminant une amende de vingt florins d’or contre les contraventeurs.

5 mars 1773, à Stavelot.

   jacques, par la grâce de Dieu, abbé des monastères de Stavelot et Malmédy, prince du Saint-Empire, comte de Logne, etc., à tous ceux qui ces présentes verront, salut..

   Étant informé que. malgré notre mandement du 2 mars 1772 et ceux des princes nos prédécesseurs, les désordres continueroient dans notre bourg de Stavelot, comme il est encore arrivé la nuit dernière, en s’attroupant et faisant des charivaris avec pelles, cornes et autres instruments, nous avons trouvé à propos, pour le bien et la tranquillité publique, de renouveler; encore ces mandements, et défendre, comme nous défendons par les présentes, ces sortes d’attroupements, bruits et charivaris, à peine de vingt florins d’or d’amende exécutable promptement ou autres peines arbitraires contre chaque contraventeur, et de quelle amende les pères et mères seront responsables pour leurs enfants, et les maîtres et maîtresses pour leurs dômestiques; ordonnant à notre officier de Stavelot de veiller à l’exacte observance des présentes, et de les faire publier incessamment, pour la connoissance d’un chacun.

Donné à Stavelot, le 5 mars 1773.

Signé jacques, et plus bas : Par Son Altesse, otte, secrétaire.

(Archives de Stavelot, à Dusseldorf, -15, D, p. 45.)

La Petite Gazette du 19 octobre 2005

CHARIVARI ET PELETAGE… UN BON CONSEIL

Il nous vient de M. Jacques Bastin, de Heyd : « Si certains des lecteurs de La Petite Gazette, en ces temps où l’on ne sait plus ce que Rire de très bon cœur veut dire, désirent en savoir un peu plus sur le sujet et ce, de façon hautement humo­ristique, je les engage alors, vivement, à lire le chapitre intitulé « Pailter » dans « Les Ceux de chez nous » : cet immortel chef-d’œuvre du grand Marcel Remy (Livre édité jadis par l’Imprimerie Bénard de LIEGE et qui a été réédité depuis).

Marcel Remy (1865-1906) est ce correspondant de presse, fort apprécié des jour­naux belges, qui travailla tout d’abord à PARIS puis ensuite à BERLIN, où il allait mourir victime d’une épidémie de méningite infectieuse. Il avait vu le jour et passé sa jeunesse dans une ferme des immédiats environs de Bois-de-Breux. Peu après son installation à Berlin, il se mit à souffrir d’ennui (Mal du Pays ?) et, pour tuer le temps, se décida à écrire cet impayable chef-d’œuvre, dont il est ici question, en une tout aussi impayable langue composite mâtinée de français et de wallon, tel le jargon employé, à la fin du XXe  siècle, par une bonne partie de la classe relativement aisée vivant dans le terroir circonscrivant Bois-de-Breux, Beyne-Heusay et Fléron. »

Evidemment, je vous engage à suivre ce judicieux conseil, vous n’aurez pas à le regretter.

La Petite Gazette du 26 octobre 2005

CHARIVARI ET PELETAGE

A l’instar d’autres lecteurs, Monsieur Jean-Michel Bodelet, de Hives, m’a fait parvenir le compte rendu d’un charivari remarquable qui eut pour décor le La Roche du XIXe siècle. Il précise que ce texte est extrait de Nouvelles et Souvenirs, de Eugène Gens, édité à Bruxelles en 1876 par la Librairie polytechnique Decq et Duhent.

Le texte est éminemment intéressant, mais un peu long pour le faire paraître en une seule fois, aussi ai-je dû le scinder en deux parties. La suite vous sera, bien évidemment, proposée la semaine prochaine.

« I.A   FEMME AUX QUAT’  MARIS.

Une femme du Faubourg, âgée de quarante-cinq ans, avait épousé en quatrièmes noces un garçon de vingt-trois ans.

La femme était laide, même elle n’avait jamais dû être belle. Elle n’avait d’autre fortune que la chau­mière qu’elle habitait. Cette chaumière et son cœur, c’était évidemment tout ce que son épouseur lui avait demandé, et il en avait été de même de ses trois pré­décesseurs. Le jeune homme était un fort et frais gaillard que plus d’une jolie fille avait dû guigner du coin de l’œil. L’amour a des mystères qu’une sagesse-vulgaire ne saurait pénétrer.

J’étais à La Roche lors de ce mémorable mariage, lequel devint l’occasion d’une scie qui finit par ne plus m’amuser du tout.

Pépée avait donné le branle en régalant l’intrépide couple, à sa sortie de l’église, du plus formidable engueulement qui ait jamais terminé une bénédiction nuptiale.

La jeunesse de La Roche organisa un charivari. Un poète du lieu avait composé pour la circonstance un de ces vaudevilles qui, d’abord simple couplet, s’allongent  et   deviennent   un   chapelet. Je ne me rappelle que le refrain :

Donnez, donnez des charivaris !

C’est pour la femme aux quat’ maris !

La maison des nouveaux époux étant voisine de l’hôtel Tacheny, le charivari se donnait sous nos fenêtres. J’eus ainsi l’avantage de n’en pas perdre une note.

Une grande jeune fille, à la voix assez belle, faisait l’office de coryphée (N.D.L.R. = chef de chœur dans les pièces de théâtre antique). Montée sur un rocher qui domine la route, elle chantait seule et, après chaque couplet, l’assistance reprenait en chœur le refrain avec accompagnement de cris, de huées, de sifflets, de grognements, et de tous les instruments de musique infernale que La Roche et Beausaint réunis avaient pu produire. Quand le tintamarre avait assez duré, la chanteuse entamait un nouveau couplet. On écoutait religieusement, en silence, pour reprendre haleine, et au refrain, nouvelle explosion de vacarme. Cela dura de neuf heures jusque près de dix heures et demie.

Le lendemain, à la même heure, on recommença,  et le surlendemain, et ainsi de suite pendant neuf jours. Il paraît qu’on avait voué une neuvaine. Seule­ment, dès le second jour, cela avait cessé d’être amu­sant, et le troisième je les aurais volontiers lapidés. Au bout de quelques jours cependant, une variante s’introduisit dans le programme de la soirée. Après le vaudeville de la femme aux quat’ maris, la chan­teuse entonna la guitare de Castibelza, qu’elle chanta aux applaudissements de l’assemblée. Cette année-là, toute l’Ardenne chanta Castibelza. Les petits pâtres le chantaient en gardant les vaches; les rouliers en sifflaient l’air en cheminant à côté de leurs che­vaux. D’abord, je fus charmé de cette diversion, mais, comme chaque couplet était suivi d’un inter­mède charivarique, cela ne servait qu’à prolonger la scie, et je finis par envoyer à tous les diables l’Homme à la carabine. » La suite au prochain numéro…

La Petite Gazette du 2 novembre 2005

CHARIVARI ET PELETAGE

Vous avez découvert, la semaine dernière, le début du récit d’un mémorable charivari que La Roche connut au XIXe siècle. Je vous rappelle que c’est grâce à  Monsieur Jean-Michel Bodelet, de Hives, que je puis vous livrer ce texte qu’il a extrait de Nouvelles et Souvenirs, de Eugène Gens, édité à Bruxelles en 1876 par la Librairie polytechnique Decq et Duhent.  Voici donc cette suite attendue, je le sais.

« L’instrument dominant de cet interminable chari­vari était une trompe en fer-blanc, d’un mètre et demi de hauteur. Le modèle paraissait en avoir été pris sur la fameuse trompe d’Uri, que l’on conserve à l’arsenal de Lucerne, et qui, à la bataille de Sempach, jeta l’épouvante parmi les soldats de Char­les le Téméraire. Elle avait des sons caverneux, lugu­bres, qui faisaient songer aux beuglements sinistres du taureau d’airain de Phalaris. Cette trompe avait son histoire.

Quelques année, auparavant, un incendie avait détruit tout un côté de la principale rue de La Roche et, entre autres, un édifice fort vieux qui servait autrefois de demeure aux baillis du château. Le bourgmestre, voulant prévenir désormais le retour d’une semblable calamité, eut une idée lumineuse : il fit faire cette trompe.

Avec cet instrument, les incendies devenaient im­possibles.

Il fit venir le garde-champêtre et, moyennant une légère gratification qu’il lui promit sur le budget de la commune, il lui offrit de cumuler avec ses fonc­tions celle de veilleur de nuit. Il lui remit la trompe et lui enjoignit d’en jouer de demi-heure en demi-heure, à tous les carrefours, depuis dix heures du soir jusqu’à trois heures du matin, afin d’éveiller les habitants pour leur dire qu’ils pouvaient dormir en paix, qu’il veillait sur eux, qu’il ne voyait nulle part de trace de feu.

Que s’il en voyait, il devait sonner encore plus fort, afin de les prévenir que, cette fois, il les éveillait pour qu’ils cessassent de dormir et courussent éteindre le feu. Au bout de quinze jours, les plaintes des habitants, troublés régulièrement dans leur sommeil, étaient devenues si vives, que le bourgmestre ne savait plus où donner de la tête. En vain, il représentait à ses administrés que, depuis que la machine fonctionnait, il n’y avait pas eu à La Roche le moindre incendie; ils répondaient obstinément que la trompe ne faisait rien à l’affaire, qu’on pouvait très bien les veiller sans trompe, et qu’enfin ils voulaient dormir. L’un d’eux alla jusqu’à le menacer de lui intenter un pro­cès pour tapage nocturne.

L’affaire en était là quand, un matin, le bourg­mestre vit entrer chez lui le veilleur qui lui rapportait sa trompe, lui déclarant qu’il n’en pouvait plus; qu’il avait les poumons attaqués; que s’il continuait à souffler dans cette buse au lieu de ronfler dans son lit, il était un homme mort. En conséquence, il priait le bourgmestre d’agréer sa démission.

A cause de la surexcitation des esprits, on ne trouva personne qui voulut le remplacer. L’office fut supprimé, car le bourgmestre avait tenu bon : pas de trompe, pas de veilleur. La trompe fut reléguée au grenier de la maison de ville, où les charivariseurs étaient allés la dénicher.

Je revis, l’année suivante, la femme aux quat’ maris (on ne la désignait plus autrement). Elle revenait des champs portant sur la tète une gerbe de trèfles. Elle marchait d’un pas ferme, une main campée sur sa hanche, maintenant son fardeau de l’autre. A trois pas en arrière, son mari suivait, courbé sous le poids d’un fagot d’épines sèches, emblème de sa destinée. On me dit qu’ils ne faisaient pas trop bon ménage; les voisins entendaient souvent des querelles. Lui disait-elle alors, comme Madame Lucrèce à son époux : « Ah ! prenez garde à vous, don Alphonse d’Est, mon quatrième mari ? »

Le pauvre diable avait l’air fort penaud. »

Je remercie encore une fois M. Bodelet, de Hives, pour vous avoir donné l’occasion de découvrir le souvenir de cet étonnant charivari. Pour être tout à fait complet sur cet épisode, M. Bodelet me charge de vous informer que dans un récent numéro de l’excellente revue « Ségnia » M. Luc Nollomont a consacré une étude à cette « femme aux quat’ maris ». Avis aux amateurs.

La Petite Gazette du 28 décembre 2005

EN MARGE DES CHARIVARIS DE NOS AIEUX…

Monsieur Grun, de Bomal, nous livre le fruit de ses réflexions et recherches au sujet du charivari.

« Que Caribaria ! me souffle le professeur de latin. Le latin du Bourgeois Gentilhomme, « ce latin parle bien » selon Molière, Jean-Baptiste Poquelin.

Charivari avec René Henry… et encore, bruit discordant, tapage et, parfois désordre ! J’en ai mal à la tête rien que d’y penser.

Dans l’ombre de l’ami Pickart et de son Val de Somme auquel je me réfère encore souvent avec admiration, considération, émotion, plaisir et bonheur, pour soutenir ma mémoire défaillante. J’ai retrouvé une allusion courte, mais précise en une autre façon d’aborder le sujet.

Les souvenirs, traditions et modes de vie me renvoient à mes parents, des contemporains disparus… Charivari… Comment l’appréhender ? Approbation, désapprobation, désaveu. Trop d’années ont passé… Qu’aurions-nous fait ? Le monde a changé, a évolué. Juger c’est aimer et comprendre.

Défunt charivari, certaine coutume, mais coutume certaine, pour la femme qui avait fui ou la fille qui avait fugué. Le soir, le village venait « pelleter », un charivari donc avec ustensiles de cuisine et autres instruments bruyants, à en casser les oreilles. Les guerres, la fée Electricité et le gendarme mirent fin à ces débordements. Autres temps, autres mœurs. »

La Petite Gazette du 18 janvier 2006

UN SOUVENIR D’UN PELETAGE TRES RECENT

Mme Grignet, d’Esneux, me dit avoir « le souvenir, dans les années cinquante, après 1952, (alors qu’elle habitait le village de Fraiture, sur la colline de Comblain-au-Pont) d’un peletage très bruyant venant de la colline en face et donc du village d’Oneux. C’était, a-t-on raconté à l’époque, pour une femme infidèle. » Quelqu’un a-t-il un souvenir plus précis ? Evidemment, ce sont les circonstances de ce charivari qui m’intéresse et non d’identifier cette femme… Avez-vous, vous aussi souvenir de cette manifestation pittoresque de jugement populaire, aujourd’hui complètement disparue ? En parlerez-vous ? D’avance un grand merci.

La Petite Gazette du 1er février 2006

BRIBES DE PELETAGE et LES PÊLÉS PÅRINS…

Les évocations de quelques peletages de jadis ont rappelé à M. Houlmont, de Boncelles, qu’il avait participé à cette ancestrale coutume, alors qu’il n’avait que 7 ans.

« A l’insu de mes parents et pour être un « grand », je décidai de pèleter. Je connaissais le trajet emprunté par les remariés. Je me protégeai par un mur et une haie épaisse, j’avais pris le soin de me ménager un chemin de fuite ; je m’étais doté d’armes terribles : deux gros couvercles de casserole en émaillé récupérés sur une décharge publique, alors autorisée. Me croyant aussi en toute sécurité, lorsque le cortège s’avança ; je me tenais prêt un couvercle dans la main gauche et l’autre dans la droite. Et bien, le croirez-vous, c’est moi qui fus la cible de toutes sortes de projectiles … Plus jamais de pèletage.

Un autre coutume de l’époque me laisse de plus agréables souvenirs, ce sont les baptêmes. A Ombret, en 1946, nous, la dizaine de gamins formant notre groupe, savions quand il y avait un baptême. Dès la sortie de l’église, nous suivions le cortège pédestre qui ramenait le baptisé à son domicile. Nous remontions à Ombret, au lieu-dit ‘Sur-les-croupets’ . dans le cortège, le parrain et la marraine avaient intérêt à avoir les poches bien remplies de ‘clouches’ (ces petites pièces de 5 et de 10 centimes trouées). Nous hurlions tout le long du trajet : « Pêlé pårin, pêlèye mårène » pour les inciter à lancer leurs clouches, ce qu’ils faisaient à plusieurs reprises. Nous nous précipitions alors pour les ramasser, telle une basse-cour picorant !

Je récoltais ainsi un petit capital, variant entre 1 et 4 francs de l’époque. Maman tolérait que j’en dispose à mon gré. Qu’en faisais-je alors ? Si vous pensez que je les dilapidais en achat de chiques et autre poudre citrique, vous vous trompez ! J’en ai rêvé, je l’ai voulu et j’ai eu mon petit vélo ! En réalité, j’ai détourné le problème… J’avais un petit camarade qui avait un vélo au lieu-dit « le chemin des oiseaux » et, contre quelques clouches, il me permettait de faire mes tours à vélo ! Evidemment, après je n’avais plus mes sous, mais j’avais en moi le virus du vélo… J’ai encore détourné le problème : quand papa travaillait et que maman était aux courses, j’empruntais le grand et lourd vélo d’un soldat allemand  récupéré par papa. Je me positionnais à la droite de la machine, pied gauche à travers le cadre sur la pédale gauche et hop mon droite sur l’autre pédale et c’était parti !

Si j’avais encore 7 ans aujourd’hui, j’aurais mon petit vélo, presque intact, contre trois euros seulement chez un ferrailleur. De cette époque révolue, ne puis-je pas dire : Ne vit-on pas bien de nos jours ? »

 La Petite Gazette du 8 mars 2006

UN PELETAGE A ONEUX EN 1952

Monsieur René Toussaint, de Harzé, se souvient très bien d’un « peletage » qui eut pour décor Oneux (Comblain) en 1952.

« J’avais alors 22 ans et c’est la population d’Oneux qui prévint la gendarmerie de Comblain du tapage infernal qui troublait la sérénité du village jusqu’à 1h. ou 2h. du matin. On en entendait même le bruit jusqu’à Fraiture. La gendarmerie arrêta Emile C. qui revenait de son travail ; pris de peur, il donna les noms de tous ceux qui composaient la petite troupe et révéla où se trouvait tout notre matériel qui, bien sûr, fut emporté par les forces de l’ordre.

Nous avons tous été entendus et, après quelques mois, nous fûmes convoqués au tribunal correctionnel. Quel ne fut pas notre surprise de voir tous ces objets se trouvant auprès du juge. Chacun à notre tour, nous passâmes au banc des accusés. Le juge nous demanda alors si nous reconnaissions ces instruments et nous demanda de lui montrer comment nous nous en servions… Le charivari recommença ! Tous, nous avons été condamnés à 1000 francs d’amende.   Nous sommes repartis avec nos instruments et, à la sortie du tribunal, le charivari recommença. Tout se termina dans un café proche du palais de justice. »

La Petite Gazette du 22 mars 2006

ENCORE AU SUJET DU PELETAGE

   Monsieur Marcel Courtoy se souvient aussi et nous l’en remercions chaleureusement :

« Ces quelques personnes d’Oneux ont sans doute été les dernières à avoir pèleté à Awan .

A une date qui correspondrait assez bien à leur aventure au tribunal, ils sont venus donner aubade à une jeune femme du village dont ils n’appréciaient pas le comportement vis-à-vis de son mari qui était de leur concitoyen.

Sans doute, instruits par leur expérience précédente, ils ont quitté les lieux tôt assez pour éviter la visite de la maréchaussée qui, à l’époque, aurait dû venir d’Aywaille … .à vélo ! »

ALLONS SÎZER…

Les soirées d’hiver dans nos villages donnaient, jadis, lieu à de sympathiques rassemblements que justifiaient diverses réalités d’alors. Tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, des voisins se réunissaient pour sîzer, pour passer la soirée ensemble. Cela permettait d’économiser du bois de chauffage, un peu de pétrole lampant ou quelques bouts de chandelle mais, surtout, cela encourageait les échanges et la transmission d’un savoir ancestral. Aller al sîse c’était aussi aller hoûter lès novèles, partager quelques potins du village ou des environs. Très souvent également, lors de ces soirées passées au coin du feu, les légendes locales, les contes traditionnels étaient racontés et donc transmis.

La Petite Gazette, au fil de ces très nombreux épisodes, a permis d’en sauver quelques exemplaires représentatifs. En voici un premier échantillon.

La Petite Gazette du 5 janvier 2000

MA GRAND-MERE ME RACONTAIT DES HISTOIRES EXTRAORDINAIRES

Monsieur Max-Léon Jadoul a fait l’effort, agréable me semble-t-il, de se souvenir des histoires que lui racontait Célina , sa grand-mère et marraine.

« Le vert-bok : un pauvre petit cultivateur se lamentait dans sa clairière sur les difficultés de subsister. Son épouse ne manquait pas de lui reprocher qu’il devait vivre sous une hutte de branchages et qu’il n’était pas capable de leur construire une petite maison. A bout de larmes, il soupira un jour : « il n’y a plus que le diable qui puisse m’aider ! »

A cet instant, dans un nuage de fumée, lui apparut un être fantastique : pieds fourchus, corps d’homme, tête et cornes de bouc, avec une grande barbiche. Il reconnut immédiatement le vert-bok ricanant. C’était le diable en personne. « Que puis-je faire pour toi ? » Se souvenant des reproches de sa femme, il exposa ses difficultés. « Je fais un pacte avec toi : je te place dans ta clairière, les matériaux nécessaires ; tu construiras une maison de deux pièces et, quand tu auras terminé, je viendrai prendre livraison de ton âme et de tes os. »

Forcé d’accepter le marché, le pauvre se résigne et, sur-le-champ, se met à l’œuvre. Sa femme s’inquiète pour savoir d’où viennent ces matériaux providentiels. Le pauvre homme finit par avouer : il a vendu corps et âme et, dès le travail terminé, il quittera la vie.

Ce n’est rien, lui dit-elle : « quand le diable viendra, je l’embobinerai ». Effectivement, un jour, le vert-bok  vint pour réceptionner les travaux. Il s’en dit très satisfait. « Maintenant, dit-il, je t’emporte aux enfers. »

« Monseigneur, dit la femme, ne croyez-vous pas qu’une annexe plus grande et plus belle pourrait vous servir de salle du trône, mieux digne de vous ? »

« Tout à fait d’accord, dit le diable, la main-d’œuvre ne me coûte rien. Je reviendrai quand la salle du trône sera construite. »

Les matériaux ne tardèrent guère à affluer et la salle du trône se construisit. Un beau jour, il fallut bien se rendre à l’évidence et recevoir Belzébuth. « Ce n’est rien, dit la femme, fais comme moi, j’en fais mon affaire. Monseigneur, prenez possession de votre palais ; installez-vous dans ce coin . »

A ce moment, mari et femme se jettent sur le Malin, le ligotent et l’attachent à un solide crampon fixé dans le trône. Le vert-bok a beau se débattre, jeter tous ses feux, hurler ses pires imprécations ; il n’y a rien à faire, il reste rivé à la muraille dont il a fourni lui-même les pierres. Les heures passent… mais que voulez-vous faire d’un bouc stérile ? Tous trois conviennent d’un pacte et  les époux le laissent s’enfuir pour ne jamais revenir. Le Malin dut conclure que plus rusé que le vert-bok, c’est toujours une femme ! »

Que pensez-vous de ces histoires racontées à la veillée, il y a plus de 70 ans ? Si, comme M. Jadoul, vous avez des souvenirs de ces personnages et êtres merveilleux qui hantèrent votre enfance, faites-les revivre dans La Petite Gazette. Je suis certain que vous ferez des tas d’heureux. D’avance merci.

La Petite Gazette du 19 janvier 2000

A LA VEILLEE AVEC GRAND-MERE

   Grâce à Monsieur Max-Léon Jadoul, d’Arlon, nous avons le plaisir de renouer avec les sizes du temps jadis.

« Ma grand-mère s’appelait Célina Lejeune, épouse de Maximilien Deward.  Elle a habité longtemps à Nandrin, parmi les hameaux aux noms si pittoresques Croix André (Criandrie), Croix claire (Cayèt-Bwès)… Jeune veuve, elle dirigeait fermement sa nichée de garçons complétée par deux filles. Dans les années 1925 – 1930, j’eus le plaisir de vivre en sa compagnie ; quels jours heureux et que de petites joies ! Cette femme exceptionnelle, bourrée d’expérience et de joie, possédait de plus un don de conteuse hors du commun. C’était une fameuse comédienne et, pour le concours de grimaces, sans rire, elle était imbattable. Voici un des personnages qu’elle aimait mettre en scène : Li Neûre Poye.

Un pauvre paysan avait une très jolie jeune femme, trop jolie disaient les mauvaises langues ! Ils s’aimaient d’amour… et, cependant, le pauvre mari éprouvait quelques doutes. En effet, chaque vendredi soir, après les effusions légitimes, mais bien avant minuit, la belle disparaissait sans bruit. La confiance régnait certes, mais tout de même !

Il avait surpris des éclairs de malice dans les yeux des charitables voisines. Un vendredi soir, il se résolut à tirer l’affaire au clair. A minuit, il se mit en route vers le bois de Rognac, en direction du vieux Chêne-Madame, endroit réputé pour les manifestations du  Malin. Venant de Rotheux, il aperçut une lueur verdâtre ; se rapprochant encore, il put voir un énorme bouc noir assis sur une souche et, tout autour de lui, une profusion d’animaux de basse-cour : poules, canes, oies, dindons qui tournaient en procession autour du chêne, en se dandinant et en barbotant dans leur langage respectif C’était vraiment très étrange. Ce qui le surprit le plus, c’est la très forte odeur de soufre et d’urine que dégageait le monstre et cela sans que la chose ne semble impressionner ses fidèles.

Le brave garçon en avait vu assez et il rentra au plus vite au logis. Il y parvint juste avant le chant du coq ; à temps pour apercevoir, toutes plumes dehors, une poule noire qui plongeait dans la trappe du poulailler. Vivement, le brave homme referma la trappe et retourna se coucher.

Le jour bien levé, il entre dans le poulailler et voit une belle poule noire qu’il ne connaît pas et qui le regarde avec effronterie.

« Ah ! la belle poulette qui va me pondre de beaux œufs ! »

Mais point d’œuf, ni ce jour, ni le lendemain.

«  Oh ! dit le fermier, une petite poule qui ne pond pas des œufs… Je vais lui tordre le cou. »

C’est à cet instant qu’il entendit une sorte de râle où il crut comprendre « Pardon ! ». La lumière était faite : il savait que sa femme était allée au sabbat du Bois de Rognac. Il se rappela que la meilleure façon de désenvouter quelqu’un, c’est de lui flanquer sur le croupion un très grand coup de « banette », cette grande pelle en bois servant à défourner les pains. Ce qu’il fit avec la vigueur du mari outragé. Une grande fumée… et voilà que réapparaît sa petite femme tout en pleurs, qui avoue n’être qu’une macrale débutante, qu’elle regrettait en promettant de ne plus pratiquer toutes ces choses.

Elle tint parole, mais le mari vit quelquefois de singuliers éclairs moqueurs dans le regard de quelques voisines, ce qui ne l’impressionnait nullement. Ils furent heureux, ils eurent beaucoup d’enfants, mais elle ne révéla jamais les formules magiques à ses filles.

Li neûre poye, c’est bien fini… Encore que : ma grand-mère affirmait qu’il faut se méfier d’une poule noire qui traverse la route. Ce sont peut-être des bêtises… mais on ne sait jamais. »

 

Voici un bien beau conte populaire qui nous replonge directement dans l’ambiance de ces veillées de nombre d’entre vous n’ont pas oubliées et qui étaient faites de témoignages d’une tradition orale souvent multi-séculaire.

Grâce à Monsieur Jadoul donc, nous avons réveillé quelques êtres étranges et merveilleux qui sommeillaient au plus profond de nombreuses lectrices et de nombreux lecteurs. Madame Peeters, de Louveigné, fait partie de ces personnes dont l’enfance fut jalonnée des manifestations des croque-mitaines de nos régions.

« Jamais, m’écrit-elle, je n’aurais imaginé un jour écrire au sujet des frayeurs de mon enfance… Comme vous avez réclamé des anecdotes relatives au « Babô », voici un petit épisode qui a marqué ma prime enfance :

Nous étions trois enfants, de 9 ans, 7 ans et demi et 4 ans. J’étais la plus jeune. Nous habitions une maison bourgeoise, un long couloir s’ouvrait sur la cage d’escalier avec une première volée de marches, puis un entre-palier et une deuxième volée de marches qui menait au premier étage.

Mon frère et ma sœur s’arrangeaient pour me faire monter la première, la lumière était allumée au rez-de-chaussée et au premier, sur le palier. Ils me suivaient très lentement. Dès que j’arrivais à la deuxième rangée d’escaliers, ils descendaient à toute vitesse, éteignaient les lumières, sauf celle du premier couloir, qui était plus éloigné.

Une fois en bas, ils commençaient à agiter les mains entre les fuseaux, ce qui faisaient des ombres. Ils criaient « Voilà Babô ! » et émettaient des sons sinistres. Je vous assure que j’en ai gardé une image indélébile.

Aujourd’hui, septante ans plus tard, j’en rie, mais la peur a duré des années. Comme quoi les enfants sont loin de réaliser les conséquences de leurs farces. En vous envoyant ce courrier, je réussirai, peut-être, à me libérer à jamais du sort de Babô ! »

Je vous le souhaite Mme Peeters, mais je tiens à vous rappeler que si, bien sûr, les enfants ne peuvent mesurer les conséquences de tous leurs actes et que si vos frère et sœur vous taquinaient avec le Babô, ce sont bien les parents qui faisaient intervenir ces êtres inquiétants pour protéger leur progéniture des endroits dangereux. Sans vous l’avouer, votre frère et votre sœur devaient, sans doute et de cette façon, exorciser leur propre peur ; ils n’avaient pas encore La Petite Gazette, eux ! Un tout grand merci pour votre collaboration à  cette rubrique.

La Petite Gazette du 26 janvier 2000

A LA VEILLEE AVEC GRAND-MERE CELINA

C’est avec beaucoup de plaisir que, une nouvelle fois, nous retrouvons Monsieur Max-Léon Jadoul, d’Arlon, qui, avec émotion, se souvient des sizes animées par les contes et les histoires de sa grand-mère et marraine.

Aujourd’hui, c’est de sorcières qu’il sera question.

« Ce n’était pas un sujet permanent de conversation, mais, de temps en temps, dans les circonstances les plus anodines, se glissait une allusion à peine effleurée, mais toujours avec un air très entendu.

Je demandais : « Marraine, as-tu connu des macrales ? où vivent-elles ? » Les réponses étaient très évasives, mais elle en avait tout de même connu une ou deux !

Et moi-même, en ai-je connu ? En réfléchissant bien, peut-être l’une ou l’autre. C’est oui ou c’est non ? « Ptêt-bin qu’oui, ptêt-bin qu’non. »

Une pauvre vieille femme solitaire, un peu simplette, faisait quelquefois l’affaire. D’autre part, certaines de ces créatures s’arrangeaient pour donner l’impression d’être de commerce avec le diable. Vivant modestement dans une petite maisonnette, voire même une hutte de bûcheron, elles s’entouraient d’animaux « emblématiques » : le gros rouquin marcou (qui venait toujours faire des jeunes à notre petite minette), un vieux chien borgne, hargneux et sans race, une chouette familière (elle s’apprivoise très bien) et, surtout, un affreux bouc puant (le vert bouc) qui assurait à la macrale un revenu régulier, car il revenait à l’animal de présenter ses hommages à toutes les biquettes du canton ! C’est qu’il mettait du cœur à la besogne le gaillard ! et, surtout, il n’y en avait guère dans les villages, car un bouc cela sent et cela ne donne pas de lait…

Ces pseudo-sorcières détenaient de lourds secrets et des remèdes familiers que l’on venait solliciter de loin. J’entendis souvent parler d’un de ceux-ci mis en œuvre pour soulager de graves maladies infantiles. Il consistait en l’application, sur la poitrine de l’enfant, d’un pigeon ouvert en deux vivant !

La version masculine était le macraî et, pour ceux ayant acquis un grade supérieur « li macraî r’créyou » . Il ne passait pas son temps dans de folles broutilles de femmes, mais pouvait devenir redoutable, car il se déplaçait beaucoup. Les macraîs exerçaient de petits métiers solitaires et, dans mes recherches généalogiques, j’ai relevé notamment : faiseur de manches, faiseurs de trappes-souris (pièges à rats et à souris), faiseur de dents de râteaux, faiseur de haies.

Tout ceci pour vous dire que sorcière ou sorcier, à force d’y croire, on peut en avoir l’aspect ou le comportement. Mais il ne faut pas en rire… on ne sait jamais, comme disait ma grand-mère, qui en connaissait un bout sur la question ! »

Vous aussi, vous avez des souvenirs de ces histoires de sorcières ou d’êtres  et d’animaux merveilleux dont on parlait lors des veillées de jadis ; m’en parlerez-vous ? Déjà quelques très jolis récits me sont parvenus, au fil des chroniques à paraître, nous retrouverons les contes dont s’est souvenus Mary Bertosi.

Voici encore une rubrique qui nous promet de bien agréables surprises ; merci pour votre précieuse collaboration.

 La Petite Gazette du 2 février 2000

A LA VEILLEE AVEC GRAND-MERE

      Comme annoncé, voici le premier des contes que m’a adressés Mary Bertosi. Il s’agit de la retranscription de récits entendus durant son enfance. Elle tient à préciser que certains ont été remis sur papier au départ de quelques souvenirs seulement.

« La grande Fifine.

Notre Ardenne d’autrefois comprenait des tas de choses et de personnes incroyables de nos jours : des nutons, des loups-garous, des rebouteux, des sorciers, des fées, etc. Tous ces personnages ont disparu  maintenant, il paraît que c’est depuis qu’on récite l’Evangile de St-Jean.

Je vais vous conter, aujourd’hui, une histoire réelle de sorcière.

La grande Fifine était, comme son surnom l’indique, plus grande que la moyenne des Ardennais qui ne dépassaient guère, en ce temps-là, plus de 1 m. 60. Maigre, les cheveux grisonnants, personne ne savait son âge. Elle vivait dans une petite ville, au bord d’une rue en pente qui menait dans les forêts et au cimetière. Dans sa pauvre chaumière, elle vivait de peu, faisant des ménages ou des lessives, fabriquant des fagots, louant ses bras, comme on disait à l’époque.

Elle avait la réputation d’être sorcière, car elle était bien différente des autres femmes du bourg (il est à remarquer ici que les femmes étaient, plus souvent que les hommes, accusées de sorcellerie). Fifine connaissait les plantes et, l’été, on la voyait herboriser à droite ou à gauche, cueillant les simples et toutes les plantes utiles à ses remèdes, qu’elle faisait sécher sous sa toiture. Les gens la consultaient pour toutes sortes de maux et de maladies, aussi bien que pour les animaux.

Fifine avait un voisin, l’Emile, qu’elle n’aimait pas beaucoup et qui le lui rendait bien. Les discussions étaient fréquentes, pour toutes sortes de raison : les poules de l’un avaient gratté un carré du jardin de l’autre, l’un avait ramassé les pommes tombées du côté de son pré alors que le pommier appartenait à l’autre et toutes sortes de petites querelles pareilles.

C’était lui, l’Emile, qui contribuait à entretenir la réputation de sorcière de la grande Fifine, en la traitant sans arrêt de « Vî macrale » . Elle lui répondait toujours : « Attin, dji t’aurai ». A la longue, on se méfia de Fifine, qui était pourtant brave femme, et, lorsque quelqu’un allait chez elle pour quelque remède, il ne manquait jamais de se signer avant d’entrer.

En réalité, Emile était jaloux car Fifine, malgré tout, avait des amis, en particulier Joseph. Celui-ci passait tous les jours devant chez elle avec son cheval Bijou, pour aller travailler dans les bois. Joseph entrait et buvait sa petite goutte, parfois plusieurs et sortait, quelquefois, assez éméché. Il remontait sur sa charrette et Fifine sortait toujours pour caresser Bijou et lui flatter la crinière. Emile enrageait, il alla même jusqu’à asperger le seuil de sa porte avec de l’eau bénite pour se prémunir du mauvais sort.

Joseph possédait un autre cheval qui ne servait qu’à tirer le corbillard lors des enterrements. L’Emile vint à mourir, après les veillées bien arrosées, comme il était d’usage à l’époque, les prières et les galettes, vint le jour de l’enterrement. Le cheval qui tirait d’habitude le corbillard étant malade, Joseph attela Bijou pour le remplacer ; Tout se passa bien jusqu’à ce qu’ils arrivent à la hauteur de la maison de Fifine, où le cheval s’arrêta net. On dut caler le corbillard avec des pierres, pour l’empêcher de reculer. Ni les paroles, ni les « hue » et les « ho », ni les poussées des gens, rien ne fit redémarrer le cheval, qui avait l’air cloué sur place. Rien à faire !

Au bout d’une heure, il était toujours là, sous un soleil de plomb. Dans la foule, on commençait à jaser ; c’est sûrement à cause de Fifine. Ils étaient tellement ennemis avec l’Emile, qu’elle a mis à exécution sa promesse et, jusqu’après la mort,  elle le fait enrager en ensorcelant le cheval. Voilà ce qu’on entendait. Quelqu’un vint même asperger Bijou avec de l’eau bénite, rien n’y fit ; on récita une dizaine de chapelets, toujours rien ! Que faire ? On ne pouvait pas rester là ad vitam eternam !

Joseph eut alors une idée, il entra chez Fifine et lui demanda de venir ; celle-ci s’approcha de Bijou, le flatta, lui parla tout bas, le caressa et, d’un seul coup, le cheval reprit son élan et monta jusqu’au cimetière, d’une seule traite. Voilà la réputation de sorcière de Fifine bien assise à des lieux à la ronde… et pourtant !

Chaque fois que Joseph s’arrêtait chez Fifine pour boire sa petite goutte, celle-ci sortait pour caresser le cheval et lui donner un morceau de sucre. Habitué à cette pratique, Bijou s’était arrêté le jour de l’enterrement et attendait, tout simplement, son sucre.

Voilà comment on devient sorcière ! »

Très joli récit, n’est-ce pas ! Faites-moi savoir ce que vous en pensez, il y en a d’autres, de la même veine. Un grand merci à Mary Bertosi.

La Petite Gazette du 26 juillet 2000

LE  LOUP-GAROU

Mary Bertosi, de Tenneville,  a gardé des souvenirs émus des contes entendus durant son enfance ; aujourd’hui, cette magie de l’histoire lue ou entendue, elle la restitue aux enfants, pour la plus grande joie de ceux-ci. Elle a couché sur papier certaines de ses histoires faites de propres souvenirs, de poésie et de féerie. Je vous propose de partir à la rencontre du loup-garou.

« Lorsque grand-mère était enfant, souvent, à la veillée, on racontait des histoires pas toujours amusantes ; des histoires qui faisaient peur aux enfants soit de l’eau, des forêts pour qu’ils ne s’y aventurent pas seuls, soit des puits et autres dangers à droite et à gauche. Les grandes personnes elles-mêmes n’étaient pas toujours rassurées car les Ardennais ont toujours été superstitieux et croyaient beaucoup aux nutons, aux sorcières jeteuses de sorts ou au laid méchant homme.

Aujourd’hui, je vais vous parler des loups-garous ; ces animaux mystérieux qui venaient on ne sait d’où et repartaient de même après avoir fait quelques dégâts dans les bêtes le plus souvent, mais, parfois, ils s’attaquaient aux gens.

Le loup-garou est une personne ensorcelée, métamorphosée en loup enragé, affamé, assoiffé de sang, par un sorcier très puissant et inconnu, dont le charme ne périt jamais. La transformation s’effectue le plus souvent les soirs de pleine lune où il est préférable de verrouiller portes et fenêtres, ainsi que les portes des étables. Parfois, la transformation pouvait durer plusieurs jours.

Dans une famille normale, il peut y avoir un loup-garou que personne ne connaît car le reste du temps, il est comme vous et moi. »

Dans notre prochaine édition, nous suivrons Mary Bertosi au cœur d’une de ces familles d’Ardenne au sein de laquelle il se passa de bien étranges choses…

La Petite Gazette du 26 juillet 2000

LE LOUP-GAROU

J’imagine que vous êtes, toutes et tous, curieux de retrouver l’atmosphère désuète de l’univers imaginaire de Mary Bertosi, de Tenneville ! Lors de notre précédente édition, après nous avoir expliqué en quelques mots ce qu’était un loup-garou, notre conteuse nous inquiétait quelque peu en affirmant qu’il était possible qu’il en existe, sans que personne ne s’en rende compte, dans des familles qu’elle qualifiait de « normales ».

« Marie-Josèphe Jeuniot avait l’habitude de porter à dîner à son mari, lorsque celui-ci travaillait aux champs, chose courante à l’époque.

Elle attendait avec lui, en faisant la causette et se reposant un peu, le temps qu’il termine son repas et elle reprenait ses récipients vides pour le retour.

Marie-Josèphe alla dons un jour, à midi, comme d’habitude, porter le dîner à son homme. Il travaillait à plus de quatre kilomètres du foyer et Marie-Josèphe allait bon train car elle était légèrement en retard.

Il y avait, sur plus de deux kilomètres, un bois à traverser, cela ne l’effrayait pas tant elle avait l’habitude d’y passer, mais se signait toujours avant d’entamer la côte ; bien lui en prit ce jour-là !

En effet, à peine avait-elle fait le signe de croix, qu’un énorme loup-garou sortit du bois avec fureur et attaqua la malheureuse. Elle se défendit tant qu’elle le put avec son gourdin, en invoquant le nom de tous les saints qui lui passaient par la tête : « Tiens sur la tête au nom de saint Joseph, vlan dans les côtes pour saint Mathieu, et voilà pour saint Antoine… »

La femme se battit plus d’une demi-heure avec cette bête enragée qui l’avait mise en lambeaux, ses jupons étaient réduits à quelques loques ; le sang lui venant sur les bras et les jambes et, même, au visage. Le loup-garou vit qu’il avait affaire à forte partie et se découragea, se sauva dans les bois tout courbaturé de coups de bâton.

Marie-Josèphe se pressa d’aller retrouver son homme ; elle le trouva en nage, assis, blessé à la tête et dans les côtes. Que s’est-il passé ? dit-elle en le voyant en sueur, oubliant du coup sa propre aventure.

« Rien qui vaille la peine, dit-il, allez, sers-moi à manger ! »

Marie-Josèphe servit la soupe, mais son mari ne voulait pas manger devant elle et se retourna. Mais qu’as-tu  donc aujourd’hui ? lui dit-elle et elle s’approcha plus près ; c’est alors qu’elle vit, dans les dents de son mari, des lambeaux de tissu de sa robe, de son jupon, qui étaient restés accrochés dans sa denture.

« Ah ! mon Dieu ! dit-elle, le loup-garou c’était toi et tu m’as attaquée sur le chemin ! »

Alors le mari se tourna vers sa femme en pleurant et lui demanda « Débarrasse-moi de ce sortilège, tiens prends ce poignard bénit et perces-en mon cœur en une seule fois. C’est le seul moyen de détruire la bête qui est en moi ».

Marie-Josèphe prit le poignard, récita quelques Paters, fit un grand signe de croix et traversa la poitrine de son mari d’un seul coup, à cet instant, un hurlement de loup se fit entendre dans le lointain, mais l’homme avait retrouvé le calme sur son visage sans vie, tourmenté quelques instants auparavant.

Marie-Josèphe le déclara mort, tué par des brigands, pour qu’il puisse avoir une sépulture chrétienne, qui aurait été refusée si l’on avait connu sa métamorphose. »

Terrible et surprenant n’est-ce pas ! J’espère de tout cœur que cette histoire ne viendra pas perturber vos nuits que je vous souhaite paisibles et agréables.

 

UN SAINT PARTICULIER : SAINT LOUP

Se plonger dans l’évocation de nos saints populaires, c’est immanquablement rappeler la christianisation de nos régions à l’époque mérovingienne,  étudier les efforts réalisés par les premiers moines évangélisateurs pour lutter contre les antiques pratiques de la religion celtique, culte rendu aux sources, aux rochers… toujours en usage chez nous et, enfin, constater la christianisation de ces lieux. Pour en savoir davantage sur cette période, je vous renvoie à l’introduction de mon dernier ouvrage en date : « Les Vertiges du Passé – Nos Chapelles », mais ce qui suit, paru il y a bien des années déjà dans La Petite Gazette, devrait également vous passionner.

La Petite Gazette du 1er septembre 1999

LES SAINTS DU CONDROZ ET D’AILLEURS, UN SAINT BIEN PARTICULIER, SAINT LOUP

Max-Léon Jadoul, m’écrit d’Arlon mais aime à rappeler qu’il est originaire du Condroz. Il souhaite évoquer un saint que G. Pire dans « Tihange, racines et identités » qualifie de « bien particulier » : saint Loup.

« La légende remonte à 1704, les hivers étaient particulièrement longs et rigoureux, plus que le froid, les habitants de Strée craignaient les loups en raison des grands ravages causés dans les bergeries mais aussi parmi les voyageurs égarés. L’un d’eux, perdu à proximité de la ferme Collard, se vit refuser l’hospitalité. Une croix rappellera sa mort.

Ici mourut tragiquement

Leloup-Dubois

le 22 janvier 1704.

Priez pour lui.

   Il avait décliné son nom patronymique bien difficle à porter !

Les loups continuaient à tuer les moutons de Strée. Le curé de la paroisse décida de rétablir le culte de saint Loup. Il replaça une statue dans l’église et invita ses fidèles à prier pour éloigner les tueurs de brebis. On vit même implorer le saint pour soigner les enfants boulimiques atteints « d’une faim de loup ». On apportait des petits pains au pied de la statue. Au fil des années, ceux de Strée affirmèrent que, à l’origine, saint Loup était un vrai loup revêtu d’un habit d’évêque et qu’il était mort au bord d’une route de Strée !

A un jet de pierre du hameau des Communes de Strée, en bordure du bois de Tihange, dans le parc du château de Gée, une petite chapelle abrite une statue de saint Loup ayant fait l’objet d’une vénération toute particulière et ancienne. On l’invoquait non seulement contre la boulimie, comme à Strée, mais aussi contre l’horrible « lupus » (affection cutanée de nature tuberculeuse attaquant surtout le visage). Le tout se terminait, paraît-il, par des ablutions avec l’eau de la célèbre source située jadis dans le fond du parc. L’édicule abritant cette source aurait été détruit. »

Passionnant, étonnant et extraordianire récit. Qui le prolongera ? Qui nous procurera une représentation de ce saint ? A suivre donc…

 La Petite Gazette du 13 octobre 1999

LES SAINTS DU CONDROZ ET D’AILLEURS

   La présence de saint Loup dans La Petite Gazette, il y a quelques semaines, n’est pas passée inaperçue. Monsieur Jean-Pierre Dumont, de Clavier, s’étonne néanmoins que les lecteurs ne furent pas plus nombreux à réagir :

« Je pensais, m’écrit-il, que la question que vous posiez concernant saint Loup allait susciter une réponse rapide et un courrier abondant. Après plusieurs semaines sans réponse, je me permets de vous communiquer mon avis, car la réponse me semble évidente : saint Loup n’a jamais existé. Après la conquête romaine, l’ancienne religion celtique (donc gauloise et condruze) a subsisté pendant des siècles. Lors de la christianisation de nos régions, les missionnaires ont « récupéré » l’ancienne religion celtique : récupération des fêtes (voir par exemple les « orientations » de la basilique de Saint-Hubert), des lieux sacrés de pèlerinages (sources, pierres…) et aussi des dieux. Un des plus grands dieux celtiques est le dieu Lug, vénéré alors dans toute l’Europe et dont on retrouve la trace dans de nombreux toponymes dont le nom de la ville de Lyon (Lug-Dunum). Saint Loup n’est donc, à mon avis, que la récupération chrétienne du grand dieu Lug. »

Passionnant et enrichissant sont certainement les qualificatifs qui s’accordent le mieux à cet avis communiqué par M. Dumont.

Il n’a pas été le seul à se manifester… Monsieur René Gabriel, de Roanne-Coo, a lui aussi réuni les informations qu’il possédait sur saint Loup. Les renseignements hagiographiques et folkloriques qu’il nous propose sont respectivement extraits de « Vies des saints pour tous les jours de l’année », ouvrage en 4 volumes de l’abbé E. Daras et du « Calendrier populaire wallon » de Rodolphe de Warsage.

A propos de saint Loup, Monsieur Gabriel signale que l’abbé Daras mentionne deux saints dénommés Loup ou Leu, l’un fêté le 29 juillet et l’autre le 1er septembre. Rodolphe de Warsage fixe la fête de saint Loup ou Leu au 25 septembre.

Daras précise que le saint honoré le 29 juillet est issu d’une noble famille de Toul. Marié durant 7 ans, il se sépara de son épouse et distribua tous ses biens aux pauvres avant d’entrer au monastère de Lérins. Devenu évêque de Troyes, il aurait délivré sa région du joug des armées d’Attila. Il mourut en 478, après 52 ans d’épiscopat et après avoir mérité le titre de « Père des pères » ou « Evêque des évêques ».

Quant au saint fêté le 1er septembre, l’abbé Daras nous apprend que, lui aussi, était issu d’une famille illustre du diocèse d’Orléans, alliée aux rois mérovingiens. Il devint archevêque de Sens et mourut le 1er septembre 603.

Rodolphe de Warsage enfin évoque un saint Loup, évêque de Lyon et mort en 642. Invoqué pour les enfants souffrant de boulimie (la faim de loup), on le prie également à Strée-en-Condroz contre certains maux rongeurs qui détruisent la chair et la dévorent, comme le ferait un loup, jusqu’à l’os. En offrande, on déposait des « tortès », petits gâteaux de forme triangulaire. »

Merci M. Gabriel pour ces informations qui, malgré qu’elles aient une tout autre origine et une tout autre teneur que celles transmises par M. Dumont, ne les contredisent pas nécessairement. En effet, les lecteurs attentifs auront remarqué l’origine lointaine et peu précise des différents saints mentionnés, la présence de la ville de Lyon au rang des villes ayant accueilli le siège de son évêché présumé…

Quoi qu’il en soit, ce sujet, comme de nombreux autres, ne vous laisse pas indifférents et il m’étonnerait vraiment que ce qui précède ne fasse pas réagir d’autres lecteurs. Evoquant des époques aussi lointaines, qu’il est rarissime de pouvoir citer des documents attestant des affirmations présentes dans les vies des saints, mais il est passionnant de constater combien les interactions sont nombreuses entre hagiographie, traditions populaires et, certainement, réalité historique.

La Petite Gazette du 10 novembre 1999

LES SAINTS DU CONDROZ ET D’AILLEURS : SAINT LOUP

   Quand M. Jean-Pierre Dumont, de Clavier, nous écrivait qu’à son avis saint Loup n’avait jamais existé, joignant à son propos une intéressante argumentation relative au dieu Lug de la religion celtique ; je m’attendais à recevoir d’autres courriers. Mon attente ne fut pas très longue. Découvrons ce que M. Scheer, de Marche-en-Famenne, me transmet :

« Je possède le dernier dictionnaire hagiographique « Dix mille noms de saints » rédigé par les bénédictions de Ramsgate. Voici ce que je relève au sujet de saint Loup : saint Loup de Chalon (évêque vers 610), il reste une lettre lui adressée par saint Grégoire le Grand. Saint Loup de Troyes, évêque 384 – 478 ( ?), il réussit à sauver Troyes d’une mise à sac par Attila en 453. Saint Loup, martyr, il était esclave. Saint Loup de Sens (évêque en 623), saint Loup de Lyon, archevêque en 542, saint Loup de Soissons (évêque en 540) neveu de saint Remi de Reims, il assiste au concile d’Orléans en 511, saint Loup de Bayeux (évêque vers 465), saint Loup de Verone (évêque).

C’est difficile de dire après une liste comme celle-ci qu’il n’y a pas eu de saint Loup ! constate M. Scheer qui, dans l’ouvrage qu’il a consulté, relève encore ceci :

« Saint Jacques le Majeur, frère de saint Jean l’Evangéliste, fut le premier apôtre à subir le martyre sous Hérode Agrippa, en 44. Une légende fait de lui l’apôtre de l’Espagne, au IXe siècle, on prétendit que son corps était enchâssé à Compostelle. C’est une légende qui se répandit en Europe sous l’influence de Cluny et qui a créé le fameux pèlerinage qui dure toujours. »

Quelque chose me dit que nous entendrons encore parler de saint Loup. Nous n’essayerons pas de donner raison raison à l’une ou l’autre des thèses en présence, mais bien de rassembler un maximum d’informations historiques, hagiographiques ou folkloriques sur le sujet.

La Petite Gazette du 17 novembre 1999

LES SAINTS DU CONDROZ OU D’AILLEURS : SAINT LOUP

Je vous l’écrivais encore la semaine dernière, je savais en lançant pareil sujet, à la limite entre religion et folklore, que j’allais recevoir des courriers en sens divers, voire franchement opposés. Evidemment, ce que je pressentais est arrivé :

Quand M. H. Dumont, de Clavier, prétendait que, à son avis, saint Loup n’avait jamais existé, plusieurs lecteurs sursautaient à la lecture de ses propos. La semaine dernière, vous avez lu la réaction de M. Scheer, de Marche, et, cette semaine, c’est au tour de M. Jacques Bastin, de Heyd, de se manifester.

« Il est parfois impérieux, m’écrit-il, tout en se gardant de verser dans la polémique, de souplement rectifier certaines affirmations.

Attention à ne pas commettre de confusion terminologique entre « Dieu » et « saint ». Si, dans une religion monothéiste « Dieu » est l’ « Être suprême », un « saint » est un « élu canonisé » par l’Eglise. Dans les religions polythéistes, par contre, la notion de « saint » se confond effectivement avec celle de « dieu ». Romulus, le fondateur de Rome, a été lui vénéré après sa mort en tant que Dieu Quirinus.

Quand on affirme que saint Loup n’a jamais existé, on y va tout de même un peu fort car on trouve bel et bien dans le « Catalogue romain des Saints » (lequel renferme quelque 35 000 noms !) très exaxtement quatorze saints prénommés Loup. Parmi ceux-ci, le plus célèbre est, sans conteste, l’ancien évêque de Troyes (398 – 479) (N.D.L.R. notons au passage que ces dates diffèrent quelque peu de celles mentionnées dernièrement par M. Scheer). Ce saint Loup a connu un épiscopat de 52 années, il est fêté le 29 juillet. Viennent ensuite saint Loup (Leu), évêque de Lyon de 523 à 542, fêté le 25 septembre et saint Loup (Leu) , l’archevêque de Sens, mort non point en  603 comme erronément signalé dans La Petite Gazette, mais en 643, il est fêté le 1er septembre. »

Merci à M. Jacques Bastin pour ces précisions et pour nous avoir transmis son avis à propos de saint Loup.

Vous l’avez remarqué, La Petite Gazette s’est fait l’écho de divergences d’avis au sujet de saint Loup, mais, j’insiste, il ne s’agit nullement d’alimenter une quelconque polémique sur quelque sujet que ce soit ! Si vous pouviez nous faire parvenir des informations relavant de médecine populaire ou de folklore traditionnel au sujet de saint Loup, je crois qu’elles seraient susceptibles d’intéresser un grand nombre de lecteurs.

La Petite Gazette du 5 janvier 2000

SAINT LOUP, UN SAINT DONT IL Y A TANT A DIRE

Plusieurs courriers, à la fois passionnés et passionnants, ont déjà rappelé ou interprété le souvenir des saints dénommés Loup. Ils continuent à nous parvenir. J’aime à insister sur mon souhait de ne jamais entrer dans une polémique, aussi stérile qu’ennuyeuse, sur l’existence ou non de ces saints toujours populaires, mais j’insiste de même sur l’intérêt évident qu’il y a à rassembler un maximum d’informations sur l’hagiographie populaire de ces saints.

Monsieur Dumont,  de Clavier, a repris la plume pour nous dire que « c’est avec beaucoup d’intérêt qu’il a lu les informations publiées à propos de saint Loup. » Il ajoute que si l’existence de plusieurs saints répondant au nom de Loup est attestée, il ne voit en cela qu’une confirmation de son interprétation première, à savoir que si ces personnages (des VIe et VIIe  siècles pour la plupart, donc à une époque où la langue et la religion celtiques étaient profondément ancrée dans la population) ont choisi de s’appeler « Loup », c’est pour jouer sur une prononciation identique à celle qui permettait d’invoquer le grand dieu celte Lug. Pour apporter un poids supplémentaire à ses propos, Monsieur Dumont, insiste sur un fait bien connu de notre passé :

« De même, l’Eglise substitua-t-elle les fêtes religieuses aux fêtes païennes ; sacralisa-t-elle les anciens lieux sacrés comme les sources et les pierres ; construisit-elle ses premiers sanctuaires sur des lieux de cultes anciens après avoir brisé les idoles. Remarquons tout de même que certaines pierres, au lieu d’être sacralisées, ont été diabolisées, je pense ici à ce dolmen de Wéris appelé Lit du Diable ».

Je sais déjà que toute cette démonstration ne suffira pas à convaincre tout le monde, mais je sais de même que là n’est point le vœu de mon correspondant.

Monsieur Jos. René Vanderheyden-Grillet, de Grimbergen mais en seconde résidence à Somme-Leuze, s’est également penché sur ce sujet.

« Du Dictionnaire pour choisir un prénom (Ed. du Livre d’or, 1978), j’extrais les renseignements suivants : Loup,  symbole : la mandragore.

Nom expressif d’après l’animal, signifie « homme farouche », usité au Ve siècle, ainsi que Leu qui était une forme régionale. On emploie plus souvent la forme composée Jean-Loup.

Saints patrons : Trois « saint-Loup » ou « leu » illustrant ce prénom dont

  • un évêque de Troyes, otage du terrible Attila, libéré contre la « rançon de ses prières », mort en 429, il est fêté le 29 juillet.
  • un évêque de Sens qui reçut, alors qu’il disait la messe, une pierre précieuse tombée du ciel. Il est fêté le 1er septembre et est invoqué contre l’épilepsie.
  • un évêque de Bayeux, au Ve siècle, qui fit disparaître un loup féroce en lui tendant son manteau. Il est fêté le 25 octobre.

Variantes :

Leud : de l’hébreu, signifiant Grand, nom du fils de Lem.

Leu – Loupien (fêté le 17 février)

Wolf : de l’allemand (fêté le 21 octobre). »

Prochainement, nous suivrons M. Vanderheyden-Grillet, dans sa recherche dans un dictionnaire néerlandais ; passionnant !

Cette investigation dans les dictionnaires des prénoms me permet de revenir sur un intéressant courrier de Monsieur Jacques Bastin, de Heyd,  qui éclairera certainement de nombreux lecteurs :

« Ayant eu un ami d’enfance prénommé « Louis » et que sa mère appelait toujours « Loulou », j’ai longuement cru que « Loup » (prénom que je n’avais jamais vu orthographié) n’était pas un vrai prénom mais simplement le diminutif de Louis. Je suis  donc ainsi resté dans l’erreur jusqu’au jour où j’ai enfin vu le prénom « Jean-Loup », lequel reste d’ailleurs pratiquement la seule et rare façon française de voir employer « Loup » en tant que prénom.

Dans ma vie professionnelle, j’ai eu l’occasion de rencontrer un homme qui portait le prénom de « Loupvenant ». Ne comprenant absolument rien à ce prénom, je lui ai demandé des éclaircissements à son sujet ; il m’a alors confié que ce prénom était également celui de son grand-père paternel, en fait son parrain. Le plus extraordinaire est encore que cet homme s’appelait Dubois ; cela donnait l’ensemble  très officiel, extrêmement curieux et insolite de sergent « Loupvenant Dubois ». C’est incroyable mais absolument authentique. »

Voici comment un patronyme nous mène réellement aux frontières de l’insolite ; n’est-ce pas, tout compte fait, normal dans La Petite gazette de l’anecdote et de l’insolite ?

Un grand merci à vous tous qui alimentez cette rubrique…

La Petite Gazette du 19 janvier 2000

SAINT LOUP, UN SAINT DONT IL Y A TANT A DIRE…

Nous avions suivi M. Jos. René Vanderheyden-Grillet, de Grimbergen, dans la recherche qu’il avait menée dans les dictionnaires des prénoms ; nous le retrouvons, aujourd’hui, avec les renseignements puisés dans l’ouvrage néerlandais « De mooiste voornaam  kiezen ».

« Wolbert      : avec diminutif Wolbrecht, signifie Loup magnifique.

Wolf           : avec diminutif Wulf, signifie Loup.

Wolfbrand  : avec diminutif Wolbrand, signifie Loup brillant et magnifique.

Wolfgang   : sans diminutif, est surtout utilisé en Allemagne. Il signifie la voie         du loup ou encore sur le chemin de la guerre.

Wolfram    : sans diminutif qui signifie Loup et corbeau (wolfen en anaf) »

Merci beaucoup à mon correspondant pour ses précieuses précisions.

La Petite Gazette du 9 février 2000

TOUJOURS SAINT LOUP

Est-ce réellement une surprise que la première photographie d’une représentation de saint Loup me soit envoyée par un fidèle d’entre les fidèles, à savoir Monsieur Max-Léon Jadoul, d’Arlon.

saint-loup

 

 

« J’ai découvert, m’écrit mon correspondant, cette très belle statue dans la chapelle du château de Lamotte en Gée, propriété privée et cadenassée. Son accès est un peu malaisé : elle se trouve à l’intérieur de la chapelle, dans une loge au-dessus de la porte d’entrée, à une certaine hauteur. Il a fallu le secours du télé-objectif pour distinguer les détails fort intéressants. Il est certain que, pour des connaisseurs, l’interprétation de ces détails permettrait une connaissance plus approfondie de notre fameux saint condruzien. En tout cas, il semble terrasser un loup calmé. Pour rappel, une vénération ancienne de saint Loup concernait la boulimie des enfants, mais aussi l’horrible « lupus », affection cutanée, de nature tuberculeuse,  attaquant surtout le visage. Ablutions à l’eau de la source située jadis dans le fond du parc dont l’édicule a été détruit. (source : G. Pire, Tihange, racines et identités.) »

Merci pour tous ces détails et surtout pour cette photographie. Grâce à M. Jadoul, nous aurons l’occasion d’en découvrir d’autres dans les éditions à venir.

La Petite Gazette du 1er mars 2000

LES SAINTS DU CONDROZ… REVOICI SAINT LOUP

Il y avait longtemps que j’attendais une communication de Monsieur Maurice Fanon, de Bomal à ce propos, car j’avais du mal à imaginer que son extraordinaire documentation ne recelait rien à ce propos. Ma patience vient d’être récompensée et j’en remercie mon correspondant.

« J’ai été très intéressé par les propos de M. Jadoul et la photographie qui les accompagnait ; le rappel de la vénération ancienne concernant l’horrible lupus, affection cutanée de nature tuberculeuse attaquant surtout le visage m’a également passionné.

Ce détail me rappelle le « loup », lésion copiant par sa forme la morsure du loup, mais aussi les « loups » qui identifient les ulcères aux jambes (lat. ulcus ceris) et également les « loupes » synonymes de kystes.

J’aime aussi à rappeler le poète satirique Mathurin Régnier (1573 – 1613), aventureux, imitateur de la satire antique, au style imaginé, licencieux et parfois cruel pour ses « amis ( !) – ennemis » ; à preuve, ce quatrain :

« Si des maux qui vous font la guerre

Vous voulez guérir désormais,

Il faut aller en Angleterre

Où les loups ne viennent jamais. »

Monsieur Fanon signale, en outre, que l’auteur de ce quatrain souffrait d’une affection évoquée ci-dessus.

Les loups d’Angleterre y étaient donc particulièrement rares, déjà au XVIe siècle ! N’est-ce pas une question à creuser ?

Quid ita ? de la raréfaction précoce du carnassier ? Un début de documentation nous vient d’un certain La Rouvraye dans l’hebdomadaire « Le Patriote Illustré » de 1903 (page 260). Il confirme par les proverbes : « Ceux de l’Angleterre abondent en renards, en chiens et en chats. Les loups, dont les Anglais ont depuis longtemps débarrassé leurs îles, sont encore nombreux en France aussi ils reviennent souvent dans les proverbes français. » Les Anglais ont-ils mieux « travaillé » que les luparii de Charlemagne, les louvetiers de l’ancien régime ou les grands veneurs de l’empire ?

Est-ce l’insularité seule qui explique… ou la méthode d’éradication ? Un lecteur averti pourrait-il nous éclairer ? »

J’espère, de tout cœur, recevoir des réponses ou des éléments de réponse à cette question, mais aussi des informations complémentaires sur les affections évoquées par mon correspondant et faisant référence au loup. Je compte sur vous.

La Petite Gazette du 15 mars 2000

LES SAINTS DE CHEZ NOUS : SAINT LOUP ET TOUS LES AUTRES

Madame Bouvy, de Grand-Halleux, collectionne les statuettes religieuses et elle les connaît fort bien. Dans « La fleur des saints », elle a puisé les renseignements suivants sur Saint Loup.

« Saint Loup est né près d’Orléans (Loiret) et mort en 623. Il est fêté le 1er septembre comme saint Gilles. Saint Loup au feu de Sens est invoqué contre la peur, le mal caduc et les maux d’entrailles. Ses biographes le montrent humble, amateur de musique et surtout intrépide. »

« Je viens vous donner, m’écrit Monsieur Duchêne, de Strée, quelques détails supplémentaires suite à votre article intéressant sur les saints de chez nous. St Jean, aumônier de l’empereur Wenceslas (1330 – 1383) auquel il refusa de révéler la confession de l’impératrice, fut noyé par ordre de ce prince. On le fête le 16 mai. Il y a quelques années, lors d’un voyage en Autriche, j’ai eu la surprise, en rentrant à l’hôtel (j’en ai oublié le nom, c’était en dehors de Vienne), de trouver la même statue que celle qui existe dans le parc du château à Strée. Pendant mes études, il y a 60 ans, on parlait déjà de lui dans notre livre de religion. »

Petit à petit, grâce à vos témoignages à toutes et à tous, nous en apprenons toujours davantage sur ces saints et ces saintes invoqués dans nos régions ; continuez, c’est réellement passionnant.

La Petite Gazette du 7 juin 2000

QUAND IL EST A NOUVEAU QUESTION DE SAINT LOUP

« La question de Saint-Loup m’intrigue, m’écrit un lecteur averti de Clerheid Erezée. Je viens de pointer au hasard sur mes cartes provinciales les nombreux « Trou du loup » et autres toponymes en rapport apparent avec « Loup » , tels que « Louveigné ».

Mais « Loup » se dit aussi « Leu » ce qui m’amène à « Leuven » et je note ensuite les toponymes tels que « Wolverten ».

Ensuite, il y a la grande borne dite « Pierre des leus » entre Vervoz et Bende, sur l’important axe routier menant vers Cologne. Cette pierre se trouve à l’emplacement d’une borne qui ne serait pas une borne « milliaire », mais une borne « leugaire » étant donné qu’à une certaine époque le mille romain a été remplacé par la leuga gauloise. »

Mon correspondant renvoie ensuite le passionné à un article de M. Florent Ulrix, Arbres-bornes et routes romaines, paru dans le Bulletin du Centre Interdisciplinaire de recherches Aériennes, n°22, 1999 dont le contenu est riche d’enseignements.

Ce n’est pas une légende, dans les campagnes, certains profitent de la nuit pour déplacer les bornes cadastrales et aider ainsi à l’agrandissement de leurs champs ! Cette pratique n’est pas neuve, les Romains, pour la contrecarrer, ont planté des arbres à la place des bornes, le long des routes par exemple. En changeant l’essence des bois plantés, on donnait la possibilité aux voyageurs de mieux estimer les distances parcourues : après trois hêtres, ils plantaient un chêne pour marquer le quatrième mille. Quand ces arbres-bornes étaient trop vieux, ils étaient remplacés par de plus jeunes, mais de même variété. Il y en aurait encore dans nos campagnes!

La toponymie a conservé la trace de la présence de ces arbres. En Wallonie, l’auteur cite notamment « Chêneau, Chenois, Chenoy, Queniau, Quenoy, Quesnoy » descendants directs du latin « quercus » (chêne), mais encore « Rouvreux, Rouvroy » du latin « quercus robur ». Le chercheur poursuit son passionnant raisonnement en se penchant sur la présence des hêtres (en latin « fagus »), qui laissèrent les nombreux « Fays » et  leurs composés ; au départ du wallon « hes », il relève ensuite « La hestre, Hestreux… ». L’auteur conclut en se basant sur l’anthroponymie (étude des noms de famille) et signale les très nombreux « Duchêne, Dufays, Defays, Delhez, Vanhees… »

    Voilà là une fabuleuse mine à explorer. Merci à mon correspondant de Clerheid d’en avoir poussé la porte.