LES CARRIERS FIRENT NOS VILLAGES EN CREUSANT LES CARRIERES

La Petite Gazette du 17 décembre 2003

QUAND LES CARRIERS FETAIENT LA SAINTE-BARBE…

   C’est M. Pierre Willems, d’Outrelouxhe, qui me permet de parler des carriers et j’en suis tout à fait ravi… Mon correspondant sait bien de quoi il parle puisqu’il se présente lui-même comme un vieux carrier avec « cinquante ans de carrière en carrières ». Suivons-le parmi ses souvenirs :

« Autrefois, la Sainte-Barbe se fêtait autrement qu’aujourd’hui. Le 3 décembre, veille de la fête, avant midi, le maître artificier faisait forer des trous de pétard dans les gros blocs de pierre.  On les bourrait à la poudre noire et de la poussière, puis on les reliait à un cordon de mèche. Vers 14h30, on arrêtait le travail et l’artificier allumait la mèche du cordeau détonant pour faire sauter les blocs dans un bruit assourdissant. Heureusement, les villageois étaient prévenus.  010

 

 

 

 

Pierre Willems, épinceur-appareilleur

    Ensuite, les ouvriers, le contremaître et, souvent, le patron se réunissaient au réfectoire pour boire les bouteilles de pékèt, surtout, mais aussi de la bière. On racontait des blagues et certains poussaient la chansonnette. Le soir tombait vers 17 heures et chacun rentrait alors chez soi, comme il le pouvait ! Ainsi, je suis déjà revenu, à vélo, de Limont-Tavier à Ouffet, même par temps de pluie ou de neige.

Aux carrières Depauw d’Ouffet, les patrons offraient un souper aux ouvriers accompagnés de leur épouse, du moins ceux qui étaient mariés.

Le lendemain, 4 décembre, une messe était célébrée en l’église. Les croyants, ou ceux qui faisaient semblant pour être bien vus des patrons catholiques, ou du moins les épouses y assistaient. Les autres ouvriers étaient déjà dans les cafés en train de boire, en attendant que les autres sortent de l’église pour venir les retrouver. C’étaient alors des beuveries jusque tard dans l’après-midi…

On ne mangeait guère, vu que, suivant le dicton de chez nous, « Où le brasseur passe, le boulanger n’a que faire ! »

Aujourd’hui, à cause des voitures et des contrôles d’alcool-test, il devient impossible de s’amuser comme autrefois. Ce jour de congé est payé comme un jour férié et les ouvriers boivent un coup chez eux en regardant la télé ! On appelle cela le progrès… à chacun son jugement. »

La Petite Gazette du 30 décembre 2003

LES CARRIERS FIRENT NOS VILLAGES EN CREUSANT NOS CARRIÈRES…

   Bien des villages de l’Ourthe-Amblève et du Condroz n’existeraient pas si, dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, l’exploitation de la pierre n’avait pas connu un essor extraordinaire. Ils sont nombreux nos grands-pères qui ont travaillé péniblement pour arracher ces pierres qui donnent tant de charme à nos villages. Et si nous profitions de 2004 pour leur rendre un hommage. Envoyez-moi vos photos de carriers au travail et parlez-moi de leur dextérité, mais aussi de leurs conditions de travail, de leurs coutumes… Comme Mme Biet, d’Awan-Aywaille, permettez à toutes et à tous de découvrir les réalités de ce métier.

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La Petite Gazette du 7 janvier 2004

LES CARRIERS D’OURTHE-AMBLÈVE ET LA SAINTE-BARBE

   Madame Renée Louise Califice, de Sprimont, se fait l’écho de l’amertume de M. Willems.

   « Il y a quelques années, les carriers ont offert à l’église de Sprimont, une très belle statue à l’effigie de sainte Barbe. Cette statue a été placée devant l’entrée de l’église entourée de pierres du pays.

Chaque année, la chorale Sainte-Cécile s’évertue, le 4 décembre, à chanter durant la messe célébrant la fête en l’honneur de cette sainte patronne des carriers. Il est triste de constater que seule une dizaine de personnes assistent à l’office. Où sont passés les carriers de Sprimont ? Les chanteurs de cette chorale se posent la question… »

J’imagine qu’ils auront à cœur de vous répondre car, par les temps qui courent et il faut le regretter amèrement, les carriers font plus souvent l’objet de récriminations que de regrets…

La Petite Gazette du 4 février 2004

LES CARRIERS FIRENT NOS VILLAGES EN CREUSANT NOS CARRIERES…

Monsieur Jacques Stoquart me transmet cette intéressante carte postale, postée à Andenne, le 26 janvier 1909, et arrivée – sans timbre Prior – le lendemain à Melreux.

012      Mon correspondant revient sur la parution, le 2 janvier dernier, de la photo prêtée par Mme Biet : « un des ouvriers carriers figurant sur cette photo a été identifié comme étant Alphonse Simon. Or la carte que je vous présente a été signée d’un certain Aug(uste) Simon et adressée au maître de carrières Emile Oger, de Hotton-Melreux.

013   Le salut qui termine la brève missive est, pense mon correspondant, révélateur de l’appartenance maçonnique du signataire : « Salut et fraternité ».

Auguste était-il parent d’Alphonse ? Quelqu’un se souvient-il avoir entendu parler d’Aug(uste) Simon  ou/et d’Emile Oger ? Les lecteurs répondront peut-être. » Oui, certainement s’ils peuvent vous éclairer.

Mme Léona Biet, d’Awan-Aywaille, m’a précisément apporté des précisions sur son beau-père, Alphonse Simon :

« Il fallait alors être très courageux pour exercer le métier de carrier. Il était, je crois ne pas me tromper, « rocteur ». Il partait d’Awan le matin, pour rejoindre Hagonheid,  et le soir, bien sûr, il faisait le chemin inverse, toujours à pied. Il accomplissait un travail très périlleux ; on le laissait descendre, retenu par une corde qui lui entourait la taille et qui le maintenait contre le rocher. Il cherchait alors une légère aspérité dans la roche pour y appuyer les pieds et se maintenir debout. Puis, à l’aide d’un fer à mine et d’un marteau, il creusait un trous très profond dans la roche. Là, on introduisait la poudre explosive pour faire sauter le rocher. Cette poudre était reliée à une longue mèche qu’on allumait en temps utile. Celui qui y mettait le feu devait courir vite pour se mettre à l’abri. A l’aide d’un cor très puissant, tous les alentours étaient prévenus du danger. Quelques minutes plus tard, c’était la déflagration et les blocs de pierre volaient en l’air, accompagnés d’un énorme nuage de poussière. C’était alors du travail pour un bon bout de temps pour les carriers. »

Merci pour ce témoignage. Vous aussi, venez rendre hommage à ces travailleurs de la pierre, confiez-moi vos photos et vos souvenirs. D’avance, un immense merci.

DE NOMBREUX CARRIERS ONT PERDU LA VIE AU TRAVAIL…

Monsieur Albert Etienne, de Sprimont, aime à se souvenir que, le 26 mai 1954, à Florzé, la carrière tua neuf ouvriers. Cette année, il y aura donc cinquante ans déjà que se drame endeuilla les familles ouvrières de chez nous.

014   Mon correspondant s’est engagé dans un projet d’érection d’un élément commémoratif sur les lieux même du drame et, pour cela, il a besoin de votre aide : pourrez-vous l’aider à établir la liste des rescapés de l’accident et toujours en vie aujourd’hui, ainsi que la liste des veuves et enfants des neuf victimes directes de l’accident.
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Merci de penser que tout document d’époque serait très intéressant et de nous permettre de le consulter. Je compte sur vous pour permettre l’aboutissement de ce projet  et vous remercie, d’ores et déjà, de votre précieuse collaboration.

La Petite Gazette du 18 février 2004

LES CARRIERS FIRENT NOS VILLAGES EN CREUSANT NOS CARRIERES…

Monsieur Jacques Bastin, de Heyd, évoque pour nous la vie des carriers d’Ouffet.

« Mon grand-père paternel, prénommé Victor, est né à Ouffet en 1866, il y est décédé en 1950. Il exerça le métier de tailleur de pierre et son habileté fit qu’il fut très apprécié. Ouffet vit nombre de ses habitants montrer un réel talent dans l’art de sculpter la pierre. Rappelons les Jeannette, Sprumont, Baulieu… il en est d’autres, mais ils ont quitté ma mémoire.

Après la Grande Guerre, mon grand-père, en compagnie d’autres ouvriers du lieu, participa activement à la réalisation du monument aux morts qui devait s’ériger sur la place du village. Il sculpta les bottines du sujet principal, un soldat casqué dressant un étendard. Chaque fois que je lui disais que j’étais passé près du monument en question, il me demandait, pour me taquiner, si les chaussures qu’ils avaient réalisées ne méritaient pas une réparation.

Mon grand-père, reconnu comme sage par ses compagnons de misère et étant un peu plus instruit qu’eux, fut pressenti pour s’occuper, en leur nom et tout à fait bénévolement, des discussions avec la direction de la carrière et de la paperasserie administrative requise. En fait, à l’heure où les premières organisations ouvrières se développaient (le Parti Ouvrier Belge avait été fondé en 1885 et les premières associations mutuelles commençaient à fonctionner), il fut un genre de syndicaliste avant l’heure. »

Nous retrouverons Victor la semaine prochaine et, avec lui et au travers des souvenirs qu’en a gardés son petit-fils, nous vivrons un peu la vie des carriers de la fin du XIXe siècle en nos régions.

016Photo extraite de : René HENRY, L’Almanach de notre Terroir, éditions Dricot, Liège, 1999

La Petite Gazette du 25 février 2004

LES CARRIERS FIRENT NOS VILLAGES EN CREUSANT NOS CARRIERES…

Monsieur Jacques Bastin, de Heyd, évoquent pour nous la vie des carriers d’Ouffet grâce aux souvenirs qu’il a conservés de son grand-père Victor, tailleur et sculpteur de pierre.

« Il n’y avait alors ni dimanche, ni congé, ni relâche dans le travail ; exception faite toutefois pour la fête du village qui était l’événement marquant de l’année. Les ouvriers se voyaient alors accorder le samedi, le dimanche et le lundi pour prendre pleinement part aux réjouissances.

Ces hommes prestaient nettement plus de douze par jour, dans des conditions de confort et de sécurité pratiquement nulles et, rappelons-le, sans loi sociale. Ils partaient au point du jour et rentraient souvent à la nuit tombée pour des salaires de famine. Notons cependant qu’on ne pointait pas et que tout se faisait bien calmement. Un moment particulier de la journée contribuait largement à resserrer les liens entre ces ouvriers solidaires, c’était, le matin, quand le travail s’interrompait une heure durant pour pouvoir se parler, fumer, boire une petite goutte ou, le cas échéant, manger un bout.

Le règlement sur la « sécurité du travail » n’existant point du tout, mon grand-père devait, été comme hiver, tailler ses pierres, par tous les temps, à l’extérieur, sous un frêle abri fait d’un cadre de bois couvert de paille tressée. En hiver, il devait se mettre plusieurs épaisseurs sur le dos pour, dans de telles inhumaines conditions travailler un rien artificiellement au chaud. 017

 Photo extraite de : René HENRY, L’Almanach de notre Terroir, éditions Dricot, Liège, 1999

Mon grand-père ayant immédiatement cotisé, dès qu’on le sollicita, pour sa pension de vieillesse, il l’obtint en 1931, soit à l’âge de 65 ans. Elle n’était certes pas terriblement élevée, mais c’était toutefois un indéniable premier pas en avant pour la classe ouvrière. La vie de pensionné l’ayant, du jour au lendemain, assez désorienté, mon grand-père s’en retourna, après quelques jours de repos seulement, travailler comme il l’avait toujours fait. Bien vite, les Autorités de l’Etat ne trouvèrent rien de mieux que de suspendre le versement de la pension due. Mon père écrivit alors une lettre pas piquée des vers au Ministre concerné et, peu de temps, après mon grand-père retrouvait sa pension et les arriérés qui lui venaient de plein droit. »

Mon correspondant conclut son récit en souhaitant que bien d’autres lecteurs confieront les souvenirs de carriers, patrimoine régional, à la Petite Gazette. J’espère, bien entendu, que cet appel sera suivi.

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