SUR LES ROUTES DE L’EXODE EN MAI 1940

La Petite Gazette du 15 juin 2011

MON EXODE…

Madame Léa Dorys, de Clavier, est aujourd’hui octogénaire, mais elle a gardé un souvenir précis des événements qui, alors qu’elle n’était qu’une enfant, marquèrent à jamais sa mémoire. Elle a eu l’excellente idée de coucher ses souvenirs sur papier et, surtout, de les transmettre à La Petite Gazette. Alors que les témoins directs de cette époque disparaissent les uns après les autres, il est vraiment important de conserver précieusement ces témoignages émanant des petites gens qui subirent ces terribles années de guerre.

Nous suivrons donc Mme Léa Dorys durant ces premières semaines d’été au gré d’un voyage chaotique qui la mena bien loin de Clavier…

« Cette histoire que je vais vous raconter est un épisode de ma vie qui a changé mon entrée dans l’adolescence.

Avril 1939 ! Je prépare ma communion solennelle.

De bon matin, mes parents me conduisent à Liège afin d’y effectuer des achats en vue de cette fête. Dans le magasin où j’essaie une belle robe blanche de première communiante, la radio ou plutôt la T.S.F., la R.T.B.F. de l’époque, diffuse un discours hurlant d’Adolf Hitler, Führer du IIIe Reich. Mes parents et les vendeuses frémissent en entendant cette voix remplie de haine. Que prépara-t-il  pour l’Europe ? Rien de bon, quel noir présage…

L’été se passe comme à la campagne entre la fenaison et la moisson. Il y a les grandes vacances puis septembre 1939. Hitler envahit la Pologne, la Tchécoslovaquie, l’Autriche est déjà annexée. Branle-bas de combat dans les états alliés. Mobilisation, on rappelle les soldats.

Quel émoi dans les familles, les visages se crispent, les cœurs se serrent au départ des fils, des époux, des pères. On ne sait que penser. L’hiver approche, des cantonnements de soldats s’établissent dans les villages. On creuse des tranchées, on place des barrières antichars. Degrelle, un pro-allemand, fait des meetings, il essaie de faire croire à l’Ordre Nouveau de Hitler.

L’hiver 39 – 40 fut très dur. Il gelait à pierre fendre et ces pauvres soldats grelottaient.

Vint le printemps, avec ses jonquilles, ses agneaux, ses poussins qui naissaient dans une douceur de vivre inquiétante !

Voici le 10 mai 1940 ! et les semaines qui suivirent.

Vers 5 heures, un magnifique soleil éclairait la terre, quand, dans le ciel, des avions laissaient des traînées blanches. Anormales ces choses, nous n’avions jamais vu cela. Tout à coup, des bruits sourds nous parviennent. A la radio, les infos. Le speaker, d’une voie émue, nous annonce que la Belgique est envahie. Les Allemands ont déjà pris le fort d’Eben-Emael, la gare de Jemelle est bombardée. Les réfugiés des cantons de l’Est sont sur les routes.

Et nous, qu’allons-nous faire ? Partir ou ne pas partir ?

L’après-midi, un dernier train emmène les jeunes hommes vers quelle destination afin d’échapper à la mainmise teutonne. Des mères courent derrière le convoi, font des signes désespérés à ces jeunes garçons qui vont vers l’inconnu. Les reverront-elles un jour ?

La nuit du 10 au 11 mai, nous ne dormons pas car, sur la route, des garnisons de soldats en perdition cherchent vainement un chef qu’ils ne trouvent jamais.

Et le jour se leva sur le deuxième jour de guerre. Mon père prend une décision, lui qui, pendant la guerre de 1914, avait été poursuivi par les soldats allemands, les uhlans, déchaînés sur la population belge. Nous allons partir car la moitié du village est déjà sur les routes de l’exode. Ma mère, convalescente d’une pleurésie, était très songeuse. « Tiendrai-je le coup ?» me disait-elle… mais l’itinéraire de mon père était fait.

Il y avait dans sa famille une tante Maria, religieuse de son état au couvent de Pesches (Couvin). C’est là que nous irions et devinez avec quels moyens ? En bicyclette ! Mon Dieu, si loin… Nous réunissons le peu que nos vélos et nous-mêmes pouvions emporter. » A suivre.

La Petite Gazette du 22 juin 2011

MON EXODE…

La semaine dernière, nous avons fait connaissance avec Mme Léa Dorys, de Clavier, qui préparait sa communion solennelle à la veille de la drôle de guerre et de la mobilisation de 1939. La guerre a éclaté et son papa a décidé de fuir sur les routes. C’est au départ de cet exode que nous retrouvons aujourd’hui :

« Le samedi 11 mai, par un beau soleil printanier, nous prenons le chemin de l’évacuation. Mais Pesches c’est loin et le pont de Dinant est déjà bombardé. Il n’y a plus que le pont d’Yvoir. Dans un vacarme invraisemblable, des éclats d’obus tombent partout, les soldats, les civils sont mêlés dans une peur qui vous prend aux tripes.

Nous logeons chez un boulanger d’Anhée et, le lendemain, nous reprenons la route.

Alors, c’est l’horreur qui nous attend, des réfugiés, ils sortent de partout, à pied, à vélo, en camion, les fermiers avec leurs chariots, leur famille et une partie du cheptel.

Nous croisons l’armée française, uniforme bleu ciel, certains à cheval tirant de gros canons, la gourde de cognac à la ceinture.

C’est à ce moment que nous fîmes la connaissance des avions « stukas » allemands qui plongeaient sur nous, tuant et blessant soldats, civils et animaux. Ce n’était plus de la peur qui était en nous, c’était… la terreur et cela ne faisait que commencer. Les blessés hurlaient, les morts gisaient et les bêtes tuées gonflaient alors que les soldats français montaient au front. Quel front, la 5e colonne fouinait dans les files de soldats et de réfugiés. Il y avait des prêtres,, des moines, des religieuses, étaient-ce des vrais ? Dans quelle tragédie de l’histoire étions-nous devenus les acteurs ?

Nous arrivons à Philippeville sous les bombardements. On nous pousse dans les caves, abandonnant nos chers vélos. Heureusement, après l’alerte, nous les retrouvons. Et puis, c’est Mariembourg, Couvin où nous voyons défiler cette armada d’hommes, de femmes, d’enfants, de bestiaux cherchant un refuge bien précaire.

En fin de journée, nous arrivâmes au couvent de Pesches. Les braves sœurs nous accueillent avec un calme et une gentillesse qui nous réchauffent le cœur. Elles nous donnent le gîte et nous essayions de dormir quand une sirène hurlante nous jette dans les caves. Les religieuses nous invitent à prier en implorant toutes les bénédictions du Ciel. Des enfants pleurent, des malades gémissent, des vieillards se traînent, des hommes jurent. Ce fut ainsi le restant de la nuit.

A l’aube, nous avons droit à un petit déjeuner et puis l’ordre de l’armée française arrive : le couvent est réquisitionné car les Allemands avancent. Ils vont franchir la Meuse et les ponts détruits ne les tracassent pas, ils fabriquent des ponts artificiels. Drôle de guerre, les Français à cheval comme au temps de Napoléon, de l’autre côté, les Allemands super équipés et motorisés… Que faut-il en penser sinon sauver notre peau ?

Nous reprenons notre route. Les herbes des accotements sont encore blanches de gelée car nous sommes en mai, ce sont les saints de glace. Dans une côte, maman, au bord de l’épuisement, ahane sur son vélo. Un soldat français la voit, il prend sa gourde et lui dit : « Buvez un coup de gnôle, ça vous remettra d’aplomb ! » En effet, maman, en avalant une lampée, fut tout estourbie. « Ça me réchauffe et me descend dans les jambes ! » En avant, nous reprenons notre courage à deux mains et nous repartons.

La nuit arrive, nous nous dirigeons vers le monastère de Scourmont où les moines, bien que trappistes, nous alimentent et nous nous reposons dans les annexes. Alors là, la détresse humaine est à son comble. Une personne malade décède, une jeune femme accouche sur un lit de paille, une autre, un bébé de cinq mois dans les bras, a perdu sa famille. On fait une collecte pour lui procurer des langes, des vêtements, de la nourriture. Faut-il que ce soit la guerre pour qu’on s’aime ? Le jour se leva dans une belle pagaille. Nous enfourchons nos bécanes et en route pour une nouvelle page de l’exode.

Il y en avait qui montaient au front en chantant « Venise provençale », les pauvres, ils ne savaient pas ce qui les attendait ; nous, nous descendions. » A suivre…

La Petite Gazette du 29 juin 2011

MON EXODE…

Poursuivons la découverte du récit de Madame Léa Dorys, de Clavier, qui nous raconte, simplement, mais avec justesse et sincérité, le terrible exode qu’elle entreprit, avec ses parents, pour fuir les envahisseurs allemands de 1940. Nous retrouvons la petite famille à la frontière française :

« Vint la frontière française, mais plus de douaniers, plus de contrôle. La douce France nous offrait ses paysages bucoliques sous un beau soleil et sous les mitraillages répétés des avions allemands. Bientôt, l’armée française se retire sous la pression des terribles Germains. Nous battons en retraite avec les chars d’assaut du général De Gaulle. Nous passons par Plomion où nous rencontrons des fermiers de notre village.

Après ce fut la Fère en Tardenois, Laon, Montmirail puis Dormans/Marne. A notre grand étonnement, sur le pont de la Marne, l’armée française sépare les Wallons et les Flamands. La guerre est loin d’être terminée et, déjà, la politique entre en jeu.

Toujours à vélo, nous reprenons la route, Epernay nous voit passer, Aix en Othe, Marigny le Châtel, finalement Tonnerre. Clavier est déjà bien loin…

Là, stop. On nous conduit à la gare, plus de vélos, on nous embarque sur le grand express qui va vers la Méditerranée. Hélas, à Dijon, tout le monde descend sur les quais. Ca va mal dans le Nord, le train doit remonter pour charger les blessés de la bataille qui continue là-haut.

De Dijon, on nous expédie à Nevers où nous retrouvons des habitants de Clavier, désignés eux pour Toulouse.

Saint-Etienne nous voit arriver à 22 heures sans manger ni boire. On nous place dans une salle de la gare, obscure, mais il y a des lits et des affiches sur les murs : « Silence, ne parlez pas, on vous écoute ! » Quelle ambiance ! Fourbus et décontenancés, nous dormons quelques heures. A 5 heures, embarquement pour Lyon où nous arrivons en plein bombardement de la gare de Perrache. On court dans les abris dans un va-et-vient indescriptible.

Qu’allons-nous devenir ? Et la journée se passe. Soudain, on nous rassemble dans des vieux cars réquisitionnés je ne sais où, plus brinquebalants que roulants, entassant les personnes et les bagages.

Le jour s’achève sur la vallée du Rhône, le car s’engage dans les chemins étroits, en lacet, pendant des dizaines de kilomètres et c’est Esclassan en Ardèche qui voit arriver des réfugiés sales, fatigués, affamés. On nous restaure tant bien que mal. Du riz à l’ail pour nos pailles nordiques, cela passait difficilement. Heureusement, il y avait le pinard à volonté. Cette piquette transfigurait les visages émaciés de toutes ces gens, des Belges qui parlaient le français. Les indigènes étaient vraiment étonnés de nous entendre parler leur langue.

Nous n’y séjournons que quinze jours, Maman ne supportant pas le Mistral qui souffrait fréquemment et Papa s’ennuyant dans ce bled reculé.

Un beau jour, il s’engagea pour travailler dans l’armée française. Comme la main-d’œuvre belge était renommée, on l’engagea dans une tréfilerie de Domène dans l’Isère, entre Grenoble et Chambéry. » A suivre

La Petite Gazette du 6 juillet 2011

MON EXODE…

Madame Léa Dorys, de Clavier, termine cette semaine le récit de son exode vers la France en 1940. Nous l’avions laissé en Ardèche où son papa s’ennuyait. Engagé par l’armée française, il va aller travailler non loin de Grenoble. Un nouveau voyage se profile…

« Alors une autre épopée commença. Un jour, avec nos pauvres bagages, la bouchère nous descendit avec ses gorets, poulets, canards et autres volatile qu’elle destinait au marché de Valence. Mais Valence, ce n’est pas Grenoble. Avec les quelques francs français que nous avions, nous allons à la gare et embarquons pour Grenoble où nous arrivons le soir. Plus de train pour Domène ! La seule solution qui restait c’était : nous dormirons dans la salle d’attente jusqu’au lendemain matin à 5 heures, heure du premier convoi pour notre destination.

Nous somnolions sur les banquettes de la salle d’attente, Maman dans un tel état de fatigue et de crises d’asthme que je ne sais comment elle a tenu.

Arrivèrent près de nous trois officiers de l’armée française. Un peu interloqués, leurs yeux nous regardèrent. Allait-on nous mettre à la rue ? Ils nous posèrent maintes questions, tout étonnés de voir des réfugiés belges égarés chez eux. Ils nous dirent de ne pas bouger et, quelque temps après, ils nous emmenèrent dans un des plus beaux hôtels de la ville, le « Suisse et Bordeaux ». C’est là que j’ai eu treize ans.

Après un excellent repas, on nous conduisit dans une chambre à coucher digne d’un palace, au quatrième étage. Je pensais «Si les avions viennent bombarder, qu’allons-nous devenir si haut ? » J’ai dormi sur les marches de l’escalier, prête à m’enfuir et mes parents ont dormi sur les carpettes, les lits étant d’une blancheur et d’une propreté exemplaires, nous aurions souillé la literie… Ma mère, bonne ménagère belge, ne voulait pas salir et avoir le nom de « sales gens », vu que des quolibets avaient déjà été lancés « Boches du Nord » en faisant allusion à la félonie de notre Roi…

Le lendemain matin, le train nous emmena à Brignoud près d’où Papa devait travailler. Nous y sommes restés jusqu’au 15 août, dans une cité ouvrière où il y avait déjà des réfugiés de la révolution espagnole, des Italiens fuyant Mussolini, des juifs polonais et yougoslaves fuyant les nazis. Dans cette cité très calme au pied du massif de Belledonne dans l’Isère. Notre séjour débuta avec l’aide de charmants français qui nous aidaient. Nous ne les avons jamais oubliés.

Petite anecdote, Maman ayant perdu sa carte d’identité n’était pas crue par les autorités quand elle affirmait qu’elle était bien la femme de mon père et ma mère. Tous les samedis, elle devait se présenter à la gendarmerie afin de prouver qu’elle était toujours là et pas une espionne. Ouf !

Un beau matin, nous avons reçu des papiers de la Préfecture nous invitant à rejoindre la Belgique. Comment ? Nous étions deux familles belges dans la cité. On réunit les quelques billets que nous avions car, en plus du salaire de mon père, on nous allouait une somme d’argent tous les mois. Avec tout cet argent, ils achetèrent une vieille Peugeot à un garagiste de Grenoble.

Nous avons donc repris la route du retour, cette fois-ci en passant par Bourg dans l’Ain, le Jura. Cette route que nous suivons est bondée de soldats français en déroute et qui se rendent aux Allemands. Je vois les yeux de mes parents se remplir de larmes lorsqu’ils aperçurent les premiers soldats allemands, les « Schleus ! » Une chape de plomb nous tombe sur le dos. On nous arrête, nous questionne, les papiers… et toujours Maman sans carte d’identité qui pose problème !  Enfin, après une fouille en règle, les barrières se lèvent et nous remontons, comme on dit, dans cette France occupée. Les fermiers ont à la moisson et le soleil d’août nous réchauffe de ses rayons. La nourriture est toujours rare et la faim se fait sentir.

Trois jours après notre départ de Grenoble, c’est la Belgique. Quelle joie de retrouver son pays. Les gens vaquaient à leurs travaux et cela sentait si bon le savon vert ! Revoir notre village, notre maison ; comme nous étions heureux.

Un médecin de Grenoble avait remis Maman en forme, l’air de la montagne lui était favorable. Moi je parlais le français avec l’accent que je perdis très vite pour retrouver l’accent liégeois.

P.S. Nos vélos que nous croyions perdus quand nous les avons laissés en gare de Tonnerre, un brave cheminot de la gare de Montpellier, car eux sont allés jusque là-bas, nous les a renvoyés au mois d’octobre. Merci la S.N.C.F. »

Un immense merci à Mme Dorys de nous avoir permis de la suivre dans cette incroyable aventure vécue durant son enfance.

La Petite Gazette du 13 juillet 2011

ET APRES…

Madame Léa Dorys, de Clavier, poursuit l’évocation de ses souvenirs liés à la période s’étendant du Débarquement à l’Offensive …

« Après ces années de guerre, de privations, de peur, nous attendions les libérateurs. Lorsque le soir tombait et qu’au loin nous entendions le ronronnement de ces gros avions qui arrivaient au-dessus de nos têtes, nous retenions notre souffle et cela se prolongeait très tard dans la nuit. Ils revenaient ces petits gars d’un pays qu’on appelait « Germanie », attaqués par la D.C.A. qui ne leur pardonnait rien.

Quand ils bombardaient Cologne, Aix-la-Chapelle, la Ruhr, par temps clair, de notre grenier, on voyait des lueurs rouges, mauves, jaunes ; que se passait-il là-bas ?

Une nuit, un drôle de vrombissement nous tint en éveil. Une grande lueur, si claire à une heure de la nuit. Il s’agissait d’une forteresse volante qui s’écrasait en flammes sur la colline en face de chez nous. Nous pensions que c’était l’apocalypse. Tout le monde était debout, imprudemment, nous allions voir ce grand oiseau et son équipage ou ce qu’il en reste. Il y a des tués, mais, oh joie, certains ont sauté en parachute. Ils sont déjà recueillis par la Résistance et sont sauvés. Il était temps car une armada de « vert de gris » envahit la contrée, chassant tout sur son passage. Dommage car avoir un morceau de parachute pour faire un chemisier était très dangereux, on s’y risquait quand même…

Vint le 6 juin, la B.B.C. « Ici Londres » annonça le débarquement en Normandie. La résistance était survoltée. Maman leur disait ne faites pas de bêtises, ils étaient si jeunes si fougueux.

Juillet août défilèrent au son de radio Londres. On préparait les drapeaux, on écoutait les messages personnels. Début septembre, nous vîmes repasser des hordes de soldats allemands (la tristement célèbre division Das Reich), débraillés, les yeux hagards. C’était la déroute. Nous avions très peur et nous étions terrés dans les caves. Quelle atmosphère ! On n’oublie jamais cela, j’avais 17 ans.

Un beau jour de septembre, nous vîmes débouler de Les Avins, de Modave, à travers les campagnes, des jeeps, des camions, des soldats qui couraient. Ils étaient si jeunes. Pour nous, à 17 ans, qui raffolions des stars américaines, ils étaient des Gary Cooper, Fred Astaire, Clark Gable et autres boys mais, en réalité, ils s’appelaient David, Amos, John, James et nous souriaient de toutes leurs belles dents blanches. Il y avait des Noirs… d’où venaient-ils ceux-là ? A part « La case de l’oncle Tom », notre connaissance de l’histoire américaine était très limitée. Tous voulaient nous parler et nous rendre service.

Il y avait à la maison une petite cousine originaire de Seraing, on l’avait amenée à la campagne car, là-bas, la nourriture se faisait rare et les V1, ces engins de mort, semaient la terreur partout. La figure et les cheveux de la pauvre petite étaient remplis de grosses croûtes noires qu’on appelait impétigo. On se réfugiait dans les remèdes de bonne femme qui aggravait plus qu’ils ne guérissaient. Un « GI » la regarda, lui tâta le visage et dit : « No good ». Il partit et revint avec une poudre blanche avec laquelle il saupoudra les croûtes noires. « Demain, je reviendrai. » Pendant trois ou quatre jours, il est revenu poudrer ma cousine qui sentait, chaque jour, ces affreuses choses tomber. La peau qu’elle retrouvait était rose comme celle d’un bébé. Ce brave « GI », c’était Mr Edouard Carnot, de la Nouvelle Orléans en Louisiane et cette merveilleuse poudre s’appelait « pénicilline ».

Comme récompense, ma mère l’invita à dîner. Du « chicken », des « patatoes », salade de tomates de chez nous. Tout le monde était heureux.

Un matin, ils partirent, on les appelait d’urgence, ils avançaient dans leur conquête.

Il y eut aussi Terry et Dick qui revenaient nous saluer lors de leur passage dans les environs. Un jour, Dick était très triste car il était muté dans le Pacifique où les batailles faisaient rage. Il nous écrivait de là-bas. Un jour, notre lettre lui envoyée revint avec la mention « Disparu dans les Philippines », la lettre venait de Manille. Pauvre Dick, nous étions très tristes.

Les mois passèrent, l’hiver arriva ; il allait être très dur. Le 16 décembre 1944, de terribles nouvelles arrivaient via la radio. Les Allemands reviennent. Ils sont déjà à Celles, à Hotton, à Werbomont. Notre maison est réquisitionnée et une unité de transmission s’installe de haut en bas. Nous dormons dans la cave sur des lits de fortune.

Vint la nuit de Noël. Maman, malgré la situation mit un sapin et une crèche. Il n’y avait rien dessous mais Marie et Joseph veillaient sur l’enfant Jésus avec une sérénité qui nous incitait à prier.

Quand minuit sonna, ces braves GI’s entonnèrent des chants de Noël. Ils nous invitèrent à partager leurs agapes. A notre grande surprise, sur le pauvre sapin, dégarni qu’il était avant, étaient suspendus les colis de Noël qu’ils avaient reçus des U.S.A. nous pleurions et priions tous. C’est le plus beau Noël de ma vie, dans la peur, la faim et le froid… Dehors, il faisait glacial.

Ces GI’s partirent se battre à Bastogne… Aucun n’est revenu ! »

La Petite Gazette du 3 août 2011

ENCORE DES SOUVENIRS D’EVACUATION EN 1940

Le récit de Mme Dorys, ainsi que je l’imaginais bien, vous a beaucoup plu et a ravivé des souvenirs chez plusieurs d’entre vous. Dans notre prochaine édition, nous débuterons un récit très détaillé et rempli d’anecdotes écrit par Madame Marthe Nandrin – Van der Goten et transmis par son fils ; mais, avant cela, je vous propose de découvrir les souvenirs de Madame Denise David-Lacasse, de Harre.

« A l’époque, nous habitions à Dinant, mon père, qui était cheminot, avait dû rejoindre son poste car il était responsable de la bonne marche de la ligne de Namur jusqu’à la frontière française ; il nous avait quittés pour des raisons que je ne comprenais pas.

Nous sommes partis, à notre tour, vers la France à cinq : maman, 36 ans, trois enfants, moi, 8 ans, mon frère L., 3 ans, et mon autre frère M., 3 mois (il est né le 22 février 1940) et ma grand-mère, 80 ans.

Maman poussait la voiture d’enfant, mon frère de 3 ans pouvait s’asseoir sur le rebord de la voiture, qui était en bois, ma grand-mère et moi, nous marchions.

Il y avait beaucoup de monde sur la route qui, comme nous, partait en direction de la France. Tout le long du trajet, ce n’était que désolation, des soldats couchés dans les fossés, blessés ou tués, soldats français ayant combattu et, au-dessus de nos têtes, le ballet interminable des avions, des tirs réguliers. C’était vraiment une vision apocalyptique !

Dans cette situation, l’entraide était importante. Nous étions fatigués et nous avions faim ; quand on passait dans un village, les hommes cherchaient à manger pour donner aux familles. Quant à maman, qui nourrissait le bébé, elle avait besoin de boire beaucoup de lait, mais il y avait toujours quelqu’un pour aller traire une vache !

Nous dormions à la belle étoile ou dans un poulailler, ou dans une grange, sur la paille. Nous sommes allés ainsi jusqu’à Avesnes. Je ne saurais pas vous dire combien de jours nous avons marché… puis, un beau jour le bruit court que nous pouvons rentrer : bis repetita !

Bien des années ont passé, mais, croyez bien que, comme Madame Dorys, j’ai gardé un souvenir très précis de cet événement malgré mon jeune âge ; j’en suis encore tout émue en vous le racontant.

Ce sont des images bien fragmentaires qu’une petite fille de 8 ans ne pouvait pas comprendre mais qui ont assombri ma jeunesse. »

La Petite Gazette du 17 août 2011

L’HISTOIRE DE VOS EXODES EN MAI 1940

Je m’en doutais, l’évocation par Madame Dorys de son exode en mai 1940 a ravivé bien des souvenirs parmi les lecteurs et, après les souvenirs de Madame Denis David-Lacasse, de Harre proposés dans notre dernière édition, je propose de découvrir le premier épisode de récit de l’exode de Madame Marthe Nandrin – Van der Goten qui, avec sa famille, a fui devant l’offensive des armées allemande en 1940. C’est son fils, Monsieur Henri Nandrin, qui m’a transmis ce récit :

02 Le 9 avril 1940, mariage de : Marthe Van der Goten, surnommée « Mamath »

et de Henri Nandrin, surnommé « Ric »

 

 

« Je me suis mariée en avril 1940 avec Ric, le fils du bourgmestre d’Esneux, Joseph Nandrin. Notre nouvelle vie démarrait difficilement car, après les dix jours de permission pour son mariage, mon mari dut rentrer à son cantonnement. Aussi, je reste seule dans notre appartement de la rue de Bruxelles à Esneux. Nous approchons de la Pentecôte et je n’arrive pas à trouver le sommeil tellement, dehors, il y a un va-et-vient continuel. Je suis allée plusieurs fois sur le balcon voir ce qui se passe. L’hôtel, juste à côté de chez moi, héberge les officiers du régiment cantonné à Esneux et cela s’appelle, les voitures démarrent, reviennent. Un officier, que j’interpelle, me rassure:

– «Allez dormir Madame, ce n’est qu’une alerte…».

Mais le jour de ce vendredi 10 mai 1940 commence à peine à poindre que le téléphone sonne. Les Allemands sont entrés en Belgique et l’officier commandant Esneux a reçu l’ordre de défendre le village puis de tout faire sauter. On me prévient donc de me préparer car il avait été prévu que, en cas de guerre, la famille irait se réfugier dans une villa louée au Coq à la côte belge.

04

 Les parents et beaux-parents de la narratrice devant l’église de Tilff

                      A l’avant plan : Henri Guillaume Van der Goten : Le Papa                                                 Henriette Nandrin : La Belle-Mère et, à l’arrière plan : Joseph Nandrin : Le Beau-Père, Marthe Van der Goten : La Maman

(Pour expliquer cette fuite éperdue, il faut savoir que les gens de la génération de mes parents avaient connu la guerre 14-18 et ses atrocités. Beaucoup d’horreurs s’étaient passées à cette époque).

Je monte un étage plus haut prévenir les propriétaires de mon appartement. Ils sont là, tous les deux dans leur lit, porte ouverte, afin de ne rien manquer des brouhahas.

– « C’est-ti Dieu possip… La guerre… oie… oie… »

Dans toutes les habitations, les radios sont ouvertes pour écouter les communications gouvernementales, le speaker  Théo Fleishman annonçait tout cela d’une voix sépulcrale. Tous les habitants d’Esneux sont sur pied, même les plus endormis, car les avions ennemis se chargent de les réveiller, ils piquent sans cesse avec un sifflement strident sur l’un ou l’autre point qui pourrait être occupé par l’armée, toutes les batteries de D.C.A tirent sans arrêt.

Et la famille se rassemble pour fuir ensemble. Toutes les voitures sont remplies. Nous les jeunes devions nous accroupir quelque part.

Je me souviens d’un arrêt sur la place de Nandrin où tout le monde est dehors, nez en l’air, pour regarder les tirs dirigés vers les avions ennemis.

Nous voici arrivant en vue de Bruxelles. Depuis un certain temps, j’observe une épaisse fumée noire qui obscurcit là-bas le ciel. Je suis inquiète car cette fumée est dans la direction de la maison de mes parents. L’usine près de chez eux a en effet été bombardée et elle n’avait pas tardé à brûler. Mes parents et mes frères et sœurs s’étaient réfugiés à Waterloo chez ma soeur aînée et je les y ai rejoints.

05

 

 

 

 

 

 

 

 

Les parents de la narratrice devant l’usine qui fut bombardée

 

Le temps était au beau fixe, on se serait presque cru en vacances si ce n’est que l’on voyait défiler des files de réfugiés, en voiture, en charrette et même à pied. Ils fuyaient Louvain qui avait été bombardé. Nous les regardons passer, mais, sans les avoir vu ni entendu arriver, trois avions allemands passent à ras des arbres et l’on distingue alors nettement qu’ils laissent tomber un chapelet de bombes sur une ferme située à 200 mètres.

Nous n’osons pas rester à Waterloo avec ces bombes car c’est une route importante, et nous allons alors chez l’aîné de mes frères, Manu, qui est vicaire à Saint-Josse à Bruxelles. Il a une grande maison pour nous accueillir… » (A suivre)

La Petite Gazette du 24 août 2011

L’HISTOIRE DE VOS EXODES EN MAI 1940

Nous retrouvons maintenant le deuxième épisode du récit de l’exode de Madame Marthe Nandrin – Van der Goten qui, avec sa famille, a fui devant l’offensive des armées allemande en 1940. Je vous rappelle que c’est son fils, Monsieur Henri Nandrin, qui m’a transmis ce récit :

« Mais les appels à la radio continuent :

  • «Tous les jeunes hommes en âge d’être rappelés sous les armes doivent quitter la Belgique vers la France ».

image 06 L’auto qui servit à la première partie de la fuite jusque Bruxelles

Donc Manu doit partir aussi. Pour corser la chose, voilà encore un avion en rase-mottes qui vient inspecter la cour de l’école juste derrière sa maison. Où serons-nous en sûreté? Et si on partait avec lui? Nous voici à la gare du Nord. Il y a foule. On y rencontre un autre vicaire de Saint-Josse qui doit aussi quitter la Belgique et qui emmène sa vieille Maman. Eux aussi fuient, nous fuirons ensemble ; mais plus aucun train ne part de la gare du Nord, la jonction entre celle-ci et la gare du midi a sauté, il faut aller au midi.

Un train se forme, tout le monde se pousse et nous trouvons place dans un fourgon où, comme siège, il faudra se contenter de nos bagages. Vers 18–19 h, le train s’ébranle mais à tout moment, il doit stopper. A chaque fois qu’il redémarre et prend un peu de vitesse, tous s’extasient, tous se réjouissent. Mais les heures passent et voilà la nuit. Chaque fois qu’un avion est signalé, le train stoppe afin de ne pas se faire remarquer et éteint ses feux. L’avion s’éloigne, le train repart. Nous sommes là, debout, secoués par ci, secoués par là. Maman, assise sur une valise, somnole un peu et sa tête branle d’un côté à l’autre. Mon frère et moi la regardons, puis nous nous regardons et tous les deux avons les larmes aux yeux et comprenons que nous avons fait une bêtise de partir dans ces conditions.

Le train est à nouveau arrêté dans une gare. A côté se trouve un autre train. Tout est silencieux, tout le monde est déjà fourbu. A notre fourgon, il y a une petite lucarne grillagée et je regarde et cherche à voir cet avion qu’on entend rôder. Le ciel est clair, c’est pleine lune. Si l’avion nous cherche, il devrait nous voir. Une tête s’appuie à la mienne pour regarder aussi. C’est un jeune Juif, ils sont toute une famille qui depuis des semaines fuient la Pologne. Tête contre tête, on cherche à découvrir le rôdeur, on échange ses impressions. L’avion s’éloigne, les deux trains repartent chacun dans un autre sens et c’est alors que mon compagnon et moi découvrons avec stupeur que l’autre train était chargé de munitions.

C’est le matin. Nous ne sommes pas encore loin, seulement en vue d’Audenaerde. Le train stoppe en pleine campagne. Les gens sortent du train, se dérouillent les jambes, se cachent dans la nature. Là, il y a un attroupement. Un vieux monsieur, genre paysan, se trouve mal, près de lui, en pleurs, un enfant de 7-8 ans. Le vieux paysan explique qu’ils ont été mitraillés sur une route, que sa famille a été tuée et qu’il ne lui reste qu’un de ses petits-enfants. On essaie de le réconforter mais voilà que le train siffle pour rappeler les voyageurs. Tout le monde se sauve et retourne dans les wagons sauf le paysan et l’enfant car il ne veut pas aller plus loin. Plus personne ne s’occupe d’eux, on ne pense plus qu’à soi-même. Ma sœur et moi ne savons nous décider à l’abandonner mais le train siffle, Papa appelle, il nous faut monter aussi. Le train n’ira pas loin, il n’entrera pas à Audenaerde car la voie est coupée. Aussi, c’est à pied que l’on rejoindra la ville et une école qui nous hébergera. Nous aurons quand même la consolation de bientôt voir arriver là, soutenu par une infirmière, notre vieux paysan et son petit enfant.

image 01 La narratrice : Marthe Van Der Goten, surnommée « Mamath »

 Sa soeur : Rose-Marie Van Der Goten  surnommée « Zezeth »

 

 

 

Mais on s’inquiétait. Audenaerde est placé sur l’Escaut, c’est un objectif militaire, il ne faut pas y rester. Les trains ne roulant plus, Papa nous trouve un taxi qui veut bien nous conduire un peu plus loin mais il lui faut un sauf-conduit. Fortes de notre charme, ma soeur et moi nous nous renseignons pour savoir où sont cantonnés les officiers. On nous indique « L’Ecu d’Or ». Le garçon du restaurant nous dit que ces messieurs sont en train de dîner. Nous attendons et restons dans le couloir. Nous les entendons du reste rire, parler, l’atmosphère est à la détente. Tant mieux, ils n’en seront que plus conciliants. Enfin, un bruit de chaises qu’on recule, ils ont terminés et nous voici faisant notre requête au 1er officier sortant qui n’est autre que le Général. Tout de suite, il nous fait un sauf conduit écrit de sa main et qu’il signe: Lieutenant Général, Commandant de la région: « Van Stry-Donck ». Evidemment, il devait se dire qu’au point où en était la pauvre armée belge ce n’était pas un véhicule en plus sur les routes qui les encombrerait… » A suivre

La Petite Gazette du 31 août 2011

L’HISTOIRE DE VOS EXODES EN MAI 1940

Nous retrouvons maintenant la suite du récit de l’exode de Madame Marthe Nandrin – Van der Goten qui, avec sa famille, a fui devant l’offensive des armées allemande en 1940. Je vous rappelle que c’est son fils, Monsieur Henri Nandrin, qui m’a transmis ce récit :

« En retournant à l’école où nous sommes hébergés, je rencontre un soldat du 12e de ligne, régiment de mon mari. Je le questionne, il ne sait rien, le régiment a été mis en déroute et il cherche à les retrouver. Vite, je griffonne un mot pour mon mari, lui disant que nous partions «quelque part en France» et je demande à ce soldat d’essayer de le remettre au chauffeur du Colonel. Mon mari recevra ce mot!

Satisfaits de notre sauf-conduit, c’est tranquille d’esprit que nous allons à notre rendez-vous avec le chauffeur du taxi le lendemain matin. Mais celui-ci n’arrive pas. Devant nous les réfugiés défilent à pied, en rangs serrés, portant leurs bagages, leurs enfants, poussant des brouettes chargées. Il ne faut pas perdre de temps ici, il faut partir et nous voici, nous joignant aux groupes hétéroclites partant à pied. Les valises sont lourdes, c’est de la folie!

– «Papa, arrête, Je vais aller voir après l’auto promise. Nous n’y arriverons pas avec ces lourdes valises!»

– «Tant pis, on les abandonnera ! »

Je me rebiffe:

– «Restez ici. Attendez-moi. Je reviens».

En courant, je retourne vers Audenaerde et j’ai la chance de voir arriver le chauffeur et sa voiture. Il s’excuse, il s’était endormi, ayant roulé toute la nuit pour des réfugiés. Toute fière, c’est en taxi que je rejoins nos désespérés et c’est ainsi que nous arriverons à Courtrai où nous sommes reçus chez des connaissances de Maman. Là, tout est un peu confus. Ce dont je me souviens, c’est notre arrivée à Poperinghe. Tous les réfugiés y affluent car la poche se referme et c’est là également que nous aurons à nouveau la joie de revoir mon frère Manu. Son train est en gare et attend.

image 07Manu, le frère de la narratrice, prêtre

Comme nous avons avec nous « des curés » nous sommes hébergés chez le curé de Poperinghe. La nuit, nous la passerons dans des lits confortables. Je me souviens aussi à Poperinghe d’un repas pris dans une friture improvisée chez un fourreur, déjà il y en avait qui ne perdaient pas le nord et faisaient de l’argent avec tout. Du reste, tout moyen de locomotion se monnayait au plus offrant. C’est à Poperinghe également que j’ai rencontré un ouvrier du moulin d’Esneux qui m’a dit que tous les Esneutois étaient partis, que lorsqu’il avait quitté, les militaires belges devaient défendre le village, vidaient les réservoirs d’essence du moulin et allaient y mettre le feu. Bon, donc là aussi tout est fini. Lui, il cherche un moyen de rejoindre la France. A tout hasard, Je lui signale le fameux train qui attend en gare de Poperinghe.

Nous, c’est par camion que nous continuons notre route. Nous sommes debout derrière, c’est un camion découvert et heureusement il fait toujours beau. Nous devions aller sur Ypres mais le camion va par où on veut bien le laisser passer et c’est ainsi que nous échouons à La Panne. Là, tout est calme. On y retrouve un appartement où nos parents allaient en vacances.

A La Panne nous retrouvons à nouveau mon frère Manu. Il a un véhicule et nous voilà partis tous ensemble pour la France. La douane n’est plus loin mais la file des voitures dans laquelle nous sommes est immobilisée depuis longtemps. Je me vois, toujours avec mon inséparable soeur, faisant les 100 pas à côté des voitures arrêtées sur la route de La Panne à Adinkerke et fredonnant une chanson de Jean Sablon:

– Je tire ma révérence

– Et m’en vais au hasard

– Par les routes de France

– De France ou bien d’ailleurs..

– Mais dites-lui quand même

– Dites-lui que je l’aime

– Dites-lui, voulez-vous

– Bonjour pour moi et voilà tout!

Ces dernières paroles, je les destinais à mon mari. Que faisait-il? Que devenait-il? Vivait-il encore? Les nouvelles étaient si mauvaises.

Avec beaucoup de patience voilà enfin la douane, les prairies environnantes sont noires de monde, les réfugiés y campent et y attendent que l’on ouvre la frontière. Sans doute les autorités auront-elles voulu se débarrasser de cette foule massée aux frontières car brusquement les autos se sont mises à avancer et ce fut finalement notre tour de pouvoir franchir cette fameuse douane. Papa et le vicaire qui se cramponnent sur les marchepieds, par dessus le toit de la voiture, se serrent les mains, se félicitent, enfin on est passé. Mais on nous détourne vers l’intérieur des terres par des routes secondaires car Dunkerque, devant nous, brûle. La route est souvent mitraillée. Il nous arrivera même, pris de panique comme les autres, de quitter la voiture pour se cacher dans un fossé et y attendre le passage en rase-mottes des avions ennemis. » A suivre…

La Petite Gazette du 7 septembre 2011

L’HISTOIRE DE VOS EXODES EN MAI 1940

Nous retrouvons maintenant le quatrième épisode du récit de l’exode de Madame Marthe Nandrin – Van der Goten qui, avec sa famille, a fui devant l’offensive des armées allemande en 1940. Je vous rappelle que c’est son fils, Monsieur Henri Nandrin, qui m’a transmis ce récit.

« Le soir tombe. Voici un petit village: Roesbroek. Là aussi le curé nous hébergera. Le soir, on fait appeler le curé et lorsqu’il revient, il nous raconte que les Anglais occupent le village et lui ont demandé les clefs de l’église afin de pouvoir surveiller de la tour l’ennemi qui approche. Que sommes-nous venus faire dans cette galère alors qu’à La Panne il faisait si calme? Aussi, dès le lendemain, sans hésiter, nous reprenons le chemin de la Belgique. On croise encore des réfugiés mais cela se clairseme quand même. Derrière nous, à Dunkerque, il fait toujours dangereux. On entend bombarder et exploser sans arrêt et cela brûle toujours. A la douane, même joie que la veille, mais cette fois en sens contraire. Rien de tel que de se sentir chez soi.

Nous attendrons les évènements dans cet appartement mis à notre disposition. Manu nous quittera pour du bon, mais pour Ostende, où dans un hôpital de fortune, il pourra rendre des services.

Pour nous « les vacances » à La Panne allaient se prolonger. On s’organisait. Pour ma sœur et moi, notre grande occupation était de nous procurer du pain. La poche libre se refermait doucement, les réfugiés nombreux y étaient coincés. Le ravitaillement suivait difficilement. Nous avons, pendant des heures, fait des files à presque toutes les boulangeries où l’on avait l’espoir d’être servies. A deux, nous revenions ainsi avec deux pains. Pour finir, nous allions chaque jour à la même heure à une boulangerie assez bien à l’intérieur des terres sur la route qui allait à Furnes. Nous avions abandonné les files près de la digue où l’on se massacrait pour garder sa place, où l’on se sentait peu à l’aise. Ah! Ces files, ces interminables files, qui à la moindre alerte d’avions se dispersaient comme par enchantement. L’alerte passée, on pouvait reprendre une place à la queue à moins que le désir d’avoir du pain fasse oublier tout danger et qu’alors, malgré les tirs de la D.C.A et les éclats de shrapnels qui tombaient un peu partout, on restait là stoïquement plaqué contre la porte. Lorsque le magasin ouvrait, on était servi le premier.

Ce ravitaillement en pain nous donnait en plus des démêlées avec la vieille maman du vicaire. Elle trouvait que nous restions bien longtemps parties et ne voulait pas croire à nos files. Elle disait que c’était un prétexte à aller nous amuser!

Les combats aériens étaient devenus journaliers et l’on assistait là, nez en l’air, tendus et anxieux, pensant aux hommes qui allaient mourir, qui souffraient. Une fois même, l’avion en flammes piquait droit sur nous, le pilote arrive à le redresser et le dirige vers la mer. Il tombe, il tombe, il s’écrase là, au début de la mer, dans un jaillissement d’eau et de flammes. Tous les spectateurs courent. Hélas, il n’y aura rien à faire, le pilote est tué, c’était un Allemand. Que pouvions-nous faire pour tous ces malheureux si ce n’est qu’adresser une prière mentale pour eux?

Une autre fois, nous aurons droit à un combat naval. Cela se passait à l’horizon vers Ostende. Personnellement, nous n’avions rien à craindre, c’était une affaire entre navires, mais on voyait nettement les flammes des canons et on entendait les coups sourds des tirs.

Pendant des jours et des jours, à La Panne, malgré le beau temps, nous ne verrons pas le soleil. Nous avions un plafond de fumée noire en provenance de Dunkerque. Tout cela contribuait à donner une atmosphère irrespirable dans les deux sens du mot. » A suivre…

La Petite Gazette du 14 septembre 2011

L’HISTOIRE DE VOS EXODES EN MAI 1940

Nous retrouvons maintenant les souvenirs d’exode de Madame Marthe Nandrin – Van der Goten qui, avec sa famille, a fui devant l’offensive des armées allemande en 1940. Dans cet épisode, elle nous raconte qu’elle se trouvait à La Panne à la fin du mois de mai 1940. Je vous rappelle que c’est son fils, Monsieur Henri Nandrin, qui m’a transmis ce récit.

« En plus, on vivait une nouvelle épidémie: « l’espionnite ». Les gens voyaient des espions partout et, un soir, il nous a fallu aller détacher du linge que nous avions mis sécher car on prétendait que nous faisions des signaux! Il est vrai que les nouvelles devenaient de plus en plus mauvaises, nous étions encerclés. Deux soldats anglais, qui nous avaient accostés en espérant nous inviter à boire un verre, nous apprennent que, pour la Belgique, la guerre est finie. Notre Roi a capitulé. Nous étions le 28 mai 1940.

Ce jour-là, nous voyons défiler en files indiennes des soldats anglais montant au combat. Ils se dirigent vers Furnes.

Autour de notre appartement, situé derrière un hôtel servant d’hôpital, on voyait régulièrement des Anglais creuser, puis on apportait une forme emballée dans un drapeau, on déposait le fardeau, l’aumônier récitait quelques prières puis on recouvrait le trou. Nous assistions à tout cela de notre fenêtre.

Ma sœur et moi entrons à la chapelle des Oblats où nous voulions trouver refuge contre toutes ces misères et prier pour tous ces malheureux, mais, là aussi, le spectacle est désolant. Des Anglais y sont venus rechercher le calme, certains dorment étendus sur les bancs, d’autres se contentent d’être assis ou pliés en deux. Leur fatigue et leur désespoir sont visibles.

Et cela ne faisait que commencer. Avec nos parents, nous sommes allés sur la digue car le spectacle est inoubliable. Il y a là, presque échoués sur la plage, des centaines de bateaux de toutes sortes, de toutes les grandeurs, de toutes les couleurs, même des bateaux à palans. (A la fin de la guerre nous apprendrons qu’en Angleterre tout qui possédait un bateau susceptible de tenir la mer devait se rendre avec ce bateau en vue des côtes françaises pour embarquer le reste de l’armée anglaise). Nous verrons, se dirigeant vers ces bateaux, des files de soldats anglais pénétrant dans l’eau jusqu’aux épaules afin d’embarquer. Il y en a qui pour préserver leur fusil, leurs munitions et leurs affaires font des échafaudages sur leur tête. Tout ce spectacle est enjolivé par un beau soleil. Au loin, de plus gros navires surveillent l’embarquement et tout cela est protégé par des avions. Nous sommes là à regarder de tous nos yeux.

Nous nous trouvons sur la digue et nous parlons avec un Anglais qui, ayant placé un miroir sur le capot de son véhicule, bien consciencieusement se rase. Les avions continuent à évoluer et même très bas mais l’Anglais nous rassure:

– « No! No! Canadian, Canadian! »

Ma sœur et moi nous nous dirigeons vers l’appartement quand brusquement on entend siffler des bombes et tout tremble et explose. Vite nous nous réfugions dans une maison, toutes les personnes qui y sont descendent et se cachent avec nous en dessous de la cage d’escaliers. Ils se lamentent car la maison ne possède pas de cave. Une maman serre fort son enfant dans ses bras. Et cela continue à bombarder et à trembler. Le calme revenu, on  retrouvera nos parents restés sur la digue. Ils avaient trouvé abri dans le poste de sauvetage des pêcheurs mais hélas, que de bateaux quilles en l’air, que de tués sur la plage. Cette fois, plus de doute, nous allons être attaqués par l’artillerie Allemande. Déjà dans la journée on a dû subir un tir de mortiers.

A La Panne, Maman avait rencontré une amie qui possédait une villa un peu à l’intérieur, elle avait proposé de nous héberger pour cette nuit que l’on prévoyait pénible, aussi nous acceptons son invitation et descendons avec sa famille et ses amis, des matelas, des couvertures et même des vivres dans ses trois caves. C’est dans ces caves que nous nous retrouverons pour la nuit, nous sommes 21 personnes. Bientôt notre abri se justifiera car l’artillerie entrait en action. Cela se faisait par trois tirs. Un long qui passait au-dessus de nous et que l’on entendait exploser plus loin. Un plus court qui était pour nous ou nos environs. Un troisième plus court encore qui n’arrivait pas jusqu’à nous.

Cela a duré toute la nuit et ces 21 personnes réunies, toutes  ensemble et à haute voix n’arrêtaient pas de prier. Voilà le tir long : « Je vous salue Marie, pleine de grâces », il passe, il passe, pauvres gens chez qui il tombe. « Le Seigneur est avec vous », attention, voilà le second tir, c’est pour nous. « Vous êtes bénies entre toutes les femmes » Ouf ! Il est tombé tout près, mais pas sur nous. « Et Jésus le fruit de vos entrailles est béni », on peut un peu respirer le 3ième tir n’arrive pas jusqu’ici. « Sainte marie, mère de Dieu ». Boum! Boum! Boum! Qu’est-ce que ces coups sourds? « Priez pour nous pauvres pêcheurs », cela continue, quelqu’un monte voir, c’est la dame d’à côté qui vient chercher de la compagnie. Elle fera bien du reste car sa maison qui est mitoyenne avec celle où nous sommes réfugiés sera bientôt détruite par un obus qui, nous le constaterons le lendemain, a traversé notre 1er étage pour exploser ensuite chez elle. » A suivre…

La Petite Gazette du 21 septembre 2011

L’HISTOIRE DE VOS EXODES EN MAI 1940

Nous retrouvons maintenant les souvenirs d’exode de Madame Marthe Nandrin – Van der Goten qui, avec sa famille, a fui devant l’offensive des armées allemande en 1940. Dans cet épisode, elle nous raconte ce qu’elle a vécu à La Panne où elle avait fui pour échapper à l’invasion allemande de mai 1940. Avec sa famille, elle est là lorsque les Anglais sont pris sous les bombardements allemands. Je vous rappelle que c’est son fils, Monsieur Henri Nandrin, qui m’a transmis ce récit.

« Et les tirs continuent et le murmure persiste: « Maintenant et à l’heure de notre mort », c’est tout près que l’obus est tombé. «Sainte Marie, mère de Dieu », mais qu’est-ce donc que cette odeur d’essence? Un courageux monte voir ce qui se passe, cette fois, c’est un éclat qui a troué le réservoir de l’auto garée au jardin et l’essence s’est répandue à terre, pas loin de notre soupirail. « Je vous salue Marie pleine de grâces », que va-t-il nous arriver maintenant si une bombe tombe tout près, cette essence ne va-t-elle pas exploser ou prendre feu? « Le Seigneur est avec vous » et la nuit se poursuit, l’aube commence à poindre. « Vous êtes bénies entre tout les femmes », nous prions toujours, notre langue est sèche, nous sommes épuisés.

Le matin est enfin là et avec la lumière du jour, le tir intensif s’est arrêté. Nous n’osons y croire. Peu à peu on entend remuer dehors, les gens parlent, commentent, s’affairent, balayent les débris de verre. Petit à petit les réfugiés de nos caves montent et vont aux nouvelles. Pour ma part, je n’ose quitter mon coin, j’ai peur de découvrir des blessés et des morts, je préfère faire semblant de dormir. Mais, bientôt, Maman vient me secouer :

« Mamath, tu n’a pas honte? Tout le monde travaille là au-dessus. Il y a beaucoup de dégâts. Viens les aider ».

Effectivement le 1er étage est coupé, l’escalier pend à moitié, on le soutiendra avec des brosses pour permettre à un enfant d’aller chercher des bijoux laissés au premier. Ma soeur et moi partons pour notre appartement. Tout autour de nous, ce n’est que destructions, rues ouvertes, débris de toutes sortes, maisons éventrées. On doit regarder où l’on marche.

Brusquement nous nous arrêtons. A un coin de rue, un soldat allemand, un soldat français et un soldat anglais bavardent pacifiquement entre eux. Nous n’y comprenons plus rien…

Lorsque nous approchons de notre appartement, nous voyons des gens qui tirent des caisses sur le sol. Ils sont allés les chercher sur la plage où des navires bombardés ont échoué et leurs cales débordent de vivres. Le pillage a déjà commencé.

Devant notre maison, alignés à terre, les uns à côté des autres et recouverts de couvertures, une main ou un pied dépassant, sont les pauvres gens avec qui nous nous étions réfugiés la veille sous l’escalier. C’étaient des Juifs. Pour la nuit, ils s’étaient mis à l’abri dans le garage. C’est une torpille marine qui a pénétré de plein fouet dans le garage et les a tués, sauf deux, un jeune homme que nous rencontrons dans notre cage d’escalier et qui tient sur ses genoux un de ses neveux dont la tête est toute bandée. Nous essayons de le réconforter, mais nous avons peine à cacher nos larmes. Tout cela était trop cruel!

Dans notre chambre, nous prenons nos derniers vêtements. Notre lit est plein de plâtras, la tête du lit a plusieurs trous de balles. Oui, il valait mieux que nous soyons allés dans la cave de cette amie de Maman.

Plus tard dans la journée, nous sommes de nouveau à notre  boulangerie. Il faut bien manger et nous sommes plus nombreux. Là aussi le tableau est désolant. La route est jonchée de vêtements anglais, de casques, de souliers, de linges tachés de sang.

Notre première journée d’occupation par les Allemands s’écoulait. Ceux-ci étaient assez aimables, prêts à rendre service aux réfugiés. N’empêche que tout le monde craignait la nuit à venir. N’allions nous pas subir une contre-attaque des navires anglais? Chacun aurait aimé s’en aller, quitter cet endroit, mais comment? Il faut se rendre à l’évidence, il faudra passer une seconde nuit, sans doute sera-t-il préférable de la passer encore à la cave.

Depuis Ostende, mon frère Manu surveillait les opérations. Il avait emprunté une voiture et avait cherché à traverser les lignes mais cela avait été impossible. Il lui avait fallu attendre que les Allemands occupent La Panne. Dès qu’il avait pu, il était venu nous chercher.

« Manu est là, Manu vient nous chercher… Maintenant la maison peut s’écrouler…»

C’est par ces paroles que la vieille maman du vicaire accueille la nouvelle de l’arrivée de Manu alors que les familles qui nous avaient hébergés devaient encore rester! Nous leur faisons nos excuses et nos adieux et nous prenons le chemin d’Ostende. A tout moment on doit contourner des trous énormes ou bien on est pris dans un enchevêtrement de fils électriques et de téléphones. Nous devons souvent stopper pour laisser passer des convois allemands.

Nous logerons à l’hôtel sur la digue, hôtel transformé en hôpital. Là aussi nous verrons beaucoup d’horreurs… » (A suivre)

CETTE VOITURE QUI A SERVI A L’EVACUATION

image 06

Monsieur Henri Nandrin, pour illustrer les propos de sa maman, m’avait transmis cette photographie de la voiture utilisée par la famille lors de son évacuation de mai 40. Ce cliché a fait réagir Monsieur J. Poupart, de Hamoir, qui parle de ce modèle automobile :

« Il doit s’agir d’une chevrolet Master limousine, six vitres de côté et quatre portes de 1937. Le moteur est un six cylindres de 3540 cm³ développant une puissance de 85 cv à 3200t/min (S’il s’agit d’un modèle de début d’année, il pourrait avoir seulement 3380 cm³ et 79 cv à 3200t/min.)

Dans la série Master, six types de carrosserie furent fabriqués et, en 1937, Chevrolet en a construit 768040 unités, tous les modèles confondus, et fut classé premier constructeur américain devant Ford (en 1936, c’était l’inverse)

Il doit s’agir d’un modèle de luxe car elle est équipée de deux essuie-glaces, de feux de position avant et sur les ailes et de bananes aux pare-chocs. Son prix, à l’époque, était d’environ 700 dollars. »

La Petite Gazette du 28 septembre 2011

L’HISTOIRE DE VOS EXODES EN MAI 1940

Nous retrouvons maintenant l’avant-dernier épisode des souvenirs d’exode de Madame Marthe Nandrin – Van der Goten qui, avec sa famille, a fui devant l’offensive des armées allemande en 1940. Nous retrouvons la famille à la Côte belge au début du mois de juin 1940. Je vous rappelle que c’est son fils, Monsieur Henri Nandrin, qui m’a transmis ce récit.

« Manu a conduit ces dames dans sa grande chambre à plusieurs lits qui donne sur la mer. Il nous recommande de ne pas faire de lumière car, la veille, la sentinelle allemande que nous voyons faire les 100 pas sur la digue n’a pas hésité à tirer dans son carreau. Papa, Manu et le vicaire chercheront un autre endroit pour dormir.

Après la pénible dernière nuit, nous tombons littéralement de sommeil  et nous occupons vite les différents lits où l’on ne tarde pas à s’endormir. Mais il fait encore tout noir quand quelqu’un vient fureter dans la chambre de lit en lit. Je suis tellement fatiguée que je ne cherche pas à approfondir la chose. Nous saurons, le lendemain, que c’était un docteur avec qui Manu travaillait et qui n’avait pas de chambre à sa disposition. Manu lui avait expliqué où était la sienne et qu’il pouvait toujours y venir car il y avait des lits de libre. Il dira après à Manu.

– « Je suis allé dans votre chambre cette nuit, Monsieur l’Abbé, mais vous aviez là un vrai harem! »

Une idée germait dans mon cerveau: Plutôt que de rester dans cet hôpital de fortune en attendant une occasion de retour, pourquoi n’irions-nous pas occuper la villa louée par mes beaux parents au Coq ? Cela devrait pouvoir marcher. J’en parle à Papa et nous irons à deux voir quelles sont les possibilités là-bas. Evidemment, il n’y a pas de moyen de locomotion et nous irons à pied.

Nous voici arrivé au Coq, je vais à l’agence de location où ils nous donnent les clefs de la villa. Petit à petit les Allemands commencent à s’installer dans les villas vides, ce sera toujours une d’épargnée momentanément. Nous allons, Papa et moi, faire le tour du propriétaire, tout est parfait. Allons prévenir les autres et ramenons-les. Mais la promenade nous a donné de l’appétit, elle nous a creusé l’estomac. Aussi, avant de nous renfiler les kilomètres du retour, comme de paisibles touristes, nous allons dîner au restaurant. Comme ce rôti et ces petits pois étaient délicieux.

Mais qu’entendons-nous?

  • « Treu francs – Treu francs – Treu francs »

C’est le pimpon du tram vicinal desservant la côte. Nous le dénommions ainsi depuis nos vacances à Blankenberge car la course était souvent de trois francs.

C’est le premier tram qui roule à nouveau. Bien vite nous payons et allons l’attendre à l’arrêt et nous serons ainsi les premiers passagers. Nous ne ferons qu’un aller et retour, le temps de reprendre à Ostende Maman, ma sœur, nos bagages et la vieille mémère!

Tous en tram nous rejoindrons le Coq. La villa est là, jolie, accueillante, confortable, salle de bain, nombreux lits, feu ouvert. Oui, vraiment cela plait beaucoup à la vieille mémère qui du coup retrouve une autorité peut-être oubliée depuis longtemps. Elle commence à répartir les chambres, la besogne, les courses, suggère les menus. Ah mais moi j’en ai assez, il y a longtemps, que vu son âge, on la supporte sans rechigner. Je me rebiffe.

« Madame, excusez-moi, mais ici, vous êtes chez moi. C’est moi qui commanderai ici. »

A partir de ce moment-là, la vieille Maman du vicaire a filé doux. Son fils était resté à Ostende avec Manu. Mais bientôt l’hôpital étant occupé par les Allemands, ils viendront nous retrouver. Le vicaire et sa Maman partageront bientôt un taxi avec d’autres personnes et s’en retourneront chez eux.

Nous aussi allions devoir fermer notre belle villa où nous avions retrouvés un peu de calme malgré les officiers allemands qui étaient devenus nos voisins, malgré le charroi que, toute la nuit, nous entendions défiler sur la route Royale.

C’est par autocar que nous rejoindrons Bruxelles, cela après des heures de route, des villages détruits à éviter car impraticables. Notre autocar nous déposera à la gare du Nord et nous nous installerons chez mon frère Manu à Saint-Josse.

Tous les après-midi, nous allions, ma soeur et moi, à un dispensaire d’accueil pour réfugiés installé près de la gare du midi. On nous avait laissé nous occuper de tous ceux qui arrivaient souffrant des pieds suite à de longues marches. On lavait les pieds, puis, si les soins qu’ils demandaient étaient trop importants pour nous, on allait quérir, soit une infirmière, soit un médecin. Tous ces réfugiés, parlaient, racontaient, certains dans une euphorie d’être tous de retour, d’autres plus calmes qui avaient dû laisser des leurs dans des hôpitaux, d’autres encore prostrés, à qui péniblement on arrachait quelques mots. Ceux-là, certains des leurs, ne reviendraient plus. C’est en constatant toute cette misère que nous nous rendions compte combien nous avions été privilégiés. » A suivre…

La Petite Gazette du 5 octobre 2011

L’HISTOIRE DE VOS EXODES EN MAI 1940

Nous retrouvons maintenant, et pour la dernière fois, les souvenirs d’exode de Madame Marthe Nandrin – Van der Goten qui, avec sa famille, a fui devant l’offensive des armées allemande en 1940. Nous allons les retrouver sur le chemin du retour, à la recherche de bonnes nouvelles… Je vous rappelle que c’est son fils, Monsieur Henri Nandrin, qui m’a transmis ce récit.

« Mais hélas, toujours aucune nouvelle de mon mari. Nous sommes le 9 Juin 1940, il y a exactement deux mois que nous sommes mariés lorsque ma tante m’appelle:

« J’ai des nouvelles, Ric est revenu, il est chez moi, il va venir… »

Je pourrai enfin accueillir mon mari qui avait été fait prisonnier en Flandre et était resté plusieurs jours dans un camp puis ayant reçu un papier le libérant « par ordre du Führer Hitler». Il avait chipé un vélo aux Allemands et rejoint Bruxelles.

Nous sommes enfin réunis, nous allons pouvoir ensemble rejoindre Esneux et c’est ce que nous ferons quelques jours plus tard, lui sur son vélo volé, moi sur celui de ma soeur.

Maintenant, nous sommes partis ensemble et nous roulons de concert, nous racontant nos péripéties personnelles, l’attaque de son régiment, la dure bataille sur la Lys à Kuerne afin de couvrir la retraite de l’armée britannique, son Colonel avec son casque de carton sur la tête pendant que mon mari, caché en dessous de l’auto, cherche encore à faire un trou, cela pendant le bombardement de la citadelle de Namur.

Et nous sommes là, heureux, roulant en nous tenant la main. A chaque convoi allemand que nous croisons, nous nous rapprochons même et Ric me tient alors par l’épaule. Nous ne cachons pas notre joie. Pour nous, c’est terminé, nous nous sommes retrouvés, eux, vont encore en ligne, vers la France.

Sur notre parcours, nous devons souvent descendre de vélo pour contourner une route coupée par des trous d’obus. Nous devions alors descendre dans des prairies afin de pouvoir continuer notre chemin.

A la sortie de Wavre, nous apprenons que l’Italie s’est jointe à l’Allemagne. Nous traversons péniblement Perwez. Toutes les maisons y sont entièrement détruites et on essaie encore d’y déterrer les cadavres restés dans les caves. Nous approchons de Huy, notre allure s’est ralentie. Est-ce la fatigue ou bien la crainte de savoir ce qui sera arrivé à Esneux, à l’usine, aux maisons?

Nous voici, montant la Sarthe, la côte à la sortie de Huy vers Nandrin. Nous poussons notre vélo car la côte est dure et puis nous avons peur de ce que nous trouverons au terme de notre voyage.

– « Bonjour, Monsieur Nandrin… »

C’est un fermier qui descend la côte avec sa charrette et sa charge de sacs remplis qui nous interpelle.

– « Je reviens de chez vous! »

– « Comment d’Esneux, du Moulin? »

– « Oui, je suis allé quérir de la marchandise pour mes bêtes. »

– « Alors quoi? Le moulin fonctionne? »

– « Comme vous le voyez, puisque que suis bien servi.»

Inutile de dire que les derniers kilomètres furent parcourus à vive allure. Nous traversons tout Esneux, saluant ici, étant congratulé par là. A Esneux, nous prenons possession de la maison paternelle où tout est en ordre, rien n’a été pillé.

Plus tard, un matin, en passant avenue de la gare, on me crie:

– « Rentrez vite, le Bourgmestre est revenu. »

08

La ferme à Amostrenne

Tout le monde est donc rentré. Il est enfin temps pour nous d’aller nous occuper de notre ferme d’Amostrenne. » (Fin).

LA BATAILLE DE LA GETTE, UN COMBAT OUBLIE

La Petite Gazette du 3 juin 2009

LA BATAILLE DE LA GETTE, UN COMBAT OUBLIE

Monsieur Guy Stassin, de Flostoy, n’est pas un inconnu pour les lecteurs de La Petite Gazette. En effet, il nous a déjà gratifiés de quelques articles témoignant de la passion que porte ce commandant de cavalerie en retraite à notre histoire militaire. C’est ce qu’il fait encore en débutant ce jour une très intéressante série qui nous plongera dans les premiers jours de la dernière guerre mondiale.

« Le 10 mai 1940, pour la seconde fois en vingt-cinq ans, notre pays, pourtant neutre, est envahi par la puissante armée allemande. Dès l’aube, un commando transporté par planeurs atterrit, par surprise, sur les superstructures du fort d’Eben-Emael. Fort moderne, de construction récente, EbeEmael a été érigé à la jonction du canal Albert  et de la Meuse, face à la languette du Limbourg hollandais, qui dissimule à notre observation tout mouvement allemand. Surpris par cette tactique inattendue, le fort est rapidement réduit au silence.

Dans la foulée, des chars des 3e et 4e panzerdivizione traversent les ponts du canal Albert, à Veldwezelt et Vroenhoven,  conquis par des commandos aéroportés, et foncent vers Tongres, qu’ils atteindront le 11 mai.

Le gouvernement belge a fait appel à la France et au Royaume Uni, garants de notre neutralité, et le généralissime français Gamelin a déclenché la manœuvre « Dyle ». Cette dernière consiste à faire progresser les Franco-britanniques en Belgique pur les aligner sur la position « Dyle » où ils tendront la main, dans la région de Louvain, à l’armée belge qui doit se replier sur la position KW, fortifiée dès le temps de paix, entre Anvers et Wavre, par des fortins et des obstacles anti-chars.

La position « Dyle » est prolongée le long de la Meuse, en Belgique et en France, à partir de Namur.

La majeure partie de nos dix-huit divisions d’infanterie sont initialement étirées le long du canal Albert, entre Anvers et Liège, et le long de la Meuse, jusqu’à Namur.

Le corps de cavalerie, grande unité motorisée et très mobile, possédant sa propre infanterie (carabiniers cyclistes) et articulé en deux divisions et une brigade portée, aurait dû être gardé en réserve, prêt à intervenir en tout point menacé du front, mais, par manque de troupes pour occuper l’entièreté de la position, il a été morcelé en divers éléments imbriqués dans le dispositif.

Dès le début de l’attaque allemande, on devra donc « récupérer » des unités motocyclistes affectées aux Ardennes (groupement K) pour tenter d’enrayer la percée sur Tongres.

Pour couvrir le repli de nos divisions d’infanterie vers la position KW, la cavalerie, dont c’est l’une des missions, s’affairera à regrouper une partie de ses unités motocyclistes et cyclistes sur la position de recueil de la Gette, à hauteur de Tirlemont.

Les six régiments motocyclistes du corps de cavalerie (CC) sont des régiments d’active (1, 2 et3 Lanciers, 1 et 2 Chasseurs à Cheval et 1 Guides), composés de miliciens sous les armes, commandés par du cadre d’Active et de réserve. Les régiments sont articulés en deux groupes, commandés par un major, et comprenant chacun deux escadrons motocyclistes et un escadron d’engins armés de canons anti-chars et de mitrailleuses. Un septième escadron, régimentaire, est blindé et équipé de chenillettes T13 (canon de 47 mm.) et T15 (canon de 13,2 mm.).

Les régiments cyclistes sont articulés à deux bataillons, commandés par un major, et comprenant chacun deux compagnies cyclistes et une compagnie d’engins armés de même de canons anti-chars et de mitrailleuses.

Les 1er et 2e Cyclistes sont d’Active, les 3e et 4e, de Réserve et formés par des militaires rappelés, commandés par un petit noyau d’Active et du cadre de réserve. » A suivre…

La Petite Gazette du 10 juin 2009

LA BATAILLE DE LA GETTE, UN COMBAT OUBLIE

Nous retrouvons l’étude menée par M. Guy Stassin, commandant de cavalerie e.r.

« 10 mai 1940

C’est le quartier général (QG) de la 2e division de cavalerie (2DC), aux ordres du général Beernaert, et dont le poste de commandement (PC) est installé à Louvain, qui est responsable de la position de recueil de la Gette. Comme troupes, le 10 mai au matin, la 2DC ne dispose que du 4e lanciers (4L), du 2e Cyclistes (2Cy), et de l’Etat-Major, fort réduit, de la brigade de Cavaliers Portés, dont le second régiment, le 2e Guides (2G) est détaché dans le Limbourg.

Le 4L est un régiment de réserve, dont les deux groupes sont transportés par camions, tandis que le 2Cy, régiment d’active, se déplace à vélo, comme son nom l’indique.

L’appui de feu est fourni par le 18e d’Artillerie (18A), régiment motorisé issu de l’artillerie à cheval (ACH).

001

Initialement, le 4L est installé en avant de la Gette, avec son IIe groupe à cheval sur la route de Saint-Trond, le long du chemin de fer, et son Ier groupe entre Bost et Womerson, le long de la Gette.

Le 7e Escadron, escadron motocycliste, surveille les points de passage de la Gette.

A gauche du 4L, le 2Cy étire ses deux bataillons, le long de la Gette, de Grimde à Haelen. Un groupe du 18A est en appui de chacun des deux régiments. Le 3e Lanciers (3L), qui avait une mission de surveillance à la frontière française, dans la région de Binche, neutralité oblige, est rameuté de la frontière pour renforcer la 2DC. Il est envoyé sur Hannut où il arrive vers 20h00 et bloque les différents accès du village.

Il assure à Crehen (prononcez Crehin) la liaison avec le 12e cuirassiers (12cuir) français, régiment du corps de cavalerie du général français Prioux,  chargé de protéger la mise en place de la 1er Armée française sur la position Dyle.

Transmissions :

Il est utile de rappeler que, en 1940, la majeure partie des transmissions s’effectuait par le réseau civil des téléphones et télégraphes. Un fonctionnaire des PTT (Postes, Téléphone, Télégraphes), au courant des réseaux téléphoniques et télégraphiques, était attaché à chaque Etat-Major. C’était, souvent, un officier de réserve, mobilisé dans sa fonction.

A l’époque, les ordres, toujours écrits, étaient transmis par estafette ou officier de liaison, suivant le cas. La radio en était encore à ses balbutiements.

Peu avant la guerre, les régiments motocyclistes seront dotés d’un peloton de transmissions possédant des side-cars radio et un Ford Marmon aerrington blindé pour les transmissions vers l’arrière.

Le morse est utilisé, de préférence à la phonie, mais le réflexe radio n’est pas encore dans les mœurs alors qu’un oberst (colonel) allemand est déjà en liaison par phonie avec tous ses commandants d’escadron. » A suivre

La Petite Gazette du 17 juin 2009

LA BATAILLE DE LA GETTE, UN COMBAT OUBLIE

Nous retrouvons l’étude menée par M. Guy Stassin, commandant de cavalerie e.r. :

« 11 mai 1940 – Situation générale

A 06h.00, la 4e Panzer (4PZ) passe à l’attaque dans le secteur du Ier Corps d’armée (ICA) en utilisant les ponts de Veldwazelt et Vroenhoven, conquis par surprise, et enfonce rapidement les positions de notre 7e division d’infanterie (7DI).

Le ICA, dont les débris refluent vers l’Ouest, tente d’enrayer la percée ennemie en direction de Tongres, en établissant une bretelle sur l’alignement Bilsen-Tongres, vallée du Geer. Le corps de cavalerie couvre son flanc droit en constituant une bretelle à hauteur de Cortessem.

Le Groupement « K », en position dans les Ardennes, est sollicité pour envoyer, d’abord un régiment motocycliste, le 2e Lanciers, le groupement Goffinet ensuite, 2e Chasseurs à cheval et 1er Guides, au secours du Ier Corps d’Armée. Le soir, le Grand Quartier Général (GQG) donne l’ordre d’abandonner le canal Albert jusqu’à Curange (Kuringen). Les divisions d’infanterie (DI) amorcent progressivement un repli en direction de la position KW, tandis que le Groupement K abandonne graduellement les Ardennes.

La 2e Division de cavalerie (2DC) sur la Gette :

La 2DC, aux ordres du général Beenaert, est installée sur la Gette avec le 2e cycliste (2Cy) au nord, de Haelen à Grimde et la brigade de cavaliers portés (BCP) au sud, de part et d’autre de Tirlemont, avec le seul 4e Lanciers (4L).

Vers 12h.00, le 1er cyclistes (1Cy), en repli des canaux frontière du Limbourg, informe la 2DC qu’il occupe Saint-Trond, pour y constituer un centre anti-chars.

A midi également, le GQG donne ordre à la 2DC de poster le 3e Lanciers au nord de Tirlemont et du 4L. Les escadrons quittent Hannut vers 13h.00, attaqués par la Luftwaffe (aviation allemande) et se rendent à Hoelderen, où le colonel BEM Serlez, commandant de la BCP, donne des ordres détaillés de son PC de Cumptich.

Les états-majors du régiment et du Ier groupe s’installent à Oplinter avec le 1er escadron. Le 2e escadron prend position à Nerlinter. L’état-major du IIe groupe s’installe à Drieslintier, avec le 4e escadron. Le 5e escadron est en réserve à Vissenaken, avec l’escadron Auto-blindées à la disposition du commandant de brigade.

Les moyens des deux escadrons engins, canons de 47 mm. et mitrailleuses, ont été répartis entre les escadrons motocyclistes.

002

 

 

 chenillette T15 armée d’une mitrailleuse de 13,2 mm.

 

 

A partir de 14h.00, et pendant près de deux heures, des stukas (avions allemands de bombardement en piqué) bombardent la gare de Tirlemont.

Vers 16h.00, le 2e escadron du 1er Lanciers (2/1L), qui était en renfort du Ier Corps d’Armée, arrive à Grimde avec un seul peloton et  son peloton état-major, tout ce qu’il reste de l’escadron après son engagement aux côtés de la 7DI. Le colonel Jooris, commandant du 4L, le met en renfort de son IIe Groupe qu’il installe au passage à niveau de Tirlemont.

Vers 19h.30, le 7e escadron Motos du 4L, renforcé par un peloton blindé du 3L (AB), occupe le chemin de fer entre Bost  et Esemael, où il assure la liaison avec la 3DLM française (3e division légère motorisée).

Durant l’après-midi et une partie de la nuit, des réfugiés civils et des militaires en retraite du ICA traversent les ponts de la Gette. Il faut noter la présence sur les positions de la 2DC, d’autos blindées du 12th royal Lancers britannique, chargées de protéger la mise en place de la British Expeditionary Force (BEF) entre Louvain et Wavre. » A suivre

La Petite Gazette du 24 juin 2009

LA BATAILLE DE LA GETTE, UN COMBAT OUBLIE

Nous retrouvons la précise et passionnante étude menée par M. Guy Stassin, commandant de cavalerie e.r. :

« 12 mai 1940 – Situation générale :

Dimanche de Pentecôte, sous un soleil radieux ; la position KW (Koningshooikt à Wavre) s’organise lentement. Le Ve corps d’Armée (VCA) est déjà en place au nord de la position fortifiée d’Anvers (PFA) avec ses 12e et 13e divisions d’infanterie (12DI et 13DI).

Le IVe Corps d’Armée (IVCA) de même, avec sa 17DI à l’embouchure du canal Albert et sa 13DI qui n’a qu’à se rabattre sur Lierre.

Au IIe Corps d’Armée (IICA), la 11DI, qui était en période d’entraînement au camp de Beverloo, a rejoint pour s’installer au sud de Lierre et la 2DI arrive de Liège par chemin de fer.

Au Ive Corps d’Armée (IVCA), la 10Di est installée à Louvain.

Une conférence interalliée, réunie à Casteau, confie au général français Billotte, commandant du Groupe d’Armées n°1 (7e Armée, BEF, 1ère Armée, 9e Armée, 2e Armée) la coordination des troupes françaises, britanniques et belges.

La Position de recueil de la Gette :

La bretelle de Cortessem, tenue par le 1er cyclistes (1Cy) et le 2e Guides (2G), avec des renforts d’infanterie, aux ordres du général d’infanterie De Droog, a entamé la retraite à partir de 00h.00, sous la protection d’une arrière-garde du 1er Chasseurs à cheval (1ChCh) et l’escadron Motos du 2e guides (2G).

La 1èrer Division d’infanterie (1DI) se replie derrière la Gette, tandis que la 14DI fait pivoter son aile droite pour constituer la bretelle de Lummen et raccrocher la position de la Gette au canal Albert.

La Gette, proprement dite, est occupée par la 2e division de cavalerie (2DC), dont le PC s’est fixé à Kerbeek-Miskom. La position est occupée par le 2e Cyclistes (2cy), de Haelen à Léau, de Léau à Grimde par le 3e Lanciers (3L), et à Tirlemont par le 4L. ces deux dernières unités constituant la brigade de cavaliers portés du colonel Serlez, dont le PC est installé à Pepinusfort (Boeslinter).

Le 4L est en liaison au sud avec le 14e Cuirassiers français, aile gauche du corps de cavalerie du général Prioux. La liaison est assurée par l’escadron Motos du 4L, avec l’appui d’un peloton blindé du 3L. Peu après 07h.00, le 5e escadron du 3L (5/3L), en réserve à Boeslinter, lui est envoyé en renfort, avec deux T13 et infanterie égarée, et récupérée sur place ; il établit son PC à Gossoncourt.

Dès le matin, le général de Neve de Rooden, commandant le Corps de cavalerie (CC), dont le QG est installé à Lubbeck, reçoit l’ordre suivant du GQG : « Vous prenez le commandement de la position Gette, de la position du canal Albert (de la Nethe à la bretelle de Lummen), et de la bretelle de Lummen. Vous réunissez sur cette position toutes les troupes légères que vous trouverez, n’importe où, ainsi que les artilleries du Corps et des divisions de cavalerie. »

Aussitôt, des officiers du QG du Corps de cavalerie sont envoyés dans toutes les directions, pour récupérer des unités.

Le 2e Chasseurs à cheval (2ChCh), régiment fort éprouvé après son engagement au profit du Ier Corps d’Armée (ICA), reçoit l’ordre de se mettre aux ordres de la brigade de cavaliers portés du colonel Serlez.

Le 1er Guides (1G), regroupé au sud de Hamme-Mille, doit se rendre à Cappellen, entre Tirlemont  et  Diest, pour y constituer la réserve du Corps de cavalerie.

A 14h.15, le 2e Guides et le 1er cyclistes, en repli de Cortessem, sont mis à la disposition du CC/2DC (titre kilométrique du commandant de la cavalerie de la 2e division de cavalerie, en fait, général major, commandant en second de la 2DC) pour renforcer au canal Albert les positions abandonnées par la 6DI, dans le secteur du IIe Corps d’Armée (IICA).

E groupement Ninitte (CC/2DC) doit établir son PC à Oxelaer et prendre à ses ordres les escadrons cyclistes des 6Di et 9DI, qui sont sur place.

A chaque DI (division d’infanterie) était affecté un escadron ou un groupe cycliste de réserve, formé de militaires rappelés, issus de la cavalerie. Il s’agit ici des escadrons cyclistes des 6e et 9e divisions d’infanterie.

Vers 10h.00, la 1DI, en repli de Hasselt, repasse à l’ouest de la Gette et, vers 11h.00, son artillerie et les 3e et 24e de Ligne (3Li et 24Li), sont mis à la disposition de la 2DC.

Le général Beernaert, commandant la 2DC, place le 3Li en second échelon derrière le sous-secteur Sud tenu par le 3L, et le 24Li en second échelon derrière le sous-secteur Nord, tenu par le 2Cy. Il confie le commandement du sous-secteur Nord, au général major Dedroog, CI/1DI (commandant l’infanterie de la 1ère division d’infanterie).

A 12h.25, comme la menace ennemie se rapproche, le commandant du Corps de cavalerie donne l’ordre de faire sauter tous les ponts de la Gette. » A suivre…

La Petite Gazette du 1er juillet 2009

LA BATAILLE DE LA GETTE, UN COMBAT OUBLIE

Nous retrouvons la précise et passionnante étude menée par M. Guy Stassin, commandant de cavalerie e.r.:

« 12 mai 1940. Après-midi du dimanche de Pentecôte.

A partir de 14h.00, le IVe Armée Korps (IVAK) allemand entre en contact avec le front de la position de la Gette. Ce sont les avant-gardes des 31e, 7e et 18e infanterie division (3, 7 et 18 ID) qui tâtent, successivement, le dispositif au pont de Rummen, à Budingen, Neerlinter, Drieslinter et Grimde.

A 15h.00, le commandant du Corps de cavalerie attire l’attention de la 2e division de cavalerie (2DC) sur la vulnérabilité de son flanc droit et met à sa disposition, à Roosbeek, l’escadron blindé du 2e Lanciers (EscAB/2L), coupé de son régiment.

Le 1er guides (1G), qui était en réserve à Cappellen, lui est envoyé en renfort à Kerkom.

A 17h.00, il est signalé que les Français du corps de cavalerie du général Prioux se battent à Hannut.

A la même heure, l’escadron Motos du 4e lanciers, au contact avec l’ennemi sur la voie de chemin de fer, est forcé au repli.

A 18h.00, le commandant de la 2e division de cavalerie (2DC) insiste pour que les sept groupes d’artillerie, mis à sa disposition, soient rapidement déployés : il s’agit des Ier et IIe groupes du 18A, des Ier et IIe groupes du 19A et des trois groupes du 1A, qui fournirent, ultérieurement, un appui de feu précis et appréciable.

A 18h.00 également, selon les ordres reçus, le 2e Chasseurs à cheval (2hCh), réduit à deux demi-groupes, arrive à Oirbeek et est mis aux ordres de la brigade de Cavaliers portés (BCP) du colonel Serlez. Il est affecté au flanc droit de la position de la Gette, en liaison avec le 12e Cuirassiers français, mais ces derniers se replièrent vers 19h.00, en arrière de Gossoncourt, ne laissant dans l’agglomération que quelques chars, qui se replièrent également à 23h.00.

A 18h.30, le 1er Lanciers (1L), qui était aux ordres du IIIe Corps d’Armée (IIICA) et se trouve à Sommeville, est mis également aux ordres de la 2DC (2e division de cavalerie), qui lui ordonne de se rendre à Becquevoort où il doit être mis en réserve de la division, mais il ne rejoindra que le lendemain matin.

A 19h.30, les allemands attaquent en vain le pont du chemin de fer de Drieslinter, à la limite entre les secteurs du 2Cy et du 3L.

Vers 20h.00, le commandant du 2e cyclistes (2Cy) fait savoir qu’il désirerait voir disparaître le 24e de ligne (24L) de ses positions car ses militaires rappelés, de classes anciennes, causent des désordres par leur indiscipline. Le commandant de la 2e division de cavalerie envisage de les remplacer par le 1er guides (1G).

Vers 20h. 00, le flanc gauche étant menacé, l’escadron blindé du 2L (EscAB/2L), renforcé par l’escadron cycliste de la 1DI, est envoyé sur le front Zelk-Diest, pour rétablir la situation.

Entre 18h.00 et 20h.00, le 2e guides, inclus dans le groupement du général Ninitte, arrive au canal Albert dans le secteur abandonné par la 6e division d’infanterie. Après avoir débarqué de leurs camions, les cavaliers portés commencent leur installation dans la région de Tessenderloo et Kleine Vorst. Les débris des escadrons cyclistes des 6 et 9DI sont imbriqués dans le dispositif, mais le 1er Cyclistes (1Cy) n’a pas rejoint.

A 21h.00, sur ordre du GQG, la 14e division d’infanterie, qui occupait la bretelle de Lummen, reçoit l’ordre de repli derrière le canal de Willebroeck.

A 22h.00, le 1er Chasseurs à cheval (1ChCh), installé à Waenrode, après avoir couvert le repli de la bretelle de Cortessem, reçoit l’ordre d’occuper le Demer, face au Nord et à l’est, entre Aerschot et Haelen. Il reçoit, en renfort, l’escadron AB du 2e lanciers (EscAB/2L) et l’escadron cycliste de la 1DI.

Aux environs de 22h.30, le général Ninitte, installé à Tessenderloo avec le 2e Guides (2G), où il a été rejoint par le 1er Carabiniers, reçoit l’ordre d’occuper, le lendemain matin, la position, de Winterbeek, sur laquelle le 1er cyclistes (1Cy) doit se porter immédiatement.

Durant la nuit, les artilleries sont fort actives, de part et d’autre, mais les allemands ne tentent pas de percée et regroupent leurs moyens. » A suivre…

A PROPOS DE LA BATAILLE DE LA GETTE

Concernant la bataille de la Gette, Monsieur Martin Huwart, de Ville-au-Bois, explique :

«  Le 11 mai 1940 mon père le Lt. Charles Huwart (4 L.) a été blessé, une bombe
de Stuka est tombée juste derrière le mur du PC de son escadron et l’a soufflé.  C’est l’ordonnance de mon père, Odon ??? qui s’est précipité le premier pour le dégager des gravats. em_4_l_tirlemont

Photo des cadres du 4ème Lanciers lors de sa constitution à Tirlemont en 1939.A gauche de l’étendard : Le colonel Joris, Chef de Corps.Mon père est juste à gauche de la plaque « dégustez etc » et à droite du civil en arrière-plan.

Il était paralysé. Je ne crois pas qu’il ait reçu un éclat comme l’a raconté M.David dans le livre « Raconte-moi ».  On l’a transporté au QG du régiment (couvent) où les sœurs l’ont plâtré après l’avoir arqué entre deux tables du réfectoire. Il a ensuite été évacué à Berck-plage.  A la capitulation de la poche de Dunkerque, il est tombé aux mains des Allemands, qui, vu son état, l’ont catalogué comme paralysé définitif. Cela lui a évité la captivité, et un train sanitaire l’a  ramené à Bruxelles (Hopital Brugman) où ma mère a pu le récupérer. Je n’ai pas encore pu déterminer combien de mois il est resté paralysé, mais il entré dans l’A.S. dès 1941. »

La Petite Gazette du 8 juillet 2009

LA BATAILLE DE LA GETTE, UN COMBAT OUBLIE

Nous retrouvons la précise et passionnante étude menée par M. Guy Stassin, commandant de cavalerie e.r.:

« Mardi 13 mai 1940.

A 00h.00, le Corps de cavalerie (CC), dont le Q est toujours à Lubbeck, informe la 2e division de cavalerie (2DC) : « La 1DI, moins le 1A et le 3Li, qui restent à votre disposition, se repliera de nuit au nord de Louvain. » Le 2e Cyclistes sera donc débarrassé du 24e de Ligne, indiscipliné.

Le groupement du général major Ninitte, CC/2DC, occupe la bretelle de Winterbeek avec le 2e Guides (2G) et le 1er cyclistes (1Cy), en liaison au Sud avec le 1er Chasseurs à cheval (1ChCh), qui  flanc-garde  la 2e division de cavalerie (2DC) sur le Demer, avec l’escadron blindé du 2e Lanciers (2L) en renfort.

La position de la Gette est occupée par la 2e division de cavalerie (2DC) dont le PC se trouve toujours à Kerbeek-Miskom.

Suite au départ de la 1DI du général De Droog, la 2DC prend le dispositif suivant sur la position de la Gette :

Sous-secteur nord (SSN) aux ordres du colonel BEM Morel de Westgaver, commandant le 1er guides (1G).

  • 2e cyclistes (2Cy) en premier échelon
  • 1er guides (1G) en second échelon
  • Flanc-garde du flanc Nord, jusqu’à Aerschot, par le 1er Chasseurs à cheval (1ChCh), l’escadron cycliste de la 1DI (EscCy1DI), le groupe cycliste de la 14DI (GpCy14DI) et l’escadron blindé du 2e Lanciers (EscAB2L)

Sous-secteur Sud (SSS) aux ordres du colonel BEM Serlez, commandant la brigade de Cavaliers portés (BCP)

  • 4e Lanciers (4L) et 3e Lanciers (3L) en premier échelon
  • 3e de ligne (3Li) en second échelon
  • 2e chasseurs à cheval (2ChCh) en flanc-garde du flanc Sud

Le 1er Lanciers (1L) est en réserve de la 2DC à Becquevoort, où il arrive vers 08h.00.

Des éléments du IIe groupe du 2e Lanciers (II/2L) sont installés en « bouchon » à Roosbeek, aux ordres de la 2DC.

A 07h.30, les Allemands attaquent en direction de Haelen, mais ne parviennent pas à percer.

Vers 10h.45, les Français abandonnent le hameau de Meer, découvrant ainsi le flanc droit de la 2DC. Le Corps de cavalerie fait appel aux Britanniques, mais reçoit une réponse négative. C’est finalement le IVe Corps d’Armée qui enverra l’escadron cycliste et la compagnie anti-chars T13 de la 10e division d’infanterie (10DI) en renfort.

003

Vers 14h.00, le général de Neve de Rooden, commandant le Corps de cavalerie (CC), envoie l’ordre d’avertissement suivant :

« Les troupes du Corps de cavalerie résisteront sur leurs positions jusqu’à la tombée du jour, moment où commencera le repli ; garder soigneusement les débouchés de Haelen et de Diest.

La 2DC se repliera sur Thildonck et Wijgmael, et plus à l’ouest ; le 3Li rejoindra sa division vers Pont-Brûlé. »  

Peu après 15h.00, Haelen est attaquée en force, mais le 2Cy et le 1G tiennent bon. L’artillerie intervient énergiquement.

Vers 18h.30, les Français abandonnent Hoegaerde, sur le flanc droit, qui doit être regarni par les renforts de la 10DI.

Vers 20h.00, les positions d’artillerie su sous-secteur Nord sont bombardées par la Luftwaffe et l’ennemi tente à nouveau une percée sur Haelen, mais échoue. Les allemands devenant menaçants en direction de Diest, le 1er Cyclistes (1Cy) prépare une contre-attaque. C’est dans ce contexte que le GQG, avisé du retrait des Français, envoie, vers 20h.00, l’ordre de repli.

Le général De Neve transmet cet ordre, peu après, aux délégués d’unités, convoqués à son PC : les ordres verbaux sont accompagnés d’un calque donnant les itinéraires.

Timing du repli : 21h.30 : formation logistiques et médicales

23h.30 : artillerie et troupes combattantes

02h.30 : arrière-garde

Des arrière-gardes fixes, appuyées par de l’artillerie, seront postées aux points cruciaux, à Diest, Haelen, Geet-Betz, Drieslinter et Tirlemont, et seront relevées par des arrière-gardes mobiles à base de motocyclistes et de blindés, qui décrocheront à 03h.00. Le 3Li sera transporté par camions.

Quatre itinéraires sont prévus, un au nord et trois au sud par la route de Louvain ; mais, après reconnaissance effectuée par un officier du Corps de cavalerie, ils se réduisent à deux, les Britanniques ayant fait sauter prématurément les ponts de Wygmael et Rotselaer.

Durant la soirée, la pression ennemie, accompagnée de nombreuses infiltrations, s’accentuera en direction de Haelen, Drieslinter et Tirlemont.

Le 3e de ligne (3Li), après une courte étape à pied jusqu’à Winghe-Saint-Georges, sera véhiculé par le Corps de transport sur Cappelle au bois » A suivre…

La Petite Gazette du 15 juillet 2009

LA BATAILLE DE LA GETTE, UN COMBAT OUBLIE

Nous découvrirons aujourd’hui la suite et la fin de cette précise et passionnante étude menée par M. Guy Stassin, commandant de cavalerie e.r., qui aime à rappeler que « cette série d’articles, écrits à partir des journaux de campagne des diverses unités, a été motivée par un devoir de mémoire » :

« Mardi 14 mai 1940 – le repli du Corps de cavalerie

Selon les ordres du général de Neve de Rooden, commandant le Corps de cavalerie (CC), diffusés la veille à 13h.30, le repli de la position de la Gette s’effectue à la faveur de la nuit.

Le QG du Corps de cavalerie quitte Lubbeck vers 01h.00.

A 01h.00, les arrière-gardes fixes sont relevées par les arrière-gardes mobiles et se replient avec leur artillerie d’appui.

Les arrière-gardes motorisées se replièrent à 03h.00. La nuit est d’encre et la colonne s’ébranle lentement, tous feux éteints, avec les véhicules distants de seulement un mètre et qui s’emboutissent à de multiples reprises.

Le major de Maere d’Aertrijk, aide de camp du prince Charles, qui s’exprime correctement en anglais, est envoyé en mission au QG des Britanniques à Louvain, pour les mettre au courant du repli des Belges à travers leurs lignes. Mais les incidents se multiplient avec l’artillerie anglaise qui ouvre le feu, un escadron du 2e Lanciers est accueilli à coups de mitrailleuses…

Une colonne d’artillerie du Corps de cavalerie traverse un champ de mines britanniques non balisé ; deux caissons explosent : sept tués !

Des quatre itinéraires prévus, deux sont inutilisables, car la majorité des ponts sur le canal Louvain-Malines ont été détruits prématurément : en effet, les ponts de Wilsele, Wygmael et Tildonck ont déjà sauté ; seul le pont « over de Vaartg » est encore intact.

Sur la route Louvain-Malines, les embouteillages sont évités grâce à la vigilance des officiers de liaison… et de l’aumônier ! L’aviation allemande est agressive, dès le lever du jour, et l’aviation alliée, pourtant sollicitée, ne se montre pas.

Vers 10h.00, le QG du Corps de cavalerie s’installe au château d’Eppeghem. Le Corps de cavalerie reçoit l’ordre de se regrouper dans la région d’Eppeghem et de la Senne, pour servir de réserve d’armée. Les 1A et 3Li rejoignent la 1DI à Cappelle au Bois.

Vers 11h.00, le général de Neve de Rooden, commandant le Corps de cavalerie, est convoqué chez Sa Majesté le Roi, qui le félicite pour la belle tenue des troupes, qui seront citées à l’Ordre du Jour de l’Armée :

« Chargé de défendre, les 13 et 14 mai 1940, la position de recueil et d’arrière-garde cde la Gette, a exécuté sa mission avec un courage et une ténacité dignes d’être cités en exemple, opposant une résistance farouche aux attaques en front et en flanc d’un adversaire orgueilleux de ses succès antérieurs. Ne s’est replié, avec calme et méthode, qu’après en avoir reçu l’ordre formel, sa mission étant intégralement accomplie. »

Cette citation sera inscrite en lettres d’or sur les étendards, drapeaux et fanions des 1er, 2e, 3e et 4e Lanciers, 1er Guides, 1er et 2e Chasseurs à cheval, 1er et 2e cyclistes, 18e et 19e d’Artillerie à cheval, 1er d’Artillerie, 3e de Ligne et autres services ayant participé au combat.

Les Cavaliers et Artilleurs ont un étendard, l’Infanterie, un drapeau et les carabiniers cyclistes un fanion. »

Un immense merci au Commandant de Cavalerie e.r.  Guy Stassin pour nous avoir fait bénéficier des fruits de sa patiente recherche.

LE 10 MAI 1940

La Petite Gazette du 28 mars 2012

LA GUERRE DE MON PAPA EN EXIL…

C’est de Waremme que Monsieur Georges Goudenne a écrit à La Petite Gazette pour évoquer un aspect bien moins connu de la guerre de certains de nos compatriotes. Merci pour ce petit récit.

« Partis, le 10 mai 1940, pour rejoindre son unité avec quelques amis et connaissances de Hannut, mon papa et les autres se sont retrouvés à Dunkerque, embarqués sur les bateaux par les Anglais, baïonnette au canon, ils seront accusés de déserteurs par des Français du Nord avant d’être placés dans un camp de prisonniers. Ils seront employés à ramasser les cadavres après les bombardements puis à travailler dans des usines d’armement. Les deux dernières années passées à Londres, il était infirmier dans un hôpital pour soigner les blessés qui revenaient des combats. Il y croisa de très nombreux handicapés.

Il a eu l’autorisation de quitter l’Angleterre et est arrivé chez nous le 5 août 1945, le jour de l’anniversaire de ma sœur. J’avais 10 ans et je n’ai rien oublié de ce jour.

Mon papa est décédé le 27 avril 1950, j’avais 20 ans. Aujourd’hui, j’en ai 81 et tous ces souvenirs me hantent… Je me demande toujours maintenant à quoi tous ces morts ont servi… A bas la guerre !

Parmi les copains de papa, il y avait Jules Hardy qui, en 1940, en exil à Morton-Crescent Southgate London écrivit cette chanson qui se chante sur l’air de « Sous les ponts de Paris »

1er couplet

Partis de la Belgique

Mitraillés de partout

Par les hordes germaniques

Ecrasant comme des fous

Fuyant pour venger notre pays

Notre liberté si chérie

Nous avons abandonné tout

Et être bien loin de notre patrie.

1er refrain

Malgré nous espérons

Rentrer à l’unisson

La tête haute

Car pour nous c’est un rêve

Que les alliés ne leur donneront pas trêve

Chasser tous ces barbares

Nous comprendrons plus tard

Qu’il se faut tenir par la main

Pour abattre tous ces chiens.

2e couplet

Nous sommes en Angleterre

Dieu sait pour combien de temps

Ne sachant donc que faire

Que penser trop souvent

Sans nouvelles de nos parents

Femme et enfants qui nous restent

Nous avons l’espoir de vous revoir

Et de vous donner nos tendresses.

2e refrain

Après l’occupation

Faut prendre une décision

La Hollande, la Belgique et la France

Attendaient le jour de la délivrance

Mais pour calculer plan

Il faut attendre longtemps

Mais maintenant nous voilà délivrés

Vivent les alliés.

Vivent les alliés.

La Petite Gazette du 2 mai 2012

LA SECONDE GUERRE MONDIALE DEBUTAIT IL Y A 72 ANS ET VOUS VOUS EN SOUVENEZ

Monsieur Clément Cleseur, alerte nonagénaire de Sougné-Remouchamps, rebondit sur les souvenirs de M. Gourdenne, de Waremme. Nous retrouverons ses souvenirs, commentaires et analyses au fil de trois éditions successives de La Petite Gazette. D’emblée, M. Cleseur nous explique ce qui motive son intervention :

« La vérité doit être dite, m’écrit ce lecteur passionné, et ce dans tous les domaines, avec le risque de ne pas être écouté, d’être ignoré. Nous sommes la dernière génération à détenir cette vérité,  à avoir vu et vécu ce que nous défendons, notre honneur, notre amour de la Liberté, de la Solidarité et nos sacrifices pour l’avoir obtenue. Pour cela, et dans ce cas précis comme dans tout ce que je défends, je continuerai à me battre  de cette façon jusqu’au dernier jour de ma vie !

« Je suis né en 1921, le 10 mai 1940, j’avais 19 ans. J’étais de la classe 40 ; bon pour le service, j’avais été incorporé. Ce jour-là, l’ordre de mobilisation générale est donné. Tous les hommes de 18 à 35 ans sont mobilisés et doivent rejoindre un lieu qui leur est désigné d’officie par arrêté. A 12 heures, j’ai reçu, comme des milliers d’autres, le mien ; le lieu que je devais rejoindre était « Binche ».

Nous avions libre parcours sur tout : le tram, le train… Tout était organisé, à notre arrivée, nous avons été pris en main par des officiers de l’armée, nous dormions chez l’habitant.

On peut fixer le début de la Bataille de France à l’invasion des Pays-Bas, de la Belgique et du Luxembourg., le 10 mai 1940. Appliquant leur nouvelle tactique de « guerre éclair », les nazis eurent fait de contraindre l’armée hollandaise à capituler. L’armée belge fut, elle aussi, réduite à demander un armistice qui, seul, pouvait lui éviter d’être anéantie.

Le 28 mai, le corps expéditionnaire britannique, en même temps que certains éléments des 1ère et 7e armées françaises, alors coupées du gros des armées alliées, se replia sur la région de Dunkerque afin d’être évacué vers l’Angleterre.

Sous les bombes, les obus et les balles, plus de 224.500 soldats britanniques et 112.500 combattants alliés (français pour la plupart) furent rembarqués des plages de Dunkerque et amenés à bon port par 222 navires de la Marine de guerre et 665 autres bateaux britanniques. Le 3 juin, l’évacuation était terminée.

Le 22 juin, à 6h.50 de l’après-midi, Pétain acceptait les conditions des Allemands et signait un armistice. La bataille de France était terminée.

Comme vous le constater c’est à partir du 28 mai (18 jours après le 10 mai) que l’armée britannique a commencé le rembarquement sur les plages de Dunkerque, pour le terminer le 3 juin. »

La Petite Gazette du 9 mai 2012

LA SECONDE GUERRE MONDIALE DEBUTAIT IL Y A 72 ANS ET VOUS VOUS EN SOUVENEZ

Nous retrouvons, cette semaine, l’intervention de Monsieur Clément Cleseur, nonagénaire de Sougné-Remouchamps, qui raconte et analyse la guerre de ceux qui, comme lui, étaient de la classe 1940 :

« Second volet de notre guerre… Avant cet épisode que je viens de vous décrire (N.D.L.R Voir notre précédente édition), vous devez savoir que Dunkerque était réservé uniquement aux Anglais ; c’est pourquoi, le 10 mai, le Gouvernement anglais envoyait déjà des navires pour rapatrier tous ses compatriotes, c’est-à-dire les consulats, avec le Consul et le personnel britannique ainsi que les archives. Il en était de même pour l’ambassade à Bruxelles et certaines personnes belges, wallonnes, qui ne pouvaient pas tomber dans les mains des Allemands et qui étaient assimilées au personnel britannique.

A Dunkerque comme à Lille, pas moyen de s’approcher de la gare si on n’est pas français et moins encore des bateaux anglais car il y avait 600 réfugiés britanniques à faire rentrer au pays. Même avec toutes les autorisations en ordre, il fallait être patient et attendre la vérification par des officiers pour franchir les barrières des docks. Nous étions ainsi les 10, 11 et 12 mai et il fut de même, dans l’enceinte de Dunkerque, jusqu’au jour du 28 mai que je vous ai décrit.

Dans ce second volet qui est le nôtre, il me reste à vous résumer ce que nous, les mobilisés de 18 à 35 ans pour l’Armée belge de réserve, avons fait en exécutant les ordres que nous avions reçus de nos officiers et, de ce fait, vous faire comprendre pourquoi notre place n’était à Dunkerque, mais en direction de Bordeaux où était le gouvernement Pierlot.

Nous sommes donc à Binche, les allemands enfonçaient tous nos verrous… c’est à ce moment que l’on nous envoya en France par nos propres moyens. A pied, à cheval ou à vélo qu’importe, mais il fallait partir : point de ralliement Toulouse.

Mais, un jour, aux environs de Cambrai, toujours à pied, nous avons été rattrapés ; en premier, par des soldats français qui, en nous voyant, nous montraient du poing en criant : « Boches du Nord ! »Puis, un jour matin à l’aube, nous avons vu passer, à 100 mètres de nous, nos premiers Allemands.

Sans ordres, sans argent, nous sommes repartis, toujours en avant. Nous avons été malades, nous avons mangé du vieux pain qui puait l’eau de Cologne, mais nous avons continué notre guerre et à suivre les ordres donnés à Binche !

Puis, un jour, nous avons pu sauter dans un train, sans ordres, sans ticket, subitement tout changeait… Notre >Roi avait capitulé, nous l’apprenions et les Français avaient signé un armistice. Sur le quai d’une gare, nous sommes devenus des associés, des abandonnés, des malheureux avec la différence que, nous, il y avait des jours que nous n’avions plus de lit, plus un repas, plus un café… rien que du vol à l’étalage et dans les maisons abandonnées suite aux bombardements. Ce train nous conduisit à Toulouse.

Voilà comment on peut expliquer une organisation – désorganisée – entre le 10 mai, la capitulation française et notre arrivée à Toulouse. A notre arrivée, nous avons été repris en main par l’Armée belge bien organisée. Nous sommes allés dans le Tarn-et-Garonne, à Caylus où nous avons construit un camp en zone libre. Ce camp, en 2012, existe toujours. Il avait été visité par le Président, Monsieur Mitterrand. Là, il y avait des Français et des Belges, ainsi que des officiers des deux pays. Nous étions des soldats, sans uniforme et sans fusil…

Le Gouvernement Pierlot, en zone libre avec nous ! La situation est claire, nous n’avons pas capitulé, nous avons réussi à rester libres ; nous avions exécuté les ordres qui nous avaient été donnés. Et pourtant, le 4 août 1940, un nouvel ordre nous était donné… et du même Gouvernement Pierlot et des mêmes ministres !

Là, les ordres furent clairs : on rentre au pays, marche forcée, sans manger, pleins de puces, malades de dysenterie jusqu’à Cahors, Montauban où nous avons mangé sardine et pain sec ; puis le train via la ligne de démarcation. Jamais rien ne nous fut proposé ni demandé… seuls des ordres !

Alors, voilà, 72 ans après, en lisant la lettre et surtout son interprétation « un aspect bien moins connu de la guerre 1940 » (N.D.L.R. Voir La Petite Gazette de la dernière semaine de mars 2012) Je suis en droit de me demander si l’on connait bien les aspects, bons ou mauvais, de la Guerre 40 ; c’est la raison qui m’oblige, une fois encore, à écrire notre version ! Nous sommes en démocratie et, pour cette raison, les lecteurs de La Petite Gazette doivent également découvrir cet aspect. Ils doivent savoir comment se sont comportés leurs fils, leurs enfants, ceux que l’on a mobilisés avec des ordres et qu’ils ont exécutés ; comme ils savent le comportement et ce qu’il est advenu de ceux qui n’ont pas respecté les ordres… »

La Petite Gazette du 16 mai 2012

LA SECONDE GUERRE MONDIALE DEBUTAIT IL Y A 72 ANS ET VOUS VOUS EN SOUVENEZ

Voici maintenant la fin de la contribution de Monsieur Clément Cleseur, nonagénaire de Sougné-Remouchamps, qui nous a donné un éclairage précis et sans détours sur la guerre de ceux qui, comme lui, appartenaient à la classe 1940

« Troisième volet. Je me suis toujours demandé les raisons qui avaient fait que le Gouvernement Pierlot ne nous avait pas embarqués et avait osé nous renvoyer dans la Belgique occupée et aux mains des Allemands et des collaborateurs. Pendant des années, j’ai cherché ; puis, un jour, j’ai trouvé qui nous avait fait rentrer. Comme toute peine, on la garde au fond de son cœur, prêt à la dire un jour, ce que j’ai fait par écrit à l’époque !

Je ne croyais pas de nouveau avoir à la redire à l’âge de 90 ans… Et pourtant, pour les lecteurs de La Petite Gazette, au nom de la Liberté et de tous les morts, je dois le faire.

Comme chaque chapitre, je vous la livre simplement et à ma façon. La Belgique avait capitulé et nous, l’Armée de réserve, on était en zone libre. Le Gouvernement belge n’était plus le Gouvernement Pierlot ! Quand le Maréchal Pétain fit aux Allemands des ouvertures d’armistice, les ministres belges, réunis à Bordeaux, décidèrent de faire parvenir à Laeken un message où ils disaient que le Gouvernement démissionnerait dès que le sort des  réfugiés et des soldats belges en France serait réglé, afin de faciliter les négociations, probables, de paix entre l’Allemagne et la Belgique.

Le 19 juin, toujours de Bordeaux, un second message conçu dans le même sens est adressé au Roi.

Le 26 juin, le Gouvernement confirme la même position, ajoutant qu’il ne veut rien faire sans connaître l’avis du Roi… Le comble et je cite Monsieur Pierlot qui dans ses pages d’histoire à ce sujet, écrit : « Dans ces textes, il résulte que nous nous sommes mis en rapport avec les autorités allemandes en vue de régler le rapatriement « ce qui fut fait ». Au contraire, en ce qui concerne les négociations éventuelles, nous n’avons rien demandé d’autre que l’avis du Roi et l’occasion d’un contact avec lui. On peut penser que le Gouvernement a eu tort de penser à pareil projet. Nous n’avons rien fait de répréhensible.»

Devant la loi politicienne, non, vous êtes les plus forts et vous l’avez toujours été ! Mais devant nous, le Peuple, devant moi et des milliers d’autres, mobilisés et soldats de la classe 1940, vous avez trahi ! Vous nous avez remis dans les mains des nazis ! Vous avez fait de nous des déportés au travail obligatoire, vous avez fait de nous, pour certains, des fusillés (voir l’enclos de la Citadelle pour nous Liégeois) et vous avez laissé de 75000 à 80000 prisonniers aux mains des Allemands. »