POURQUOI APPELLE-T-ON « CANADAS » LES POMMES DE TERRE?

La Petite Gazette du 5 mars 2008

POURQUOI DES CANADAS ?

Monsieur Evrard-Segers, de Leignon, se pose une question qui, à mon avis, a dû, un jour ou l’autre intriguer bien d’autres personnes.

« Pourquoi mon grand-père ainsi que les personnes de sa génération appelaient-ils quasi toujours les pommes de terre des « canadas ». S’agit-il d’une variété particulière de ce tubercule ou cette appellation se réfère-t-elle à autre chose ? »

Un coup d’œil au dictionnaire de Jean Haust m’apprend que ce terme désignait d’abord les topinambours avant d’être emprunté au wallon namurois pour désigner les pommes de terre. En effet, le wallon liégeois utilise plus fréquemment le mot « crompîre ». Il y a sans doute bien d’autres choses à dire à propos de ce nom. Pourrez-vous nous expliquer ce que vous savez à son propos ? D’avance, merci.  

La Petite Gazette du 19 mars 2008

POURQUOI DES CANADAS ?

Monsieur René Brialmont, sans doute intéressé par la question posée par Monsieur Evrard-Segers, de Leignon,  lui apporte des éléments de réponse en précisant qu’il le fait « sans prétention autre que celle de posséder quelques bouquins indispensables » Voici ce que ses bouquins lui ont appris :

« Effectivement, Jean Haust mentionne « canada » comme synonyme plaisant, par référence au Namurois, de « crompîre » dans l’Est-wallon (Liège), et Eugène Dethier, dans son dictionnaire wallon de Liège et de Hesbaye, (1994), mentionne le terme comme désignant un peuplier dans la Hesbaye-Ouest, ou une pomme de terre. Georges Themelin traduit aussi canada par pomme de terre dans son dictionnaire lorrain (gaumais) de 1999. Par contre, J.B. Dasnoy (dictionnaire wallon de la province de Luxembourg, 1856), ne le mentionne pas, ni Philibert Delmotte (Hainaut,1812) ni Cambresier ( Liège, 1787). Par contre, une vieille chanson namuroise des Wallons du Wisconsin dit clairement : » Dji m’fou d’çà, dj’a dès canadas…« . Il semble donc que le terme « canada » ait trouvé racine au XIXe S. dans la région de Namur, et qu’un linguiste namurois pourrait nous en donner l’explication historique.
Quant à « crompîres », c’est peut-être le terme européen le plus ancien qui désigne une pomme de terre, si on excepte « patate ». En effet, étymologiquement, une crompîre est une « grund-peer » (en allemand : poire de terre), ou « erdapfel » (aardappel en flamand): pomme de terre, et les premières cultures de plants de pommes de terre arrivant du Nouveau Monde se situent en Allemagne au XVIe S. Ceci dit, une « pomme de terre », était à l’origine un topinambour, et Parmentier généralisa le mot « pomme de terre » vers 1770-1780 à la patate. Ce dernier terme provient du mot espagnol batata, puis patatta, copiant le terme local d’Amérique centrale, puis patate, francisé par Champlain en 1601.(Larousse -Dictionnaire étymologique et historique du français, 1964 et 1993.) »

Merci pour cette recherche et pour en communiquer les résultats d’une façon si précise et si accessible.

La Petite Gazette du 26 mars 2008

LES CANADAS

Monsieur Raymond Gillet, de Nandrin, nous adresse quelques informations :

« Dans ma région (Bouillon), les pommes de terre s’appelaient, s’appellent encore, « les canadas « et par extension la surface de culture «  la canad’yre ».

Mais à 2 – 3 villages de chez nous, elles s’appellent  «  kartouches «  ou «  trucs « ; plus loin vers le Nord-Est elles s’appellent «  krompîres ».

La Petite Gazette du 2 avril 2008

QUELQUES REFLEXIONS AU DEPART DES CANADAS

M. Jean-Pierre Dumont, de Clavier, n’est pas inconnu des lecteurs de la Petite Gazette. Souvenez-vous, il y a quelques temps, je vous avais présenté son recueil de nouvelles en wallon :  » Contes di m’payis èt d’co pus lon » qui lui avait permis d’obtenir le prix des langues endogènes décerné par la Communauté française. Il vient de se voir attribuer un autre prix, par la province de Liège cette fois, pour un nouveau recueil de nouvelles en wallon, non publié,  « Tot toûrnant lès pâdjes ». On ne sera, dès lors, pas étonné de le voir prendre la défense d’une appellation wallonne.« Je voudrais évoquer une « dérive » concernant une pomme de terre portant un nom bien de chez nous  » li Cwène di gate » connue sous ce nom dans de nombreuses régions, notamment dans le sud de la France. Or, on la trouve de plus en plus souvent dans le commerce sous le nom de  » corne de gatte », un début de francisation qui à terme  » désidentifiera » notre pomme de terre. A l’heure où l’identité wallonne est de plus en plus niée en haut lieu (Il n’y a pas de Wallons, il n’y a que des francophones (prononcez « frankeupheunes »), n’abandonnons pas les noms de nos produits du terroir.Saluons en passant l’érudition de René Brialmont, grand homme de théâtre et du théâtre wallon en particulier, dont nous avons pu voir il y a quelque temps à la télévision une excellente pièce dont l’action se déroulait à Durbuy.Quant à la chanson évoquée par madame Odile Bastin d’Odeigne,  je voudrais signaler que le chanteur Philippe Anciaux, grand prix de la chanson wallonne dans les années 70, l’avait mise à son répertoire. Elle se chante sur un air de « charleston » d’avant guerre  » Yes sir, that ‘s my baby ».  Elle évoque la vie chère et la hausse des prix (bien d’actualité encore aujourd’hui).   En résumé, « on r’monte tot, n-a qu’ l’ovrî qu’on n’ rimonte nin. » Et mon aimable correspondant de conclure avou sès mèyeûsès salutâcions walones.

La Petite Gazette du 9 avril 2008

ENCORE LES CANADAS

C’est M. Jacques Bastin, de Heyd, qui y va maintenant de quelques souvenirs :

« Je vais tout de même un rien prendre part au débat afin de rapidement exposer le peu que je sais sur cette appellation fort particulière de nos bonnes vieilles crompîres. Voici : J’ai entendu articuler ce mot Canada (que Jean Haust  signale comme acception plaisante de crompîre à la page 369 de son Dictionnaire Français-Liégeois) pour la toute première fois, en 1947, à Ouffet, par un cousin direct (né le 6 juin 1919 et vivant toujours actuellement, au même endroit, à Ouffet). Il expliquait alors, à mes grands-parents paternels, ses oncle et tante et voisins directs,  «qu’i d’vév’ aler atch’ter des canadas». N’ayant jamais entendu ce mot wallon, je fis toutefois vite le rapprochement adéquat avec crompîre.

A la fin des Années 40 (ou au tout début des Années 50?), la grande fantaisiste française Line Renaud lança la fameuse chanson : «Ma cabane au Canada», chanson qui  connut un succès qu’on peut vraiment qualifier de mondial (Un vrai «Tube», dirait-on de nos jours).

Un jour, de cette même période, alors que je campais, en compagnie d’amis liégeois, à Sy, petite localité de la vallée de l’Ourthe située entre Hamoir et Bomal, nous pûmes  constater qu’une personne originale de l’endroit, saisissant sans doute la balle au bond, avait eu la bonne idée de peindre, au fronton de la petite baraque où elle faisait ses frites, la mention  de : « La Cabane aux Canadas ».

Ce sont les seules fois où j’ai pu entendre ou voir, dans la région Liège-Ouffet-Hamoir-Barvaux,  ce mot wallon employé en tant que synonyme de crompîre. »

La Petite Gazette du 21 mai 2008

A PROPOS DES CANADAS

Monsieur André Maréchal, de Bende, vous suggère cette explication à propos de ces pommes de terre appelées « canadas ».

« Mon arrière-grand-père, Antoine Dossogne, fermier à la ferme de Bende, a tenu un journal de ce que fut son métier d’agriculteur Antoine J. Dossogne a été bourgmestre de la commune de Bende Jeneret, sa pierre tombale se trouve dans le vieux cimetière de Jeneret, à côté de l’église. Voici, sorti de sa plume, le récit de l’apparition du mildiou.

« Souvenir d’une punition de Dieu qui est arrivée au mois d’août 1845 dans tous les pays. Maladie sur la pomme de terre, presque toutes les tiges sont mortes, c’est-à-dire toutes noircies, les pommes de terre tachées d’un rouge-noir, les feuilles sont parties. On devait semer de la chaux, un setier par verge, mais cela ne fait aucun effet – chose qu’on n’a jamais plus vue ! où on pouvait avoir quatre chariots de pommes de terre, on n’a que trois tombereaux qu’on doit conserver pour planter. L’étendue de cette punition est de trois cents lieues de long et de large alors qu’on m’a dit qu’il y avait encore la même chose il y avait cent cinquante ans ! Pluie continuelle qui arrive devant la fenaison de foin et jusqu’au 25 août, on a eu cinq jours pour faner et couper le seigle, et en 1842, le 25 dont nous avons fini l’août de dur grain. Et en 1845, on n’a encore que coupé le seigle et pas seulement mis la faux dans d’autres grains. Il est parvenu pendant ce temps, de l’orage et du tonnerre qui ont des eaux, d’une grosseur, qu’on n’avait jamais rien vu de pareil. Les terres labourées ont été recouvertes d’eau qui y faisait des concavités extraordinaires et, du côté de Saint-Hubert, des villages entiers ont été ravagés par d’abondants morceaux de glace. Jusqu’à des maisons de particuliers ont été rasées par la grêle et les eaux.

En parlant des pommes de terre ci-dessus, je viens en donner mémoire à cause de la rareté et en même temps de la cherté des pommes de terre.

Comme on n’en avait recueilli que pour planter et encore que celles que nous appelons les plates qui avaient été plantées de bonne heure car surtout les plantées tard, il n’y en n’aura pas eu. Il en est venu de Liège, sur le wagon, en grande quantité, qui provenait de l’Amérique, origine de cette plante, et du Limbourg.

Le 7 avril 1846, j’ai été chercher à Terwagne, 350 kilos pour treize francs le cent kilos, moitié pour planter, moitié qu’on aurait bien mangé, mais à raison qu’elle venait d’un pays lointain, outre Saint-Hubert, nous les avons gardées pour planter. »

Et mon correspondant de commenter utilement cet étonnant récit :

« Deux références à la ville de Saint-Hubert, bien explicites quant à l’importance donnée alors, point de repère.

En plus, à un kilomètre d’ici, à Ponthoz, anciennement Pontu, le cortège transportant les restes de saint Lambert vers Saint-Hubert s’est arrêté là pour une nuit (point d’eau, fermes…) A cet endroit a été construite une chapelle, classée aujourd’hui et possédant des peintures magnifiques, propriété des Comtes Van der straten ponthoz, elle fut reprise dans la vente des biens en indivision et fait maintenant partie du domaine de M. Butzen, qui doit l’entretenir ce qu’il fait d’ailleurs très bien. »

10 réflexions sur “POURQUOI APPELLE-T-ON « CANADAS » LES POMMES DE TERRE?

  1. Fin de la guerre, à Vinalmont mon grand-père rentrait ses canadas… Un GI lui demande …. mon grand-père leui répond « c’est des canadas!!! » …. incompréhension de notre GI ! ! !

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  2. A Orp-le-Grand (Hesbaye Brabançonne) depuis ma naissance, fin 1942, j’ai toujours entendu parler des canadas.
    Et ce n’est qu’aujourd’hui, en arrachant les miennes que je me pose la question de l’origine de ce mot, tellement proche de ce pays au nord de l’Amérique.
    Mieux vaut tard que jamais!

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  3. Je commence à cultiver les topinambours. Tellement différents des pommes de terre, canadas, patates, crompyres etc..
    La pomme de terre est elle une évolution ou une espèce différente.

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    1. J’aimerais vous apporter une réponse pertinente cependant, ainsi que vous pourrez vous en persuader en consultant les pages de ce blog, mes compétences sont résolument tournées vers l’histoire régionale et les traditions populaires. Il nous reste à espérer que votre question inspirera un féru de botanique et qu’il aura la gentillesse de partager ses connaissances avec nous.
      Pour la Petite Gazette, René Henry

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  4. Bonjour depuis peu au Canada dans la province du Québec j’ai peu être aussi un semblant d’explication. En effet ici les pommes de terre on un goût, une tenue, qui sont très loin de celles de par chez nous. Et comme dit dans d’autres commentaires, suite aux disettes »maladie, guerre etc » les pommes de terre venant d’outre Atlantique étaient appelées « canada » se référant alors à leurs qualités . Ceci n’engage que moi . Merci

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