La Petite Gazette du 23 février 2011
C’ETAIT IL Y A CINQUANTE ANS … LA GREVE DE L’HIVER 1960-1961
Dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, s’il n’y est pas pris garde à temps, il ne sera plus possible de récolter les souvenirs de celles et de ceux qui furent témoins ou acteurs de ce grand mouvement social dont les répercussions sont toujours bel et bien d’actualité.
J’ai le projet, avec le P.A.C. Aywaille, de présenter, durant le printemps prochain, une exposition destinée à montrer et à expliquer cette grande grève et ses conséquences. Le tout semble bien connu car se développant dans une Belgique à l’infrastructure vieillie, même si l’Expo 58 et l’Atomium se voulaient des symboles de modernisation élevés pourtant à la veille d’une importante récession qui, en 58-59, verra une hausse rapide du chômage dans les secteurs du charbon, véritable étincelle qui mit le feu aux poudres. En plus, 1960 sera l’année durant laquelle la Belgique perd le Congo et, avec lui, bien des rêves… Pour tenter de sortir de la crise, le gouvernement propose la loi unique qui devait permettre de rassembler les fonds nécessaires à la modernisation du pays dans le cadre des lois d’expansion économique. Elle aura surtout pour effet d’unifier la protestation ouvrière. La grève commença le 20 décembre 60 et dura cinq semaines. Son expansion fut très rapide au cours des deux premières semaines.
Si je vous rappelle cela, c’est dans le seul souhait de pouvoir compter sur vous pour rassembler des souvenirs et des renseignements sur la façon dont cette grève a été vécue, au quotidien, dans nos régions. Quelle était la situation dans les carrières, dans la construction, dans les transports, dans les écoles ? Quelles ont été ses conséquences dans l’approvisionnement des petits magasins de nos villages ?
En effet, si nous possédons de multiples témoignages sur le quotidien de la grève dans les bassins industriels, les témoignages sont rares pour le milieu rural. Vous qui avez des souvenirs de cet hiver si particulier, aurez-vous l’amabilité de les confier à La Petite Gazette ? Avez-vous des photos, ou d’autres documents, illustrant cette longue période d’agitation sociale dont les conséquences se firent évidemment ressentir dans nos campagnes également ?
Certain de pouvoir compter, sur ce sujet également, sur votre précieuse collaboration, je me réjouis déjà de prendre connaissance de tous ces souvenirs que vous voudrez bien me confier et vous en remercie.
La Petite Gazette du 9 mars 2011
DURANT LA GREVE DE 60 : UN SABOTAGE A REMOUCHAMPS !
Monsieur Alain Charlier, de Remouchamps, a réagi promptement à l’appel que je vous lançais à propos de vos souvenirs locaux de l’époque de la grande grève de 1960 et je lui en suis très reconnaissant. Voici ce qu’il me raconte :
« Concernant les grèves de 1960, malgré mon très jeune âge à l’époque (je suis né en 1955), je me souviens d’un « double attentat » qui eu lieu en pleine campagne. Il s’agit du dynamitage de poteaux électriques ; d’une part, un » haute tension » métallique à proximité du » promontoire » à Remouchamps et, d’autre part, un poteau en béton sis Thier de Nonceveux à Remouchamps. Celui-ci resta suspendu sur ses quatre fers à béton et fut réparé plus tard grâce à un coffrage.
Je n’ai hélas pas de documents photos pour illustrer ces évènements, conclut mon correspondant. »
Je vous rappelle que je suis en train de rassembler des informations, des souvenirs et des documents sur cette grande grève de 1960 et, plus particulièrement, sur la façon dont elle a été vécue en dehors des villes. J’aimerais, dans le cadre de ce projet, que vous m’aidiez à rassembler des documents, des souvenirs, des photos peut-être permettant de comprendre comment cette grève fut vécue hors des centres industriels urbains. Comment l’a-t-on vécue, ressentie ou subie dans nos campagnes ? Dans les carrières de l’Ourthe-Amblève ou du Condroz ? Au quotidien, comment a-t-elle affecté les transports, le ravitaillement de nos petits magasins de nos villages ? Tout ce que vous pourrez nous apprendre sur ces aspects méconnus de la plus grande grève de l’histoire de notre pays nous intéresse et devrait permettre de donner un éclairage original à cette période, peut-être la plus troublée de notre histoire sociale, et dont les conséquences font toujours l’actualité aujourd’hui.
Monsieur Hubert Goffinet, de Kin-Aywaille, m’a transmis une farde dans laquelle il avait soigneusement conservé et collé de nombreuses coupures e presse de cette grande grève à laquelle il participa. Il travaillait alors comme mécanicien dans un garage bien connu du quai des Grosses Battes à Liège, emploi qu’il ne retrouva d’ailleurs pas au lendemain de la grève ! Parmi les documents consultés, je relève qu’une manifestation des travailleurs de la pierre a eu lieu à Aywaille (sans doute à la fin du mois de décembre 1960), un articulet (sans doute extrait de Le Monde du travail) en parle en ces termes :
« A Aywaille, vers 10h., Robert Gilon a harangué plusieurs centaines de grévistes de la localité et de Comblain-au-Pont. Tous de rudes gars travailleurs de la pierre, entraînés à de telles manifestations de rue, puisque naguère encore en grève pour leurs conditions de travail.
Gilon a fait le procès de la loi unique et encouragé les commerçants dans leur solidarité envers les grévistes. La fin de l’exposé fut interrompue par l’arrivée de l’autobus de la ligne d’Athus. Celui-ci avait de particulier qu’il était flanqué de jeeps de la gendarmerie ! Les participants se rendirent alors en cortège à Remouchamps où une autre surprise les attendait ; en effet, le bourgmestre ceint de son écharpe, dans une attitude matamoresque, rappelant fort celle d’un chasseur de casquettes rendu célèbre par Alphonse Daudet, attendait les grévistes d’un pied ferme.
Ne s’était-il pas mis en tête d’empêcher le passage des grévistes ?
Il était prudent…Il s’était fait accompagner de gendarmes !
Les grévistes furent pris d’un rire homérique mais, ayant retrouvé leur sérieux, en rangs par quatre franchirent aux accents de « l’Internationale » la ligne frontière et se joignant à leurs camarades de l’endroit qui les attendaient, ils purent se grouper à hauteur du pont où l’autoradio diffusa un discours de Renard, sans autre incident. »
Avez-vous des souvenirs de cette manifestation ? Y participiez-vous ? En existe-t-il des photographies ? Me confierez-vous tout ce que vous savez sur ce sujet ? Merci beaucoup pour votre intérêt à ce sujet également.
La Petite Gazette du 16 mars 2011
LA GREVE DE 60 – LA PETITE GAZETTE A BESOIN DE VOUS…
J’aimerais que vous m’aidiez à rassembler des documents, des souvenirs, des photos peut-être permettant de comprendre comment cette grève fut vécue hors des centres industriels urbains. Comment l’a-t-on vécue, ressentie ou subie dans nos campagnes ? Dans les carrières de l’Ourthe-Amblève ou du Condroz ? Au quotidien, comment a-t-elle affecté les transports, le ravitaillement de nos petits magasins de nos villages ? Tout ce que vous pourrez nous apprendre sur ces aspects méconnus de la plus grande grève de l’histoire de notre pays nous intéresse et devrait permettre de donner un éclairage original à cette période, peut-être la plus troublée de notre histoire sociale, et dont les conséquences font toujours l’actualité aujourd’hui.
Monsieur Yves Dechamps, de Sprimont, se souvient :
« Le 1er août 1960, j’étais, comme le dit l’expression, appelé sous les drapeaux. Trois mois d’instruction à Bourg-Léopold avant d’être incorporé au 1er Lancier à Düren.
A cette époque, les miliciens obtenaient leur première permission après deux mois. Nous allions donc pouvoir passer les fêtes de Noël au pays.
Mais…un ordre nous consigna, avec la promesse cependant de bénéficier de la semaine de congé pour le Nouvel-An. Chacun prit donc son mal en patience !
Mais…encore un mais, on vint nous annoncer que nous allions devoir rejoindre la Belgique, non pas avec le TPJ mais en camions GMC, afin de monter la garde dans des endroits dits stratégiques (terme employé par les autorités militaires !).
Et c’est ainsi que l’escadron débarqua à Charleroi avec pour objectif de surveiller les lignes de chemin de fer qui risquaient, selon certains, d’être sabotées. Outre cette mission, nous fûmes aussi emmenés à la centrale électrique de Gouy-les-Piétons. J’ai encore frais à la mémoire le souvenir de personnes qui, le dimanche matin, venaient à la grille fermant l’enceinte, nous apporter quelques gâteries.
Mais de cette agressivité dont certains nous rabâchaient, jamais nous ne l’avons ressentie. Au contraire, nous avons perçu tout au long de ces jours, un courant de sympathie de la part de la population. Nous obtînmes enfin notre congé à…la mi-mars.
Et lorsque je revins au sein de ma famille, j’appris par mon père qui travaillait à l’entreprise « Les Conduites d’Eau » (site de Belle Ile) qu’il avait pris une part active à cette grande grève de l’hiver 60-61. Comme quoi, il est des circonstances ! »
Dans les documents confiés par Monsieur Hubert Goffinet, de Kin, je découvre, bien à propos, un articulet découpé dans Le Monde du Travail et qui se fait l’écho des propos de M. Yves Dechamps :
« Fraternisation « quelque part » à Liège
Nos p’tits soldats ne sont peut-être pas tout à fait conscients du rôle que le gouvernement et leurs chefs leur font jouer. Ce dont cependant ils se rendent parfaitement compte, c’est que M. Eyskens les nourrit moins que bien ; En effet, la soupe, les tartines voire les cigarettes que les épouses des grévistes leur offrent en différents endroits sont acceptées avec empressement. Geste touchant que celui de ces femmes, dont le porte-monnaie se porte pourtant plus mal que la caisse du ministre de la Défense nationale, mais qui laissent simplement parler leur cœur de femme. Après tout, n’ont-elles pas un fils, un frère contraint de « veiller » dans un coin de wallonie ? »
Monsieur Maurice Lardin, Président de Fraternelle Royale de l’Armée secrète du CT9, me permet de puiser dans un remarquable article qu’il vient de rédiger pour une prochaine publication dans le périodique de la fraternelle et je l’en remercie chaleureusement :
« Le 24 décembre, le journal « La Wallonie » était, fait exceptionnel dans l’histoire de la presse de l’après-guerre, saisi pour avoir diffusé un appel aux soldats les appelant à se croiser les bras et à fraterniser avec les grévistes plutôt que de les contrer comme l’avait demandé le gouvernement : « Vous êtes mobilisés pour défendre le pays et non pour l’étrangler. Ne craignez rien, tout le mouvement socialiste est là pour vous défendre. Soldats, ne soyez pas traîtres à votre classe. Nous comptons sur vous ! »
Le quotidien syndical liégeois réagit le surlendemain en annonçant qu’il ne paraîtrait plus désormais que sur quatre pages, exclusivement consacrées à la grève Selon Jean-Louis Debatty, André Renard, le vrai « patron » du journal voulait de la sorte permettre à un maximum de travailleurs du quotidien de participer eux-mêmes à la grève. Mais ce « service minimum » pouvait aussi être dicté par la perspective d’un très long conflit. Comme le souligne toujours Debatty « d’informateur et mobilisateur, le journal devenait militant. Du relais des événements, il en devenait acteur ». »
La Petite Gazette du 23 mars 2011
IL Y A CINQUANTE ANS LA GRANDE GREVE DE L’HIVER 60-61
Monsieur Camille Gaspard, de Hotton, se souvient :
« Je voudrais apporter un petit témoignage concernant ces événements, que j’ai connus de près, mais de façon un peu particulière.
Chaque année, j’allais, avec d’autres jeunes des deux familles, en vacances chez ma marraine et son mari, qui n’avaient pas d’enfants, et qui habitaient à…Seraing. C’est presque le monde à l’envers, vu que j’habitais à la campagne, plus précisément à Chêne-al’Pierre, actuellement commune de Manhay.
En décembre 1960, alors que j’avais 14 ans, je me suis trouvé comme d’habitude à Seraing. Pour ceux qui connaissent la région – si nous vivons depuis peu à Hotton, nous avons vécu de nombreuses année à Jemeppe s/Meuse, commune de Seraing – je signale que ma marraine habitait alors à Seraing, dans le fond de la rue de l’Hôpital. De l’arrière de l’appartement, on voyait le passage à niveau » des Béguines ». Il est maintenant supprimé, mais les anciens de la région sauront de quoi je parle. Nous y avons vu un jour un meeting, suivi d’un cortège montant la rue d’ l’Hôpital.
Nous sommes aussi allés avec ma marraine à la messe de minuit à l’église du Pont de Seraing, église que nous avons d’ailleurs fréquentée souvent lorsque nous habitions à Jemeppe. Je ne me souviens évidemment pas de l’homélie du célébrant, mais j’ai appris par la suite qu’il avait été « crossé » parce qu’il avait plus ou moins pris le parti des grévistes.
Je me souviens aussi d’avoir vu des militaires qui patrouillaient.
Pour la nourriture, nous allions au Grand Bazar de la rue Molinay, qui n’existe plus depuis la faillite du Grand Bazar de la Place St-Lambert. Là, des cordes obligeaient les clients à n’aller que vers les rayons d’alimentation.
Pour rejoindre le témoignage de M. Hubert Goffinet, je signale que lorsque mon oncle nous a reconduits à Chêne-al’Pierre, nous avons rencontré à Chênée, Quai de Ardennes si mes souvenirs sont bons, le bus de la ligne bien connue Liège-Athus, effectivement escorté par la gendarmerie. Mais je pense, sans en être sûr, qu’il n’allait pas plus loin. »
Monsieur Joseph Lardot, de Heyd, a également des souvenirs précis de cette période :
« Je suis né à Bomal en 1929 et y ai résidé pendant 55 ans en tenant un commerce en aliments pour bétail, grains et charbon, après avoir décroché un diplôme de gradué en sciences commerciales en 1950.
Après deux années de sursis, j’ai effectué mon service militaire dès février 1951, à une mauvaise période car le gouvernement a alors décidé de porter la durée de service de 12 à 24 mois ! Heureusement, nous avons bénéficié d’un petit rabiot de 3 mois.
Je garde un souvenir désagréable de la Noël 1960. En effet, à 6 heures du matin, le Bourgmestre, M. Petitpas se présente à mon habitation et me prévient que je dois me rendre à la gendarmerie de Marche en tant que « gendarme supplétif ». Me voilà donc dans l’obligation d’abandonner ma famille, nous avions alors trois enfants, et mon commerce.
A cette période, Bomal compte environ 1500 habitants et je suis malheureusement le seul de la population à remplir ce devoir ! Ces « vacances » forcées ont duré cinq semaines et comme occupations quelques tournées, un peu de bureau… pas grand-chose !
Il restait dans la brigade cinq gendarmes assermentés, les autres étant réquisitionnés aux endroits chauds. Le train-train auquel j’étais soumis fut néanmoins marqué par un événement tragique. En réglant la circulation à Marloie, accompagné du garde-champêtre de la commune, une voiture roulant vite a accroché mon accompagnateur qui a été tué sur le coup. Il y avait donc de quoi être profondément marqué !
Il me semble également utile de préciser que pour ce service rendu, j’ai été « largement » rémunéré avec une somme de 10.000 francs… La Belgique sera toujours la Belgique ! »
Un grand merci à mes deux correspondants qui nous ont éclairé sur deux aspects du quotidien de cette période si troublée.
La Petite Gazette du 30 mars 2011
DURANT LA GREVE DE 60
Monsieur Max-Léon Jadoul a mené une importante enquête auprès de ses amis et connaissances pour rassembler leurs souvenirs de cette grande grève. Il a la gentillesse de nous communiquer les résultats de ses démarches :
« Dans mon petit village de Scry, les carrières étaient fermées bien avant cette grève et les carriers décédés. Il y avait des ouvriers métallurgistes du bassin liégeois et c’est à eux que je me suis adressé. En général, me confie M. Jadoul, la population ne participait guère. Son information venait de la radio et, pour quelques-uns, des journaux, mais, dans le village, beaucoup considéraient ces problèmes comme vraiment éloignés de leurs préoccupations. Ils n’avaient même aucune idée de ce qui pourrait améliorer leur mode de vie. On entendait « Cela ne va pas si mal que cela… ce que dit la radio est sans doute exagéré ! »
Monsieur Guy Badoux était jeune marié et travaillait comme électricien à Ougrée-Marihaye. Il prenait l’autobus aux Quatre-Bras puis les trams. Il était syndiqué et est parti en grève dès les premiers jours, il n’a donc pas travaillé pendant plus d’un mois. Ses parents ont dû l’aider financièrement. Il est resté chez lui et est allé faire du bois de chauffage dans les bois. Ses parents tenaient une épicerie qui aurait été peu touchée par la grève. Les autobus fonctionnaient de façon irrégulière mais ils roulaient, mais il n’y avait plus de trams allant vers le Val-Saint-Lambert. On parlait des manifestations mais pas des problèmes politiques qui les avaient générées ! »
Je vous rappelle que je suis à la recherche de témoignages sur le vécu de cette longue période de grève dans nos campagnes. Vos témoignages et documents devraient également m’être précieux pour donner un ancrage vraiment local à la conférence que je donnerai sur ce sujet. Aussi, vais-je encore me permettre d’insister auprès de vous pour que vous me communiquiez sur cette période, hiver 60 – 61, dans nos régions. D’avance un immense merci.
La Petite Gazette du 6 avril 2011
IL Y A CINQUANTE ANS LA GRANDE GREVE DE L’HIVER 60-61
Monsieur Pierre Petitjean, de Grand-Sart, Lierneux, a lui aussi eu la gentillesse de nous confier ses souvenirs de ces événements. Son récit nous donne bien l’état d’esprit et l’ambiance qui régnait alors en ville…
« Evoquer mes années 60-61, jeune homme à ce moment-là, j’avais 16 ans, écrit mon correspondant, et j’étais commis de cuisine à l’hôtel de la Couronne (propriété de la famille Piedboeuf) au grand moment de la révolte des ouvriers métallos du bassin liégeois, au moment où ils canardaient la gare des Guillemins à l’aide de gros boulons d’acier.
On nous avait bien recommandé de ne pas sortir, mais la curiosité est affaire de jeunesse et je devais aller au centre-ville (Liège) donc, sortant par l’entrée de service qui donnait dans la rue Sohet, je suis descendu par la rue de Serbie pour prendre le tram jaune au bout de la rue des Guillemins. En passant le parc d’Avroy, je pus voir un nombre conséquent de chevaux et de gendarmes armés et, comme j’arrivais à la place du théâtre, un homme s’adressant aux passants en anglais (que je baragouinais) demandait comment se rendre aux Guillemins, je lui fis comprendre que j’en venais et il me demanda des détails sur ce qu’il s’y passait, puis il me demanda si je pouvais l’y conduire, car c’était un journaliste américain et, me dit-il alors, grâce à sa carte de presse on pourrait passer partout.
Flatté de l’intérêt qu’il me portait, nous reprîmes le tram remontant sur la gare, mais nous dûmes descendre bien avant, car le trafic était bloqué, nous remontâmes assez rapidement la rue des Guillemins et, comme il l’avait dit, sa carte de presse nous a ouvert le chemin que les gendarmes bloquaient, je dois dire qu’ils étaient pour la plupart armés de mitraillette vigneron Nous sommes arrivés juste après la première charge de la gendarmerie à cheval, il y eut un flottement dans les manifestations, ce qui nous a permis de pénétrer dans la gare où des bruits couraient que l’on avait déboulonné les rails…
C’était la cohue générale et le journaliste avait voulu voir de plus près, les soi-disant dégâts provoqués par le déboulonnage susmentionné. Apparemment c’était une rumeur, car nous ne vîmes rien d’abîmé ; mais, par contre, c’était rempli de gendarmes qui, cette fois, étaient moins complaisants (on parlait de Renard arrivant sur la batte)…
Si l’Américain put traverser les mailles et s’en aller, en me disant « Sorry and good luck« , moi, par contre, je fus arrêté manu-militari et placé sur un quai entouré de gendarmes, pour contrôle approfondi d’identité. J’ai dû justifier ma présence en ces lieux, ils sont même allés contrôler la fiche du personnel du restaurant de la Couronne pour voir si je ne mentais pas. Puis, je pus rejoindre ma brigade de cuisine en me faisant « engueuler » par les gendarmes et par mon chef qui m’avait bien dit de ne pas sortir !
C’est ainsi que j’ai pu voir, mais de la fenêtre du restaurant, la deuxième charge de la police montée sabre au clair, nous avons vu la grande fenêtre de la brasserie tomber en miettes et les manifestants enragés qui prenaient les chaises et les tables des terrasses pour attaquer la gendarmerie. Tout c’est terminé comme cela avait commencé, dans une cohue indescriptible avec la manifestation qui s’éloignait vers le centre, qui, si mes souvenirs sont bons, n’a pas été touché. Je peux vous dire aussi que mon contrôle d’identité m’a valu beaucoup de soucis, car j’ai été affiché comme activiste (comme quoi…) et il a fallu les relations de mon père avec la gendarmerie de Saint-Léonard pour qu’ils m’oublient. »
Monsieur Michel Hiffe, de Waha, a des souvenirs bien différents. Cependant, comme dans ceux que M. Petitjean vient de nous confier, nous y trouverons des éléments nous permettant de mieux comprendre l’état d’esprit général du moment, bien différent dans les campagnes… Monsieur Hiffe nous en explique la raison :
« En décembre 1960, j’étais interne à l’ISMA à Arlon et j’habitais à Melreux.
Le 15 décembre, toutes les classes s’étaient retrouvées à la salle des fêtes pour assister à la diffusion télévisée du mariage de sa Majesté le Roi Baudouin et de la Reine Fabiola. Nous, les étudiants, étions loin d’être au courant d’événements qui se préparaient à propos des grèves. Il faut rappeler qu’à l’époque, les nouvelles n’atteignaient pas les collèges et encore moins les internes. Nous n’écoutions pas la radio, ne regardions pas la télévision (encore fort rare) et les quotidiens ne faisaient pas partie de notre vécu en internat.
Quelques jours plus tard, ce fut le retour dans nos foyers pour les vacances de Noël. Le trajet avec d’autres étudiants de l’ISMA jusqu’à Marloie ne posa aucun problème.
Mais, à partir de cette gare, il ne nous fut pas possible de continuer en train. Mes parents ainsi que ceux des autres condisciples ne possédaient pas de voiture. Ce fut presque tout naturellement que nous fîmes le dernier tronçon du voyage dans le camion de remise à domicile du chemin de fer, le chauffeur effectuant sa tournée vers Hotton et Melreux.
Pour le retour à l’internat en janvier, les transports en commun avaient été rétablis complètement. »
La Petite Gazette du 20 avril 2011
LA GREVE DE 60
Monsieur Raymond Hebrant, de Poulseur, se souvient de cette grève :
« Cette photo nous montre les manifestants brandissant un panneau portant le slogan « Déplumons le coucou de Malines ». Il s’agit de la réaction du monde ouvrier suite à la déclaration du cardinal Van Roey à la télévision. Cette allocution a été mal perçue du côté de la C.S.C. et encore plus mal du côté de la F.G.T.B.
Originaire de Marche-en-Famenne, j’ai fait mes humanités techniques à l’école des Aumôniers du Travail à Seraing. La Passerelle, bien connue du mouvement syndical, pendant la grève de 60 et jusqu’à sa destruction, a connu bien des rassemblements de travailleurs… Déjà syndiqué au moment de mes études et ayant été membre durant plusieurs années de la J.O.C., je connais très bien les difficultés du monde ouvrier. Je suis entré au travail au mois d’août 1958, à l’usine Ferblatil à Tilleur. Electricien d’entretien, je travaillais au régime « feu continu » (trois semaines de travail, une semaine de repos, dimanches et jours fériés compris). Je faisais le déplacement en car pour les pauses 6-14 et 14-22 et au train pour la pause de nuit. Pour me rendre à Marche, départ du car à 4 heures du matin, je me levais à 3h15.
En 1960, fin novembre déjà, certains arrêts de travail avaient lieu ; en cause le dépôt d’un projet de loi appelé « Loi unique ». Ce projet proposé par le premier ministre Eyskens prévoyait diverses mesures dont le rabotage de la sécurité sociale. Cette sécurité sociale à la belge, créée par le monde ouvrier à la sortie de la guerre 1940 – 1945, dérange bien le monde de la droite. Le gouvernement de l’époque était PSC-CVP-Libéral.
Début décembre, le mécontentement était palpable, les délégués syndicaux expliquaient les aboutissements de la Loi unique, mais, à cette époque, ne parlaient pas de grève ! Je me rappelle qu’au terme d’une assemblée certains ouvriers réclamant le départ en grève s’entendirent répondre par le délégué principal : « Je vous comprends, mais dans moins d’un mois, vous viendrez demander à reprendre le travail ! » Lors des réunions, certains ouvriers, les « durs » allaient faire arrêter le travail dans les entreprises voisines : Maréchal Ketin, Les ateliers de la Meuse, la lainière Good Night…
Dans la seconde moitié du mois de décembre, en arrivant à l’arrêt du Pont de Seraing, nous sentions que la situation était explosive. Les ouvriers limbourgeois, arrivés en grand nombre à cet arrêt, pensaient déjà au retour. A cette époque, il venait un car de la région de Marche et, pour le Limbourg, il y avait en moyenne huit à dix cars par jour, c’était alors le plein emploi à Cockerill. Avec le car de service, je suis allé jusqu’à l’arrêt de Ferblatil afin de prévenir mon brigadier. Les trains étaient incertains et mon bus quittait l’usine à 14h20, je demandai un congé pour cette journée. Cela n’a pas été nécessaire, les ouvriers des laminoirs avaient débrayé et faisaient arrêter les diverses lignes de production, la grève avait commencé.
De retour à Bourdon, j’ai suivi les événements à la radio et à la télévision. De jour en jour, la situation se dégradait. On parlait de sabotage même sur les locomotives ; l’attaque de la gare des Guillemins a marqué tous les esprits.
Les trains venant de Liège ne circulaient plus, seuls quelques trains venant de Jemelle allaient jusqu’à Melreux, puis faisaient demi-tour. C’était toujours le temps de la vapeur, la gare de Jemelle avait toujours un atelier et une remise à locomotives. Dans notre région, la grève n’était pas suivie comme dans les grands centres ; mais je me souviens d’un délégué qui, accompagné de quelques personnes, faisaient fermer les magasins ; seule était ouverte la Coop.
Etant syndiqué à Liège, la centrale de Marche ne pouvait pas me payer. D’autres ouvriers de la région étaient dans la même situation. Le permanent de la centrale C.S.C. de Marche organisa, avec d’autres personnes possédant une voiture, un déplacement à Liège. A l’arrivée à la place Delcour, non loin de la rue des Pitteurs, nous discutions d’une chose ou l’autre, en attendant notre rendez-vous. Deux véhicules e police sont arrivés… nous avions oublié que les rassemblements de plus de trois personnes étaient interdits en ville ! Les policiers ont été sympathiques, ils ont bien compris que nous n’étions pas là pour manifester, mais nous avons dû nous séparer.
Le mouvement de grève s’essoufflait, le samedi 21 janvier la fin de la grève était décrétée. Le soir, je recevais un télégramme pour me prévenir de la reprise de mon travail le dimanche soir (…) Le Loi unique bien que votée n’était pas appliquée, le gouvernement avait démissionné. Après de nouvelles élections, le gouvernement Lefèvre-Spaak appliqua une bonne partie de la Loi unique. La Grande grève était terminée et je n’ai jamais plus vu depuis lors une mobilisation de tous les travailleurs tant du Nord que du Sud. »
La Petite Gazette du 27 avril 2011
GREVE DE 60
Monsieur René Brialmont, de Barvaux, a très bien compris quel genre de souvenirs je souhaitais recevoir afin de pouvoir illustrer ce qu’était le quotidien dans nos campagnes en ces temps de grève. Il me fait parvenir ce souvenir anecdotique, toujours bien présent dans sa mémoire :
« J’étais à cette époque en classe de Poésie au Petit Séminaire de Bastogne. En vacances de Noël depuis le 22 ou 23 décembre, nous n’avons guère souffert à Barvaux, jeunes que nous étions, de ces mouvements sociaux pourtant très graves. Vint pourtant la fin des vacances, et plus aucun moyen de communication ferroviaire pour rentrer à Bastogne. J’avais eu vent que l’autobus Liège-Athus, pourtant, circulait encore tant bien que mal, et je résolus d’aller le prendre à Manhay, le dimanche 8 janvier en fin d’après-midi. Un brave voisin, M. Armand Meyers, de Barvaux, me conduisit à Manhay vers les 19 heures. Je le remerciai et le renvoyai à Barvaux…pour m’entendre dire par une personne de la localité, qu’il n’y avait plus aucun bus pour Bastogne en soirée…Et moi j’étais à la rue, avec mon loden et ma valise, et cent francs d’argent de poche pour les trois semaines à venir.
La chose ne me terrorisa pas, pourtant. Je trouvais même que l’aventure prenait la couleur « bourlingueur ». Plutôt que d’aller chercher gîte payant à l’auberge » Le Relais », je m’enfonçai un peu dans le paysage, avisai une ferme, frappai à la porte éclairée de l’étable, et demandai au propriétaire un peu surpris s’il ne m’accorderait pas deux mètres carrés de foin gratuit sur le « bérôdî » , au-dessus des vaches, pour la nuit… Avec les scouts de la 8e Famenne de Barvaux, cette pratique était courante, voire même encouragée par la hiérarchie dans le but d’apprendre à » tirer son plan ».
Mais le brave fermier ne fut pas de cet avis. Après tout, avec mon béret noir et ma valise en carton, je n’étais pour lui qu’un rôdeur très comme un autre. Il me répondit sans brusquerie : « awè, mins mi dji n’lodje nolu« , et me conseilla tout de même d’être raisonnable, et de m’adresser au logeur de l’endroit, en l’occurrence le « Relais ». Ce que je fis, en bien m’en trouvai. J’y passai la soirée au billard avec… le chauffeur du dernier bus, qui y logeait aussi avant de repartir sur Liège le lendemain. Excellente nuit. Le cafetier dut même
tambouriner le lendemain à sept heures sur ma porte: « L’autobus est là, sais-tu ! » Trajet prudent sur la route gelée jusqu’à Bastogne, où j’arrivai à huit heures vingt, juste pour la première heure de cours. Il ne me restait pas grand chose de mes cent balles, évidemment, mais j’étais à bon port, et en ce temps-là, personne n’avait honte de » briber » une cigarette aux copains. J’ai oublié le nom du fermier, du cafetier, et du chauffeur, mais ils sont toujours là, dans ma mémoire, comme des anges gardiens. »
La Petite Gazette du 4 mai 2011
LA GREVE DE 60
Monsieur André Delbouille, de Nonceveux, a, lui aussi, eu la gentillesse de coucher quelques souvenirs sur le papier :
« Caserné à Propsteirwald à quelques kilomètres d’Aix-la-Chapelle, je fus renvoyé dans mes foyers, au plein cœur de la grève de 60, afin d’aller travailler à la poste d’Aywaille, car j’étais facteur et j’habitais Nonceveux.
Dès le lendemain de ma rentrée au pays, je pris la direction d’Aywaille, à vélo.
Au pont de Sougné, Stop ! Quatre binamés camarades de la C.G.S.P. Liège me demandèrent où j’allais. Je leur raconte alors ma petite histoire et ils me conseillent vivement de rentrer chez moi ; ce que je fis avec plaisir. Je dus contacter M. Gallet, percepteur d’Aywaille, à qui je fis part de ma mésaventure. Il me conseilla de ne plus rien tenter pour rallier Aywaille. Quelque huit jours plus tard je regagnais mon casernement en Allemagne. Bien entendu, les courriers que j’envoyais étaient bloqués à la caserne.
Quelques jours plus tard, je fus à nouveau renvoyé en Belgique avec ma compagnie, la 260e Cie ordonnance, direction une ferme à Aubel.
Nous sommes restés là deux jours et deux nuits avant notre retour à la caserne.
Avant notre départ pour Aubel, le commandant de la compagnie, le Capitaine-Commandant Ocelet, avait réuni tous les gradés. Il nous dit qu’il ne serait pas de bon ton d’intervenir trop rudement contre les grévistes…
Je crois bien que la plupart d’entre nous n’avaient pas l’intention d’intervenir du tout ! »
Son témoignage répond particulièrement bien à un articulet extrait de « Le Monde du Travail de la fin décembre 1960 qui titrait alors :
« De nouvelles troupes ramenées d’Allemagne pour permettre à la gendarmerie de mieux s’ « occuper des grévistes »
Nous apprenons que de nouvelles troupes seront rappelées d’Allemagne pour garder les installations vitales du pays et permettre à la gendarmerie « de se consacrer davantage au maintien de l’ordre dans le pays ».
Jusqu’à présent, il n’a pas été possible d’obtenir la confirmation officielle de cette information, mais les effectifs ramenés seraient d’une certaine importance.
Les troupes seraient destinées à des missions à caractère statique, c’est-à-dire la protection des ouvrages d’art et de points vitaux, missions actuellement assurées par la gendarmerie. Celle-ci pourrait être ainsi rendue à ses tâches traditionnelles, en l’occurrence, à brutaliser, intimider, provoquer et injurier les grévistes. »
On le voit, la presse de gauche n’est pas tendre avec le bras armé du Gouvernement… cela dénote très bien de l’état d’esprit explosif que connaît alors le pays. En effet, dans les deux camps, les termes les plus forts sont utilisés : « terroristes, gestapistes… »
La Petite Gazette du 3 mai 2017
J’AVAIS 10 ANS EN 1960… UNE EXPO A DECOUVRIR BIENTÔT AU MUSEE DE WANNE ET DEUX CONFERENCIERS : L’Abbé J-P PIRE et René HENRY
Le Musée de Wanne – maison vivante du temps qui passe – vous propose, dès ce mois de mai, une exposition consacrée aux années ’60, période abordée avec les yeux d’un enfant de 10 ans d’où le titre choisi : Expo 10/60
Dans le cadre de cette manifestation, deux causeries sont d’ores et déjà programmées.
Le vendredi 2 juin, à 20h., l’Abbé Jean-Pierre Pire, Doyen de Liège et ancien professeur au collège St-Roch de ferrières, traitera d’un sujet passionnant : « Le Concile Vatican II : un avant et un après »
Ce concile, qui mobilisa les Evêques du monde entier entre 1962 et 1965, est remarquable par le nombre considérable et l’importance des propositions qui en sont ressorties et qui modifièrent, bouleversèrent même, l’Eglise catholique romaine.
Avant cela, le Musée me fait l’honneur de m’inviter une nouvelle fois, ce sera le jeudi 11 mai prochain à 20h., pour évoquer la « grève du siècle », celle qui paralysa la Wallonie durant l’hiver 1960-1961.
Pour vous, je reviendrai sur cet important mouvement social, la grève générale, développé contre le programme d’austérité, la fameuse Loi unique, du Gouvernement Eyskens. Je vous tracerai alors un aperçu de la façon dont cette grève a été vécue en dehors des centres industriels. Les ouvriers du bassin industriel liégeois originaires de l’Ourthe-Amblève, du Condroz ou de l’Ardenne, ont eux aussi vécu ou subi ces cinq semaines de grève. Pour leur venir en aide de nombreuses initiatives se sont développées, nous irons à la rencontre de certaines d’entre elles. Je vous inviterai à suivre les prémices de la grève, ses développements, ses errements et, bien entendu ses conséquences sur les mutations idéologiques et structurelles dont la nécessité se révéla alors.
Deux dates à bloquer d’ores et déjà dans votre agenda.
Ce sera une occasion agréable de nous rencontrer et d’évoquer ce sujet, vos nombreux témoignages en font foi, qui vous intéresse.
Au plaisir de vous y rencontrer.