La Petite Gazette du 11 juin 2008
AU TEMPS DES MOISSONS ET DE LA FENAISON
Cette jolie photographie d’une ancienne faucheuse devrait vous rappeler bien des souvenirs des jours d’été de jadis quand des familles entières se rendaient dans les campagnes pour procéder aux travaux de fenaison et des récoltes. C’était l’époque des meules, des charretées de foin ramenées à la ferme par une armée d’ouvriers armés de faux, de grands râteaux et de fourches. Tout le monde apportait son aide, du plus jeune au plus âgé, le repas se prenait souvent dans les champs… Me raconterez-vous ces souvenirs, les anecdotes qui émaillèrent ces chaudes et longues journées de travail, remplacées aujourd’hui par la mise en œuvre d’engins exceptionnels mis en œuvre par des sociétés spécialisées qui, au nom de l’efficacité et de la rentabilité ( ?), ont gommé la magie de ces journées vouées à la solidarité des travailleurs de la terre…
La Petite Gazette du 25 juin 2008
LES MOISSONS D’AUTREFOIS
Monsieur Jacques Bastin, de Heyd, a été le premier à répondre à l’appel que je vous lançais il n’y a guère, mais j’espère que son exemple sera suivi de bien d’autres … Me raconterez-vous vos souvenirs, les anecdotes qui émaillèrent ces chaudes et longues journées de travail, remplacées aujourd’hui par la mise en œuvre d’engins exceptionnels qui, au nom de l’efficacité et de la rentabilité ( ?), ont gommé la magie de ces journées vouées à la solidarité des travailleurs de la terre…
« Il faut avoir connu cette époque de la moisson avant l’invasion actuelle outrancière, tous azimuts, de la machine pour bien se rendre compte de ce qu’on a irrémédiablement perdu en grégarisme, convivialité, voire en camaraderie, regrette M. Bastin. On peut brièvement schématiser l’évolution de la situation en question au moyen de deux toutes simples mais fort éloquentes images : Hier, sur le terrain, une foule bigarrée d’acteurs divers, dynamiques, joyeux, heureux, volontaires, s’activant de fort bon cœur à longueur de journée. Aujourd’hui, un homme (bien) seul, véritablement un isolé (j’allais presque écrire un abandonné, un naufragé) en son champ, aux commandes d’un monstrueux engin, énorme telle une cathédrale, chargé de remplacer seul, à jamais, cette belle foule empressée d’autrefois. Je laisserai cependant le soin à d’autres de parler plus en détail de ces ineffables moments, passés alors au service de la Terre, à cette belle époque, bien révolue hélas !, où les saisons étaient nettement bien tranchées : étés ensoleillés et chauds ; hivers froids et enneigés. Actuellement, on en viendrait presque, comme Villon, à se demander « Mais, où sont les neiges d’antan ». En ce qui me concerne, je vais plutôt, en lieu et place, vous parler d’un fait nettement plus insolite qui, à cette époque (fin des années 1930 et années 1940), m’a marqué de manière véritablement indélébile. Le voici brièvement exposé :
A cette époque, les clos d’équarrissage n’existant point encore, on n’avait pour seule solution que d’enterrer simplement, çà et là, les bêtes crevées ; et ce, le plus souvent, trop peu profondément. Ce faisant, les vers dévorant toutes ces charognes finissaient par rapidement remonter à la surface et ainsi y contaminer les diverses plantes sauvages à l’air libre. Les insectes volants, en se posant sur ces plantes contaminées, véhiculaient donc, inéluctablement, ainsi de très dangereuses bactéries. Ils allaient ensuite, le plus souvent, se poser et piquer des ouvriers de la moisson ; et certaines de ces personnes piquées en arrivaient à rapidement développer ainsi le charbon (Maladie, nommée anthrax chez les Anglo-Saxons, ayant soudainement réapparue, à la suite des attaques aériennes terroristes contre les USA, en septembre 2001).
A Ouffet, au moment de la moisson, c’est surtout l’apparition de cette affection, fort fréquemment mortelle, engendrant une indicible psychose dans le monde agricole, qui m’a le plus impressionné. Les personnes atteintes n’avaient plus alors, comme seule et unique ressource valable, que de sauter bien vite sur leur bicyclette et d’aller sans délai, portées par tout un voisinage compatissant, rendre immédiatement visite, à Durbuy-Vieille Ville, à cette bonne Demoiselle Magis qui, si magistralement, soignait, tout bénévolement, cette terrible affection au moyen de son célèbre onguent, nommé « Crâhe di Dèrbu », qu’elle fabriquait régulièrement, dans le secret le plus total, selon la formule familiale reçue, à la fin du 18e siècle, d’un médecin militaire blessé appartenant aux troupes autrichiennes alors de passage à Durbuy. ».
La Petite Gazette du 9 juillet 2008
LA VUE D’UNE FAUCHEUSE ET LES SOUVENIRS RESSURGISSENT…
Madame Viviane Bultot, épouse Granhenry, est originaire de Nadrin, mais habite aujourd’hui à Dolembreux, elle a vu, en découvrant cette photographie d’une ancienne faucheuse, se réveiller en elle une histoire qui a véritablement marqué sa petite enfance.
N.D.L.R. Je n’ai pu résister au plaisir de vous proposer cette photographie de la faucheuse prise à Limont-Tavier durant la guerre et autour de laquelle est réunie toute ma famille paternelle. Mon grand-père, Jules Henry, tient le cheval, mon papa Maurice Henry (qui va fêter ses 93 ans) tient la faux, ensuite viennent la cousine Georgette, ma grand-mère Coralie, le cousin Joseph et mon oncle Lucien.
« Je suis née en 1951 et, alors que je devais avoir cinq ou six ans, je revois encore mes parents partir aux champs par une très belle journée en plein mois d’août. Ils étaient accompagnés de mon frère de deux ans mon aîné et de mon oncle Gilbert, assis sur le siège de la faucheuse tirée par Mouton, notre cheval de trait gris. Maman portait une jolie robe bleue de coton, boutonnée sur le devant et froncée à la taille. Ses beaux cheveux châtains bouclés étaient retenus par un petit foulard noué dans la nuque. Il lui servait aussi pour se protéger du soleil brûlant à cette époque de l’année. Papa, en culotte longue et grise de travail, portait une chemise beige à manches longues retournées jusqu’aux coudes, une casquette légère, de grosse bottines en cuir et la faux sur l’épaule. Maman portait les râteaux en bois.
Il faut savoir que, à cette époque, le premier tour du champ de blé à couper était réalisé à la main avec la faux, pour faciliter ensuite le passage du cheval et de la faucheuse. C’étaient les femmes qui, le plus souvent, ramassaient, par grosses brassées, les épis coupés, les liaient avec un lien en épis. Ensuite, ceux-ci étaient dressés par groupe de dix à douze et un dernier était plié en deux et étalé sur le groupe en guise de protection contre les intempéries. Ainsi rassemblés, ils étaient appelés les « soldats ».
Boby, notre compagnon chien de ferme, noir et tout bouclé, suivait toujours la faucheuse en balançant la queue. Régulièrement, il se reposait à l’ombre des soldats en tirant une langue toute rosée et humide et qui me paraissait énorme à l’époque.
Une grande prairie précédait le champ de blé, elle était traversée par un joli petit ruisseau dans lequel mon frère plaçait des bouteilles en verre trouées pour y piéger des chabots, pour la pêche du soir. A un endroit très précis, une minuscule cascade se formait et nous permettait de nous rafraîchir. C’est là que nous déposions nos gourdes d’eau et les bouteilles de bière de table, de la Piedboeuf, pour la journée.
Le champ était assez éloigné et il n’était pas question de perdre un temps précieux pour revenir prendre le repas de midi à la ferme. Je me souviens très bien avoir aidé ma grand-mère Florentine à préparer, dans un grand seau émaillé vert à petits points blancs, des haricots cuits au lard fumé accompagnés de pommes de terre, le tout arrosé d’une succulente sauce blanche, de la béchamel. Un essuie de vaisselle à carreaux rouges et noué maintenait la bonne température du repas. Les assiettes, verres et couverts étaient dans un petit panier en osier.
Notre arrivée était très attendue et aurait dû être un superbe moment ! Mais que s’est-il passé pour Boby ? A-t-il été distrait ? Il s’est retrouvé juste devant la lame de la faucheuse…
Mon oncle a hurlé et tout fait pour retenir Mouton qui, élancé, avait aussi, mais trop tard, vu le danger. La faucheuse, dans sa course folle, est venue couper radicalement les quatre pattes de Toby. L’horreur absolue…
Trop loin pour courir chez un vétérinaire, pas de voiture à proximité, que faire ? Devant cette évidence qu’il n’y avait rien d’autre à faire, j’ai vu papa courir vers la clôture la plus proche, y arracher, de toutes ses forces et très vite, un gros piquet de chêne qu’il a abattu d’un seul coup, fatal, sur la tête de Boby, mettant ainsi fin à ses énormes souffrances.
Nous étions là, consternés, des larmes coulaient dans un silence rare, tellement tristes de la perte dramatique de notre compagnon. Nous l’avons recouvert d’épis, papa et mon oncle sont retournés l’enterrer le soir
Papa a beaucoup hurlé sur le pauvre Mouton qui n’en pouvait rien et qui semblait tellement partager notre peine et la fin atroce de son compagnon de tous les jours.
Moi, je me souviens de ma grand-mère qui me maintenait le visage contre sa poitrine pour m’éviter de voir l’horreur de la situation. Le repas s’est pris dans un affreux silence, sans appétit, et le travail a repris péniblement.
A l’heure actuelle, lorsque je croise un cheval de trait, ce douloureux souvenir me revient encore en mémoire. Je me permets de le partager avec vous. »
La Petite Gazette du 16 juillet 2008
MOISSONS ET FENAISONS D’HIER
Madame N. Lèbre, de Sougné-Remouchamps, sait de quoi elle parle quand elle évoque la fenaison et vous allez vite vous en rendre compte En effet, elle est fille, épouse et mère de fermier ! Elle débute son courrier par cette citation de Mme de Sévigné :
« Savez-vous ce que c’est de faner ? C’est très amusant. C’est batifoler dans un pré en remuant du foin ! »
« La réalité n’est pas aussi jolie, corrige d’emblée ma correspondante. Je vais avoir 70 ans et ai bien connu toute l’évolution de l’agriculture depuis l’après-guerre.
Chez mes parents, nous étions quatre enfants. Tout le monde travaillait à la ferme, pas question de travailler au dehors ! A part une faucheuse, comme sur la photo parue dans La Petite Gazette, tout se faisait à la main. Croyez-moi, quand on a 8, 10 ou 12 ans, je ne sais plus à quel âge on commençait mais c’était très jeune, se retrouver dans un grand pré avec un râteau en main, pour toute une longue journée, ce n’était pas toujours gai. Quand ce n’était pas pour rien parce qu’il avait plu sur le foin à peine ratissé et qu’il fallait recommencer le lendemain ! Un travail nous déplaisait particulièrement : faire des « mulots » (je ne connais pas le mot français). Il s’agissait de petits tas de foin que l’on devait défaire le lendemain ! Notre père était adepte de ces petits tas stupides ; on râlait, mais il fallait obéir !
Bien sûr, tout n’était pas noir et, souvent, on s’amusait bien tous ensemble et, certains jours, quand on avait rentré trois ou quatre chars de foin dans la même journée, nous étions très fiers ; on avait alors entre 15 et 25 ans.
Après 1955-1960, la mécanisation est arrivée : les jeeps, tracteurs et beaucoup de nouvelles machines qui ont simplifié le travail, mais, parallèlement, la main-d’œuvre a disparu et les époux se retrouvaient seuls avec bien des difficultés pour trouver quelqu’un qui voulait bien aider pour ce lourd travail.
Le plus pénible, c’était d’entasser le foin dans les fenils surchauffés et étouffants. Là encore, les enfants étaient mis à rude contribution pour tasser, c’est-à-dire qu’il devait marcher sur le tas de foin de long en large et se couler en dessous des toits.
Quand on a eu des presses à ballots, on ne devait plus tasser, mais je ne crois pas que vous trouverez beaucoup de personnes aimant décharger les chars de foin !
Quand, il y a 10 ou 15 ans, j’ai vu apparaître chez mon fils ces énormes machines qui ramassent en une heure ce que l’on mettait trois jours à faire, je me souviens avoir pensé et dit « Quelle merveille, on n’a qu’à regarder ! »
Croyez-moi, je ne regrette absolument pas ma vie de travail, mais je n’ai non plus aucune nostalgie de cette magie et de cette vie soi-disant belle et bucolique. Vive le progrès ! En conclusion, malgré toutes leurs machines, ils ne font pratiquement plus rien à la main, les jeunes fermiers de maintenant ont une vie encore plus harassante que nous. Là où nous avions 30 vaches, ils doivent en tenir 80 et, bien entendu, récolter le fourrage qui va avec. Vous les voyez avec une fourche et un râteau ? »
A son tour, Monsieur Louis Daems, d’Ougrée, me donne l’occasion de vous présenter cette photographie du temps des fenaisons.
Il s’agit, me précise-t-il, du dernier char de la fenaison (1945 ou 1946) à Hierlot (Lierneux).
« C’est ce qui explique que l’on ait chargé jusqu’au dernier brin d’herbe, sans rien en laisser et sans « peigner » l’ensemble qui apparaît, il est vrai, bien peu ordonné.
On pourrait aussi s’étonner de la présence de deux chevaux dans une exploitation modeste comme ici ; En fait, le poulain de l’année précédente était aguerri devant sa mère avant d’être vendu.
Pour l’anecdote, c’est la fratrie Baiwir, deux frères et trois sœurs, qui exploitait cette petite ferme à cet endroit. On en aperçoit la toiture, à gauche sur ce cliché. Leur grand-père, Lambert Baiwir, fut bourgmestre de Lierneux de 1912 à 1941, année de son décès.
Pour les anciens du cru, et les autres, les faneurs sont ici d’avant en arrière, Georges Baiwir, qui s’exilera à Bourcy, près de Bastogne ; un pensionnaire de l’institut surnommé Joker, Louise Baiwir, plus tard épouse de Victor Léonard à la Falize, ma grand-tante « Lisa » veuve en secondes noces du « Mayeur » et Georgette, plus tard épouse de Marcel Denis à La Vaux.
Le frère Joseph fut, quant à lui, prisonnier de guerre 40 – 45 et sa sœur Henriette (plus tard épouse de Léon Cheffert à Villettes) déportée politique en 1944.. »
La Petite Gazette du 22 octobre 2008
EVOLUTION DU TRAVAIL AU CHAMP
Madame V. Bultot, de Dolembreux, qui, vous vous en souviendrez, avait évoqué la triste fin de son chien Bobby lors de travaux de fenaison, nous parle aujourd’hui de l’évolution des machines agricole et conte quelques anecdotes s’y rattachant :
« Après la faucheuse, très vite est apparue la lieuse. Elle ne passait pas inaperçue avec ses grandes lattes horizontales qui tournaient inlassablement toute la durée du travail .Deux chevaux étaient nécessaires pour la tracter.
Chaque latte rabattait le blé sur les lames et celui-ci ressortait en gerbes liées avec de la corde. Quelle évolution ! Il suffisait dès lors de les ramasser et de confectionner les « soldats ». Le travail était plus rapide et nécessitait beaucoup moins de main-d’oeuvre. Après quelques semaines, les gerbes étaient ramassées sur un « char » tiré par des chevaux ou par un tracteur que les plus riches propriétaires avaient pu acquérir.
Sur le « char » les gerbes étaient maintenues par une perche fixée par une chaîne tendue à l’aide d’un tire-fort. Ce tire-fort appelé « tire djâle » était une barre métallique de plus ou moins 50cm à laquelle étaient fixées trois chaînes à crochet. Les mouvements verticaux permettaient de tendre la perche pour fixer au mieux la charretée afin d’éviter le «vêlage » (le chargement se couchait sur le flanc). Pour les enfants, revenir au-dessus du char était un réel bonheur ; mais cela pouvait se révéler particulièrement dangereux en cas de vèlage.
Personnellement je n’ai pas vécu ce problème mais beaucoup de fermiers le subissaient, il leur fallait alors bien du courage et de la force, voire l’aide des voisins, pour remettre le char en bonne position et recommencer la charretée.
De retour à la ferme, une meule géante était construite. Sa base circulaire comprenait d’abord une épaisseur de fagots de bois de plus ou moins un mètre, elle favorisait l’aération de la récolte. Cette meule diminuait en hauteur et un toit en fagots lui servait de protection pour l’hiver jusqu’au battage (le but du battage consistait à séparer les graines de leurs épis.)
Enfant, j’adorais ce jour, cette bonne ambiance ; les chats aussi, ils y délogeaient une grande quantité de souris venues y faire leurs nichées.
Cette journée très éprouvante pour les adultes rassemblait les voisins et les membres d’une même famille.
Peu de personnes disposaient d’une batteuse à cette époque, il fallait attendre son tour, et, surtout jouir d’une journée sans pluie. Dans notre belle région nadrinoise, nous dépendions tous de celle de monsieur Ernest Georges, habitant La Petite Mormont (commune de Wibrin).
Cette énorme machine était actionnée par un système de courroies reliées au tracteur .Son bruit était assourdissant, la poussière dégagée aveuglante et étouffante .Il fallait deux personnes sur la meule pour jeter les gerbes et une sur la batteuse qui coupait les cordes et étalait le blé afin de le faire glisser dans les plateaux. Ceux-ci exerçaient un mouvement de va-et-vient et séparait ainsi les grains de la récolte et la paille. Les grains récoltés arrivaient dans les sacs de jute par un tuyau métallique. Ces sacs étaient alors transportés sur le dos dans les greniers (un véritable travail d’athlète). Il y avait souvent plus de cent sacs.
Cette journée de gros labeur méritait bien un bon repas préparé la veille par la fermière. L’ambiance y était très cordiale C’étaient des journées très dures mais aussi très saines .Le petit pêket y trouvait une place de choix.
J’ai probablement sauté involontairement des étapes, il y a eu l’époque du tarare (diale volant), je ne l’ai pas vu fonctionner, d’ autres personnes un peu plus âgées que moi pourraient nous l’expliquer ! Il faudrait encore beaucoup de pages pour arriver à la moissonneuse-batteuse que nous connaissons tous aujourd’hui, je laisse le soin à d’autre le plaisir de nous raconter.
Sur la photo : de gauche à droite nous trouvons Gisèle Bastin et Léonie Calbert. Sur la batteuse mon oncle Gilbert Jardon (et oui le même oncle dont je parlais déjà dans l’histoire du pauvre Bobby avec la faucheuse). »
La Petite Gazette du 19 novembre 2008
LES TRAVAUX AGRICOLES JADIS, LE TARARE
Monsieur Serge Fontaine, de Stavelot, a beaucoup apprécié l’évocation du battage des céréales par Mme Bultot ; il apporte des précisions sur le tarare.
« Permettez-moi de préciser que, pendant la guerre 40-45, nous battions nos céréales avec une batteuse bien plus rustique que celle citée, « one machine a bate » qui utilisait aussi bien la force électrique que le tracteur ; mais les grains n’y étaient pas triés, ils tombaient à terre avec les balles (enveloppe de la graine) et les petits déchets. Tandis que deux ouvriers au moins s’occupaient à lier les pailles « lès strins » en gros « bôrêts » avec un lien de longue paille de seigle réservé à cet effet, au moins six personnes étaient nécessaires avec cette batteuse. On était tout noir de poussière.
Venons-en maintenant au tarare ou « djâle volant » utilisé pour le vannage après l’égrenage mécanique des grains qui gisaient en tas sur le sol. Le tarare, espèce de volumineuse caisse de bois, était actionné à la main avec une manivelle qui entraînait un gros moulin à vent dont le souffle terminait de séparer les graines des balles et des poussières à travers une série de cribles, tout en calibrant les graines. Ce travail se nommait le vannage.
Les agriculteurs qui ne possédaient pas de tarare vannaient leurs grains avec un van ou « rèdje », sorte de grande caisse en bois dont le fond servait de crible. Il était suspendu par une chaîne à une solive et par un va-et-vient balancé le vanneur faisait voyager les grains qui, petit à petit, passaient au travers du crible. Les pailles et les déchets restaient dans le van.
Avant la mise au point de la batteuse mécanique, on égrenait les gerbes manuellement avec un fléau, « on floyê ». On tapait sur les gerbes avec une sorte de masse en bois pendue à un long manche. On battait ainsi les gerbes en cadence et à plusieurs.
D’autres utilisaient un « bata » ou « spiyeû », sorte d’échelle en bois aux rayons serrés sur lesquels on frappait les gerbes portées à bout de bras. Travail harassant que je faisais avec mon père.
Pour l’avoine, on grattait les gerbes sur un « riveû », une planche garnie de grands clous dressée contre un mur. Cette façon de « river » l’avoine permettait de récolter les balles ou glumes qui étaient très utilisées dans les matelas et coussins des bébés et des petits enfants. Je pense que nous avons tous passé nos premières années sur un matelas de paille d’avoine, si moelleux et renouvelé, au moins, à chaque nouvelle récolte. »
Un immense merci pour la précision de ces explications.
Monsieur Oster Tassigny, de Grand Menil, a, lui aussi, été charmé par les souvenirs de Mme Bultot, il apporte, à son tour, sa petite contribution :
« Cette photographie date de 1952 et elle montre ce qui faisait alors la fierté de l’agriculteur : une faucheuse lieuse et deux chevaux. Finies les courbatures, la roue porteuse de la faucheuse est pneumatique alors qu’auparavant, elle était en fer…»
La Petite Gazette du 26 novembre 2008
D’INTERESSANTES PRECISIONS A PROPOS DU TARARE
Monsieur Raymond Gillet est un passionné d’objets et d’outils anciens, l’évocation du tarare la conduit à se plonger dans ses intéressants ouvrages de référence…
« Cela a fait « tilt » en lisant l’article concernant le diâle volant, publié récemment et, réaction habituelle; j’ouvre le vieux dictionnaire Larousse de 1922, à la rubrique « tarare ». Etonné et surpris de constater que le mot provient d’une localité française; d’où ma réaction : en faire profiter les lecteurs de La Petite Gazette ». Quelle bonne idée :
Monsieur Albert Delzandre, de Bomal s/O, nous apprend que dans les années 50, il a, lui aussi, tourné la manivelle du tarare :
« La manivelle entraîne le moulin, avec ses quatre pales en bois ; à l’autre bout de l’axe, une grande roue en métal sert de contrepoids pour aussi un peu réguler le va-et-vient du caisson où sont placés les deux tamis.
Dans les années 60, mon père a placé un moteur électrique pour entraîner la grande roue avec une courroie ; plus de manivelle ! Dès ce moment, le débit de l’air pulsé et le mouvement de va-et-vient sont devenus totalement réguliers, ce qui a permis de produire de belles semences.
On place les grains dans la trémie, on ouvre la porte de la trémie, juste assez pour que les grains avancent en une fine couche, tombent en cascade sur le premier tamis placé à l’horizontale ; pendant la chute, la vent traverse et chasse toutes les parties les plus légères, les paillettes, les barbes et les poussières.
Ce tamis a des alvéoles un peu plus grandes que les grains, ceux-ci tombent au travers du premier tamis, restent seulement sur le tamis les morceaux d’épis, les bouts de paille, les fleurs de chardon qui glissent sur le tamis, avec le va-et-vient et le vent. Ils sortent au bout du tamis et sont éliminés. Les grains tombent ensuite sur le deuxième tamis, placé en pente, les alvéoles sont plus petites que les bons grains. Il laisse donc traverser les fines semences, moutarde, grains cassés. Les bons grains restent sur le tamis, avec la pente, ils s’écoulent dans une gouttière, puis dans le sac. Il existe des tamis avec différentes grandeurs d’alvéoles pour les différentes sortes de grains.
Ayant une moissonneuse-batteuse, je semais un hectare de sélection dans chaque sorte de grain, escourgeon (orge d’hiver, froment, épeautre, avoine). A la moisson, je battais cette semence de sélection à part, puis, en septembre-octobre, je triais toutes les semences nécessaires, pour le semis de tous les autres hectares, en remettant un hectare de sélection de chaque sorte pour l’année suivante.
J’ai fait toute ma carrière d’agriculteur avec ce fidèle tarare qui a servi jusqu’en 2000 ; il est d’ailleurs toujours opérationnel. »
Un grand merci pour la précision de ce témoignage.