En plus de La Petite Gazette et des Vertiges du Passé, j’ai rédigé pour les diverses éditions de Les Annonces plusieurs dossiers historiques consacrés aux communes, villages ou quartiers de la triple zone de distribution postale de cet hebdomadaire distribué gratuitement depuis des décennies en Ardenne, en Condroz, en Famenne et en Ourthe-Amblève. Je vous propose de redécouvrir ces textes…
Les Annonces du 15 juillet 2015
AMBIORIX A EMBOURG ?
Si l’on doit en croire Théodose Bouille, un religieux carme qui publia une Histoire de Liège durant la première moitié du XVIIIe siècle, Embourg serait le célèbre Atuatua dont parle Jules César dans ses « Commentaires de la Guerre des Gaules ». Cette affirmation, souvent reprise par la suite notamment par le Dr Bovy dans ses célèbres « Promenades historiques dans le Pays de Liège » ou encore par Charles Comhaire, le fondateur de la société « Le Vieux-Liège » qui écrit que ce serait là «en 57 avant notre ère, le fameux camp des Aduatiques des bords de Meuse, puissant poste militaire ». Puis il rappelle que « le Conquérant des Gaules parle aussi d’un « Castellum Aduatica », où trois ans plus tard, en 54, deux de ses légions commandées par Sabinus et Cotta, se laissèrent surprendre par Ambiorix et furent exterminées. » Toujours dans ses « Environs de Liège, 60… et quelques promenades » (1921), Comhaire évoque les vestiges de la « Fontaine d’Ambiorix » démolie, « sottement » écrit-il, en 1916 alors que c’était là le seul souvenir tangible du séjour du chef des Eburons en ces lieux.
Dans les illustrissimes « Délices du Pays de Liège », il est rapporté à propos de ce Castellum Aduatica que des fouilles menées à la « Hazette » auraient permis la découverte de murs ayant appartenu à un ancien fort et dont la dureté du ciment en rendit la démolition presque impossible.
Ces affirmations montreraient dès lors l’antiquité de l’occupation d’Embourg. L’évêque Monulphe, à la demande du châtelain de Chèvremont, y aurait consacré, à la fin du Vie siècle, une église dédiée à Saint-Jean-Baptiste.
DE BELLUM FAGETUM A BEAUFAYS
Beaufays appartenait au Domaine Roayl de Jupille et, ainsi, voit son territoire lié au nom prestigieux de Pépin le Bref, à celui de son père, Charles Martel, et, évidemment, à celui de son fils, Charlemagne, avec lequel le domaine devint « Impérial ».
En 1008, l’Empereur Henri II donne ce territoire à l’Evêque de Verdun, dans les possessions duquel il restera jusqu’en 1266, date à laquelle il entrera dans les biens du chapitre de la cathédrale Saint-Lambert. En 1123, Henri, Evêque de Verdun, donne une propriété de 12 bonniers, environ 17 hectares, à un certain Robert, sans doute un moine de l’ordre de Saint-Augustin. En ce lieu appelé « Belle Fontaine », il le charge d’installer un oratoire et un « hospice », soit un hôpital, pour y accueillir les indigents, sur le « Chemin Royal » partant de Jupille.
Le moine Robert y établira bien le refuge pour les pauvres à côté d’un corps d’habitation pour ses compagnons. Peu de temps après, les moines de Beaufays seront rejoints par une communauté de religieuses, des augustines qui, elles aussi, se consacrent aux mêmes œuvres.
En 1215, l’Evêque de Verdun agrandit les propriétés des religieux en leur faisant donation du bois voisin, une belle hêtraie dite « Bellum Fagetum » qui donnera son nom au monastère et à son domaine.
Le monastère deviendra vite le moteur du développement du village ; en effet, les moines feront venir des paysans pour cultiver leurs terres alors que les alentours du monastère attireront une population ouvrière, attirée par la présence de minerais de fer dont l’exploitation n’attendait que la main-d’œuvre nécessaire à son extraction et à sa transformation, notamment au Bois le Comte.
L’abbaye est dite double puisqu’y cohabitent des moines et des religieuses. En 1235, le prieur Renier estime que cette cohabitation nuit à la spiritualité du monastère et, rapidement, le Prince-Evêque Jean d’Eppes décide que, désormais, les religieuses séjourneraient à Vivegnis, dans une autre propriété du monastère. Cette décision fut, vous vous en doutez, rapportée avec retenue certes, mais en laissant planer les sous-entendus scabreux par les historiens qui abordèrent le sujet. Il est vrai, à leur décharge, que nombre d’entre eux, à l’instar de Grandgagnage qui, en 1845, publia les lignes qui suivent dans ses « Wallonnades », connaissaient également ces documents d’archives qui consignent l’inconduite notoire des moines de Beaufays au XVIe. En effet, en 1545, l’Official, le Tribunal du Chapitre chargé de juger les suppôts, « condamnait à un pèlerinage expiatoire à Notre-Dame de Paris, Jean Tamyn, religieux de Beaufays, convaincu de fornication incestueuse. Sa complice, qui avait été la concubine du prieur défunt, Georges de Thier, oncle de Tamyn, fut condamnée à faire le pèlerinage de Notre-Dame de Hal, après avoir participé, pieds nus et le cierge en main, à la procession de la Pentecôte. Quelques jours plus tard, le prieur en exercice, Louis Charlier, prêtre, comparaissait devant l’official ; il avoua avoir entretenu des relations coupables à l’intérieur même du couvent. Il dut promettre de s’amender et fut envoyé, en expiation, à Notre-Dame de Cambrai. Le 23 décembre 1547, un profès prêtre, (un prêtre qui a fait sa profession) Christian de Hersey, était condamné à une peine semblable pour une fréquentation suspecte qui faisait scandale depuis plusieurs années. Enfin, le 5 janvier 1548, un autre profès prêtre, accusé de mœurs douteuses, Jean Ludovici, se voyait puni d’un pèlerinage à Notre-Dame d’Aix. »
En 1652, le Prince-Evêque dépêche encore deux chanoines tréfonciers pour visiter le prieuré de Beaufays et y supprimer les abus s’il y en a…
BEAUFAYS ET EMBOURG BRULENT AU XIVe SIECLE
Le Pays de Liège, en raison de sa situation géographique, fut souvent transformé en champ de bataille dont les premières victimes furent toujours les populations civiles.
Ainsi, l’année 1318 fut marquée par une lutte particulière que se livrèrent, sans jamais se rencontrer, les gens d’armes de Jean, Roi de Bohême et Comte de Luxembourg, et ceux du Prince-Evêque de Liège, Adolphe de La Marck.
Parce que les Luxembourgeois étaient venus rançonner les habitants de ses terres du Condroz, les Liégeois, en guise de représailles, envahissent les terres du comté de Luxembourg avec pour mission d’y détruire et d’y enlever dix fois autant. Les troupes liégeoises, sous le commandement du bailli du Condroz, après y avoir fait butin, brûla Marche-en-Famenne et six villages voisins. L’apprenant, le Roi de Bohême, fit rassembler une troupe forte de 500 cavaliers qui s’avança, dévastant tout sur son passage, jusqu’à Chênée et qui, au retour, ravagea puis brûla Embourg, Beaufraipont, Tilff, Méry et Beaufays. Suite à quoi une expédition punitive liégeoise fut mise sur pied et ce chassé-croisé aurait pu durer longtemps encore sans la médiation du Duc de Brabant qui fit conclure une trêve aux deux camps.
A LA BOUXHE, 15 MAISONS DONT 12 OU 13 ABRITENT UN CAFE
A la sortie de la commune, le quartier de La Bouxhe, rassemblé autour du château d’eau, a manifestement dû son développement économique à la présence de cet important carrefour où vous devez choisir d’emprunter la route vous menant vers Louveigné ou celle conduisant à Sprimont.
Au lendemain de la Grande Guerre encore, les lieux se montraient particulièrement propices pour faire une halte, sinon une étape. La tentation est grande de passer un moment dans l’un des 12 ou 13 débits de boisson ouverts dans la quinzaine de maisons que comptait le hameau…
IL Y AURA BIENTÔT 25 ANS QUE LE FLEURON PATRIMONIAL DE BEAUFAYS A ETE SAUVE
A l’automne 1991, la très belle église Saint-Jean l’Evangéliste a été rendue au culte après une longue, coûteuse mais indispensable restauration. Construite en 1701, ainsi que le rappelle une inscription visible au plafond du chœur, pour remplacer la chapelle primitive du monastère.
Cette église a été édifiée selon les plans du frère Guillaume Cramion: bâtiment classique à nef unique divisé en six travées, elle possède une flèche et un clocher bulbeux sur une tour carrée et recèle quelques véritables œuvres d’art dont un maître-autel en bois peint, un jubé en chêne sculpté et les célèbres orgues de Le Picard.
Son classement en janvier 1936 ne protégera pas sa tour qui, jugée dangereuse par l’armée, qui estimait qu’elle aurait pu devenir un point de repère pour l’ennemi, sera abattue au début de la Seconde Guerre Mondiale.
Le tremblement de terre qui secoua la région liégeoise en 1984 porta un coup fatal à l’église et, devant les risques d’effondrement, son accès est interdit. Quand la restauration commença, les responsables des travaux découvrirent encore un nouvel ennemi à anéantir : la mérule s’attaquant à la charpente de l’édifice.
Menés à bien, ces travaux sont une véritable réussite.
LE FORT D’EMBOURG
Construit en 1888 selon la volonté du lieutenant-général Brialmont, à qui l’on doit les fortifications de Liège, le fort d’Embourg a la particularité de n’être distant de son voisin de Chaudfontaine que de 1900 mètres. Les autres forts liégeois étaient généralement séparés de 4 Km.
Sans aucune modernisation ni amélioration, que ce soit à leurs superstructures ou à leur armement, ces forts n’étaient pas à même de supporter l’assaut de la puissante artillerie allemande.
Celui d’Embourg sera transformé en 1928, sa mission consistait, en complément des forts de Boncelles et de Chaudfontaine, à défendre la vallée de l’Ourthe. Les hommes qui y combattirent avaient fait leur la devise suivante : « S’ensevelir sous les ruines du fort plutôt que se rendre ».
Lors des deux guerres, l’action des hommes du fort d’Embourg est mise en exergue et cité à l’ordre du jour de l’armée :
- Le 4 août 1919 « pour avoir opposé aux attaques de l’ennemi une défense énergique au cours de laquelle tous ses occupants, tant artilleurs que fantassins ont fait preuve de bravoure, de ténacité et d’abnégation. »
- Le 12 mai 1948 « Le fort d’Embourg a résisté vaillamment, avec un moral élevé, à une puissante attaque de l’ennemi et n’a succombé qu’après la destruction des coupoles par l’artillerie et l’aviation ennemies, au cours d’un siège de cinq jours. »