FAITS DE RESISTANCE A FERRIERES

La Petite Gazette du 5 novembre 2008

QUI SE SOUVIENT ENCORE DES FUSILLES DE FERRIERES ?

Madame Flore Duchesne, de Havelange, fut une de mes toutes premières correspondantes quand, il y a bientôt dix ans, je repris les commandes de La Petite Gazette et, depuis lors, elle nous confie régulièrement ses souvenirs. Comme vous, j’en suis ravi.

Aujourd’hui, elle se fait particulièrement grave et, profitant du fait qu’elle trie des tas de vieux documents, elle partage l’avis d’un autre correspondant qui insistait il y a quelques semaines sur la nécessité de témoigner.

« Les anciens, comme moi, écrit-elle, nous devons mieux assumer notre devoir de mémoire. J’espère que des lectrices et des lecteurs se manifesteront sur ce sujet que j’évoque afin de faire prendre conscience aux gens qui n’ont pas connu cette époque du bonheur qu’il y a à vivre dans un havre de paix et de quiétude, à l’abri de la terreur, de la destruction et de la mort et cela depuis si longtemps ! »

« Ils étaient plus d’une douzaine. Leur âge ? de plus ou moins 18 à 25 ou 30 ans. J’en ai connu un, natif d’Ocquier, il était le fils de Marie Marlair et de Joseph Pauly, un cousin de papa. Déporté en France par les Allemands pour travailler, dans des conditions épouvantables, à la construction du Mur de l’Atlantique, Edgard Pauly avait réussi à s’évader et à regagner la Belgique où il avait pris le maquis et où il était devenu membre actif de la Résistance. A la veille de la Libération, chargé de mission avec tout un groupe de résistants, talonnés par un ennemi aux abois, ils sont tombés dans une embuscade. Avec un autre volontaire, Edgard a fait front, permettant à ses camarades de s’échapper, les sauvant ainsi d’une mort certaine. Faits prisonniers, ils ont été ramenés à Ferrières où, avant de s’enfuir, leurs geôliers les ont lâchement assassinés au mépris de toutes les règles de la guerre et ce en compagnie d’autres jeunes venus d’horizons divers. C’était le 2 septembre 1944 ; à la veille de la Liberté ! (Oquier où j’habitais alors a été libérée le 8 septembre.)

Par un raffinement de cruauté, leurs bourreaux, avant de les exécuter, ont brûlé tous leurs papiers d’identité et leur ont enlevé tous leurs objets personnels.

Ferrières1

Quand on les a retrouvés (des gens de Ferrières j’imagine) ce n’étaient plus que des morts tristement anonymes ; le seul moyen pour permettre de les identifier a été de les aligner côte à côte et de les prendre en photo après les avoir numérotés, numéro qui allait être repris sur leur cercueil.

 

Mon Dieu ! Peut-on imaginer la tragédie vécue par leurs familles ; ces gens à la recherche d’un fils, d’un mari, d’un frère ou d’un fiancé n’ont disposé, pour retrouver un être cher plein de vie et de jeunesse que de mauvaises photos d’amateur jointes à un simple numéro… Que de larmes, de désespoir et de rage Ferrières2ont dû couler sur ces humbles bouts de carton ! »

 

SOUVENIR DE DECES D’EDGARD PAULY

 

 

La semaine prochaine, nous retrouverons Mme Duchesne et l’évocation d’une autre victime des ces crimes de guerre à Ferrières. Si vous pouvez développer ce sujet, n’hésitez pas une seconde et répondez s’il vous plaît  à l’appel de ma correspondante.

 

La Petite Gazette du 12 novembre 2008

QUI SE SOUVIENT ENCORE DES FUSILLES DE FERRIERES ?

Madame Flore Duchesne, de Havelange, s’est souvenue, en triant de vieux papiers, de cet épisode tragique de septembre 1944. La semaine dernière, elle rappelait le souvenir d’Edgard Pauly, aujourd’hui, elle nous parle d’une autre victime :

« Quelques années plus tard, j’ai connu, à titre posthume, un autre de ces suppliciés : c’était un cousin de mon mari, il s’appelait Maurice Lecomte et habitait Ciney. Le jeune Maurice (il n’avait pas 19 ans, Edgard, lui, en avait 21) avait été massacré, lui aussi, à Ferrières… Même date, même endroit et, comme je l’ai appris de la bouche de sa maman, deux photos et un numéro comme seuls signes de reconnaissance.  Edgard, 21 ans, Maurice, 19 ans, mais  les autres … qui étaient-ils ? Des résistants, bien sûr, mais aussi, sans doute, des otages, peut-être même des habitants des environs ; peut-être aussi a-t-on érigé un monument à leur mémoire ? J’avoue que je n’en sais rien et que je n’ai jamais cherché à savoir… Pourquoi ?

J’avais 16 ans, on retrouvait des morts partout ; submergés d’horreurs, on n’arrivait plus à suivre. En s’enfuyant, les débris de l’armée du grand Reich jonchaient les routes de cadavres et pourtant, pour nous, allait suivre l’Offensive des Ardennes, puis la découverte des camps d’extermination. Après, les gosses de mon âge ne voulaient qu’une chose : vivre comme tout le monde, dans la paix, la joie et la sécurité et oublier surtout que cela avait pu exister.

On essaie de gommer son passé, les cauchemars de son adolescence, mais on n’y arrive pas vraiment… La preuve, c’est qu’au soir de ma vie, tous ces jeunes disparus depuis si longtemps reviennent parfois hanter ma mémoire. C’est pourquoi j’aimerais savoir qui se souvient encore de ces fusillés de Ferrières. Qui étaient-ils ? Quelle était leur histoire ? Comment se sont-ils retrouvés là pour cet ultime rendez-vous ? Y aura-t-il, parmi les lecteurs, quelqu’un qui pourra m’expliquer qui étaient les autres petits gars de Ferrières ? »

J’imagine que oui et j’attends vos réactions avec impatience

 La Petite Gazette du 26 novembre 2008

A FERRIERES, LES DRAMES DE LA GUERRE

Monsieur Armand F Collin, du C.L.H.A.M. (Centre Liégeois d’Histoire et d’Archéologie Militaires) profite de l’évocation d’un drame de guerre à Ferrières pour nous communiquer des renseignements recueillis lors d’une recherche qu’il a menée dernièrement sur les diverses stèles et monuments de l’entité : « Dernièrement, m’écrit-il, j’ai fait une recherche sur Ferrières  et pris les photos des divers stèles et monuments de  l’entité.

1.Kersten Léon. 21 ans. Fils d’un fermier de St-Roch.Le lundi (26.04.43) de Pâques, des soldats allemands de la  Wehrmacht effectuent un contrôle à Ferrières. Kersten fait mine de quitter la place du Bati (devenue Chablis), fait demi-tour et se dirige vers le chef du détachement. Ce dernier crie en  français ‘Halte, vos papiers’ Kersten crie  ‘Non’ L’allemand lui donne un coup de matraque  et Kersten réplique par un coup de poing puis veut fuir. Un soldat allemand l’abat.

Ferrières3

2. Lahaye Gilbert. Etudiant. Ferrières 02.02.1925. Arrêté le 01.09.1944.Ancion Joseph. Cultivateur. La Gleize 22.05.1921. Sabotages, transport d’armes. Thiry Pierre. Verlaine 11.05.1917. Depuis le 15.08.1944,  guide pour les réfractaires.Ancion et Thiry arrêtés à la ferme Jacot à Izier. Font partie de l’A.S. Zone V. Secteur 4. Sous-secteur Byl. Ils sont abattus le 02.09.1944 à l’endroit du monument leur dédié.

Ferrières4

Dès la semaine prochaine, nous retrouvons M. Collin face à d’autres monuments de Ferrières. 

   La Petite Gazette du 3 décembre 2008

A FERRIERES LES DRAMES DE LA GUERRE

Monsieur André Rixhon, de Ferrières, apporte à Mme Duchesne les précisions qu’elle souhaitait obtenir. Il m’a, en effet, fait parvenir ce qu’a écrit sur le sujet M. Alfred Dubru (Le sous-secteur Byl Secteur 4 – Zone V, Arlon, 1984 pages 53 et 54). Après avoir remercié chaleureusement mon correspondant, je vous livre l’intéressant récit qu’il nous a communiqué :

« Samedi 2 septembre 1944.

Pour le maquis de Ferrières, c’est un jour à marquer d’une pierre noire. Dans la nuit du 1 au 2, une patrouille de 5 hommes s’en va au ravitaillement. Mission : tuer une vache et la ramener au camp. En cours de route, elle rencontre les Allemands; une fusillade éclate: Roukens Maurice, Ronvaux René et Lecompte Maurice sont tués. (MEMORANDUM, p.81)

Ce n’est malheureusement pas terminé. Suite à un coup de feu malencontreux tiré à la lisière Sud du camp, une colonne alleman­de qui passait sur la grand-route Ferrières-Werbomont, fait demi-tour et attaque le camp. Maurice Nicolay, chef du VI° groupement raconte : « Le 2.9.44, à Ferrières, dans la matinée, les troupes allemandes, averties de l’existence de notre camp de refuge, l’investissent avec des forces importantes. Bielen Nestor, officier de réserve, qui partage avec moi la direction du camp, sollicite la direction des hommes armés et attaque immédiatement l’agresseur; sa couverture me permet de rassembler les hommes non armés et plus ou moins affolés par le tir de l’ennemi. Après avoir établi une deuxième ligne de soutien dotée de FM (Cdt Théo), j ‘ évacue le personnel dans une région plus sereine.  J’envoie ensuite mes derniers hommes armés pour faire établir, jusqu’à la ligne de feu, un service de ravitaillement en munitions (Capt Massart et Lt Crotteux). L’ennemi .bloqué, se  retire après 35 minutes de combat au cours duquel il s’est servi d’armes automatiques, grenades et artillerie légère d’infanterie. Les ravitailleurs, pour assurer leur mission, ont  traversé, à plusieurs reprises, des terrains découverts fortement battus par le feu de l’infanterie adverse. » (UFAS. Maurice Nicolay)

Henri Frédéric fut gravement blessé au cours de la mission, de ravitaillement en munitions.

Cornu Louis, Dupont Hubert, Hermant Charles, Huard René, Lens Théodore, Maris René et Pluem Christian furent tués au cours du combat.

Du côté ennemi, une septantaine d’attaquants, dont le comman­dant de la colonne auraient été tués. (MEMORANDUM, p.86) Après le combat, le camp fut déménagé et installé dans les bois de Fays. Et comme si le tribut payé par le VI » groupement n’avait pas été assez lourd, il fallut que la journée s’achevât par le massa­cre de Burnontige. Comme déjà dit, l’hôtel Gaiemet servait d’hôpital au Sous-Secteur BYL. Toute la famille Gaiemet  avait été arrêtée le 2.3.44. Le père et la fille furent déportés la mère, gravement malade, avait été libérée: elle rejoignit son hôtel et continua à accor­der l’hospitalité aux blessés et aux malades.

Ferrières5

 

L’Hôtel Gaiemet (photo 2008)

 

Que s’est-il passé le 2 septembre ? D’après Philippe, sur dénon­ciation, les P.O.A. se rendirent à l’hôtel, croyant le capturer. Ils y trouvèrent quelques personnes dont trois infirmières ainsi qu’Omer Sellier, Huguette Moise et la propriétaire. Ils tuèrent les trois infirmières : Suzanne Boscheron, Josette Petit et Hortense Swinnen, enfermèrent Mme Gaiemet dans la cave et mirent le feu à l’établissement. Omer Sellier et Huguette Moise (à cette époque, Mademoiselle Jamotte) furent relâchés après un interro­gatoire de cinq heures.

Ferrières6

 

 

 

 

 

Monument élevé à la mémoire des trois infirmières.

C’est Modeste Servasy qui découvrit le drame dans toute son hor­reur, le lendemain, en venant ravitailler le maquis. »

Les photos qui m’ont servi à illustrer cet article m’ont été transmises par Monsieur Armand F Collin, du C.L.H.A.M. (Centre Liégeois d’Histoire et d’Archéologie Militaires) qui, dernièrement a mené une recherche sur les diverses stèles et monuments de l’entité de Ferrières.

La Petite Gazette du 10 décembre 2008

ENCORE AU SUJET DES FUSILLES DE FERRIERES

Monsieur Jacques Jöbses revient sur le sujet avec une question précise : « Mon père faisait partie de l’AS-groupe BYL durant la dernière guerre et, dernièrement, je l’ai brièvement remplacé lors du pèlerinage annuel de son groupe.

Une commémoration avait précisément lieu au carrefour de My en mémoire de résistants qui ont été fusillés à Ferrières à la fin de l’occupation allemande. Il y a deux stèles de part et d’autre du carrefour. Venant de Werbomont, la première se trouve à droite avant le carrefour et la seconde, à droite aussi, mais après le carrefour, en direction de Huy . Mon père m’a aussi parlé du fait que des gens avaient été fusillés près de l’église.

Cela étant, je profite de l’occasion pour lancer un appel à la mémoire des lecteurs dans l’espoir d’obtenir un renseignement qui ferait un grand plaisir à mon père.

Je vous ai dit que mon père, originaire de Liège, se trouvait du côté de Harre en 1944. Les 27 et 28 1944 ont eu lieu deux largages de containers par l’aviation alliée. Mon père faisait partie du groupe chargé de les récupérer.

Il se souvient très nettement des champs entourés de bois ainsi que de l’ambiance nocturne et des containers accrochés à leurs parachutes (spectacle enchanteur à son âge !), du bruit des containers qui touchent le sol et des parachutes qui descendent lentement, mais il ne se souvient plus des endroits exacts (endroits qui lui ont paru magnifiques à l’époque, il avait 19 ans) qui devaient se situer aux alentours de Harre/Manhay. En réalité le premier largage était prévu le 25 août 1944 mais les avions chargés de l’opération avaient été pris en chasse par l’aviation allemande et l’opération avait été reportée.

Les noms de code des opérations étaient « Périclès » et « Tulipier » puis a été modifié en « Thémistocle », avec comme mot de passe « Thémistocle avait un bâton convaincant ».

Est-ce que cela dit quelque chose à quelqu’un ?

Evidemment, les membres de l’opération n’était pas nombreux… Quelqu’un pourrait-il préciser où se trouvaient ces terrains de largage ? Un immense merci de la part de mon papa. »

Si vous avez des précisions sur ces opérations, ne manquez pas de nous les communiquer, vos renseignements intéresseront bien d’autres personnes…

La Petite Gazette du 28 janvier 2009

FERRIERES… EMOTION

Il y a plusieurs semaines, à la demande de Mme Flore Duchesne, de Havelange, vous m’avez permis d’évoquer divers drames qui secouèrent Ferrières durant le dernier conflit mondial. L’une des relations qui avaient été faites alors a été envoyée directement à Mme Duchesne et cette relation est d’importance, jugez plutôt.

« Je tiens à témoigner car j’ai vécu à la date du 2 septembre 1944 une triste histoire de très près, écrit Mme Marie-Louise Lahaye, de Vieuxville. Une des victimes était mon grand frère, il n’avait pas 20 ans, c’était un brillant étudiant. Nous étions fin août, c’est en se rendant chez son ami Jules Sépul, où une cachette avait été aménagée pour eux, qu’il fut arrêté avant d’être emprisonné à la maison Gaiemet où les Allemands assassinèrent Mme Gaiemet et trois infirmières avant d’incendier la maison !

Ensuite, il fut transféré à la ferme Jacot, à Izier, où d’autres jeunes étaient prisonniers, des malheureux innocents qui ont eu la malchance de se trouver sur le passage de ces bourreaux ! Parmi eux se trouvait un traître parlant allemand qui, sans les connaître et pour sauver sa peau, les dénonça comme des terroristes.

C’est le 1er septembre que nous avons appris l’arrestation de Gilbert, la nuit fut longue, papa, ma sœur et moi avons prié et supplié le Seigneur de nous garder Gilbert, notre rayon de soleil ; maman était décédée depuis quatre ans.

Le samedi 2 septembre, nous sommes partis, mon père et moi, par le bois, rejoindre le village d’Izier, les Allemands se préparaient à partir car les alliés avançaient. Je me souviens du bruit de leurs bottes martelant les pavés de la cour, ils étaient comme fous, criant et hurlant, une vraie débandade. J’étais terrorisée !

Les prisonniers sortirent de la cave où ils étaient enfermés, je me précipitai vers mon frère, le tirant par le bras : « Viens Gilbert, viens ! ». Le soldat eut un instant d’hésitation, mais il me repoussa violemment, quand j’y repense c’était hardi, mais, à douze ans, on ne mesure pas le danger !

Le convoi se forma, les camions étaient en avant, suivis par ces beaux jeunes, les mains derrière le dos, entourés de quatre soldats. Il s’agit de Pierre Thiry, de Verlaine, Joseph Ancion, de Ferrières, Gilbert Lahaye, de Ferrières. A une vingtaine de mètres suivaient deux papas, dont un tenant par la main sa petite fille !

Ce fut une longue marche sous une pluie fine de septembre, parfois les Allemands se retournaient pointant leurs armes vers nous et nous ordonnaient de partir. Nous avons continué, traversant le village d’Izier, suivant la route vers Burnontige.

Le père Ancion nous quitta et prit un raccourci pour rentrer chez lui au thier de Ferrières. Arrivés au sentier qui mène vers le bois de Raumont, mon frère tourna la tête vers la gauche car, de là, il aperçut notre maison, il nous fit un signe d’adieu de la main et c’est la dernière image que je garde de lui.

Quelques minutes plus tard, des coups de feu retentirent dans le bois et là… j’ai compris ! Papa ne réalisait pas et ne voulait pas y croire. Le lendemain, c’est un homme du village qui découvrit le triste spectacle.

Les jours et les mois qui suivirent furent très douloureux pour nous trois, je vivais comme je pouvais entre l’école et les tristes soirées, soutenant de mon mieux mon papa et ma soeur.

Bien qu’il y ait plus de 64 ans de cela, ma mémoire est intacte et pas un jour ne passe sans que je ne revive ce tragique épisode.

A Burnontige, trois monuments furent érigés à la mémoire de ces disparus, un principal où sont inscrits les noms des victimes de la guerre 40-44. Un autre en retrait en souvenir des trois infirmières assassinées et un dans le bois de Raumont.

Depuis, chaque année, à la date du 10 mai, du 2 septembre et le 11 novembre, les anciens combattants et les autorités communales de Ferrières rendent hommage et déposent des fleurs à ces monuments. »

Un immense merci pour ce poignant témoignage.