UNE VIE HUMBLE ET MAGNIFIQUE

La Petite Gazette du 8 mai 2019

UNE VIE HUMBLE ET MAGNIFIQUE

Il est né le 3 juillet 1923 dans un petit village du Condroz liégeois où ses parents vivaient des maigres revenus de leur petite ferme. Huit vaches à l’étable, il n’y avait pas place pour une de plus, et un cheval constituaient tous leurs avoirs. Année après année, deux cochons étaient élevés et toutes les charcuteries étaient préparées à la maison. Toujours, il adorera le plaisir simple que lui apporte un repas simple fait d’une fricassée au lard, d’un pied de cochon en gelée ou d’un boudin noir grillé avec des pommes.

Il va à l’école à pied dans le fond du village; en hiver, il y descendait en luge s’il y avait de la neige. De retour à la ferme familiale, très jeune déjà, il est occupé à diverses tâches. Ce quotidien sera le sien durant huit années; en effet, il complète ses 6 années d’école primaire par 2 années supplémentaires, le quatrième degré disait-on alors.

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Le voici, juste derrière le cheval de la ferme familiale, son papa tient le cheval et sa maman est installée sur le siège de la faucheuse

A 14 ans, l’école est finie pour lui et la carrière professionnelle débute : il est apprenti boucher dans une boucherie réputée sur le Mont à Esneux. Il y apprend un métier qu’il adore. Il arrive au travail le lundi matin et y loge la semaine jusqu’au samedi. Il quitte alors la boucherie dans l’après-midi une fois que tout y a été nettoyé consciencieusement. Il saute ensuite dans le tram vicinal qui le ramène au village.

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Jules Gillon, son patron, pose fièrement à côté de sa Chevrolet 1938

Le 10 mai 1940, la guerre éclate, il a 17 ans et est dès lors trop jeune pour être enrôlé. Qu’importe, par idéal, avec quelques copains du village et des environs, il prend la route, à pied évidemment, en direction de Dunkerque, passage obligé vers l’Angleterre d’où il pense pouvoir rejoindre les troupes au combat. Les routes sont très encombrées par les foules de civils fuyant l’avancée des armées allemandes et le voyage est plus long que prévu. Quand, avec ses amis, il arrive enfin en vue des bateaux, il est trop tard… Les troupes anglaises sont rembarquées en urgence sous les tirs de l’aviation allemande. Ils sont renfloués et n’ont d’autre choix que de revenir…

Il reprendra son travail à la boucherie. De nombreuses tâches sont désormais clandestines et dangereuses. Dans de très nombreuses fermes et maisons de la région, les habitants élèvent des cochons en cachette pour éviter les réquisitions. Avec son patron, il a appris et maîtrise vraiment l’abattage à la makète et la confection de toutes les charcuteries. Ensemble, ils interviendront dans les endroits les plus saugrenus : des caves, des greniers, des corridors, des chambres… Son patron est actif dans un mouvement de résistance et sans doute a-t-il été dénoncé car il est surpris dans son sommeil … Déporté, il ne rentrera jamais. Son apprenti aurait dû être là mais il est exceptionnellement rentré à la ferme où on a besoin de lui. Toujours, il parlera de ce qui aurait pu arriver si…

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La guerre à peine finie, il est appelé sous les drapeaux. Il y apprendra à conduire un camion et deviendra même instructeur chauffeur.

Démobilisé, il trouve du travail comme boucher-livreur à l’Union Coopérative : c’est conforme à l’idéal familial, son papa est un militant! C’est en travaillant qu’il rencontre l’amour, elle est la jolie gérante d’une des épiceries de sa tournée de livraison. Ils auront trois fils.

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Au volant se son camion de la Coop, avec les collègues

La promesse d’un meilleur salaire le place ensuite au volant d’une ambulance du service de la Santé publique de la Ville de Liège, puis au sein du corps des pompiers  où il atteindra le grade d’adjudant-chef, instructeur ambulancier. Son épouse est devenue la gérante d’un supermarché de la Coop qui abrite également un atelier de boucherie dans lequel il travaille dès qu’il quitte son uniforme de pompiers ou quand il ne se charge pas des livraisons à domicile. Jamais il ne compta ses heures, jamais il ne prit un jour de congé de maladie…

Papa
Dans la cour de l’hôpital de Bavière

Une vie humble mais magnifique, une bonne humeur contagieuse, un sens incroyable de la famille et de l’amitié, toujours optimiste malgré les épreuves qu’il a vécues. Un exemple!

Il est parti la semaine dernière.

C’était mon papa.

 

14 réflexions sur “UNE VIE HUMBLE ET MAGNIFIQUE

  1. Bon courage et sincères condoléances.. Il est toujours triste de perdre son père surtout quand il est un exemple pour tous. Catherine van Hoorebeke, une fidèle lectrice des Annonces de l’Ourthe

    Envoyé de mon iPhone

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  2. Cher Monsieur Henry,
    Je vous présente mes très sincères condoléances à la suite du décès de votre Papa.
    J’ai pris connaissance de sa vie très active, ce qui m’a permis de me replonger dans la période des années 50 qui ont suivi la guerre. Elle ne fut pas facile pour la grande majorité de la population.
    Je suis un fidèle lecteur de votre rubrique et vous souhaite bonne continuation.

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    1. Bonsoir Monsieur Etienne,
      Merci pour votre message. Effectivement, mon Papa a connu ces années difficiles mais, comme beaucoup d’autres qui n’avaient pas non plus d’autre choix, il les a affrontées avec courage et optimisme. Ces deux énormes qualités ne l’ont jamais quitté.
      Très cordialement, René Henry

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  3. Bonsoir René, Nous avons tous un jour un papa qui s’en va. Le souvenir qu’il nous laisse c’est l’essence même de notre propre vie. En lisant ton texte je retrouve un peu le père mais aussi la mère de l’autre René Henry que je suis. Merci à toi d’en avoir ainsi raconté son parcours de vie. Je suis sûr, mais par pudeur tu n’en parles pas, qu’il était aussi fier de toi. Toutes mes condoléances.

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    1. Grand merci pour ton message et pour ton amitié René. C’est sûr que l’exemple reçu influence grandement notre devenir et je suis particulièrement heureux de l’exemple qui m’a été donné. Très cordialement, René Henry

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  4. Bonjour Monsieur Henry,

    Recevez l’expression de toute ma sympathie. C’est au moment de perdre ses parents que l’on prend pleinement conscience du fait d’appartenir à une lignée à qui on doit beaucoup. Et l’on voudrait qu’ils soient encore là quelques heures pour répondre à certaines interrogations qui se bousculent dans notre esprit et auxquelles il sera devenu impossible d’apporter des réponses. Bon courage à vous.

    Jean Bolland ________________________________

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    1. Bonjour Monsieur Bolland,
      Merci pour votre message de sympathie. Vos propos, à la fois profonds et si vrais, se font effectivement l’écho des pensées qui sont miennes en ces moments.
      Très cordialement,
      René Henry

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  5. Bonjour monsieur Henry,
    Mon mari et moi, nous vous envoyons, toute notre sympathie, en ce douloureux moment, c’est toujours quand ils partent qu’on se dit : si j »avais su! on avait encore tant de choses à se dire, à transmettre, hélas! c’est comme çà, la peine est là mais tant de bons souvenirs restent, tant d’expressions ressortent et pour toujours ils sont dans notre coeur, Courage à vous ; R et M Luyten

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    1. Bonjour Madame et Monsieur Luyten,
      Grand merci pour votre gentil message. C’est tout à fait vrai que c’est une réelle bibliothèque de faits, d’événements et d’anecdotes spécifiques qui vient de disparaître. Même s’il m’en a beaucoup confiés, voire souvent racontés, il y a effectivement tant de choses que j’aurais encore aimé évoquer avec lui. C’est tout aussi vrai que ses expressions savoureuses sont désormais miennes et qu’il reste là, avec moi.
      Très cordialement,
      René Henry

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